[Chronique 09/21] Retour sur un été mouvementé : à propos de la loi n°2021-1040 du 5 août 2021 relative à la gestion de la crise sanitaire
Par François Curan et Louise Guinard :: Chronique mensuelle
Si l’entrée dans la crise sanitaire semble avoir été si soudaine qu’elle n’a pas nécessité de loi éponyme, la sortie organisée par la loi du 5 août 2021 relative à la gestion de la crise sanitaire dispose de son régime propre, dont il est difficile de savoir si l’horizon du normal qu’elle se propose d’atteindre s’éloigne ou s’approche avec le temps.
Le régime de sortie de crise sanitaire devait prendre fin le 30 septembre 2021, d’après la version initiale de la loi n°2021‑689 du 31 mai 2021 relative à la gestion de la sortie de crise sanitaire. Toutefois, face à l’apparition et au développement d’un variant dit « Delta » du SARS-CoV-2, le Gouvernement a souhaité reporter la fin de ce régime de sortie de crise sanitaire et a, à cet effet, adopté un nouveau projet de loi.
Comme le prévoit l’article 39 de la Constitution, le Conseil d’État a été saisi de ce texte, pour avis, le 14 juillet 2021. L’avis a été rendu le 19 juillet et joint, avec l’étude d’impact, au projet de loi déposé par le Premier ministre, le 20 juillet, au bureau de la Présidence de l’Assemblée nationale, en procédure dite accélérée prévue par l’article 45 de la Constitution. Suivant cette procédure, le texte ne fait l’objet que d’une lecture par chambre. Si, au terme de cette lecture, des désaccords persistent entre le Sénat et l’Assemblée, le Premier ministre peut demander la réunion d’une commission mixte paritaire, qui produit alors un texte que le Gouvernement peut transmettre pour approbation aux deux chambres.
Entre le 20 et le 25 juillet, le projet de loi a donc été travaillé par le Parlement. Il a ainsi d’abord été amendé, le 20 juillet, par la Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République de l’Assemblée nationale. Puis il a été discuté en séance publique les 21 et 22 juillet, avec un premier texte adopté en fin de journée du 22. Le texte a ensuite été transmis au Sénat le 23 juillet, où il a été examiné en commission le jour même et adopté en séance publique le lendemain.
Au terme de cette première lecture, les deux chambres ont apporté plusieurs modifications au projet de loi et ont montré quelques désaccords sur certains de ses dispositifs.
Par exemple, le dispositif de placement en isolement automatique des personnes contaminées, tel que prévu par le projet de loi, a été fortement altéré par le travail parlementaire. À ce titre, la Commission des lois de l’Assemblée nationale a ajouté une disposition (article 3) prévoyant la possibilité de transmettre automatiquement les résultats de dépistage aux services préfectoraux, pour structurer les opérations de contrôle du respect de cet isolement. La Commission des lois du Sénat a, quant à elle, fait disparaître cette mesure de placement automatique à l’isolement, au profit d’un « engagement d’isolement », dont le non-respect est sanctionné par une mesure administrative d’isolement (article 4).
Autre exemple, en matière de vaccination obligatoire. Le texte adopté à l’Assemblée nationale prévoyait la suspension des fonctions ou du contrat de travail des professionnels ne fournissant pas, à compter du lendemain de la publication de la loi, les justificatifs requis[1] ou ne satisfaisant pas, à compter du 15 septembre, à leur obligation vaccinale. Il prévoyait également que si, dans un délai de deux mois, les professionnels suspendus ne présentaient pas les justificatifs requis ou ne satisfaisaient pas à leur obligation vaccinale, cela pouvait constituer un motif de rupture du contrat de travail ou de cessation définitive des fonctions (article 7). Devant le Sénat, le dispositif a été nuancé puisqu’il a été décidé que le fait, pour les professionnels concernés, de ne pas fournir les justificatifs requis ou de ne pas respecter l’obligation vaccinale ne pouvait plus donner lieu qu’à la suspension du contrat de travail ou des fonctions (article 7 II). Les mêmes variations ont d’ailleurs été observées pour les professionnels soumis, à compter du 30 août, à la présentation d’un passe sanitaire pour pouvoir exercer leurs fonctions. Le texte adopté à l’Assemblée nationale prévoyait que si le professionnel ne présentait pas de passe sanitaire, cela justifiait la suspension de ses fonctions ou de son contrat de travail. Il était même prévu que cela pouvait emporter, au-delà d’un délai de deux mois, la rupture du contrat de travail ou la cessation définitive des fonctions (article 1 I. 1°). Devant le Sénat, le dispositif a également été nuancé, puisque le licenciement n’était plus prévu que pour les salariés liés par un contrat à durée déterminée ou de mission.
Dès lors, face aux désaccords existants entre l’Assemblée nationale et le Sénat, la Commission mixte paritaire s’est réunie le 25 juillet et a proposé un texte de consensus, adopté le jour même par chacune des chambres. Le placement automatique à l’isolement a ainsi été maintenu par le texte, mais sans transmission automatique des résultats de dépistage aux services préfectoraux. Désormais, le contrôle repose sur une transmission, par les organismes d’assurance maladie, d’une information de suspicion de non-respect de la mesure d’isolement à l’Agence régionale de santé, aux fins de saisine des services préfectoraux compétents pour l’opération de contrôle (article 4 I 5°). Quant à la mesure de licenciement ou de cessation des fonctions pour les professionnels soumis à obligation vaccinale ou au passe sanitaire, elle n’est maintenue que pour les professionnels soumis au passe sanitaire et liés par un contrat à durée déterminée ou de mission (article 1er I 1° b). Enfin, alors que le Gouvernement envisageait initialement de mettre fin au régime de sortie de crise sanitaire le 31 décembre 2021 (article 1er), la date finalement retenue est celle du 15 novembre 2021.
Cela étant, eu égard à l’opposition à laquelle la gestion de la crise sanitaire se heurte depuis plusieurs mois, il apparaissait fort peu probable que la loi soit promulguée sans être soumise au préalable au contrôle du Conseil constitutionnel. C’est donc sans réelle surprise que le Conseil constitutionnel a été saisi de la loi, le 26 juillet, dans les conditions prévues par l’article 61, alinéa 2, de la Constitution. Il a ainsi été saisi par le Premier ministre, ainsi que par un recours de plus de 60 députés et deux recours de plus de 60 sénateurs. Au total, pas moins de 7 articles[2] ont été soumis en tout ou partie à l’examen du Conseil constitutionnel, ainsi que la procédure d’adoption de la loi et de son article 1er. Le Conseil constitutionnel a alors rendu sa décision le 5 août dernier. S’il valide la constitutionnalité de la procédure d’adoption de la loi (§2 à 11)[3] et de son article 1er (§12 à 17), ainsi que l’essentiel des dispositions déférées, il ne manque pas pour autant d’en censurer certaines d’entre elles.
À ce titre, bien qu’ayant validé l’obligation du passe sanitaire pour les salariés ou agents publics y étant soumis (§80 à 87), le Conseil censure les dispositions de l’article 1er (I, 1°, b., al. 19) prévoyant que le défaut de présentation d’un passe sanitaire peut justifier la rupture du contrat à durée déterminée ou de mission d’un salarié, alors que la méconnaissance de l’obligation de présentation d’un passe sanitaire ne peut constituer une cause réelle et sérieuse de licenciement pour un salarié en CDI. Le Conseil retient alors que « le législateur a institué une différence de traitement entre les salariés selon la nature de leur contrat de travail qui est sans lien avec l’objectif poursuivi » (§78) et a, ce faisant, méconnu le principe d’égalité devant la loi.
En outre, le Conseil constitutionnel censure les dispositions de l’article 9 de la loi déférée ainsi que celles, indissociables, du 1° de l’article 7. Pour mémoire, cet article prévoyait la mise à l’isolement des personnes ayant fait l’objet d’un test positif à la Covid-19, pour une durée non renouvelable de dix jours. Les personnes concernées ne pouvaient alors quitter leur lieu d’hébergement qu’entre 10 heures et 12 heures, en cas d’urgence ou de déplacements strictement indispensables, au risque sinon de se voir infliger une sanction pénale. Pour déclarer l’article 9 contraire à la Constitution, le Conseil relève, dans un premier temps, que le placement à l’isolement ainsi prévu « constitue une privation de liberté » (§113) mais que, par ces dispositions, « le législateur a poursuivi l’objectif de valeur constitutionnelle de protection de la santé » (§114). Néanmoins, et dans un second temps, le Conseil retient que, en l’absence d’appréciation portée sur la situation personnelle des individus concernés par la mesure de mise à l’isolement et de décision individuelle fondée sur une appréciation de l’autorité administrative ou judiciaire, « les dispositions contestées ne garantissent pas que la mesure privative de liberté qu’elles instituent soit nécessaire, adaptée et proportionnée » (§117). Dès lors, peu importe qu’il ait été prévu « que la personne placée en isolement puisse solliciter a posteriori un aménagement des conditions de son placement en isolement auprès du représentant de l’État dans le département ou solliciter sa mainlevée devant le juge des libertés et de la détention » (§117).
Du reste, les autres dispositions de la loi ont vu leur constitutionnalité validée, certaines toutefois avec réserves (§54, 95 et 106), et les griefs des députés et sénateurs ont été successivement écartés. Or parmi ces dispositions, figuraient notamment celles – vivement combattues – de l’article 1er prévoyant, d’une part, l’extension du passe sanitaire à certains lieux, établissements, services ou événements et imposant, d’autre part, aux professionnels et exploitants de ces mêmes lieux, établissements, services ou événements de contrôler, sous peine de sanction pénale, la détention par le public des documents y permettant l’accès.
À noter toutefois que l’article 12, listant les professionnels soumis à l’obligation vaccinale, n’a pas vu sa constitutionnalité contrôlée, en l’absence de grief soulevé par le Premier ministre ou d’office par le Conseil[4]. Il n’en demeure pas moins que le Conseil a validé, à l’occasion du contrôle de l’article 14 (§120 à 124), les conditions d’entrée en vigueur de cette obligation vaccinale.
Ainsi et dans le respect de la décision du Conseil constitutionnel, la loi a été promulguée et publiée au JORF, dès le 6 août 2021. Cela ne signifie toutefois pas que la constitutionnalité de la loi ne peut désormais plus être remise en cause. Il est en effet toujours possible de contester, par la voie de la QPC (art. 61-1 C), la constitutionnalité des dispositions de la loi sur lesquelles le Conseil ne s’est pas prononcé, et ce, au regard des droits et libertés que la Constitution garantit.
Depuis la publication de la loi, et non sans hâte, une première partie de ses mesures d’application, dont certaines ont au préalable été soumises à l’avis[5] de la CNIL, a été adoptée. Parmi les différentes mesures d’application adoptées jusqu’ici[6], un décret retient particulièrement l’attention en raison des nombreuses – et non des moindres – mesures qu’il contient. Il s’agit du décret n° 2021-1059 du 7 août 2021 qui prévoit notamment :
– Le passage d’une durée de validité de 48 à 72 heures pour les tests de dépistage négatifs ;
– L’ajout de la possibilité de fonder un passe sanitaire sur un autotest réalisé sous la supervision d’un professionnel de santé habilité ;
– La brève liste des contre-indications à la vaccination contre la Covid-19, permettant la délivrance d’un justificatif faisant office de passe sanitaire ;
– La liste des établissements dont l’accès est désormais soumis à la présentation d’un passe sanitaire ;
– La possibilité pour les professionnels chargés de la vérification du passe sanitaire de recourir à des dispositifs de lecture alternatifs à l’application « TousAntiCovid Verif », dont les conditions d’utilisation devront être fixées par un arrêté des ministres chargés de la santé et du numérique[7].
Il ne reste désormais plus qu’à suivre l’application qui sera faite de ces nouvelles mesures sanitaires qui ont ébranlé l’actualité estivale et marquent, une nouvelle fois, le report d’une potentielle sortie de crise.
[1] Un justificatif de statut vaccinal, un certificat de rétablissement valide, un certificat de contre-indication à la vaccination ou le résultat d’un examen de dépistage virologique négatif.
[2] Les articles 1er, 9 et 12 dans leur ensemble par le Premier ministre sans que ne soit soulevé aucun grief à leur encontre ; certaines dispositions des articles 1er, 7 et 14 ainsi que les articles 2, 9, 8 par les différents recours des députés et sénateurs.
[3] Les numéros renvoient aux différents paragraphes de la décision du Conseil constitutionnel.
[4] Voir, sur ce point, Cons. Const., décision n°2011-630 DC du 26 mai 2011, Loi relative à l’organisation du championnat d’Europe de football de l’UEFA en 2016, Rec. Cons. const. p. 249 ; A.-C. Bezzina et M. Verpeaux, « Carton rouge pour les saisines blanches », JCP G 2011, 912 ; M. Guerini, « De l’articulation des contrôles a priori et a posteriori de constitutionnalité : le cas des saisines blanches », in « Jurisprudence du Conseil constitutionnel », RFDC 2012, n°89, pp. 109-114 ; F. Poulet, « Quel avenir pour les saisines blanches devant le Conseil constitutionnel ? », 2011, Blog droit administratif.
[5] Voir, pour une explication synthétique, https://www.cnil.fr/fr/la-cnil-rend-son-avis-sur-les-evolutions-apportees-par-la-loi-relative-la-gestion-de-la-crise.
[6] L’objet de cette chronique n’est pas de lister de façon exhaustive les différentes mesures d’application de la loi, celles-ci peuvent être retrouvées sur Légifrance, grâce aux différents renvois opérés sous les articles de la loi concernés par les mesures d’application.
[7] Arrêté qui n’est encore qu’à l’état de projet.
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