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03 04 2023

Le Conseil d’Etat fait évoluer l’office du juge de l’exécution

Résumé : Par une décision du 27 mars 2023 (CE, 27 mars 2023, req. n°452354, à paraître au Lebon), le Conseil d’Etat précise que si le juge de l’exécution, saisi aux fins de liquidation d’une astreinte sur le fondement de l’article L. 911-7 du CJA, ne peut remettre en cause les mesures décidées par le dispositif de la décision dont l’exécution est demandée, il peut néanmoins constater que la décision a été exécutée si l’administration a adopté « des mesures au moins équivalentes à celles qu’il lui a été enjoint de prendre ».

Pour ceux qui en douteraient encore, les conditions de détention dans les prisons françaises sont loin d’être satisfaisantes[1]. Elles sont d’ailleurs à l’origine d’un contentieux important devant le juge administratif, qui n’est pas sans conséquence sur les règles applicables à la procédure administrative contentieuse.

Il y a un an déjà, une chronique du Blog avait été consacrée à une évolution du contentieux administratif des conditions indignes de détention, avec la mise en place d’un aménagement de la charge de la preuve au profit des détenus[2]. Cette fois, la chronique de ce mois d’avril est consacrée à une nouvelle évolution du contentieux administratif induite par le contentieux des conditions indignes de détention.

En l’espèce, par une décision du 11 février 2022, le Conseil d’Etat avait prononcé une astreinte à l’encontre de l’Etat à un taux de 1000 euros par jour de retard si, dans le délai d’un mois à compter de la notification de cette décision, il n’était pas procédé à l’exécution des injonctions prononcées par une ordonnance du juge des référés du Tribunal administratif de Nouméa du 19 février 2020, ainsi que par une décision du Conseil d’Etat du 19 octobre 2020[3].

Témoignant de la difficulté des conditions de détention au centre pénitentiaire de Nouméa, il avait ainsi été ordonné à l’Etat de faciliter l’accès des personnes détenues aux téléphones mis à leur disposition, de résorber l’insalubrité des points d’eau et des sanitaires du quartier des mineurs, d’assurer le suivi des personnes détenues par un médecin addictologue, de procéder au remplacement des fenêtres cassées ou défectueuses, de distribuer gratuitement des produits répulsifs aux personnes détenues dans des cellules infestées et d’installer des moustiquaires dans lesdites cellules et les salles d’enseignement.

Les mesures ainsi enjointes n’ayant pas toutes été exécutées en temps voulu, le Conseil d’Etat a été saisi sur le fondement de l’article L. 911-7 du Code de justice administrative (CJA), afin qu’il procède à la liquidation de l’astreinte prononcée par sa décision du 11 février 2022.

A cette occasion, le Conseil d’Etat va commencer par rappeler que si le juge de l’exécution est habilité à modérer voire à supprimer l’astreinte au moment de sa liquidation, même en cas d’inexécution constatée, compte tenu des diligences accomplies par l’administration en vue d’assurer l’exécution de la chose jugée, il n’a toutefois pas le pouvoir de remettre en cause les mesures figurant dans le dispositif de la décision dont l’exécution est demandée[4].

A cette règle générale, le Conseil d’Etat y ajoute ensuite un nouveau tempérament en retenant que « si l’administration justifie avoir adopté, en lieu et place des mesures provisoires ordonnées par le juge des référés, des mesures au moins équivalentes à celles qu’il lui a été enjoint de prendre, le juge de l’exécution peut, compte tenu des diligences ainsi accomplies, constater que l’ordonnance du juge des référés a été exécutée ».

Il en résulte donc qu’une décision juridictionnelle peut être considérée comme ayant été exécutée, même si les mesures qu’elle ordonne n’ont pas été adoptées, s’il est justifié que des mesures au moins équivalentes ont bien été prises.

Cela permet donc à l’administration de recouvrer une certaine marge de manœuvre pour l’exécution des décisions juridictionnelles, en pouvant adapter au besoin les mesures ordonnées aux réalités du terrain, et ce sans avoir besoin de saisir le juge afin qu’il modifie les mesures qu’il a ordonnées. En retour, l’administration devra toutefois apporter la preuve de l’efficience des mesures prises, dont l’efficacité doit être au moins égale à celle des mesures ordonnées par le juge.

Ainsi, pour l’application à l’espèce, le Conseil d’Etat va tout d’abord commencer par relever qu’une majeure partie des mesures enjointes à l’Etat « ont été exécutées ou sont en cours d’exécution ». Il poursuit ensuite en relevant que l’installation de moustiquaires dans les salles d’enseignement, qui aurait dû être réalisée dès le 12 mars 2022 sous peine d’astreinte, n’a pas été effectuée. Le Conseil d’Etat relève néanmoins qu’à la place de moustiquaires, l’administration a procédé à l’installation d’une climatisation dans les salles d’enseignement. Cela étant, cette dernière n’apporte pas la preuve que l’installation de climatiseurs dispose d’effets au moins équivalents sur les moustiques que les moustiquaires. Faisant alors application de la règle qu’il vient nouvellement de dégager, le Conseil d’Etat considère que l’Etat ne peut être regardé comme ayant pleinement exécuté les mesures résultant de l’ordonnance du juge des référés du 19 février 2020.

En conséquence, il estime donc qu’il y a lieu de procéder à la liquidation provisoire de l’astreinte[5], dont le produit est reversé à la Section française de l’OIP, qui est ici le bénéficiaire de la décision dont l’exécution est exigée sous astreinte.

Quant au montant de cette astreinte provisoire, dont le taux avait été initialement fixé à 1000 euros par jour de retard, le produit de sa liquidation pour une inexécution de plus d’un an aurait normalement dû dépasser les 300 000 euros. Cependant, eu égard aux diligences accomplies par l’administration, qui sans procéder à l’installation de moustiquaires a tout de même mis en place une climatisation dans les salles d’enseignement, le Conseil d’Etat décide d’en modérer le montant en fixant la somme due par l’Etat à 10 000 euros.


[1] Voir notamment, pour un aperçu, J.-J. Hyest et G.-P. Cabanel, Les conditions de détention dans les établissements pénitentiaires en France, Rapport de la commission d’enquête sur les conditions de détention dans les établissements pénitentiaires en France, 29 juin 2000 (rapport disponible en ligne à l’adresse suivante : https://www.senat.fr/rap/l99-449/l99-449.html).

[2] Voir https://blogdroitadministratif.net/2022/04/01/face-aux-conditions-indignes-de-detention-le-conseil-detat-allege-la-charge-de-la-preuve-pesant-sur-les-personnes-detenues/

[3] Pour rappel, le juge administratif dispose d’une habilitation générale à prononcer des astreintes et des injonctions à l’encontre des personnes publiques depuis, respectivement, la loi n° 80-539 du 16 juillet 1980 et la loi n° 95-125 du 8 février 1995.

[4] Voir déjà en ce sens, en ce qui concerne les pouvoirs du juge de l’exécution saisi sur le fondement de l’article L. 911-4 du CJA, CE, 3 mai 2004, Magnat, n° 250730, Lebon T. pp. 838-841, et s’agissant des pouvoirs du juge de l’exécution saisi d’une demande de liquidation d’une astreinte sur le fondement de l’article L. 911-7 du CJA, CE, réf., 5 septembre 2011, Ministre de l’Intérieur, de l’outre-mer, des collectivités territoriales et de l’immigration c/ et autres, n° 351710 et autres, Lebon T. pp. 1081-1093 et CE, 3 décembre 2015, Association musulmane El Fath et autres, n° 394333, Lebon T. pp. 807-826.

[5] Le caractère provisoire de la liquidation de l’astreinte signifie que face à une inexécution persistante d’une décision de justice, le juge peut décider de liquider le montant de l’astreinte déjà dû au titre du retard accumulé. En revanche, en ce cas, la liquidation de l’astreinte ne vaut que pour le retard d’inexécution déjà constaté, et n’a donc pas pour effet de libérer la personne qu’elle vise de son astreinte. Ainsi, tant que cette dernière ne se sera pas exécutée, le juge pourra procéder à une nouvelle liquidation de l’astreinte.

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