Le blog Droit administratif

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29 07 2022

Les garanties entourant la procédure disciplinaire applicable aux agents publics

La jurisprudence liée aux agents publics mis en cause dans le cadre d’une procédure disciplinaire n’a de cesse d’être enrichie. Elle s’attache tout autant à la procédure disciplinaire dont l’enquête administrative est le point nodal, qu’à la sanction disciplinaire qui pourrait être rendue à l’issue d’un processus où les droits de la défense doivent être parfaitement assurés.

Si un agent public fait face à des accusations de harcèlement (moral ou sexuel), il appartient à l’autorité administrative de diligenter une enquête administrative, afin « de rechercher, en recueillant tous les témoignages qu’elle juge nécessaires, les éléments de nature à établir les agissements fautifs de ses agents »[1]. Pour exemple dans la fonction publique territoriale, préalablement à la mise en place d’une procédure disciplinaire, la possibilité de diligenter une enquête revient à la collectivité, l’agent ne pouvant exiger qu’une enquête soit diligentée[2].

Peu formalisé, le régime juridique de l’enquête administrative est peu ou prou encadré par les textes législatifs et réglementaires, raison pour laquelle le juge est intervenu et intervient toujours dans le but d’apporter des précisions ainsi que des garanties aux agents visés par les procédures disciplinaires, comme en tout premier lieu, la nécessité de garantir une audition séparée des témoins. Aussi a-t-il précisé qu’il n’y avait aucune obligation à ce que soit organisée une confrontation entre le ou les agents concernés et les témoins[3]. De même, l’agent ne peut pas non plus exiger ni d’assister aux auditions des autres agents[4], ni exiger qu’un débat contradictoire soit organisé. Cependant, il y a bien une obligation d’entendre tous les témoins demandés par l’agent visé, au risque que l’enquête administrative soit considérée comme impartiale[5].

Le principe du droit à la communication intégrale du dossier

Pour rappel, le droit à la communication personnelle du dossier de l’agent n’est pas récent, puisque l’article 65 de la loi du 22 avril 1905 portant fixation du budget des dépenses et des recettes de l’exercice 1905 (toujours en vigueur) prévoit que « tous les militaires, tous les employés et ouvriers de toutes administrations publiques ont droit à la communication personnelle et confidentielle de toutes les notes, feuilles signalétiques et tous autres documents composant leur dossier, soit avant d’être l’objet d’une mesure disciplinaire ou d’un déplacement d’office, soit avant d’être retardé dans leur avancement à l’ancienneté ».

Aux termes de l’article 19 alinéa 3 de la loi n°83-634 du 13 juillet 1983[6] dite loi « Le Pors », désormais inscrit à l’article L. 532-4 du Code général de la fonction publique (CGFP), il est expressément prévu le principe du droit à la communication du dossier au fonctionnaire visé par une procédure disciplinaire. Selon cette disposition, « le fonctionnaire à l’encontre duquel une procédure disciplinaire est engagée a droit à la communication de l’intégralité de son dossier individuel et de tous les documents annexes.

L’administration doit l’informer de son droit à communication du dossier.

Le fonctionnaire à l’encontre duquel une procédure disciplinaire est engagée a droit à l’assistance de défenseurs de son choix. »

Annoncée pour 2023, la partie réglementaire du CGFP n’a pas été encore actée, les textes actuels restent donc encore en vigueur, que ce soit pour les fonctionnaires et les contractuels[7]. S’agissant des agents titulaires, le droit à la communication intégrale du dossier est prévu :

  • Aux articles 1er des décrets n°84-961 du 25 octobre 1984 relatif à la procédure disciplinaire concernant les fonctionnaires de l’Etat et n°89-822 du 7 novembre 1989 relatif à la procédure disciplinaire applicable aux fonctionnaires relevant de la fonction publique hospitalière, où « l’administration doit dans le cas où une procédure disciplinaire est engagée à l’encontre d’un fonctionnaire informer l’intéressé qu’il a le droit d’obtenir la communication intégrale de son dossier individuel et de tous les documents annexes et la possibilité de se faire assister par un ou plusieurs défenseurs de son choix. »
  • Et à l’article 4 du décret n°89-677 du 18 septembre 1989 relatif à la procédure disciplinaire applicable aux fonctionnaires territoriaux, selon lequel « l’autorité investie du pouvoir disciplinaire informe par écrit l’intéressé de la procédure disciplinaire engagée contre lui, lui précise les faits qui lui sont reprochés et lui indique qu’il a le droit d’obtenir la communication intégrale de son dossier individuel au siège de l’autorité territoriale et la possibilité de se faire assister par un ou plusieurs conseils de son choix. »

Elément essentiel du respect des droits de la défense, ce principe qui a aussi pour corollaire de pouvoir garantir une parfaite égalité des armes[8] ne doit pas seulement se limiter à une consultation du dossier sur place. Il y a de facto violation substantielle du droit à communication si l’agent se voit refuser la possibilité de prendre copie des pièces du dossier, si tant est que la demande ne présente pas un caractère abusif[9].

Quel délai de transmission ?

Afin de garantir les droits de l’intéressé, l’agent doit disposer d’un délai suffisant pour prendre connaissance de ce dossier et organiser sa défense[10]. Sans plus de précisions apportées, plusieurs jours[11] sont nécessaires pour estimer que le délai est suffisant. En revanche, un délai de quelques heures pour consulter le dossier et préparer une défense sera insuffisant, et privera l’agent d’une garantie de nature à entacher d’illégalité la sanction[12].

Surtout, par une décision importante en la matière, le Conseil d’Etat a ainsi jugé que l’agent visé par une procédure disciplinaire avait le droit de se faire communiquer son dossier, postérieurement à la tenue du conseil de discipline, mais avant le prononcé de la sanction. Plus encore, l’administration est tenue en ce sens de faire droit à la demande (explicite) de transmission du dossier à l’agent. Ainsi, « en estimant que le refus opposé à la demande de communication des pièces de son dossier présentée par M. B…n’entachait pas d’irrégularité la procédure de révocation au motif que cette demande était postérieure à la tenue du conseil de discipline, alors qu’il ressortait des pièces du dossier qui lui était soumis que cette demande était antérieure à l’intervention de l’arrêté ministériel de révocation, la cour administrative d’appel de Bordeaux a commis une erreur de droit »[13].

S’agissant de la communication des procès-verbaux

A l’instar de la communication intégrale du dossier, la communication des procès-verbaux a aussi pour fondement juridique l’article L. 532-4 CGFP (ancien article 19 de la loi n°83-634 du 13 juillet 1983). C’est sur ce fondement que le Conseil d’Etat a estimé, en 2016, qu’à partir du moment où l’autorité décidait d’engager des poursuites disciplinaires, l’agent visé par la procédure devait avoir accès aux témoignages écrits recueillis par l’administration durant l’enquête, et ce, dès lors que les poursuites sont en tout ou parties fondées sur les faits relatés par ces témoignages[14].

De jurisprudence constante, la haute juridiction administrative rappelle la nécessité de garantir ce droit, en se fondant sur cette disposition. Ainsi, « lorsqu’ils existent, les procès-verbaux des auditions des personnes entendues sur le comportement de l’agent faisant l’objet de l’enquête font partie des pièces dont ce dernier doit recevoir communication, sauf si la communication de ces procès-verbaux est de nature à porter gravement préjudice aux personnes qui ont témoigné »[15]. Pour exemple concret, le tribunal administratif de Toulouse a suspendu le 12 février 2020 une décision en raison de l’absence de communication des procès-verbaux des auditions des personnes entendues dans le cadre de l’enquête administrative[16].

Récemment, la Cour administrative d’appel de Paris a apporté un élément de précision important, puisque tous les témoignages recueillis dans le cadre d’une enquête administrative pouvaient ne pas faire l’objet d’une transmission obligatoire à l’agent ou au conseil de discipline, tant que tous les témoignages pertinents ont été transmis au conseil de discipline, et que les contributions non transmises « émanaient de personnes mentionnant ne pouvoir relater aucun comportement de l’intéressé, à charge comme à décharge, dont elles auraient été témoins »[17]. A bon droit, la Cour administrative d’appel a ainsi jugé que, « pas plus en appel qu’en première instance M. B… n’établit que l’enquête administrative menée par l’administration à la suite du signalement de ses agissements aurait été partiale et insuffisante, dès lors qu’ainsi que l’ont relevé les premiers juges cette enquête a sollicité, de manière impartiale, l’ensemble des collègues de promotion de M. B… pour les inviter à témoigner, à charge comme à décharge et le cas échéant avec la garantie de l’anonymat. La circonstance que l’intégralité des témoignages recueillis, dont il est constant qu’un certain nombre indiquait ne pas pouvoir se prononcer sur le comportement de M. B…, n’a pas été produit devant le conseil de discipline est sans incidence sur la régularité de la procédure, dès lors qu’il est constant que tous les témoignages soumis à ce conseil se rapportaient aux faits faisant l’objet de sa saisine »[18].

La récente jurisprudence sur la communication de l’intégralité du dossier

Outre la communication des procès-verbaux, l’agent a le droit de recevoir l’intégralité des pièces du dossier[19]. A plus forte raison, les témoignages recueillis (même à décharge) et retirés du dossier par l’autorité disciplinaire vicient la procédure, ces témoignages étant utiles à la défense de l’agent[20].

Des éléments complémentaires « d’envergue », voire propices au débat ont été apportés dans deux arrêts de 2020 et 2021. Dans sa décision du 5 février 2020, la haute juridiction administrative a estimé que, « lorsqu’une enquête administrative a été diligentée sur le comportement d’un agent public, y compris lorsqu’elle a été confiée à des corps d’inspection, le rapport établi à l’issue de cette enquête, ainsi que, lorsqu’ils existent, les procès-verbaux des auditions des personnes entendues sur le comportement de l’agent faisant l’objet de l’enquête font partie des pièces dont ce dernier doit recevoir communication en application de l’article 65 de la loi du 22 avril 1905, sauf si la communication de ces procès-verbaux serait de nature à porter gravement préjudice aux personnes qui ont témoigné »[21].

Il jugea de même le 28 janvier 2021 que, « lorsqu’une enquête administrative a été diligentée sur le comportement d’un agent public ou porte sur des faits qui, s’ils sont établis, sont susceptibles de recevoir une qualification disciplinaire ou de justifier que soit prise une mesure en considération de la personne d’un tel agent, le rapport établi à l’issue de cette enquête, y compris lorsqu’elle a été confiée à des corps d’inspection, ainsi que, lorsqu’ils existent, les procès-verbaux des auditions des personnes entendues sur le comportement de l’agent faisant l’objet de l’enquête font partie des pièces dont ce dernier doit recevoir communication en application de l’article 19 de la loi du 13 juillet 1983, sauf si la communication de ces procès-verbaux serait de nature à porter gravement préjudice aux personnes qui ont témoigné »[22].

Si ces deux décisions méritent une attention particulière, c’est en raison de « l’originalité des deux affaires précitées [qui] tient dans l’intervention de corps d’inspection générale qui ont mené une enquête administrative sur une personne dénommée (dossier jugé en 2020) ou réalisé une mission de contrôle d’un service administratif (dossier jugé en 2021), avant que soit déclenchée une procédure individuelle d’éviction. Conformément à leur méthodologie interne, ils ont auditionné de nombreux témoins et réuni des éléments de preuve matériels, avant de rédiger leur rapport remis à l’autorité commanditaire »[23]. En d’autres termes, outre le droit à la communication intégrale du dossier, l’agent est aussi en droit de se voir communiquer le rapport d’inspection générale ainsi que tous les témoignages recueillis dans le but d’élaborer le rapport d’inspection, et portant sur des faits susceptibles d’être opposés par la suite à l’agent concerné.

Quand bien même les faits établis justifiaient une sanction à l’égard de l’agent, le juge administratif estima qu’il y avait bien eu une violation substantielle des droits de la défense, due à l’absence de transmission du dossier complet. Ce faisant, il « ajoute donc un contenu élargi du dossier personnel soumis à cette communication obligatoire, incluant tous les témoignages produits ou sollicités par les corps d’inspection générale à l’occasion de leurs propres travaux »[24].

Ici, que ce soit dans la décision du 5 février 2020 ou du 28 janvier 2021, « le Conseil d’État fait le choix de créer une présomption selon laquelle toute enquête administrative menée par une inspection générale doit donner lieu à communication à la personne qu’elle met en cause du rapport établi à son issue ainsi que des éventuels procès-verbaux d’audition dont il serait matériellement assorti »[25].

Ces deux décisions amèneraient de la sorte à penser que le Conseil d’Etat juge obligatoire la transmission d’un rapport d’inspection générale et de ses éventuels témoignages au dossier personnel du fonctionnaire. Pour autant, la décision du 28 janvier 2021 apporte une précision importante sur la communication du rapport d’enquête, qui ne serait possible que « lorsqu’une enquête administrative a été diligentée sur le comportement d’un agent public ou porte sur des faits qui, s’ils sont établis, sont susceptibles de recevoir une qualification disciplinaire ou de justifier que soit prise une mesure en considération de la personne d’un tel agent »[26].

Pour autant, et tandis que le rapport d’inspection générale peut être transmis, il n’en va pas de même du rapport de la Cour des comptes, le Conseil d’Etat jugeant à ce propos que « le requérant n’était pas en droit d’obtenir communication d’éventuels procès-verbaux d’auditions réalisées, pour son rapport, par la Cour des comptes, dont la mission portait, de manière générale, sur le fonctionnement de l’INSEP »[27]. En d’autres termes, la non-transmission des procès-verbaux n’est ici pas irrégulière, en tant que le rapport avait objectivement pour objet de porter sur le fonctionnement du service.

Au final, et comme l’analyse à bon escient Elisabeth Landros-Fournalès, « les éventuels témoignages recueillis par une enquête administrative d’une inspection générale n’ont donc jamais pour seul objet d’établir des faits et des fautes, loin de là, mais de prendre conjointement la mesure de la perturbation d’un service [..]. On peut donc être surpris du choix prétorien d’extrapoler ainsi des modalités de communication de témoignages décidées dans un contexte et pour une finalité dans lesquelles s’inscrivent malaisément les inspections générales de l’État, au regard de leur processus propre de déroulement des enquêtes »[28].

Pour illustration récente, la Cour administrative d’appel de Nancy a constaté une méconnaissance du droit à communication du rapport d’enquête et de l’ensemble des procès-verbaux d’audition à l’agent, un vice de procédure le privant de la sorte d’une garantie[29].

Y a-t-il des exceptions au principe de communication intégrale du dossier ?

Sauf si un texte dérogatoire le prévoit[30], et l’exception de l’absence au droit de communication d’éventuels procès-verbaux d’auditions réalisées par la Cour des comptes dans son rapport (voir supra)[31], il est établi que l’exception du droit à communication des procès-verbaux prévaut si une telle communication « serait de nature à porter gravement préjudice aux personnes qui ont témoigné »[32].

En outre, et sans être une exception stricto sensu, la non-transmission préalable du rapport disciplinaire au fonctionnaire avant la séance n’est pas de nature à entacher d’irrégularité la procédure disciplinaire suivie à son encontre, et ne viole donc pas les droits de la défense[33].

Un contrôle enfin présent pour le régime de la sanction disciplinaire

Des garanties apportées concernant le conseil de discipline

Formation de la commission administrative paritaire (CAP) dont relève le fonctionnaire poursuivi, le conseil de discipline doit être obligatoirement consulté par l’autorité disposant du pouvoir disciplinaire (hors situations où les sanctions disciplinaires sont moins sévères). Son rôle consiste à délibérer (à huis clos) sur les suites à donner et à donner un avis sur une sanction potentielle, raison pour laquelle cette procédure est encadrée. La Cour administrative d’appel de Douai a ainsi considéré que l’absence de mise aux voix d’une sanction intermédiaire privait l’agent d’une garantie[34].

Comme pour toute décision relative à la situation d’une personne, le conseil de discipline est dans l’obligation de motiver son avis[35], au risque de priver l’agent d’une garantie qui serait de nature à entacher d’illégalité la décision prise[36]. Ce fut le cas pour un agent contestant la sanction de déplacement d’office dont il a fait l’objet, ce dernier ayant relevé un défaut de motivation de l’avis du conseil de discipline. Le Conseil d’Etat fit droit à sa demande, dans la mesure où « aucun avis motivé de la commission administrative paritaire compétente siégeant en conseil de discipline le 21 juillet 2016 pour examiner le cas de M. A… ni même aucun procès-verbal de sa réunion n’ayant été produits au dossier, l’exigence de motivation de l’avis du conseil de discipline prévue par les dispositions citées au point précédent, qui constitue une garantie, ne peut être regardée comme ayant été respectée »[37].

Il n’y a en revanche aucune obligation de communiquer l’avis du conseil de discipline avant le prononcé de la sanction, une communication postérieure n’étant pas regardée comme une irrégularité[38].

Enfin, par un arrêt du 20 juillet 2021, le Conseil d’Etat a estimé que l’article 5 du décret n°84-961 du 25 octobre 1984 relatif à la procédure disciplinaire concernant les fonctionnaires de l’Etat a été méconnu, dans la mesure où les témoins cités par l’administration avaient été appelés simultanément et avaient témoignés en présence l’un de l’autre. En effet, selon cette disposition, « le conseil de discipline entend séparément chaque témoin cité. / A la demande d’un membre du conseil, du fonctionnaire poursuivi ou de son ou de ses défenseurs, le président peut décider de procéder à une confrontation des témoins, ou à une nouvelle audition d’un témoin déjà entendu […] ».

Dans cette affaire, le juge estima qu’il y avait eu une irrégularité viciant la procédure et privant l’intéressé d’une garantie, puisqu’« au cours de la séance du conseil de discipline consulté sur la mesure de licenciement pour insuffisance professionnelle envisagée à l’égard de M. A., les témoins cités par l’administration, […], ont été appelés simultanément et ont témoigné en présence l’un de l’autre, en méconnaissance des dispositions de l’article 5 du décret n°84-961 du 25 octobre 1984 » [39].

Quelle autorité compétente pour prononcer la sanction ?

La sanction disciplinaire doit être prise par l’autorité disposant du pouvoir de nomination. Même en détachement, il appartiendra à l’administration d’origine de sanctionner ou non l’agent pour les fautes commises dans le cadre de ces fonctions détachées[40].

Seule l’autorité disposant du pouvoir de nomination décide de la sanction administrative, et non une autre autorité, quand bien même cette dernière aurait reçu délégation de compétence. Pour exemple, un directeur général des services de l’établissement employeur agissant par délégation du président de l’établissement, avait eu délégation de compétence pour la signature des courriers et arrêtés relatifs à l’application des sanctions disciplinaires. La Cour administrative d’appel de Marseille annula la sanction disciplinaire, car « une décision infligeant une sanction, en particulier prise en la forme d’un arrêté, ne peut cependant être regardée comme un simple courrier relatif à l’application d’une sanction »[41].

De l’exigence de motivation des sanctions disciplinaires

En vertu de l’actuel article L. 532-5 du CGFP (ancien article 19 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983), la décision prononçant la sanction doit être motivée, principe par ailleurs inscrit à l’article L. 211-2 du Code des relations entre le public et l’administration (CRPA), la motivation devant « être écrite et comporter l’énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de la décision »[42].

Le juge administratif a apporté des précisions à ce sujet, en jugeant que la décision doit aussi comprendre l’énoncé des griefs portés à l’encontre de l’agent concerné, afin qu’il puisse en prendre connaissance et savoir pour quels motifs il a été visé par une sanction disciplinaire[43]. Un défaut de motivation ne peut par ailleurs être régularisé par un courrier distinct si l’arrêté municipal concernant l’exclusion temporaire n’est pas annexé à la lettre de convocation[44].

L’office du juge administratif progressivement étendu concernant les sanctions disciplinaires

Dès 1963, le juge administratif avait pris en compte de faits antérieurement sanctionnés dès lors que la nouvelle mesure disciplinaire ne sanctionnait pas les mêmes faits[45]. Son office a été progressivement étendu[46], pour ne plus seulement se limiter à l’exigence de motivation desdites sanctions.

Il pourra vérifier la stricte proportionnalité entre la faute commise et la sanction administrative[47], ou pourra se prononcer sur une sanction qui aurait été « hors de proportion » étant donné la faiblesse de ses conséquences, à l’image du contrôle d’une sanction disciplinaire trop faible au regard de la gravité de la faute commise par l’agent[48].

Mais l’office du juge pourra aussi porter sur la vérification que le préjudice d’un agent évincé irrégulièrement n’est pas fonction de l’écart entre la sanction subie et la sanction qu’il aurait pu légalement subir[49].

En menant un contrôle approfondi, il pourra encore se fonder sur des correspondances, des procès-verbaux, des rapports internes ou autres témoignages afin d’établir la matérialité des faits, tout en vérifiant que les pièces produites par l’employeur public à l’appui de la sanction disciplinaire respectent l’obligation de loyauté[50], ou encore estimer que la sanction est précisément circonstanciée en fait[51].

Enfin, par une importante décision rendue en 2018, le juge de l’excès a précisé qu’il lui appartient « de rechercher si les faits reprochés à un agent public ayant fait l’objet d’une sanction disciplinaire constituent des fautes de nature à justifier une sanction et si la sanction retenue est proportionnée à la gravité de ces fautes ; que si le caractère fautif des faits reprochés est susceptible de faire l’objet d’un contrôle de qualification juridique de la part du juge de cassation, l’appréciation du caractère proportionné de la sanction au regard de la gravité des fautes commises relève, pour sa part, de l’appréciation des juges du fond et n’est susceptible d’être remise en cause par le juge de cassation que dans le cas où la solution qu’ils ont retenue quant au choix, par l’administration, de la sanction est hors de proportion avec les fautes commises »[52].

Au final, et outre les dispositions législatives et réglementaires, le juge administratif n’a cessé d’enrichir sa jurisprudence sur les garanties entourant la procédure disciplinaire (en aval et jusqu’à la décision de sanction), en rappelant – très – souvent la marche à suivre afin d’éviter que la procédure ne soit viciée et la décision entachée d’illégalité.


[1]CAA Douai, 5 juillet 2005, n°04DA00555 ; v. aussi CE, 29 décembre 2000, M. Tressac, n°97739 202564 202565

[2]CE, 15 mars 2004, n°255392

[3]CAA Nancy, 20 décembre 2016, n°15NC02371

[4]CAA Marseille, 14 février 2012, n°09MA09892

[5]CAA Douai, 29 novembre 2012, n°11DA01841

[6]Cette disposition se retrouve aujourd’hui aux articles L. 532-1 et suivants CGFP depuis l’ord. n°2021-1574 du 24 novembre 2021 portant partie législative du code général de la fonction publique

[7]Pour les agents contractuels de la fonction publique, le droit à la communication intégrale du dossier est inscrit aux décrets n° 86-83 du 17 janvier 1986 concernant les agents contractuels de l’Etat, n°88-145 du 15 février 1988 pour les agents contractuels de la fonction publique territoriale, et n° 91-155 du 6 février 1991 pour les agents contractuels de la fonction publique hospitalière

[8]« Considérant qu’il ressort des pièces du dossier que ne figurait pas au dossier communiqué à M. Y… le 7 octobre 1998 le rapport du lieutenant-colonel Z… ; que des éléments figurant dans ce rapport ont néanmoins été retenus à l’encontre de M. Y… et ont contribué à fonder la décision attaquée ; que dans ces conditions, M. Y… n’a pas eu communication de l’intégralité de son dossier et n’a pu avoir connaissance de tous les griefs formulés contre lui », CE, 8 décembre 1999, n° 204270

[9]CE, 3 octobre 2018, n° 411900, Lebon ; AJDA 2018. 1936

[10]Concernant la fonction publique territoriale, D. n°89-677 du 18 septembre 1989, art. 4 al. 2 ; v. aussi CAA Nancy, 22 décembre 2005, n°01NC00358

[11]« Considérant d’autre part, que le délai de quatre jours dont le requérant a disposé entre le jour où il a pu consulter son dossier et le jour où la commission s’est réunie, était suffisant pour lui permettre de préparer sa défense », CE, 20 janvier 1975, n°92836

[12]CAA Paris 19 décembre 2014, n°13PA02612

[13]CE, 25 juillet 2013, Guerrero , n° 360899, Lebon T. p. 652-662  ; AJDA 2013. 1602 ; AJFP 2013. 339

[14]CE, 23 novembre 2016, n°397733

[15]CE, 12 février 2021, n°435352

[16]TA Toulouse ord., 12 février 2020, n°2000273

[17]CAA Paris, 6 mai 2022, M. B… c/ ministre de l’Europe et des affaires étrangères, n°21PA05111, § 8

[18]Ibid., § 11

[19]La circonstance que l’agent soit en arrêt de maladie pendant la période où il pouvait consulter son dossier est sans influence sur la régularité de la décision prononçant une sanction disciplinaire, v. CAA Nancy, 22 décembre 2005, n°01NC00358 ; CAA Bordeaux, 13 octobre 2005, n°03BX02223

[20]CE, 23 novembre 2016, M. Riquelme n°397733

[21]CE, 5 février 2020, n°433130, § 3

[22]CE, 28 janvier 2021, n°435946, § 3

[23]Landros-Fournalès E., « L’extension de la communication du dossier aux rapports d’enquête – La tentation du fétichisme procédural : note sous Conseil d’État, 5 février 2020, M. D., n 433130 et 28 janvier 2021, M.D. », RFDA, mai-juin 2021, pp. 535-546

[24]Ibid.

[25]Ibid.

[26]CE, 28 janvier 2021, n°435946, § 3

[27]Ibid, § 6

[28]E. Landros-Fournalès, op. cit., mai-juin 2021, pp. 535-546

[29]CAA Nancy, 6 juillet 2021, n° 20NC00405

[30]Pour exemple, l’article 15 du décret n°64-805 du 29 juillet 1964 fixant les dispositions réglementaires applicables aux préfets

[31]CE, 28 janvier 2021, n°435946

[32]CE, 28 janvier 2021, n°435946, § 3 ; v. aussi CE, 5 février 2020, n° 433130, § 3

[33]CE, 15 novembre 1991, n° 117639 , Catoire, Lebon p. 1016

[34]CAA Douai, 3 mars 2020, n°18DA01856

[35]CGFP, art. L. 532-5. Cette disposition avait été expressément inscrite à l’article 19 de la L. n°83-634 du 13 juillet 1983, et imposée encore avant par le juge administratif dans sa décision CE 21 juillet 1972, n°79559, Talarie

[36]CE, ass., 23 déc. 2011, n° 335033, Danthony, Lebon

[37]CE, 12 février 2021, Mme. A. c/ ministre de l’environnement, de l’énergie et de la mer et ministre de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt, n°435352

[38]CE, 15 octobre 2021, n°444511

[39]CE, 20 juillet 2021, n°445843

[40]CE, 1er février 1952, Martin, Rec. 80 ; CE, 14 novembre 1957, Leblanc, n°16577 ; CE, 8 juin 1962, Ministre des Postes et Télécommunications c/ Frischmann, n°55252 ; CE, 22 novembre 1968, Chambre d’agriculture du Cher, n°64461

[41]CAA Marseille, 20 avril 2021, n°20MA03076

[42]CRPA, art. L. 211-5.

[43]CE, 31 juillet 1992, Communauté urbaine de Lyon, n° 93179 ; CE, 2 avril 1993, District de l’agglomération Berlfortaine c/ Nowak, n° 95312

[44]TA Dijon, 29 mars 2018, n° 1601508 ; v. aussi CAA Bordeaux, 4 février 2020, n°18BX00518

[45]CE, 15 février 1963, Leray, Rec. 97.

[46]Pour exemples, le juge a pu considérer que le principe non bis in idem n’était pas un obstacle lorsque des manquements distincts résultant des mêmes faits ont abouti à une même sanction administrative, CE, 6 novembre 2019, n°418463 ; il s’est aussi prononcé sur le fait que l’effacement automatique d’une sanction disciplinaire n’empêche pas non plus de demander l’annulation de la sanction, CAA Marseille, 11 mai 2021, n°19MA03329

[47]CE Ass. 13 novembre 2013, M. B c/ Ministre des Affaires étrangères, n° 347704

[48]CE, 13 décembre 2017, n°400629

[49]CE, 28 mars 2018, n°398851

[50]CE, 12 juillet 2014, Commune de Jouy-en-Josas, n° 355201 ; v. aussi CAA Nancy, 6 février 2018, n°16NC00727

[51]CAA Douai, 16 février 2021, n° 20DA00545

[52]CE, 18 juillet 2018, n°401527, § 4

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