Sur l’adéquation entre définition du besoin et critère(s) de jugement dans l’attribution d’une concession
Par François CURAN :: Chronique mensuelle
En pleine compétition de Roland Garros, le Tribunal administratif de Paris s’est aussi intéressé au tennis. Il ne s’agissait cependant pas de celui pratiqué à Boulogne mais plutôt de celui pratiqué dans le jardin du Luxembourg, à proximité du Sénat.[1]. Dans le cadre d’un référé précontractuel, la société Paris Tennis a contesté l’attribution de la concession d’exploitation de ces terrains de tennis mise en concurrence par le Sénat le 2 février 2023. Cet opérateur économique avait déjà contesté, il y a quelques années, l’attribution sous forme de convention d’occupation domaniale d’un contrat d’exploitation de ces terrains[2]. Dans la procédure de 2023 il est question de l’exploitation de six cours de tennis et des locaux du Pavillon Raynal. La société Paris Tennis a été informée le 13 avril 2023 du rejet de son offre et d’une attribution à la société Vaziva. Contestant cette attribution, la concurrente évincée demande l’annulation de la procédure de passation. Le juge des référés fait droit à cette demande et la procédure est annulée dans son ensemble.
Le terrain de discussion est intéressant et repose sur l’articulation de deux problématiques importantes de passation des contrats de la commande publique. Il est en effet tout à la fois question de définition du besoin et de critères de notation. La décision ne fait explicitement référence qu’au cadre législatif applicable à la définition du besoin en concession (article L. 3111-1 du Code de la commande publique). Á la différence de l’article L. 2111-1 du CCP applicable aux marchés publics le législateur n’a pas indiqué d’exigence de « précision » sur la définition de la nature et de l’étendue des besoins en matière de concession. Pour autant, le juge des référés précise que cette définition « doit apporter aux candidats (…) une information suffisante sur la nature et l’étendue des besoins à satisfaire. [… et] indiquer aux candidats les caractéristiques essentielles de la concession ». Dans le cas du Sénat, l’aspect litigieux de la définition du besoin était relatif aux modalités de répartition des créneaux. L’autorité concédante a construit un système à deux niveaux d’après lequel 25% du total devaient être réservé aux associations sportives du Sénat. Le reste des créneaux disponibles devaient être réparti en respectant l’attribution d’un minimum de 35% d’entre eux à la pratique libre et un maximum de 65% à l’enseignement. Il était donc par exemple possible de proposer 45% de créneaux dédiés à la pratique libre et 55% à l’enseignement tout en remettant une offre répondant au besoin du Sénat. Par ailleurs, le Sénat s’est appuyé sur trois critères de jugement pour l’attribution des offres à savoir l’intérêt du projet pour le jardin du Luxembourg et la vie locale, la robustesse de l’offre financière et enfin la qualité de l’organisation et l’exploitation.
L’intérêt de cette ordonnance nous paraît tenir dans l’articulation faite entre définition du besoin et critères de jugement. En effet, le juge des référés considère que « le choix offert aux candidats sur l’organisation de l’enseignement du tennis ne leur permettait pas de présenter des offres comparables au regard des trois critères de jugement ». L’argumentation met en évidence que des organisations variées, comme on en a donné un exemple plus haut, tout en répondant au besoin exposé pouvaient obtenir de mauvaises notes. Dans la présente espèce, c’est l’organisation des créneaux d’enseignement qui a soulevé discussion. Il était en effet possible pour le concessionnaire de mettre en place une école « internalisée » ou de confier les créneaux à des tiers déjà organisés. Les deux systèmes, indifféremment compatibles avec l’expression de besoin de l’autorité concédante, conduisaient cependant à l’obtention de notes différentes au regard de l’intégration dans la vie locale et du montant de redevance proposé. De ce fait, les offres présentées n’auraient pas été « comparables » compte tenu des critères de jugements retenus. On peut donc considérer que la combinaison d’un besoin insuffisamment défini avec un système de notation inadéquat a entrainé l’annulation de la procédure.
Le Code de la commande publique précise que les critères de notation doivent être « objectifs, précis et liés à l’objet du marché (article L. 3124-5 du Code de la commande publique) ». On a peu de mal à admettre que la fonction des critères de jugements consiste à rendre compte de la capacité d’une offre à répondre au besoin spécifié par l’autorité concédante ou le pouvoir adjudicateur. Par suite, on comprend que le juge administratif soit sévère à l’égard d’un système de notation conduisant à écarter un opérateur économique alors même que son offre répond au besoin.
Comme l’indique le site internet du tennis club du Luxembourg les terrains vont demeurer inaccessibles pour plusieurs mois encore. Malgré quelques articles dans la presse on ne sait pas si un pourvoi en cassation sera introduit[3].
[1] TA Paris, 08/06/2023, Société Paris Tennis, n° 2309069/3-5.
[2] CE., 10/07/2020, Société Paris Tennis, n° 434582, Lebon ; note N. Foulquier, RDI, 2020, p. 538.
[3] Voir par exemples : https://www.leparisien.fr/paris-75/a-paris-les-courts-de-tennis-du-jardin-du-luxembourg-ne-sont-pas-pres-de-rouvrir-08-06-2023-5TZRYWJKKZEHZD3T7K3EM3VAIE.php ou encore https://lemonde.fr/societe/article/2023/06/08/la-concession-des-courts-de-tennis-du-senat-annulee-par-le-tribunal-administratif_6176788_3224.html.
Commentaires