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18 10 2006

La police des publications étrangères est morte, vive la police des publications étrangères !

« La police des publications étrangères est morte, vive la police des publications étrangères ! », telle est, en substance, la conclusion d’un article du Professeur Emmanuel DREYER dans un article paru dans la Semaine juridique édition générale du 4 octobre dernier et intitulé « restaurer le contrôle des publications étrangères » (JCP G 2006, doctrine, p. 1829).

Vous n’ignorez pas que le décret-loi du 6 mai 1939, qui prévoyait un régime d’interdiction, avait été déclaré incompatible avec les stipulations de l’article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme par la CEDH[1], puis par le Conseil d’État[2]. À la suite de cette dernière décision, le Gouvernement a abrogé, il y a deux ans, ce décret-loi[3].

La majorité des juristes a retenu de cette succession d’évènements la disparition de la police des publications étrangères. Pourtant, telle n’est pas l’opinion de la doctrine qui s’est intéressée au sujet[4]. En effet, le décret-loi de 1939 ne venait que modifier une police des publications étrangères existante qui résultait de l’article 14 de la loi de 1881, modifié par une loi du 22 juillet 1985. Par suite, l’abrogation du décret-loi aurait pour conséquence le retour au régime qui lui préexistait et non l’abrogation de tout régime de police des publications étrangères.

Ainsi, le texte consolidé de la loi de 1881 visible sur Légifrance indique à l’article 14 :

« La circulation en France des journaux ou écrits périodiques publiés à l’étranger ne pourra être interdite que par une décision spéciale délibérée en Conseil des ministres.

La circulation d’un numéro peut être interdite par une décision du ministre de l’intérieur.

La mise en vente ou la distribution, faite sciemment au mépris de l’interdiction, sera punie d’une amende de 50 francs à 500 francs (anciens) ».

Deux questions se posent alors.

La rédaction de l’article 14 de la loi de 1881 antérieure au décret-loi de 1939 est-elle réapparue dans l’ordonnancement juridique ?

L’évidence de la logique juridique plaide en cette faveur. En effet, bien que l’hypothèse ait été jugée antérieurement comme « peu vraisemblable » par certains auteurs[5], le Gouvernement a procédé à une abrogation pure et simple du décret-loi de 1939. Il est vrai que l’injonction du Conseil d’État, qui était limité par les conclusions de la requête, n’allait pas au-delà.

Or, l’abrogation d’un texte fait naturellement renaître l’état du droit préexistant et ceci en toutes circonstances[6].

Ainsi, Légifrance n’inclut pas l’article 14 parmi ceux abrogés de la loi de 1881.

Mais, rappelons que Légifrance, avec tout le respect que l’on doit à cette indispensable et éminente institution, n’est qu’un site placé sous la responsabilité du secrétaire général du Gouvernement et exploité par la Direction générale des Journaux officiels[7]. Il s’agit donc d’un « service » gouvernemental géré avec toute l’impartialité nécessaire, mais qui ne peut préjuger de la position qu’adopteront les juridictions lors d’un contentieux.

Ainsi, Serge Slama, à l’occasion d’un commentaire sur le blog du Professeur Rolin, semblait classer cette circonstance comme un dysfonctionnement de Légifrance[8].

Cependant, à bien y regarder, on voit mal, même si l’on s’en étonne, ce qui pourrait faire obstacle à la réapparition de l’article 14 de la loi de 1881.

On pensera, bien sûr, à l’abrogation implicite de l’article 14 dans son ensemble, mais ce moyen paraît peu plausible. En effet, un texte ne se retrouve abrogé implicitement que s’il est directement contraire au texte adopté postérieurement. Tel ne semble pas le cas en l’espèce.

Pour autant, la « nouvelle » police des publications étrangères n’est pas forcément apte à produire des effets.

La rédaction de l’article 14 de la loi du 1881 antérieure au décret-loi de 1939 est-elle compatible avec les engagements internationaux de la France ?

La Cour européenne des droits de l’homme ne s’était pas prononcée sur le grief tiré de la discrimination. En effet, la violation de l’article 10 de la Convention étant caractérisée, la Haute juridiction avait jugé qu’il n’était « pas nécessaire d’examiner séparément le grief tiré de l’article 10 combiné avec l’article 14 ».

Cette économie de moyens pourrait valoir un nouveau recours.

En effet, si comme le soutient le Professeur Emmanuel DREYER le caractère moins restrictif de la nouvelle police des publications étrangères lui permettra peut-être d’échapper à la censure sur le seul fondement de l’article 10, le fait que cette mesure vise les seules publications étrangères pourrait constituer une discrimination incompatible avec la Convention européenne.

Au demeurant, une telle mesure dirigée à l’encontre d’une publication d’un pays membre de l’Union européenne pourrait constituer une mesure d’effet équivalent à une restriction quantitative à l’importation prohibée en principe. En effet, l’article 30 du Traité de Rome admet les restrictions « justifiées par des raisons de moralité publique, d’ordre public, de sécurité publique (…) », mais à la condition que « ces interdictions ou restrictions ne (constituent) ni un moyen de discrimination arbitraire ni une restriction déguisée dans le commerce entre les États membres ». En pratique, la Cour de justice des communautés européennes ne tolère que les restrictions qui résultent d’ « exigences impératives »[9].

Décidemment, cette affaire n’est pas terminée.

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Notes

[1] CEDH, 17 juillet 2001, Ekin c./ France, n° 39288/98

[2] CE, 7 février 2003, GISTI, req. n° 243634

[3] Décret n° 2004-1044 du 4 octobre 2004

[4] Voir, notamment, Nelly Ach, « Le dépérissement progressif de la police des publications étrangères », AJDA 2005, p. 1606 et Régis FRAISSE, « Presse écrite. Liberté de la presse », J.-Cl. adm., fasc. 270

[5] Anne Fitte-Duval, Stéphanie Rabiller, « Le déclin annoncé de la police des publications étrangères (à propos de l’arrêt GISTI du 7 février 2003) », RFDA 2003, p. 972

[6] Voir, notamment, CE, Ass., 29 avril 1994, Association Unimate 65

[7] Article 2 du décret n° 2002-1064 du 7 août 2002

[8] J’espère qu’il nous fera l’honneur de s’en expliquer ici.

[9] CJCE, affaire 120/78 du 20 février 1979, Cassis de Dijon

Commentaires

ND dit :

Est ce que ça voudrait dire que les publications étrangères sont avantagées par rapport à des publications françaises qui pourraient être interdites sur la base de procédures plus simples ? Et une amende de 76 centimes d’euros….

Serge Slama dit :

Vous ne pouvez pas savoir combien je suis satisfait de voir enfin un blog soulever cette question.
En prime je vous livre donc des informations en avant-première sur ce texte:

1°) la HALDE vient de rendre, par délibération de son collège n°2006-196, du 18 septembre 2006, après un an de tergiversations (la saisine du Gisti date du 11 octobre 2005), une recommandation constatant le caractère discriminatoire de l’article 14 de la loi de 1881 dans sa version issue de la loi de 1895.
Elle partage donc l’analyse juridique développée ici, qui est aussi celle qu’avait développé la réclamante (la saisine et la recommandation devraient prochainement être mise sur le site du Gisti).
En discutant de cette question avec le Professeur Rolin, il n’est pas convaincu par la justesse de cette analyse sur la résurrection de l’article 14 de la loi de 1881 dans sa version antérieure suite à l’abrogation du décret de 1939. Mais je préfère le laisser développer son analyse.

Au passage je souligne qu’alors que l’issue de la saisine ne faisait aucun doute (le caractère discriminatoire et l’absence de justification objective et raisonnable est induite par la décision de la CEDH Ekin même si par économie des moyens elle ne se prononce que sur la violation de l’article 10 mais pas du 14).

Pourtant dans la lettre adressée le 5 octobre 2006 par le Président de la HALDE au Premier ministre et au ministre de l’Intérieur (car curieusement la recommandation du collège du 18 septembre se contente de renvoyer à l’envoi de cette lettre…) il est fait état de deux éléments contradictoires:

– "Il peut être considéré comme légitime que l’article 14 de la loi de 1881 sur la presse étrangère restreigne la liberté d’expression dans un but de sécurité nationale ou d’ordre public afin de répondre à un besoin social impérieux. Le fait que cette restriction ne s’applique qu’à des publications faites à l’étranger peut être considéré comme n’étant pas discriminatoire, si l’on considère que ces publications ne peuvent être atteintes par les règles pénales qui s’appliquent aux responsables de publications en France";

et pourtant au paragraphe suivant, il est constaté:
– "il demeure que la restriction à la liberté d’expression, permise par l’article 14 de la loi de 1881, en raison des termes très généraux dans lesquels elle est définie, paraît en contradiction avec le droit européen, article 10 et 14 CEDH.
Une mise en conformité de ces dispositions avec le droit européen apparaît dès lors souhaitable".

C’est contradictoire car s’il y a violation de l’article 14 combiné à l’article 10 c’est qu’il n’existe pas de justification objective et raisonnable fondant la différence de traitement à l’égard des publications étrangères.
Mais à une analyse juridique (celle, logique, découlant de l’arrêt Ekin de la CEDH et Gisti du CE) est venue se greffer une analyse politique du président de la HALDE (il faut maintenir un contrôle possible sur les publications étrangères).

2°) Sur Légifrance ce n’est pas aussi simple.
D’abord il faut avoir à l’esprit que le décret d’octobre 2004 abrogeant le décret de 1939 n’est pas venu tout seul: la section du rapport et des études du CE a été saisie, le médiateur de la République serait aussi intervenu.

Après publication du décret d’octobre 2004, Légifrance n’en avait tiré aucune conséquence. Difficile de comprendre qu’un décret (de 2004) puisse abroger une disposition législative (de 1881 modifié en 1939), suite à un arrêt du Conseil d’Etat de 2003.

Mais à ce moment là est intervenu auprès de Légifrance une association qui a fait remarquer que le décret-loi de 1939 avait été abrogé.
C’est alors que Légifrance a pris le 21 juillet 2005 la décision "après mure réflexion de remettre en vigueur l’article 14 de la loi du 29 juillet 1881 dans sa version antérieure accompagné d’un nota explicatif (mentionnant le décret et l’arrêt du Conseil d’Etat).

L’affaire des publications étrangères n’est donc décidément pas terminée puisque le gouvernement, s’il suit la recommandation de la HALDE, devra présenter au Parlement un projet visant à l’abrogation ou à la modification de l’article 14 de la loi de … 1881. Qui au demeurant ne sert à rien compte tenu de l’indication des montants de la sanction en (anciens) francs…

Mais j’ai une autre hypothèse: la Constitution de 1958, et les éléments de son préambule (DDHC) aurait implicitement abrogé l’article 14 de la loi de 1881. Reste au CE de le constater…
Mais ça c’est une autre histoire…

2 autres scoop: la HALDE a aussi estimé discriminatoire la législation sur la cristallisation des pensions des anciens fonctionnaires civils et militaires des anciennes colonies française et ce malgré l’arrêt du CE du 18 juillet 2006(délibération du 9 octobre 2006) et l’article 44 de la loi budgétaire réservant la carte SNCF "famille nombreuse" aux citoyens français et ressortissants des colonies et du protectorats (délibération du 5 octobre 2006)

Serge Slama dit :

J’oubliais de mentionner. L’arrêt est passé totalement inaperçu mais le Gisti avait saisi en novembre 2003 le Conseil d’Etat en exécution de la décision de février 2003.

Le Conseil d’Etat a bien sagement attendu (ou persuadé le SGG?) de publier le décret abrogateur d’octobre 2004 avant de rendre son arrêt de … non lieu à statuer en janvier 2005

La demande d’abrogation datée de… novembre 2001.

http://www.legifrance.gouv.fr/WA...

Conseil d’État
statuant
au contentieux
N° 261736
Inédit au Recueil Lebon

"Considérant que, par un décret du 4 octobre 2004 publié au Journal officiel du 5 octobre 2004, le Premier ministre a abrogé le décret-loi du 6 mai 1939 relatif au contrôle de la presse étrangère ; que, dès lors, la requête du GROUPE D’INFORMATION ET DE SOUTIEN DES IMMIGRES, tendant à ce que le Conseil d’Etat prononce une astreinte pour assurer l’exécution de sa décision précitée du 7 février 2003, est devenue sans objet"

Et remarquez, puisque les auteurs de ce blog ont consacré une note à cette question que le Gisti n’obtient pas les frais irrépétibles…

"Considérant qu’il n’y a pas lieu, dans les circonstances de l’espèce, de faire application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative et de mettre à la charge de l’Etat la somme que le GROUPE D’INFORMATION ET DE SOUTIEN DES IMMIGRES demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens"

Serge Slama dit :

Sur l’intervention du médiateur voir ce document p.3
http://www.mediateur-republique….

ou le rapport 2003 du médiateur, p.65
http://www.mediateur-republique….

Bernard Joubert dit :

Je suis celui qui, en 2005, Serge Slama l’évoque, est intervenu auprès de Legifrance pour faire remarquer que le décret d’octobre 2004 n’avait pas été pris en compte. Je détaille l’anecdote dans un livre qui sort aujourd’hui (“Histoires de censure”, Bernard Joubert, éd. La Musardine), dont voici un extrait :
« Une anecdote personnelle pour rendre compte de la situation incroyablement confuse dans laquelle l’article 14 fait actuellement ses adieux. Legifrance, le site officiel de service public qui tient à jour les lois sur internet, en proposa trois versions différentes durant l’année dernière, en fonction des messages que nous lui adressions. Pour Legifrance, début 2005, la loi était restée la même. Nous lui en fîmes la remarque, cela faisait tout de même quatre mois que le Premier ministre avait signé un décret. Sa première réaction (1er février) fut : “Il ne s’agit nullement d’erreur.” Nous insistâmes. Vint alors (2 février) : “Après vérification approfondie, il s’avère en effet que…”, et l’article 14 fut entièrement supprimé du texte de loi consolidé. Poursuivant ce fructueux dialogue avec l’administration, nous lui confiâmes que le coup de balai nous paraissait un peu brusque et dépasser ce que nous comprenions de la prose de Jean-Pierre Raffarin. Legifrance ne savait quelle décision prendre (2 février encore) : “Il ne nous semble pas qu’il faille revenir au texte initial de 1881. Nous allons saisir du problème les autorités compétentes, en l’occurrence le Secrétariat général du Gouvernement et le Conseil d’État.” Cinq mois après, nous relançâmes : alors ? Legifrance était toujours dans le brouillard, mais, pourquoi pas, voulait bien se ranger à notre avis (21 juillet) : “Sans réponse de la part des services contactés et après mûre réflexion, il nous semble judicieux de remettre en vigueur l’article 14 de la loi du 29 juillet 1881 accompagné d’un nota explicatif tant que l’abrogration explicite n’aura pas été entérinée.” »

François dit :

M. Joubert :

Je fais, tout d’abord, un lien vers votre ouvrage à paraître : http://www.amazon.fr/gp/product/...

Ensuite, je vous remercie beaucoup pour cette intéressante anecdote, qui permet de mieux comprendre la succession des évènements.

M. Slama :

Merci pour toutes ces précieuses précisions. J’espère que le Professeur Rolin viendra expliquer son point de vue ici. Mais s’agissant de l’abrogation implicite de l’article 14 de la loi de 1881 par la Constitution, je n’y crois pas du tout. En effet, cette abrogation implicite aurait aussi porté sur le décret-loi de 1939, ce que n’a pas jugé le CE. P.S. : s’agissant des frais irrépétibles du GISTI, on remarquera aussi, même si cela ne justifie pas tout, qu’il n’était pas assisté par un avocat.

Au vrai chic parisien… Promenade à travers les juriblogs

Deux remarquables blogs de droit public offrent à lire des billets et suscitent des commentaires fort instructifs autour du thème des libertés Le premier, celui de notre très estimé collègue Frédéric Rolin, traite de la liberté contractuelle. Le

Le site legifrance a au bas de l’article 14 la note suivante :

"NOTA : Suite à la décision n° 243634 du Conseil d’Etat en date du 7 février 2003, le décret-loi du 6 mai 1939 qui modifiait l’article 14 de la présente loi a été abrogé par l’article 1er du décret n° 2004-1044 du 4 octobre 2004."

Apokrif dit :

"par la CEDH[1], puis par le Conseil d’État"

On peut aussi mentionner la CAA de Paris (22 janvier 2002, Reynouard et Fondation européenne pour le libre examen historique, N°98PA04225).

Apokrif dit :

"la HALDE vient de rendre, par délibération de son collège n°2006-196, du 18 septembre 2006"

Le document est bien sur le site du Gisti: http://www.gisti.org/doc/jurispr...

mais la recherche par numéro de délibération sur le site de la Halde fait chou blanc:
http://www.halde.fr/spip.php?pag...

A signaler, un revirement de jurisprudence sur les conséquences de l’abrogation d’un texte abrogeant lui-même un autre texte :

CE Sect. 28 octobre 2009 COOPERATIVE AGRICOLE L’ARMORIQUE MARAICHERE, req. n° 306708 et 309751

« Considérant que l’abrogation d’un texte ou d’une disposition ayant procédé à l’abrogation ou à la modification d’un texte ou d’une disposition antérieur n’est pas, par elle-même, de nature à faire revivre le premier texte dans sa version initiale ; qu’une telle remise en vigueur ne peut intervenir que si l’autorité compétente le prévoit expressément ; qu’il ne peut en aller autrement que, par exception, dans le cas où une disposition a pour seul objet d’abroger une disposition qui n’avait elle-même pas eu d’autre objet que d’abroger ou de modifier un texte et que la volonté de l’autorité compétente de remettre en vigueur le texte ou la disposition concerné dans sa version initiale ne fait pas de doute ».

Apokrif dit :

http://www.conseil-etat.fr/cde/m...

Assemblée générale – Avis n° 380.902 du 10 janvier 2008

Le Conseil d’Etat (section de l’intérieur), saisi par la ministre de l’intérieur, de l’outre-mer et des
collectivités territoriales de la question de savoir si l’abrogation du décret du 6 mai 1939 relatif au
contrôle de la presse étrangère a eu pour effet de remettre en vigueur les dispositions de l’article 14 de la
loi du 29 juillet 1881 relative à la presse dans leur rédaction antérieure à l’intervention dudit décret-loi,
Vu la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse ;
Vu le décret n° 2004-1044 du 4 octobre 2004 portant abrogation du décret-loi du 6 mai 1939 relatif au
contrôle de la presse étrangère ;
Est d’avis de répondre dans le sens des observations qui suivent :
1° Le décret du 6 mai 1939 relatif au contrôle de la presse étrangère, pris dans le cadre d’une habilitation
législative résultant de la loi du 19 mars 1939 accordant au gouvernement des pouvoirs spéciaux, a donné
une nouvelle rédaction à l’article 14 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, abrogeant ainsi
les dispositions initiales de cet article relatif au contrôle des publications étrangères. Le décret n’a pas été
ratifié par le Parlement et a donc conservé une valeur réglementaire.
Par une décision du 7 février 2003, le Conseil d’Etat statuant au contentieux a jugé que les dispositions
issues du décret du 6 mai 1939 étaient incompatibles avec les stipulations de l’article 10 de la Convention
européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et a, en conséquence,
annulé le refus du Premier ministre d’abroger ledit décret et ordonné son abrogation.
En exécution de cette décision, le décret n° 2004-1044 du 4 octobre 2004 a abrogé le décret du 6 mai
1939.
2° En raison de son caractère rétroactif, l’annulation contentieuse d’un texte qui en avait abrogé un autre a
pour conséquence que le texte initial est réputé n’avoir jamais cessé de s’appliquer. En revanche,
l’abrogation d’un texte abrogateur n’est pas, par elle-même, de nature à faire revivre le texte initial. Pour
remettre ce texte en vigueur, l’autorité compétente doit prévoir expressément qu’il redevient applicable.
Il convient seulement de réserver le cas où une disposition a pour seul objet d’abroger une disposition qui
n’avait elle-même pas eu d’autre objet que d’abroger un texte. Dès lors que le seul effet utile d’une telle
disposition est de rendre ce texte à nouveau applicable, elle peut être interprétée comme l’ayant
implicitement remis en vigueur. Une telle manière de procéder doit cependant être évitée dans l’intérêt de
la clarté de la norme de droit.
3° Eu égard aux règles qui viennent d’être rappelées, il y a lieu de constater qu’en abrogeant le décret du
6 mai 1939, le Premier ministre a mis fin à l’application des dispositions issues de ce texte mais n’a pas
remis en vigueur les dispositions de l’article 14 de la loi du 29 juillet 1881 dans sa rédaction initiale.
Dès lors qu’elles relevaient du domaine de la loi à la date d’intervention du décret du 4 octobre 2004, ces
dispositions n’auraient pu redevenir applicables que si elles avaient été édictées à nouveau par le
législateur.
Au demeurant, une telle reprise se serait heurtée aux stipulations de l’article 10 de la Convention
européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, dès lors que les
dispositions en cause instituent un pouvoir d’interdiction de caractère général et absolu et ne précisent pas
les motifs pour lesquels ce pouvoir peut s’exercer.

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