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06 12 2005

Violences urbaines : l’Etat est-il responsable ?

Le ministre délégué au Budget Jean-François Copé a déclaré dimanche dernier que l’indemnisation des dégâts liés aux violences urbaines « relevait » des compagnies d’assurances et que l’Etat n’interviendrait pas « financièrement » dans ce dossier.

Or, il existe un régime spécial de responsabilité administrative sans faute en cas d’attroupement violent. Le régime actuel de cette responsabilité résulte de l’article 92 de la loi n° 83-8 du 7 janvier 1983, codifié à l’article L. 2216-3 du Code général des collectivités territoriales. Celui-ci dispose que :

« L’Etat est civilement responsable des dégâts et dommages résultant des crimes et délits commis, à force ouverte ou par violence, par des attroupements ou rassemblements armés ou non armés, soit contre les personnes, soit contre les biens. Il peut exercer une action récursoire contre la commune lorsque la responsabilité de celle-ci se trouve engagée ».

Précisons que les dommages indemnisables peuvent être de toute nature et couvrent notamment les préjudices commerciaux (CE 15 juin 2001, SNCF, n° 215435).

Son champ d’application est donc a priori très large : manifestations, violences urbaines, faits de grève,… Toutefois, le Conseil d’Etat a, dans un important avis de 1998, précisé les conditions d’application de ce régime (CE Avis Ass. 20 février 1998, n° 189185). Il énonce :

« 1. L’application de ces dispositions est subordonnée à la condition que les dommages dont l’indemnisation est demandée résultent de manière directe et certaine de crimes ou de délits déterminés, commis par des rassemblements ou attroupements précisément identifiés.

Par suite, lorsque le dommage invoqué a été causé à l’occasion d’une série d’actions concertées ayant donné lieu sur l’ensemble du territoire ou une partie substantielle de celui-ci à des crimes ou délits commis par plusieurs attroupements ou rassemblements, ce régime d’indemnisation n’est applicable que si le dommage résulte de manière directe et certaine de crimes ou de délits déterminés commis par des rassemblements ou attroupements précisément identifiés.

2. Lorsque le dommage entre dans le champ d’application ainsi défini, il n’est pas nécessaire qu’il ait le caractère d’un préjudice anormal et spécial dès lors que les termes de cette loi ne prescrivent ni n’impliquent une telle condition.

3. Lorsque les conditions d’application de cet article ne sont pas réunies, la responsabilité de l’Etat peut être engagée sur le fondement des principes généraux de la responsabilité sans faute si le dommage indemnisable présente le caractère d’un préjudice anormal et spécial ».

S’agissant des violences urbaines faisant suite au décès accidentel d’un jeune homme poursuivi par la police, la jurisprudence a déjà conclu à la responsabilité de l’Etat sur le fondement de la loi sur les attroupements (voir notamment CE Sect. 29 décembre 2000, AGF, n° 188974 et CAA Douai 24 février 2000, Ministre de l’Intérieur, n° 97DA10325).

Cependant, le Conseil d’Etat a, par la suite, interprété restrictivement les dispositions législatives et semble avoir fait de l’absence de préméditation un des critères d’application de la loi (CE 26 mars 2004, Société BV Exportslachterij Apeldoorn ESA, n° 248623). Ceci a permis à certains de conclure que si les dommages s’étant produit directement après la mort des deux jeunes adolescents dans le transformateur relevaient de la responsabilité de l’Etat, tel ne serait pas le cas de ceux résultant des événements postérieurs. La jurisprudence a d’ailleurs déjà appliqué un raisonnement comparable (CE 3 mars 2003, Ministre de l’intérieur c./ Compagnie Générali France, n° 242720).

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