[Chronique 11/21] Enrichissement du régime applicable aux dysfonctionnements des profils d’acheteur
Par François CURAN :: Droit public des affaires
Dans un arrêt rendu le 23 septembre 2021 (n° 2021714) le Conseil d’État, saisi dans le cadre d’un contentieux précontractuel, a tranché un litige déclenché par la remise tardive d’une offre manifestement liée à un dysfonctionnement ayant eu lieu sur la plateforme utilisée pour la mise en concurrence. En effet, la Régie Autonome des Transports Parisiens a rejeté l’offre de la société Alstom-Aptis pour cause de tardiveté à l’occasion d’une procédure négociée destinée à la conclusion d’un accord-cadre de fournitures. En l’espèce, la date limite de remise des offres était fixée à 11h30 le 13 novembre 2020. La société Alstom-Aptis n’ayant pu achever son téléchargement qu’à 12h46, elle a été écartée par l’acheteur qui lui a notifié son rejet le 17 décembre 2020. Par suite, comme le prévoit l’article L. 551-5 du CJA, le juge du référé précontractuel du tribunal administratif de Paris a été saisi le 22 décembre 2020 par l’entreprise évincée. Dans son ordonnance du 15 janvier 2021, le juge a fait droit à la demande de la société Alstom-Aptis en enjoignant à la société RATP de reprendre la procédure au stade de l’analyse des offres, en intégrant l’analyse de celle remise par la société requérante. L’acheteur a par suite formé un pourvoi en cassation contre cette ordonnance à l’occasion duquel le Conseil d’État confirme la position du tribunal administratif de Paris.
Pour rappel, une offre remise hors-délai est éliminée quand bien même elle n’aurait que quelques secondes de retard, comme le prévoit l’article R. 2151-5 du Code de la commande publique (Voir par exemple TA Dijon, 28/12/2018, Société Numericarchive, n° 1803328 pour seulement 25 secondes de retard). Par ailleurs, depuis le 1er octobre 2018, la remise des candidatures et des offres s’effectue obligatoirement par voie électronique sur un profil d’acheteur. Il s’agit d’une plateforme dont les caractéristiques minimales sont définies par un arrêté du 22 mars 2019 relatif aux fonctionnalités et exigences minimales des profils d’acheteurs. Par principe, cette plateforme doit être le seul support des échanges entre opérateurs économiques et acheteurs. Dans la plupart des cas le développement et la maintenance d’une telle plateforme sont externalisés auprès d’un opérateur privé par voie contractuelle. À ce titre, d’importantes obligations de continuité de service et de support sont en principe prévues afin que le recours à une telle plateforme ne constitue pas proprement une difficulté susceptible d’empêcher des entreprises de participer à une mise en concurrence. Malgré cela des incidents peuvent survenir et faire courir un risque important à l’acheteur dont la consultation serait affectée par ces dysfonctionnements.
Dans cet arrêt mentionné aux tables du recueil Lebon, le Conseil d’État s’engage dans une voie de clarification du régime applicable lorsque de tels problèmes surviennent. Le raisonnement proposé paraît reposer sur deux conditions dont l’une est relative au comportement adopté par l’opérateur économique, et l’autre relative au respect par l’acheteur des obligations qui pèsent sur lui au regard de la mise à disposition d’une plateforme.
Du côté de l’opérateur économique, il est attendu qu’il accomplisse « en temps utile les diligences normales attendues d’un candidat pour le téléchargement de son offre » et que « le fonctionnement de son équipement informatique [soit] normal ». Il reste que les opérations couvertes par ces « diligences normales » seront précisées avec le temps. Les tribunaux administratifs ont eu des positionnements variables tenant compte par exemple de la rapidité de prise de contact avec l’assistance de la plateforme (TA Paris, 18/11/2014, sté Swiss Post Solutions n° 1424115) ou encore du temps consacré aux opérations de dépôt avant la date limite de remise des offres (TA Caen, 28/07/2016, sté Sade, 1601353).
Du côté de l’acheteur, il est attendu de sa part qu’il prouve le bon fonctionnement de sa plateforme de dépôt. Dans l’espèce, le Conseil d’État ne revient pas sur l’appréciation des faits qui appartient souverainement au juge du fond, lequel a considéré que la RATP n’apportait pas la preuve de cette absence de dysfonctionnement. Il faut remarquer à ce titre que les deux arguments présentés par la RATP n’ont pas emporté la conviction du Tribunal administratif. La RATP a présenté un fichier faisant état de l’ensemble des connexions sur la plateforme pendant la tranche horaire litigieuse, mettant en évidence une augmentation des connexions sans effet de saturation. En outre, l’acheteur présente le cas d’une entreprise concurrente qui a déposé en six minutes au même moment que la société Alstom-Aptis. Alors que le Tribunal administratif de Paris est indifférent vis-à-vis de ces arguments, certains tribunaux administratifs avaient retenu le critère du concurrent n’ayant pas de difficulté (TA Melun, 06/01/2015, sté Oresys) ou le fait qu’un rapport remis par le prestataire de la plateforme montre l’absence d’effet de saturation au moment du dépôt (TA Dijon, 30/06/2011, Computacenter France).
Le Conseil d’État évoque enfin la copie de sauvegarde dont l’absence de remise par la société Alstom-Aptis semble avoir été présentée par la RATP comme une négligence de la part de l’entreprise soumissionnaire. La copie de sauvegarde est une version de l’offre remise sur support papier ou sur support électronique et transmise par voie postale à l’acheteur auquel elle doit parvenir avant la date limite de remise des offres. Le régime applicable à cette modalité de transmission est fixé dans l’arrêté du 22 mars 2019 fixant les modalités de mise à disposition des documents de la consultation et de la copie de sauvegarde.
La solution proposée marque un excellent point de départ à la clarification du régime applicable aux dysfonctionnements survenant sur les profils d’acheteur. Le Conseil d’État adopte pour le moment une solution qui se veut équilibrée dans les obligations qui pèsent sur les acheteurs et les opérateurs économiques. En effet, le schéma peut se résumer de la façon suivante : dès lors qu’il est établi qu’une entreprise a réalisé les diligences normales attendues et dispose d’un équipement informatique normal alors naît une sorte de présomption (simple) de dysfonctionnement de la plateforme. Il reste alors à l’acheteur la possibilité d’apporter la preuve contraire de l’absence d’incident.
Commentaires
Très intéressant !