Profil juridique du profil d’acheteur
Par François CURAN :: Droit administratif général
Le profil d’acheteur, lieu (dé)matériel de conclusion de la plupart des contrats de la commande publique est encore peu identifié par les juristes. Il est difficile de s’en étonner compte tenu du fait qu’il n’est, après tout, que le support de conclusion des contrats de la commande publique lesquels présentent avec le contentieux contractuel qui leur est associé un intérêt majeur pour la doctrine et la pratique. Partant, il est ainsi tentant de ne voir dans ce qui se présente comme un site internet qu’un outil transparent dont l’intérêt est parfaitement négligeable au regard des problématiques contractuelles. Le but du présent article est précisément de battre en brèche cette idée et de mettre en évidence la richesse des problèmes juridiques que cet outil soulève.
Parmi les différentes pistes identifiées par l’OCDE pour améliorer l’« efficiency » de la commande publique, le recours à des outils électroniques est sans ambiguïté mis en évidence. Ainsi, peut-on lire sur le site internet de l’OCDE que « L’e-procurement est définie comme l’utilisation des technologies d’informations et de communications dans l’achat public. Elle permet non seulement d’accroître l’efficacité en facilitant l’accès consultations, mais aussi d’améliorer la transparence en rendant les autorités publiques plus responsables (Redevables). Elle favorise le développement d’évaluations de la performance à l’aide d’indicateurs sur les marchés publics »[1]. On trouve ainsi en général les idées d’amélioration de la qualité de la dépense publique, de transparence de l’information ou encore de simplification de la démarche. Ces objectifs juridiques justifiant la dématérialisation des processus achat est également très présent en France comme le met en évidence la rhétorique développée par le plan de transformation numérique de la commande publique[2]. Si la réalité de cette simplification par le numérique peut être discuté, en particulier en matière de service public[3], la commande publique n’échappe pas à cette numérisation des activités de la puissance publique. L’objectif d’une dématérialisation de l’ensemble de la chaîne d’achat paraît être dans le viseur de l’État. Par chaîne d’achat on entend un grand nombre d’opération couvrant les opérations préalables à l’achat (sourcing) jusqu’aux opérations d’archivage intégrant ainsi la passation, la conclusion et le suivi d’exécution des contrats de la commande publique. Le chantier est d’ampleur et après la facturation électronique, la passation des contrats de la commande publique a été progressivement dématérialisée pour constituer une obligation de principe à partir du 1er octobre 2018. Le profil d’acheteur est l’outil de cette dématérialisation.
Une définition générale du profil d’acheteur figure dans le Code de la commande publique, il s’agit de « la plateforme de dématérialisation permettant notamment aux acheteurs de mettre les documents de la consultation à disposition des opérateurs économiques par voie électronique et de réceptionner par voie électronique les documents transmis par les candidats et les soumissionnaires »[4]. Les éléments relevant d’un stricte definiens[5] sont peu nombreux puisqu’ils consistent simplement dans l’idée de « plateforme de dématérialisation » ayant à voir avec des opérations d’achat encadrées par le Code de la commande publique. En effet, on peut rattacher le reste des caractéristiques à celle de propriétés dont l’absence ne serait à ce titre pas susceptible de faire disparaître la qualité de « plateforme de dématérialisation ». Il s’agit des fonctionnalités détaillées dans l’arrêté profil d’acheteur[6] consistant notamment en la possibilité de mettre en ligne les documents de la consultation au sens de l’article R. 2132-1 du Code de la commande publique (CCP) et de réceptionner les documents remis par les opérateurs économiques au cours d’une procédure de mise en concurrence. On comprend donc que le profil d’acheteur est la plateforme au moyen de laquelle les acheteurs soumis au Code de la commande publique procèdent à la mise en concurrence de certains contrats.
Le déclenchement de l’obligation d’utilisation du profil d’acheteur est fixé par l’article R. 2132-1 du CCP à 40 000 € HT lorsque la procédure donne lieu à publication d’un avis d’appel public à la concurrence (AAPC). Du point de vue des caractéristiques on se reportera à l’arrêté susmentionné pour en obtenir la liste exhaustive[7]. Toutefois, on peut mentionner pour en souligner l’importance le fait que le profil d’acheteur doit offrir un horodatage précis des opérations de réception y compris lorsqu’une offre est remise hors délai[8], comporter un formulaire destiné à la publication des données essentielles[9] et encore offrir un historique des évènements afin de permettre une traçabilité des actions[10] etc. L’étude du régime qui sera faite par la suite permettra de revenir plus précisément sur certaines de ces caractéristiques. La mise en place d’une telle plateforme s’inscrit dans le cadre de la promotion des outils électroniques de passation des contrats de la commande publique mis en avant notamment par la Directive marché[11]. Ces « moyens électroniques d’information et de communication » sont perçus comme véhiculant simplification, efficacité et transparence pour l’achat public. La directive marché avait fixé un délai de trente mois[12] aux États-membres pour la généralisation des moyens de communications électroniques au cours de toutes les étapes de la procédure. Bien que ces technologies soient utilisées par certains acheteurs depuis les années 2000 l’obligation de recourir à un profil d’acheteur n’est entrée en vigueur que le 1er octobre 2018[13] pour les marchés dont le montant estimé est supérieur ou égal à 40 000€ HT[14].
La notion de profil d’acheteur n’apparaît que dans la partie règlementaire du Code de la commande publique alors que la partie législative renvoi plus sobrement à des échanges « par voie électronique »[15] suivant la terminologie de la directive marché susmentionnée. On peut donc considérer que le profil d’acheteur est une création du pouvoir règlementaire censée remplir les fonctions prévues en matière de communications électroniques par la partie législative du Code de la commande publique. Le choix terminologique peut étonner par son originalité. En effet, d’après le centre national de ressources textuelles et lexicales (CNRTL), le profil désigne d’abord les « contours, traits d’un visage vu par un de ses côtés » ou suivant un deuxième sens à une « vue[e] de côté »[16]. En un sens figuré le terme profil peut signifier l’« ensemble des traits caractéristiques d’une chose, d’une situation, d’une catégorie de personnes ». Dès lors, le terme de profil d’acheteur se présente davantage comme un programme que comme une simple définition. En effet, un profil d’acheteur serait alors une plateforme numérique permettant la restitution de l’ensemble des caractéristiques d’un acheteur donné. En tant que plateforme obligatoire pour toutes les opérations réalisées par les acheteurs publics dans leur activité d’achat elle permet l’établissement d’un « profil » de l’acheteur l’utilisant, tous ses actes étant tracés.
Peu étudié, on propose donc une approche didactique à défaut d’être exhaustive consistant à interroger le profil d’acheteur comme notion puis d’en étudier quelques éléments de régime.
Une notion strictement définie par la règlementation
Ces éléments introductifs de définition étant posés une première problématique éludée jusque-là se pose. Quelles sont les conditions de qualification de la notion de profil d’acheteur ? À cette question s’ajoute celle de l’enjeu associé à la qualification… et au défaut de qualification ? Quels types de conséquences pourraient être associées à la caractérisation d’un « faux » profil d’acheteur ou tout du moins à une plateforme présentée comme telle mais à laquelle ferai(en)t défaut un ou plusieurs élément(s) de qualification ? Le problème peut encore être affiné en distinguant le cas d’un défaut ponctuel lié à une anomalie susceptible de résolution du cas d’un défaut « permanent » correspondant en fait au fonctionnement normal de la plateforme en question ?
Du point de vue des conditions de qualification, on peut distinguer deux « jeux » cumulatifs de conditions avec la notion de plateforme de dématérialisation d’un côté et de l’autre l’ensemble des caractéristiques définies par l’arrêté Profil d’acheteur du 22 mars 2019 susmentionné.
Le profil d’acheteur, plateforme de dématérialisation
En effet, il est tentant d’opérer un détour par la notion de plateforme consacrée par la loi pour une république numérique[17] (LRN). On y apprend qu’est « d’opérateur de plateforme en ligne toute personne physique ou morale proposant, à titre professionnel, de manière rémunérée ou non, un service de communication au public en ligne reposant sur 1° Le classement ou le référencement, au moyen d’algorithmes informatiques, de contenus, de biens ou de services proposés ou mis en ligne par des tiers ; « 2° Ou la mise en relation de plusieurs parties en vue de la vente d’un bien, de la fourniture d’un service ou de l’échange ou du partage d’un contenu, d’un bien ou d’un service. ». Il est assez malaisé de tirer profit de cette définition pour éclaircir les modalités de qualification du profil d’acheteur. La première explication découle du champ d’application général du Code de la consommation. En effet, l’article 49 de la loi pour une République Numérique codifie cette définition dans le Code de la consommation, lequel est applicable aux relations entre consommateurs et professionnels au sens de l’article liminaire à savoir entre « toute personne physique qui agit à des fins qui n’entrent pas dans le cadre de son activité commerciale, industrielle, artisanale, libérale ou agricole » et « toute personne physique ou morale, publique ou privée, qui agit à des fins entrant dans le cadre de son activité commerciale, industrielle, artisanale, libérale ou agricole, y compris lorsqu’elle agit au nom ou pour le compte d’un autre professionnel ». Par ailleurs, au regard des éléments de qualification proposés par l’article L. 111-7 I codifié par l’article 49 de la LRN précité le 1° vise les places de marché, plateforme participatives dans le cadre de relations dites B2C pour Business to consumer c’est-à-dire professionnel – consommateur. Le 2° est peut-être plus susceptible d’éclaircir le premier élément de qualification en ce qu’effectivement un profil d’acheteur permet la mise en relation de parties pour la vente d’un bien de fourniture ou d’une prestation de service ou le partage de contenu bien ou service. Toutefois là encore la définition proposée est insatisfaisante pour deux raisons. D’abord les profils d’acheteur n’ont pas vocation, en l’état actuel de la règlementation à permettre une activité de partage. En outre, la vente est un des actes rendus possibles par le profil d’acheteur. Ainsi, l’article L. 1111-3 du Code de la commande publique relatif aux marchés de fourniture les définit comme ceux ayant pour « objet l’achat, la prise en crédit-bail, la location ou la location-vente de produits ». Or, la location de matériel est une opération très courante par exemple pour les imprimantes ou le matériel informatique. En outre, le modèle concessif entre difficilement dans la catégorie de vente de sorte que ces contrats bien que n’étant pas nécessairement des contrats de vente sont bien conclus sur un profil d’acheteur. La définition proposée par la loi pour une République Numérique ne paraît donc pas apporter d’éléments convaincants pour éclairer le sens du terme de « plateforme de dématérialisation ». On comprend ainsi que les profils d’acheteur ne sont pas susceptible d’être qualifiés de plateforme numérique au sens de la LRN.
Par suite on peut envisager la qualification de plateforme proposée par le projet de Règlement relatif à un marché intérieur des services numériques, ou Digital service Act, définit la plateforme en ligne d’après lequel une plateforme s’identifie par « tout fournisseur de service d’hébergement qui à la demande d’un bénéficiaire du service, stocke et diffuse au public des informations à moins que cette activité ne soit une caractéristique mineure et purement accessoire d’un autre service qui, pour des raisons objectives et techniques, ne peut être utilisée sans cet autre service, et pour autant que l’intégration de cette caractéristique à l’autre service ne soit pas un moyen de contourner l’applicabilité du présent règlement» et exclut par la suite certains cas »[18]. Une telle définition est également peu éclairante par sa généralité. Au sens de ce même projet de règlement un service d’hébergement est un service intermédiaire « consistant à stocker des informations fournies par un bénéficiaire du service à la demande de ce dernier »[19]. En effet, les profils d’acheteur permettent le stockage d’information par des bénéficiaires, les acheteurs et les opérateurs économiques. Par ailleurs, le projet de Règlement vise explicitement dans son préambule les « réseaux sociaux ou les places de marché en ligne »[20]. Du reste, cela reviendrait à qualifier un profil d’acheteur de « place de marché » ce qui est évidemment très tentant mais de nouveau mais réducteur. Assurément un profil d’acheteur remplit une fonction de « place de marché publique » censée améliorer la qualité de l’achat public. Mais comme on le verra par la suite il ne s’agit pas de sa seule fonction d’un point de vue juridique.
Dans son étude annuelle 2017 consacrée à l’ubérisation, le Conseil d’État propose de définir la plateforme comme « des interfaces d’intermédiation ouvertes, sur lesquelles les fournisseurs et les clients se retrouvent virtuellement. Elles proposent une offre qui peut porter sur des échanges économiques (place de marché Amazon) et/ou des interactions sociales (Twitter ou Instagram). La plupart des plateformes sont bifaces, avec d’un côté la demande, les utilisateurs, et de l’autre l’offre, les fournisseurs »[21]. Plusieurs variantes sont proposées par la suite telles que l’ « espace délimité, situé dans le monde virtuel, dans lequel des personnes se mettent en relation et peuvent échanger »[22] ou encore « une catégorie de « prestataire intermédiaire » pour le partage de « services de référencement ou de classement de contenus, biens ou services édités ou fournis par des tiers »[23]. L’originalité du profil d’acheteur par rapport à la perspective du Conseil d’État est que contrairement à l’effet de rupture introduit par l’ubérisation d’initiative privée la construction technique des plateformes de profils d’acheteur est résultat d’une construction juridico-politique. Par conséquent, sauf à considérer que les pouvoirs publics adoptent une stratégie de « rupture » (mais alors, par rapport à quoi ?), il est malaisé de considérer que le profil d’acheteur constitue une plateforme dans le sens retenu. Le rapport du Conseil d’État adopte une posture externe aux phénomènes d’ubérisation et de plateformisation pour construire une doctrine juridique susceptible de servir aux interprètes confrontés à ces plateformes. Partant, si les éléments de définition apportés éclairent en partie notre objet il n’est une fois encore pas possible de rattacher le profil d’acheteur aux plateformes dont il est question ce rapport.
Cette première enquête nous conduit donc à envisager la notion de plateforme de dématérialisation employée comme sui generis. Il n’est en effet pas possible d’affirmer que le profil d’acheteur est une plateforme au sens de la LRN ou du Code de la consommation. Il en présente certaines caractéristiques mais la subsomption complète n’est pas possible en raison du caractère partiel des similitudes entre ce terme est les catégories existantes du droit positif. On peut ainsi retenir de ces errements que le profil d’acheteur est une plateforme en ce qu’il s’agit d’un espace virtuel de type service intermédiaire servant la mise en relation d’acheteurs soumis au Code de la commande publique et de vendeurs mais dont la maintenance et l’existence relèvent de la responsabilité de l’acheteur. L’adjonction du terme de dématérialisation parachève la singularité de cette plateforme. En effet, la dématérialisation est la dynamique par laquelle on procède à « la suppression de la matière concrète et plus précisément, la substitution du support électronique au support papier pour toutes les opérations de traitement, d’échange et de stockage d’informations »[24]. L’ajout de cette composante apporte une nouvelle dimension programmatique au profil d’acheteur en en faisant un outil de transition du support physique au support électronique. Il doit ainsi permettre de réaliser l’adjudication accomplie à une époque en séance publique[25] par le moyen d’une plateforme numérique. La première composante de qualification peut ainsi être résumée en considérant qu’un profil d’acheteur est un service numérique intermédiaire mis à disposition par l’acheteur soumis au Code de la commande publique et le mettant en relation avec des opérateurs économiques susceptibles de répondre à l’expression de son besoin en permettant au premier de réaliser ses opérations d’adjudication.
Le profil d’acheteur, plateforme de dématérialisation aux caractéristiques précisément définies
L’autre jeu de conditions de qualification rassemble les caractéristiques techniques figurant dans l’arrêté du 22 mars 2019 relatif aux fonctionnalités et exigences minimales des profils d’acheteurs. Ainsi, pour constituer un profil d’acheteur le service numérique intermédiaire évoqué doit permettre aux acheteurs (art. 1 I.) et aux opérateurs économiques (art. 1 II.) d’effectuer certaines actions précises. En outre, il doit être conforme aux référentiels généraux d’interopérabilité et d’accessibilité prévu par l’ordonnance 8 décembre 2005. Il doit accepter certains formats de fichiers particuliers facilement exploitables dans le cadre de projets d’interopérabilité (art. 2 II. 1°) ainsi que présenter des garanties de sécurité (art. 2 II. 4°) et de confidentialité (art. 2 II. 6°). Le profil d’acheteur doit également fournir un accusé de réception électronique (art. 2 III.) comportant cinq informations parmi lesquelles la date et l’heure de réception des documents ainsi qu’une liste des documents transmis. Considérer que ces caractéristiques techniques sont autant de conditions de qualification peut sembler excessif et il est aisé d’objecter que le défaut ou la défaillance d’une de ces fonctionnalités ne saurait faire perdre à une plateforme le bénéfice de la qualité de profil d’acheteur. Dès lors, il s’agit de conditions de qualification au sens où il est attendu d’une plateforme numérique dont il est souhaité qu’elle soit un profil d’acheteur qu’elle dispose de l’ensemble de ces caractéristiques.
Le problème suivant peut donc être posé : quelles sont les conséquences juridiques susceptibles d’être associées à un défaut ou une défaillance d’une des fonctionnalités attendues d’une plateforme pour qu’elle puisse être qualifiée de profil d’acheteur ? Il est possible de distinguer deux hypothèses selon que l’absence de la fonctionnalité discutée est une anomalie temporaire en attente de correction ou bien qu’il s’agît d’une caractéristique de la plateforme ne répondant ainsi pas aux exigences de l’arrêté du 22 mars 2019 relatif aux fonctionnalités et exigences minimales des profils d’acheteurs. Dans la première hypothèse, il semble difficile de défendre qu’une défaillance justifie la perte de qualité de profil d’acheteur en raison de son caractère temporaire. En revanche, dans le deuxième cas on se trouve face à un manquement dans ce qu’il est d’usage d’appeler une maintenance règlementaire, c’est-à-dire le fait d’assurer dans le temps la conformité des éléments fonctionnels d’une plateforme aux exigences tirées de la règlementation applicable à ladite plateforme. En ce que toute illégalité est fautive dès lors qu’un préjudice peut-être prouvé[26], on peut sans mal entrevoir un contentieux possible en responsabilité à l’encontre d’un acheteur manquant ainsi à son obligation prévue par l’article R. 2132-9 du Code de la commande publique[27]. Cette solution est assez peu satisfaisante puisque les types de préjudices à alléguer paraissent difficile à établir. Le plus évident est ainsi le défaut de fonctionnalité entrainant un rejet au cours d’une mise en concurrence effectué sur la plateforme affecté par le défaut en question. On peut imaginer également une perte de chance tirée de la non-participation à une procédure causée par un tel défaut de fonctionnalité. L’autre hypothèse de la défaillance ponctuelle sera abordée de façon plus détaillée à l’occasion du développement sur les éléments de régime.
Il reste à décrire brièvement comment se présentent les modalités juridiques suivant lesquelles ces profils d’acheteur sont mis en service et maintenus en conditions opérationnelles. En effet, d’un point de vue juridique l’exposé de la notion et des caractéristiques du profil d’acheteur serait incomplet sans une restitution du cadre juridique dans lequel cet objet s’inscrit dans le quotidien des acheteurs. Dans la plupart des cas, cette prestation est externalisée auprès d’une entreprise privée au moyen d’un contrat de la commande publique. Contrairement à la dématérialisation des factures qui a donné lieu à la mise en service du portail Chorus Pro, le choix n’a pas été de mettre à disposition une plateforme unique dont l’État aurait la responsabilité. De ce fait, une offre privée s’est développée autour de quelques entreprises peu nombreuses telles qu’Atexo SAS, Avenue-Web Systèmes SAS, ou encore Dematis SAS. Deux remarques peuvent être faites. D’abord, un tel modèle avec développement d’une offre privée n’est pas le seul possible comme le montre la politique retenue au Pays-Bas qui a donné lieu à un important contentieux[28]. Par ailleurs, remarquons qu’un tel pullulement n’est pas nécessairement au bénéfice des opérateurs économiques et de la bonne gestion des deniers publique puisqu’il risque fortement de décourager les opérateurs économiques de s’enregistrer sur plusieurs plateformes et ainsi perdre un temps trop important en veille.
Alors que la signification du terme profil d’acheteur est désormais plus claire on propose de revenir sur quelques enjeux de régime juridique soulevés par leur utilisation.
Un régime juridique « en phase de recette »[29]
On peut distinguer deux séries de questions selon qu’elles se rapportent davantage au profil d’acheteur comme plateforme numérique ou comme étape dans le processus de conclusion de contrats de la commande publique.
Problèmes juridiques d’une plateforme de profil d’acheteur : unicité du profil d’acheteur, ouverture des données publiques et RGPD
Du point de vue plateforme numérique, la première question qui se pose est celle d’un éventuel principe d’unicité du profil d’acheteur. D’après un tel principe, un acheteur ne pourrait avoir qu’un profil d’acheteur. Il arrive en effet que des acheteurs, pour différentes raisons, utilisent deux ou plusieurs plateformes en parallèle pour la publication de leurs consultations. On se trouve par exemple dans une situation dans laquelle deux services distincts d’une même structure utilisant deux plateformes différentes. Si une telle pratique est étonnante, d’abord en raison de son coût puisque deux maintenances sont financées par les deniers publics, la règlementation ne pose pas explicitement de principe d’unicité. En revanche il est possible d’inférer une obligation de n’en n’utiliser qu’un seul et unique de plusieurs dispositions mentionnant le profil d’acheteur. L’article R. 2132-3 du Code de la commande publique dispose que « Le profil d’acheteur est la plateforme de dématérialisation permettant notamment aux acheteurs de mettre les documents de la consultation à disposition etc ». L’article 1 de l’arrêté relatif au données essentielles de la commande publique dispose également que « Les données essentielles relatives aux marchés publics mises à disposition sur le profil d’acheteur sont … »[30]. En contrepoids, l’article R. 2132-2 du Code de la commande publique dispose que « Les documents de la consultation sont gratuitement mis à disposition des opérateurs économiques. (…) cette mise à disposition s’effectue sur un profil d’acheteur à compter de la publication de l’avis d’appel à la concurrence ». L’usage tantôt d’un article défini « le » et tantôt d’un article indéfini « un » permet un doute. On peut soulever cependant au moins trois objections à l’égard de la possibilité de recourir à plusieurs profils d‘acheteur. Tout d’abord la bonne gestion des deniers publics[31] nous paraît exclure ce type de pratique qui consiste à payer deux fois pour un même service dont les caractéristiques sont fixées par voie règlementaire. De plus, la règlementation contient plus souvent l’article défini « le » de sorte qu’à supposer que puisse lui être imputé un esprit, le droit de la commande publique nous paraît davantage porté vers un principe d’unicité. Enfin, il n’est pas impossible que le recours, même pour des procédures de mise en concurrence distinctes, à plusieurs profils d’acheteur soit source de contentieux contractuel pour le risque de confusion susceptible d’être induit chez les opérateurs économiques. Imaginons le cas d’un renouvellement d’un accord-cadre de prestation de traiteur, le contrat arrivant à son terme a été conclu sur le profil d’acheteur X sur lequel était inscrit le titulaire sortant. La nouvelle procédure est lancée sur un profil d’acheteur Y alors même que la personne publique utilise toujours le X. Dans l’hypothèse où le titulaire sortant n’apprend que tardivement le recours à cette autre plateforme, comment ne pas penser qu’une manœuvre frauduleuse destinée à empêcher le sortant de se positionner a été tentée ? Quand bien même ce ne serait pas le cas, le risque de caractérisation d’un manquement à la transparence n’est pas à écarter. Si la règlementation ne prescrit pas d’obligation d’utiliser un profil d’acheteur unique, il paraît risquer d’en déduire une faculté d’utilisation de plusieurs différents en parallèle.
Il convient de mettre en évidence l’importance du profil d’acheteur dans l’ouverture des données publiques et en particulier de celles relatives à la commande publique[32]. La collecte de la donnée achat repose à ce jour sur deux sources proches de fusionner[33]. Il s’agit d’un côté de l’obligation de publicité des données essentielles prévue par l’article L. 2196-2 du Code de la commande publique et de l’autre du recensement économique de la commande publique prévu par l’article L. 2196-3 du Code de la commande publique. La deuxième source étant indirecte on se concentre dans le présent article sur la question des données essentielles[34]. Bien que la terminologie soit légèrement emphatique, la liste des données concernées est détaillée dans l’arrêté susmentionné[35]. Cette obligation de publication concerne également les concessions (Article L. 3131-1 du Code de la commande publique) ainsi que les modifications en cours d’exécution des marchés et des concessions. L’obligation de publication doit être satisfaite dans un délai de deux mois à compter de la date de notification au titulaire pour les marchés[36] et avant le début d’exécution pour les concessions[37]. Les concessions doivent en outre faire l’objet d’une publicité annuelle d’informations relatives à leur exécution[38] dans un délai de deux mois à compter de la fin de chaque année d’exécution[39]. Ces données doivent être en accès libre sur le profil d’acheteur pour une durée minimale de cinq ans ramenée à un an si elles sont également envoyées sur le portail data.gouv de la mission Etalab[40]. L’article 8 de l’arrêté données essentielles met en avant un caractère important de cette publicité. Deux publics semblent visés par ces ouverture des données car l’arrêté dispose que le profil d’acheteur doit permettre « de visualiser simplement et directement l’ensemble des données essentielles de manière intelligible, et permet de réaliser une recherche » au moyen de différents critères. Ce même article prévoit également que « les données sont également mises à disposition sur le profil d’acheteur dans un format lisible par une machine aux formats XML ou JSON mentionnés à l’article 9 ». L’article 9 et l’annexe de l’arrêté contiennent des spécifications techniques destinées à un public de professionnels tels que des programmeurs. Cette ouverture des données de la commande publique est donc tout à la fois destinée à des professionnels et des non professionnels. En effet, on voit qu’elle doit permettre à tout citoyen et toute citoyenne de pouvoir regarder facilement la manière dont est dépensé l’argent public mais aussi à des experts qui disposent de moyens techniques permettant d’exploiter ces informations pour proposer de nouveaux services à destination des acheteurs, des entreprises ou encore des citoyens et citoyennes. La liste des données à publier peut être certes sujette à critique par son manque d’ambition. Par exemple, relevons l’absence de considérations liées au développement durable alors même que le droit de la commande publique s’enrichit chaque année de nouvelles obligations tirées de la prise en compte de l’environnement[41]. Toutefois, l’existence de cette liste est un atout proprement précieux et une avancée importante dans la transparence de l’action publique. Si l’outil est perfectible les services de l’État ont d’ores et déjà mis en ligne un portail de visualisation précieux[42].
Enfin, comme plateforme, le profil d’acheteur est un lieu de circulation de données à caractère personnel au sens du RGPD[43]. On peut rappeler qu’une donnée est dite à caractère personnel dès lors qu’elle est potentiellement identifiante de sorte que même si, seule elle ne permet l’identification d‘une personne physique elle emporte la qualité de données à caractère personnel si, mise en relation avec une autre elle permet cette identification[44]. Les agents des acheteurs utilisant un profil d’acheteur comme les opérateurs économiques déposent sur ces outils de nombreuses données à caractère personnel à commencer par des noms et prénoms, des CV, des données d’identification bancaires (DCP dès lors que l’opérateur économique est un autoentrepreneur par exemple) etc. Lorsque la maintenance d’une plateforme de profil d’acheteur est externalisée auprès d’un opérateur privé il convient donc d’intégrer les obligations prévues par l’article 28 du RGPD dans cette contractualisation. Si le problème n’a pour le moment pas été soulevé il convient d’interroger la conciliation sinon la conformité au RGPD des obligations de conservation des informations relatives à la conclusion du contrat et à son exécution. En particulier on peut rappeler que l’article 1 e) du RGPD prévoit que la durée de conservation des données doit être limitée à ce qui est « nécessaire au regard des finalités pour lesquelles elles sont traitées ». Le code de la commande publique ne contient de disposition relative à la durée de conservation des informations qu’en matière de marché, laissant donc les acheteurs plus libres en matière de concession. Ainsi les articles R. 2184-12 et R. 2184-13 applicables aux marchés de défense et de sécurité[45] prévoient que les informations relatives à la procédure doivent être conservée pendant une durée « minimale » de cinq années à compter de la signature et pièces contractuelles pour une durée minimale de dix années à compter de la fin d’exécution du marché pour les marchés de travaux et cinq années pour les prestations de fourniture et service. Il s’agit de durées importantes de sorte que leur conciliation avec le principe de limitation n’est pas évidente. En outre le caractère minimal de ces durées de conservation laisse penser que les acheteurs pour des raisons circonstanciées serait habilités à fixer des durées supérieures risquant d’être encore moins compatibles avec le RGPD. Cette problématique peut être complexifiée en fonction du modèle contractuel qui lie l’acheteur à son profil d’acheteur. En effet dans un schéma simple l’acheteur contractualise avec un prestataire externe. Dans un schéma encore plus simple le profil d’acheteur est internalisé. Cependant cette dernière situation est peu fréquente de sorte que nous ne la traiterons pas. il est en revanche fréquent que le profil d’acheteur soit dit mutualisé. Cela signifie qu’en faisant jouer une exception dite in house[46] une entité tierce et mise en place par plusieurs acheteurs soumis au code de la commande publique porte un profil d’acheteur partagé. De ce fait le modèle repose sur au moins trois acteurs à savoir l’acheteur le ou les prestataires impliqués dans la maintenance du profil d’acheteur et la structure porteuse dite de mutualisation. Trois grandes structures de mutualisation peuvent être citées : le syndicat mixte Mégalis Bretagne, le groupement d’intérêt public Maximilien et le groupement d’intérêt public agence régionale du numérique et de l’intelligence artificielle. chacune de ces structures porte un profil d’acheteur mutualisé pour un territoire. il s’agit dans ces trois cas d’entités dotées de la personnalité morale et de l’autonomie financière. il y a donc un jeu subtil de qualification et de répartition des rôles de responsable de traitement et de sous-traitants au sens du RGPD. Il est même possible dans le cas des groupements d’intérêt public d’envisager une hypothèse de responsabilité conjointe entre les membres du groupement et le groupement lui-même. S’il demeure clair que l’obligation de conservation précitée vise les acheteurs il est impossible de travailler sa mise en œuvre sans réfléchir aux rôles respectifs de la structure de mutualisation et du prestataire à qui la prestation a été externalisée. La complexité peut encore s’accroître dès lors qu’un profil d’acheteur est interopéré avec d’autres outils multipliant ainsi la circulation des données à caractère personnel. De ce fait, chaque personne susceptible de traiter, même comme sous-traitant, une donnée à caractère personnel doit s’assurer de le faire dans des conditions conformes aux RGPD. En particulier, que ce soit comme responsable de traitement ou comme sous-traitant le registre des opérations de traitement doit bien identifier ces flux de données à caractère personnel dès lors qu’ils font l’objet d’une opération technique de quelque nature que ce soit. Par ailleurs, lorsqu’un flux met en relation un responsable de traitement et un sous-traitant au sens du RGPD, une convention de sous-traitance doit être établie quand bien même il n’y aurait pas de lien contractuel entre les deux acteurs en question. En outre, les cas de sous-sous-traitance doivent également être identifiés et l’accord du responsable de traitement doit être donné dans les conditions prévues par la convention de primo-sous-traitance. Il convient également de bien identifier les personnes susceptibles d’accéder aux données à caractère personnel circulant dans ces flux afin de vérifier les habilitations et obligations de confidentialité qui pèsent sur ces personnes. S’il n’est pas question de développer une étude exhaustive de l’ensemble des problématique relatives aux données à caractère personnel dans le présent article ces éléments introductifs permettent d’entrevoir leur étendue.
Ainsi que cela a été énoncé plus haut, l’obligation d’utilisation du profil d’acheteur débute avec les mesures de publicité liées à la procédure de mise en concurrence. Il est d’usage de considérer que l’article R. 2132-7 du Code de la commande publique prescrit aux acheteurs de réaliser toutes les opérations relatives à la passation sur le profil d’acheteur jusqu’à la notification inclue du marché. L’obligation d’utilisation débuterait ainsi avec la publicité pour s’achever avec la notification au sens de l’article R. 2182-4 du Code de la commande publique, c’est-à-dire la transmission par messagerie sécurisée du marché signé par le titulaire et l’acheteur. Cette lecture implique cependant une difficulté pratique à laquelle certains acheteurs sont confrontés lorsqu’ils ne disposent pas de certificat de signature électronique conforme à l’arrêté du 22 mars 2019 relatif à la signature électronique des contrats de la commande publique (annexe n° 12 du Code de la commande publique). En effet, dans l’hypothèse où un tel certificat n’est pas détenu par l’acheteur alors la signature est effectuée de manière manuscrite et la notification par le profil d’acheteur consiste dans la transmission d’un scan de l’acte d’engagement signé n’ayant alors que le caractère d’une copie. De ce fait, l’obligation de notification par le profil d’acheteur n’est stricto sensu pas remplie. À décharge d’un telle pratique peu satisfaisante relevons que la signature électronique n’étant pas obligatoire il serait étonnant que la pratique de transmission de scan ne soit sanctionnée sous réserve évidemment du fait qu’une notification physique soit réalisée en parallèle.
Le profil d’acheteur, facteur de nouveauté dans le contentieux contractuel
En ce qui concerne plus proprement la commande publique et en particulier le contentieux contractuel, le profil d’acheteur, désormais canal obligatoire et unique, est parfois l’objet de dysfonctionnements susceptibles d’affecter le bon déroulement d’une procédure de passation. Il arrive ainsi que pour des raison liées au fonctionnement technique de la plateforme un opérateur économique soit empêché de participer soit parce qu’il n’a pas pu déposer avant l’heure limite, soit parce que le pli déposé ne contient pas ce que l’opérateur pensait y avoir mis et se retrouve éliminé d’office. En bref, on peut affirmer que se développe une nouvelle composante du contentieux contractuel. Les décisions ne sont pas encore nombreuses à ce stade et pour l’essentiel composées d’ordonnances de tribunal administratif. Il est donc difficile de décrire comme définitives les règles que l’on peut inférer d’une analyse de la jurisprudence en matière de dysfonctionnement de profil d’acheteur. La décision société Alstom-Aptis du 23 septembre 2021[47] dernier marque de ce point de vue une étape importante puisqu’elle aborde plusieurs problématiques juridiques liées à l’utilisation du profil d’acheteur par les opérateurs économiques et les acheteurs. « La Régie Autonome des Transports Parisiens a rejeté l’offre de la société Alstom-Aptis pour cause de tardiveté à l’occasion d’une procédure négociée destinée à la conclusion d’un accord-cadre de fournitures. En l’espèce, la date limite de remise des offres était fixée à 11h30 le 13 novembre 2020. La société Alstom-Aptis n’ayant pu achever son téléchargement qu’à 12h46, elle a été écartée par l’acheteur qui lui a notifié son rejet le 17 décembre 2020 »[48]. Dans cette décision le Conseil d’État fait peser sur les opérateurs économiques l’obligation de réaliser « en temps utile les diligences normales attendues d’un candidat pour le téléchargement de son offre » et un « fonctionnement de son équipement informatique normal ». Il incombe à l’acheteur de prouver de son côté le bon fonctionnement du profil d’acheteur conformément à l’article R. 2132-9 du Code de la commande publique. Cet arrêt a fait l’objet d’une application toute récente par le tribunal administratif de Clermont-Ferrand qui a estimé que le fait de débuter « le téléchargement de son offre seulement 2h30 avant l’expiration de l’heure limite fixée par le syndicat mixte » ne permet d’établir qu’un soumissionnaire a satisfait à son obligation de réaliser en temps utile les diligences normales[49]. L’argument tiré du temps utile avant dépôt avait déjà été mobilisé par le tribunal administratif de Caen dans une ordonnance société Sade du 28 juillet 2016[50]. Une offre remise hors délai peut-être sauvée par le juge dès lors qu’un opérateur économique prouve qu’il a satisfait ces deux obligations. Le tribunal administratif reprend la formule du Conseil d’État et fait une application progressive des critères en s’arrêtant au constat de l’absence de diligence normale établi par le délai insuffisant de début de téléchargement avant l’heure limite de remise des offres. La solution adoptée par le Conseil d’État dans la décision Alstom-Aptis est donc réappropriée par le juge administratif qui y intègre une justification déjà mise en œuvre par certains autres tribunaux administratifs par le passé.
Outre le cas sensible du dépôt hors délai causé par un ou plusieurs dysfonctionnements du profil d’acheteur la question des dépôts successifs a été abordée récemment pas le Conseil d’État dans une décision société TDS[51]. Le juge administratif rappelle l’existence d’une règle claire en matière de marché public selon laquelle en cas de dépôts successifs seul le dernier doit être ouvert par l’acheteur[52]. Une telle solution s’explique notamment par le fait que deux dépôts contenant par exemple des offres financières différentes mettraient l’acheteur dans l’impossibilité de choisir laquelle analyser sans devoir rouvrir la possibilité à tout soumissionnaire la possibilité de redéposer dans des conditions conformes au principe d’égalité de traitement. Or, le contentieux concernait l’attribution d’une concession de sorte que le Conseil d’État a pu estimer que « ces dispositions, outre qu’elles ne sont pas applicables à la passation des concessions, n’ont pas pour effet de conduire à regarder toute transmission comme une offre ». La lecture opérée par le juge est cependant tout à fait incompatible avec l’article R. 2332-7, applicable à la passation des concessions, lequel dispose que « Les transmissions, les échanges et le stockage d’informations sont effectués de manière à assurer l’intégrité des données, la confidentialité des candidatures et des offres et à garantir que l’acheteur ne prend connaissance du contenu des candidatures et des offres qu’à l’expiration du délai prévu pour la présentation de celles-ci ». La règlementation interdit donc à une autorité concédante de connaître le contenu d’un pli avant son ouverture de sorte qu’il est impossible de savoir ce qui constituerait une offre et ce qui n’en constituerait pas une. Le Code de la commande publique contient une disposition analogue visant les marchés publics à l’article R. 2132-9. Or, le Conseil d’État estime dans cette décision qu’il revient (uniquement) aux autorités concédantes, « de constater que la seconde transmission ne comportait qu’un document et ne pouvait être raisonnablement regardée comme se substituant au dossier de candidature transmis antérieurement ». Une telle exigence nous paraît tout à fait incompatible avec les dispositions de l’article R. 2332-7 précité puisque l’acheteur doit être mis dans l’incapacité de savoir ce que contient un pli avant son ouverture.
La création terminologique accomplie par le pouvoir règlementaire à l’occasion de la transposition de la directive marché en matière de communication électroniques soulève de nombreuses problématiques juridiques variées et passionnantes. En effet, qu’il s’agisse d’interroger la notion de plateforme, la mise en œuvre du RGPD ou encore l’enrichissement du contentieux contractuel, le profil d’acheteur interroge plusieurs branches du droit alors même que son industrialisation est assez récente. Sous réserve de sa préservation par le pouvoir règlementaire, le profil d’acheteur notamment par son caractère interopérable peut être le moyen d’une mutation majeure de la commande publique. S’il est encore un peu tôt pour « amazonifier la commande publique »[53] ce type d’interface favorisera l’émergence de pratiques nouvelles et sécurisées.
[1] Traduction par l’auteur, lien ci-après : E-procurement – Organisation for Economic Co-operation and Development (oecd.org)
[2] Ministère de l’économie, Plan de transformation numérique de la commande publique, 11/12/2017, p. 1, https://www.economie.gouv.fr/files/files/directions_services/commande-publique-numerique/TNCP/Plan-Transfo-Num-CP.pdf?v=1643812405.
[3] Défenseur des droits, Dématérialisation et inégalités d’accès au service public, 2019, https://www.defenseurdesdroits.fr/sites/default/files/atoms/files/rapport-demat-num-21.12.18.pdf ; Défenseur des droits, Dématérialisation des services publics : trois ans après, où en est-on ? , 2022, https://www.defenseurdesdroits.fr/sites/default/files/atoms/files/ddd_rapport-dematerialisation-2022_20220207.pdf.
[4] Code de la commande publique, art. R. 2132-3.
[5] B. Russel, Principia mathematica, Cambridge University Press, 2èmeéd., 1925, vol. 1, p 11, en ligne : https://lesharmoniesdelesprit.files.wordpress.com/2015/11/whiteheadrussell-principiamathematicavolumei.pdf.
[6] Arrêté du 22 mars 2019 relatif aux fonctionnalités et exigences minimales des profils d’acheteurs, JORF, n0 0077, 31/03/2019, texte n° 16.
[7] On peut en outre se reporter à la fiche rédigée par la DAJ détaillant ces fonctionnalités : https://www.economie.gouv.fr/files/files/directions_services/daj/marches_publics/dematerialisation/fiche_profil_acheteur.pdf.
[8] Arrêté du 22 mars 2019 relatif aux fonctionnalités et exigences minimales des profils d’acheteurs, JORF, n0 0077, 31/03/2019, texte n° 16, art. 1 I 5°.
[9] Arrêté du 22 mars 2019 relatif aux fonctionnalités et exigences minimales des profils d’acheteurs, JORF, n0 0077, 31/03/2019, texte n° 16, art. 1 I 6°.
[10] Arrêté du 22 mars 2019 relatif aux fonctionnalités et exigences minimales des profils d’acheteurs, JORF, n0 0077, 31/03/2019, texte n° 16, art. 1 I 8°.
[11] Directive 2014/24/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 février 2014 sur la passation des marchés publics et abrogeant la directive 2004/18/CE Texte présentant de l’intérêt pour l’EEE, JOUE, 28/03/2014, OJ L 94, p. 65-242, §52.
[12] Idem.
[13] Décret n° 2016-360 du 25 mars 2016 relatif aux marchés publics, JORF, n° 74, 27/03/2016, texte n° 28, art. 39.
[14] Il s’agit d’une généralisation d’une obligation partiellement en vigueur pour les centrale d’achat depuis 2017 et pour les marchés d’un certain montant.
[15] Code de la commande publique, art. L. 2132-2.
[16] https://www.cnrtl.fr/definition/profil
[17] LOI n° 2016-1321 du 7 octobre 2016 pour une République numérique, JORF, n° 235, 08/10/2016, Texte n° 1, art. 49.
[18] Proposition de Règlement du Parlement européen et du Conseil relatif à un marché intérieur des services numériques (Législation sur les services numériques) et modifiant la directive 2000/31/CE, art. 2 h).
[19] Idem, art. 2 f)
[20] Idem, §13
[21] Conseil d’État, « Puissance publique et plateformes numériques : accompagner l’ « ubérisation » », Etudes et documents, n° 68, La documentation française, 2017, p. 26.
[22] Idem, p. 36.
[23] Idem.
[24] L. Cluzel-Métayer, « Fasc. 109-24 : procédures administratives électroniques », Jurisclasseur Administratif, 22/03/2013, MAJ 11/07/2019, §2.
[25] M. Hauriou, Précis de droit administratif et de droit public, Sirey, 1921, 10ème éd., p. 746.
[26] CE, 26/01/1973, n° 84769, Commune de Driancourt.
[27] À cela s’ajoute le fait qu’en l’absence d’acte de « labellisation » par voie d’arrêté du pouvoir règlementaire il revient à chaque acheteur de vérifier que la plateforme qu’il utilise est conforme aux exigences de la règlementation.
[28] CJUE, 7 nov. 2019, aff. C-687/17, Aanbestedingskalender BV et a. c/ Royaume des Pays-Bas, note F. Curan, « Les plateformes publiques de passation des contrats de la commande publique ne constituent pas des activités économiques », DA, n° 7, 07/2020, comm. 32 ; Trib. UE, 28 sept. 2017, aff. T-138/15, Aanbestedingskalender BV et a. c/ Royaume des Pays-Bas.
[29] Le terme de recette est usuellement employé dans un contexte de développement d’un outil numérique et désigne une phase de réalisation de tests d’utilisation destinés à mettre en évidence l’existence d’anomalie(s) nécessitant d’être corrigées avant que l’outil ne soit définitivement mis à disposition de ses bénéficiaires, la mise en production.
[30] Arrêté du 22 mars 2019 relatif aux données essentielles dans la commande publique, JORF, n° 0077, 31/03/2019, texte n° 23, art. 1 I.
[31] Code de la commande publique, art. L. 3.
[32] X. Bailly, B. Roman-Sequense, « Des marchés publics désormais passés au scalpel du big data », CMP, 05/2018, n° 5, étude 8 ; L. Cluzel-Métayer, « L’ouverture des données publiques », Le droit administratif au défi du numérique, Dalloz, coll. Thème et commentaires, p. 7-23.
[33] Voir la consultations sur le projet de décret climat et résilience : https://www.economie.gouv.fr/daj/consultation-publique-sur-le-projet-de-decret-dapplication-de-la-loi-climat-et-resilience
[34] La fusion des données de recensement et des données essentielles est confirmée et sera mise en place fin 2022.
[35] Arrêté du 22 mars 2019 relatif aux données essentielles dans la commande publique, JORF, n° 0077, 31/03/2019, texte n° 23.
[36] Idem, art. 4 I.
[37] Idem, art. 4 II.
[38] Idem, art. 2 II.
[39] Idem, art. 6.
[40] Idem, art. 7. Voir : https://www.data.gouv.fr/fr/datasets/donnees-essentielles-de-la-commande-publique-fichiers-consolides/
[41] Voir notamment : Loi n° 2020-105 du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire, JORF, n° 35, 11/02/2020, Texte n° 1 ; Loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, JORF, n° 196, 24/09/2021, Texte n° 1.
[42] Voir : https://datavision.economie.gouv.fr/decp/?view=France
[43] Règlement du Parlement européen et du Conseil n°2016/679 relatif à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, 27/04/2016, JOUE n° L 119, 4 mai 2016.
[44] Règlement du Parlement européen et du Conseil n°2016/679 relatif à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, 27/04/2016, JOUE n° L 119, 4 mai 2016, art. 4 1) ; O. Tambou, Manuel de droit européen de la protection des données à caractère personnel, Bruylant, 01/2020, p. 57-61, la notion de « capacité identifiante » est utilisée ; T. Douville, Droit des données à caractère personnel – Droit de l’Union européenne – Droit Français, Gualino Lextenso, 2021, p.64-65, l’auteur est plus nuancé sur le potentiel identifiant qu’il considère facultatif au profit d’une approche plus objective consistant à considérer comme ayant un caractère personnel toute donnée se rattachant à une personne physique.
[45] Article R. 2384-5 CCP
[46] Code de la commande publique, art. 2511-1.
[47] CE, 23/09/2021, Société Alstom-Aptis, n° 449250, Mentionné dans les tables du recueil Lebon.
[48] F. Curan, « [CHRONIQUE 11/21] Enrichissement du régime applicable aux dysfonctionnements des profils d’acheteur », Le blog droit administratif, 01/11/2021, https://blogdroitadministratif.net/2021/11/01/chronique-11-21-enrichissement-du-regime-applicable-aux-dysfonctionnement-des-profils-dacheteur/ (Consulté le 28/03/2022)
[49] TA Clermont-Ferrand, 24/03/2022, Société Iveco France, n° 2200606.
[50] TA Caen, 28/07/2016, Société Sade, n° 1601353.
[51] CE, 20/12/2021, Société TDS, n° 454801.
[52] Code de la commande publique, art. R. 2151-6.
[53] O. Giannoni, « Faut-il amazonifier la commande publique ? », AJDA, 17/01/2022, n° 1, p. 26.
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