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25 07 2024

« Giry, j’y reste ! », note sous TC, 13 mai 2024, n° C4305, M. T. et SEMITAN c/ Garde des Sceaux, Ministre de la Justice

Résumé. Par une décision du 13 mai 2024, le Tribunal des conflits reconnaît pour la première fois la compétence du juge judiciaire pour connaître de l’action tendant à l’engagement de la responsabilité de l’État aux fins de réparation des préjudices subis par un collaborateur occasionnel du service public de la police judiciaire. Si cette solution s’inscrit dans une politique jurisprudentielle favorable à la constitution d’un bloc de compétence autour de la notion de police judiciaire, les considérations qui sous-tendent le rejet de la compétence administrative peuvent être discutées.   

Si la multiplication des études consacrées à la notion de collaborateur occasionnel du service public a permis « une connaissance largement répandue des subtilités de cette matière » (M. Deguergue, Jurisprudence et doctrine dans l’élaboration du droit de la responsabilité administrative, Paris, LGDJ, 1994, p. 456), celle-ci continue à soulever « de nombreuses questions délicates » (J. Moreau, Droit administratif, Paris, PUF, 1989, p. 392). La question posée en des termes inédits au Tribunal des conflits dans l’affaire commentée en fait partie : quel est l’ordre juridictionnel compétent pour connaître de l’action tendant à l’engagement de la responsabilité de l’État aux fins de réparation des préjudices subis par un collaborateur occasionnel du service public judiciaire ?

En l’espèce, le 6 février 2017, un conducteur de bus salarié de la société d’économie mixte des transports en commun de l’agglomération nantaise (SEMITAN), qui exploite le réseau de transports en commun de l’agglomération nantaise, a été blessé en tentant d’interpeller un individu qui venait d’agresser une passante sur la voie publique. Après avoir été déboutés de leur action civile, le conducteur et son employeur ont cherché à engager la responsabilité de l’État, le premier à raison du préjudice qu’il a subi à l’occasion de l’agression ; le second a raison des débours qu’il avait exposés en faveur de son agent, arguant de ce que celui-ci avait la qualité de collaborateur occasionnel du service public lorsque les faits se sont produits.

En première instance et en appel, le juge administratif a accueilli favorablement ces demandes d’indemnisation. Par un jugement du 28 octobre 2021, le tribunal administratif de Nantes a ainsi condamné l’État a versé au conducteur la somme de 3 897 euros en réparation des préjudices subis, ainsi qu’une somme de 1 626 euros à la SEMITAN à hauteur des débours qu’elle a exposés en faveur de son agent. Par un arrêt du 24 février 2023, la cour administrative d’appel de Nantes a rejeté l’appel du Garde des sceaux contre ce jugement. Le ministre s’est alors pourvu en cassation devant le Conseil d’État, à la faveur d’un unique moyen contestant la compétence de la juridiction administrative pour connaître de l’affaire.

Le débat contentieux ne concernait pas la qualification même de collaborateur occasionnel du service public. La reconnaissance de cette qualité, qui permet d’engager la responsabilité sans faute de la puissance publique (CE, ass., 22 nov. 1946, Commune de Saint-Priest-la-Plaine, Lebon 279 ; D. 1947. 375, note Blaevoet ; S. 1947. 3. 105, note F.-P. B. GAJA, 24e éd., 2023, Dalloz, p. 382), exige en effet à la fois que l’intervention du collaborateur s’inscrive dans le cadre d’une mission de service public et qu’elle soit requise, c’est-à-dire sollicitée ou acceptée par l’autorité publique, voire justifiée par « l’urgente nécessité » (CE, 16 juin 1989, Pantaloni, Lebon, p. 143 ; Dr. adm. 1989, comm. 417  ; AJDA 1989, p. 648 , note Honorat et Baptiste ; Quot. jur. 12 oct. 1989, p. 3 , note Rouault ; D. 1990, somm. p. 296, note Bon et Terneyre). Or, le conducteur de bus remplissait ces conditions sans difficultés. Il a directement collaboré à l’exécution à une activité de police judiciaire en tentant d’appréhender un individu coupable de faits susceptibles d’être pénalement réprimés (CE, Section, 11 mai 1951, Consorts B…, p. 265), participant à une mission de service public (CE, ass., 12 avr. 1957, Mimouni : Lebon, p. 262). Aucune sollicitation de l’autorité publique n’était par ailleurs requise, s’agissant d’une collaboration spontanée, justifiée par une situation d’urgence et l’absence des services de police (CE sect. 17 avr. 1953, Pinguet, Lebon 177 ; CE sect. 11 oct. 1957, Commune de Grigny, n° 33431, Lebon 524).

Le nœud du litige portait plus abstraitement sur la conciliation entre deux blocs de compétences articulés autour de deux notions : la notion de collaborateur occasionnel du service public et la notion de police judiciaire. En effet, d’un côté, il est classiquement admis que la juridiction administrative est compétente pour connaître de l’indemnisation des collaborateurs occasionnels ou bénévoles des services publics à raison des dommages subis par ceux-ci (T. confl. 3 nov. 1958, Daubie c/ Cne de Thézac, AJDA 1959. 185, note Pinto). De l’autre, le juge judiciaire est en principe compétent lorsque le dommage relève du fonctionnement du service public de la justice (TC, 27 nov. 1952, Préfet de la Guyane, n° 1420, p. 642), auquel se rattachent les préjudices résultant des mesures d’opération de police judiciaire (CE 12 avr. 1995, n° 125153, Mme Knudsen, Lebon).

En dépit de plusieurs précédents favorables à la compétence de la juridiction administrative (v. not. CE, sect., 15 févr. 1946, Ville de Senlis, Lebon, p. 50 ; CE, sect., 17 avr. 1953, Pinguet, Lebon, p. 177), la question de l’ordre juridictionnel compétent semble à première vue être résolue en faveur de la compétence judiciaire par la célèbre décision Giry c/ Trésor public de 1956. Après avoir jugé que le juge judiciaire devait faire application des règles du droit administratif quand il se prononce « sur un litige mettant en cause la responsabilité de la puissance publique », la Cour de cassation avait en l’espèce admis la compétence judiciaire pour indemniser les dommages subis par un médecin (le Docteur Giry) requis par un officier de police judiciaire, assimilé de ce fait à un collaborateur occasionnel du service public judiciaire (Civ. 2e , 23 nov. 1956, Bull. civ. II, n° 407 ; D. 1957. 34, concl. Lemoine ; AJ 1957. II. 91, chron. Fournier et Braibant ; RGDA 1956. II. 9681, note Eismein ; RD publ. 1958. 298, note Waline. GAJA, 24e éd., 2023, p. 458). À l’image d’une partie de la doctrine (v. not. D. Pouyaud, « La responsabilité de l’Etat du fait du service public de la justice, à propos de quelques paradoxes », in Mélanges en l’honneur de Pierre Bon,  Dalloz, 2014, p. 1055), et sans minimiser l’importance du principe qui se trouve posé dans cette décision, ses commentateurs aux Grands arrêts de la jurisprudence administrative (GAJA) doutaient toutefois de la pérennité de sa solution d’espèce, « la compétence des tribunaux judiciaires pour connaître du litige [pouvant] prêter à discussion » (prec.).

Dans ces conditions, la question de compétence soulevait une difficulté manifestement « sérieuse et mettant en jeu la séparation des ordres de juridiction », au sens de l’article 35 du décret du 27 février 2015 relatif aux Tribunal des conflits et aux questions préjudicielles. C’est la raison pour laquelle, en dépit d’une franche préférence de son rapporteur public pour la compétence de la juridiction administrative (concl. Nicolas Labrune), le Conseil d’État a décidé de renvoyer l’affaire au tribunal départiteur (CE, 22 déc. 2023, n° 473606, Garde des sceaux, ministre de la justice c/ M. T). La réponse de ce dernier était d’autant plus attendue que la solution apportée au cours de ces dernières années par les juridictions du fond à la question de l’ordre juridictionnel compétent en pareille hypothèse a donné lieu à des appréciations divergentes. Si certaines cours administratives d’appels ont retenu la compétence administrative, à l’image de la Cour administrative d’appel de Marseille, dans une affaire qui concernait la mort d’un collaborateur occasionnel qui s’était lancé à la poursuite d’un délinquant qui venait de l’agresser (CAA Marseille, 21 janv. 2008, Sté AXA Courtage, préc), d’autres, à l’image de la Cour administrative d’appel de Bordeaux, se sont rangées derrière la compétence judiciaire (CAA Bordeaux, 30 juill. 2019, n° 17BX03822).

Par sa décision du 13 mai 2024, le Tribunal des conflits maintient la jurisprudence Giry dans tous ses éléments, en reconnaissant pour la première fois expressément la compétence du juge judiciaire pour connaître de l’action en responsabilité formée par un collaborateur occasionnel du service public judiciaire. Cette solution apparaît à la fois orthodoxe et déroutante. S’il elle s’inscrit dans une dynamique favorable à la constitution d’un bloc de compétence autour du critère de la participation à une opération de police judiciaire (I.), les justifications qui la sous-tendent n’infirment pas l’idée qu’une autre voie était possible, à la faveur d’une autre dynamique : la constitution d’un bloc de compétence administrative autour de la notion de collaborateur occasionnel du service public (II.).

I. – Une dynamique confortée 

S’inscrivant dans une dynamique jurisprudentielle récente, la thèse de la compétence judiciaire avait la faveur des pronostics depuis que le Tribunal des conflits a jugé, par une décision du 8 février 2021, Syndicat des avocats de France c/ Garde des sceaux, ministre de la justice (n° 4205, p. 427 ; AJDA, 2021, note C. Malverti, p. 727), que l’action fondée sur une responsabilité sans faute de l’État en raison du préjudice résultant d’une opération de police judiciaire relève de la compétence de la juridiction judiciaire. Adoptée au nom de « considérations de bonne administration de la justice » (E. Bokdam-Tognetti, concl. sur TC, 8 fév. 2021, préc.), cette solution a mis fin au courant jurisprudentiel attribuant au juge administratif une compétence exclusive pour « connaître des actions fondées sur la responsabilité sans faute de l’Etat » (T. confl., 3 juill. 2000, n° 3198, Garde des Sceaux, ministre de la Justice c/ Consorts Primau et Fosset, Lebon ; AJDA 2000. 961 ; CE 15 févr. 2006, n° 271022, Garde des sceaux, ministre de la justice c/ Consorts Maurel-Audry, Lebon ; AJDA 2006. 398 ; AJ pénal 2006. 226, obs. E. Péchillon ; RFDA 2006. 615, concl. M. Guyomar et 619, note F. Lemaire; RSC 2007. 350, chron. P. Poncela). Depuis lors, il apparaît que ce n’est plus en principe le régime de responsabilité invoqué qui détermine la compétence juridictionnelle, mais la nature de l’opération au cours de laquelle le dommage est survenu. En reconnaissant la compétence judiciaire pour connaître des dommages subis par les collaborateurs occasionnels du service public dans le cadre d’une opération de police judiciaire, le Tribunal des conflits transpose ce schéma. Peu importe donc que la victime ne soit pas un tiers mais le collaborateur directement.

En adoptant cette solution, le Tribunal des conflits a rejeté l’approche retenue par les juges du fond dans cette affaire, fort de l’autorité d’une partie de la doctrine, dont les auteurs des Grands arrêts de la jurisprudence administrative. Cette approche repose sur la distinction posée par la décision Préfet de la Guyane (27 novembre 1952, n° 1420, p. 642, GAJA n° 60, 24e édition), entre les affaires relatives à l’organisation même du service public de la justice et celles qui se rattachent au fonctionnement de ce service. Elle soutient l’idée que l’indemnisation des dommages causés aux collaborateurs occasionnels « se rattache plus à l’organisation même de la police judiciaire, qui relève de la compétence de la juridiction administrative, qu’à son fonctionnement, qui est seul soumis au contrôle des tribunaux judiciaires » (M. Long, P. Weil, G. Braibant, P. Delvolvé et B. Genevois, Les grands arrêts de la jurisprudence administrative, prec. p. 460). Et en effet, si l’on admet que certains individus « puissent collaborer directement à une mission de service public […], on reconnaît en réalité une certaine défaillance de l’État : c’est parce que l’État a failli à sa tâche que les individus s’y sont risqué » (E. Fraysse, « Le collaborateur occasionnel du service public, catégorie d’avenir du droit administratif », RDP, 2020, p. 915). Sous cet angle, les dommages causés aux collaborateurs mettent en jeu « la responsabilité du service public indépendamment de toute appréciation à porter sur la marche même des services judiciaires » (Préfet de la Guyane, précitée), si bien que la compétence judiciaire devrait être « limitée aux dommages causés soit aux personnes recherchées ou poursuivies soit aux tiers », sans s’étendre « normalement aux préjudices subis par […] les collaborateurs occasionnels » (GAJA, préc.).

Bien qu’intellectuellement séduisante pour justifier la ventilation des compétences entre juridictions, la distinction issue de la jurisprudence Préfet de la Guyane offrait un fondement juridique probablement trop fragile aux yeux du Tribunal des conflits. En effet, « l’organisation et le fonctionnement d’un même service public sont en réalité trop souvent imbriqués pour être aisément dissociables en des sphères autonomes » (L. Dutheillet de Lamothe et G. Odinet, « Une lanterne dans le brouillard de la jurisprudence Préfet de la Guyane », AJDA 2015. 2370 ). Le cas du collaborateur occasionnel illustre parfaitement cette zone grise, puisqu’il est possible de considérer que la collaboration de particuliers à l’exécution du service public de la police judiciaire intéresse dans une certaine mesure aussi le fonctionnement même de ce service (v. F. Lemaire, Responsabilité du fait de la collaboration occasionnelle au service public, JurisClasseur administratif, 2023, Fasc. 942). D’autant que cette collaboration est de nature à constituer le préalable d’une procédure judiciaire. Ce malaise est d’ailleurs perceptible à la lecture de la motivation de l’arrêt rendu par la Cour administrative d’appel de Nantes dans cette affaire. La Cour retient la compétence administrative en ne se situant ni sur le terrain du fonctionnement ni sur celui de l’organisation du service public, mais sur le terrain de la « participation à l’exécution » de ce service –

Ces incertitudes traduisent le fait que la distinction entre l’organisation et le fonctionnement du service public judiciaire est en réalité très « largement fonctionnelle » (C. Malverti, C. Beaufils, « Les juges du judiciaire », AJDA, 2021, p. 727). Elle répond à des « considérations de politique juridictionnelle » (M. Guyomar, « Que reste-t-il de la jurisprudence Préfet de la Guyane ? », BICC, 1er nov. 2014), formant « un écran de fumée entre les considérations sur la base desquelles le juge se détermine et la solution qu’il adopte finalement » (L. Dutheillet de Lamothe et G. Odinet, art. cité). Partant, plutôt que de se référer explicitement à cette distinction qui conduit à des résultats trop incertains, le Tribunal des conflits a trouvé dans le critère de la participation à une opération de police judiciaire un critère plus opérationnel. Davantage que le rattachement au fonctionnement du service public de la justice, c’est la volonté de consolider le bloc de compétence autour de la police judiciaire qui a ainsi emporté l’adhésion. Ce critère offrait l’avantage de donner compétence au juge judiciaire aussi bien pour connaître des dommages commis par les collaborateurs occasionnels du service public de la police judiciaire à l’occasion de leurs fonctions que des dommages subis par eux dans le cadre de ces fonctions. Sans contester le bien-fondé de cette solution, motivée par des considérations de politique juridictionnelle et conforme à la politique jurisprudentielle la plus récente du Tribunal des conflits, il est néanmoins possible de considérer qu’une autre voie était possible.

II. – Une autre voie possible

Si la solution rendue par le Tribunal des conflits est parfaitement cohérence au regard de sa jurisprudence récente, aiguillonnée par une dynamique favorable à la reconnaissance d’un bloc de compétence autour du critère de la participation à une activité de police judiciaire, le fait d’avoir privilégié ce critère à celui du collaborateur occasionnel du service public peut être discuté. Certes, l’harmonisation du contentieux de la responsabilité du fait des dommages survenus lors d’opérations de police judiciaire autour de la compétence judiciaire, que le fait générateur de ces dommages soit ou non fautif, se justifie parfaitement dans l’intérêt des usagers victimes de ces dommages. L’enjeu est d’éviter à ces victimes d’avoir à « porter l’action fondée sur la faute lourde devant le juge judiciaire et celle fondée sur le risque devant le juge administratif pour le même dommage » (F. Lemaire, préc., p. 620). Toutefois, la question se pose dans des conditions différentes lorsque l’on envisage la question du point de vue des collaborateurs victimes d’un dommage dans le cadre du service public judiciaire. Tant et si bien que la question de la pertinence de la transposition de la solution Syndicat des avocats de France c/  Garde des sceaux, ministre de la justice de 2021 mérite d’être posée.

La pertinence de cette transposition peut être discutée pour deux raisons. D’une part, parce qu’il est peu probable que les collaborateurs occasionnels cherchent à être indemnisés sur un autre terrain que celui de la responsabilité sans faute, qui est de loin le plus protecteur. D’autre part, parce que l’intérêt de donner compétence à un même juge pour connaître des dommages causés ou subis par ces derniers à l’occasion de leurs fonctions apparaît peu évident, dès lors que l’action n’est pas formée par une même catégorie de victime. De ce double point de vue, si les tiers victimes gagnent probablement à ne devoir se tourner que vers le juge judiciaire, la nécessité de « faciliter l’aiguillage des litiges » (M. Guyomar, X. Domino, « Renvois préjudiciels et bonne administration de la justice », AJDA, 2012, p. 27) conduit à penser qu’il aurait été préférable que les collaborateurs victimes n’ait à faire qu’à un juge, le juge administratif. Précisément afin que leur régime de responsabilité ne soit pas divisé entre deux ordres de juridictions, suivant la nature du service public auquel ils ont participé.  

Sous cet angle, la décision rendue par le Tribunal des conflits contredit sans doute une dynamique plus profonde, liée à la constitution d’un bloc de compétence autour de la notion de collaborateur occasionnel du service public. Rappelons à cet égard que la reconnaissance par le juge administratif d’un régime spécifique de responsabilité applicable aux collaborateurs occasionnels du service public est historiquement liée au régime applicable aux collaborateurs permanents (CE, 21 juin 1895, Cames : Rec. CE 1895, p. 509, concl. Romieu ; GAJA, préc., n° 6). Procédant d’une logique de socialisation des risques, elle résulte de la nécessité de permettre l’indemnisation des premiers, qui n’entraient pas, par définition, dans le champ des textes particuliers permettant une indemnisation des seconds sur le fondement du risque professionnel, mais qui œuvraient, comme eux, de façon (souvent) désintéressée pour l’intérêt général. La volonté de faire « bénéficier de [ce] régime des éléments qui normalement ne lui appartiennent pas » (F. Moderne, note sous CE, ass., 27 nov. 1970, Consorts Appert-Collin : Lebon, p. 709) explique ainsi l’interprétation large que le juge administratif a donné de ses conditions. Elle explique également l’application « prioritaire » de ce régime de responsabilité, ce qui veut dire que lorsqu’une victime est susceptible d’invoquer plusieurs terrains de responsabilité – dont celui applicable aux collaborateurs occasionnels – le juge donne généralement la priorité à ce dernier. De façon exemplaire, alors que la loi du 31 décembre 1957 (D. 1958. 30) attribue le contentieux des accidents de véhicule au juge judiciaire, le Conseil d’État retient la compétence du juge administratif lorsque le dommage a été causé à un collaborateur occasionnel (CE, sect., 12 oct. 2009, n° 297075, C. et Cts B. : ; Dr. adm. 2009, comm. 170, note F. Melleray ; JCP A 2009, 2306, note Idoux ; RFDA 2010, p. 410, note Lemaire).

Ces considérations ne font sans doute pas obstacle à la reconnaissance de la compétence du juge judiciaire de façon ponctuelle. Les tribunaux judiciaires appliquent depuis longtemps aux collaborateurs occasionnels du service public les principes dégagés par la jurisprudence administrative dans des hypothèses où ils sont normalement compétents (par ex. Civ. 1re 30 janv. 1996, Morand c. Agent judiciaire du Trésor). Mais, à l’inverse, les considérations de politique juridictionnelle qui sous-tendent la solution adoptée par le Tribunal des conflits – la consolidation d’un bloc de compétence police judiciaire – n’imposaient pas d’inverser le principe, en la matière, de la liaison de la compétence et du fond. La liaison entre la compétence de la juridiction administrative et le régime de responsabilité applicable aux collaborateurs occasionnels aurait d’ailleurs paru cohérente compte-tenu du rapprochement récent du régime juridique des collaborateurs occasionnels sur celui des collaborateurs permanents. En effet, si les premiers sont par principe exclus du champ d’application du droit de la fonction publique, ils ont progressivement acquis certains droits communs aux agents publics. Le Conseil d’État a ainsi étendu le champ de la protection fonctionnelle à tous les collaborateurs de l’Administration, quel que soit leur mode d’accès au service (CE 13 janv. 2017, n° 386799). Dans la mesure où le juge administratif est en principe compétent pour réparer les dommages subis par les agents publics dans le cadre de leur activité de police judiciaire – certes au titre d’une disposition légale (l’article L. 113-1 du code de la sécurité intérieure) –, le Tribunal des conflits aurait pu reconnaître sa compétence pour les collaborateurs occasionnels du service public de la police judiciaire, confortant le rapprochement entre collaborateurs occasionnels et permanents. Car « c’est la participation à l’exécution du service public qui fait du simple particulier un sujet de droit administratif, et le lien entre l’administration et le simple collaborateur du service est de même nature, sinon de même intensité, que celui qui l’unit à l’ensemble de ses agents » (J. Kahn, concl. sur CE, Commune de Grigny, 11 oct. 1957, n° 33431, Rec p. 524). Lorsqu’un individu intervient, en tant que collaborateur occasionnel, il agit « au titre de l’intérêt général et au bénéfice de la collectivité tout entière tout comme un agent public le ferait, ou aurait vocation à le faire » (T. Olson, « Collaborateurs occasionnels ou bénévoles du service public », in Répertoire Dalloz de la responsabilité de la puissance publique, 2023).

Finalement, en attribuant au juge judiciaire le contentieux des collaborateurs occasionnels du service public judiciaire, le Tribunal des conflits, entrainé par la dynamique de sa politique jurisprudentielle récente, a confirmé que la solution d’espèce de la décision Giry n’est pas un « précédent exceptionnel » (M. Guyomar, concl. sur CE, 15 fév. 2006, Garde des sceaux, ministre de la justice c/ Consorts Maurel-Audry (RFDA 2006. 615). L’examen des considérations de politique juridictionnelle mobilisées à l’appui de cette dynamique démontre toutefois que cette solution, loin d’être incontestable, comme l’écrivit postérieurement Georges Vedel, considéré comme l’un de ses instigateurs (« Jurisprudence et doctrine : Deux discours », Revue administrative, numéro spécial Le Conseil d’État et la doctrine, 1997, p. 7), peut « prêter à discussion » (GAJA précité). Sa consécration par le Tribunal des conflits ne fait que le confirmer.

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