Quel avenir pour les saisines blanches devant le Conseil constitutionnel ? (commentaire de la décision n° 2011-630 DC du 26 mai 2011)
Par Florian POULET :: Droit et contentieux constitutionnel
Comme on pouvait s’y attendre, la mise en œuvre effective de la question prioritaire de constitutionnalité (QPC) – introduite dans la Constitution par la révision du 23 juillet 2008 et entrée en vigueur le 1er mars 2010 – ne sera pas restée longtemps sans effet sur les modalités concrètes d’exercice du contrôle a priori. La décision n° 2011-630 DC, rendue le 26 mai 2011 par le Conseil constitutionnel, en est l’illustration.
Intervenant sur le fondement de l’article 61, alinéa 2, de la Constitution, cette dernière vient, en effet, consacrer une orientation tout à fait nouvelle du Conseil constitutionnel à l’endroit de ce qu’il est désormais convenu d’appeler les « saisines blanches », c’est-à-dire les lettres par lesquelles les autorités compétentes saisissent ce dernier sans assortir leur recours de la moindre motivation (v. G. DRAGO, Contentieux constitutionnel français, Paris, PUF, coll. Thémis droit, 3e éd., 2011, p. 354 et s.).
Loin d’intéresser directement les règles de la procédure constitutionnelle contentieuse – si tant est qu’une telle expression puisse être valablement employée –, la loi à l’origine de ladite décision portait sur l’organisation en France, à l’horizon 2016, de la 15ème édition du championnat d’Europe de football[1]. Composée de trois articles, elle avait pour objet de permettre et de faciliter l’octroi d’aides à l’ensemble des projets de construction ou de rénovation des enceintes sportives destinées à accueillir le championnat (art. 1 et 2), ainsi que d’autoriser les personnes morales de droit public à recourir à l’arbitrage en cas de conflits nés de la mise en œuvre de ces projets (art. 3).
Adoptée le 22 mars 2011 par l’Assemblée nationale puis, en des termes identiques, par le Sénat le 27 avril 2011, cette loi a été déférée le 4 mai 2011 au Conseil constitutionnel par plus de 60 députés. De manière peu classique mais pas exceptionnelle, la saisine parlementaire ne comportait aucune motivation et se contentait, sans autre précision, de soumettre au juge constitutionnel « l’ensemble du projet de loi[2] relatif à l’organisation du championnat d’Europe de football de l’UEFA en 2016 ».
Après avoir fait observer « que cette saisine ne (soulevait) aucun grief tiré d’une absence de conformité de la loi à la Constitution », le Gouvernement devait conclure au rejet du recours[3]. Cette argumentation, opposée en défense, lui évitait ainsi de se retrouver dans la situation délicate – et dangereuse – consistant à faire les questions et les réponses à la fois – c’est-à-dire, ici, à pointer du doigt certains vices de constitutionnalité potentiels, tout en démontrant leur caractère infondé.
Jusqu’à présent, les saisines blanches présentées dans le cadre du contrôle a priori des lois ordinaires avaient toujours été admises par le Conseil constitutionnel[4] : quelle que soit l’autorité de saisine envisagée, le juge constitutionnel acceptait que la lettre de saisine ne comportât aucun grief[5].
En réalité, cette pratique correspondait parfaitement à la conception que ce dernier avait de son office (dans le cadre du contrôle a priori) : appelé à contrôler la conformité des lois à la Constitution avant leur entrée en vigueur, le Conseil considérait qu’il lui appartenait – une fois saisi – de purger celles-ci de tous leurs vices potentiels, en sorte qu’aucune disposition législative inconstitutionnelle ne puisse intégrer l’ordonnancement juridique sans être préalablement censurée. Au final, le contentieux constitutionnel issu de l’article 61, alinéa 2, devait constituer – dans son entier – un contentieux d’ordre public imposant au Conseil d’agir d’office, indépendamment de l’argumentation éventuellement développée par les autorités de saisine[6]. Le célèbre considérant de principe retenu dans la décision n° 96-386 DC du 30 décembre 1996 pour justifier l’impossibilité de se désister d’une action formée sur ce fondement, exprime avec force cette conception[7].
Bien que certains observateurs aient pu déjà s’interroger sur un éventuel affaiblissement, depuis quelques temps, de la portée des saisines blanches[8], le juge constitutionnel ne s’était encore jamais expressément prononcé sur le devenir et l’utilité future de cette pratique.
En cela, la décision du 26 mai 2011 constitue une réelle évolution dans l’appréhension, par le Conseil, des saisines blanches : tout en permettant à celles-ci d’être sauvegardées dans leur principe (1), la réorientation jurisprudentielle qu’il opère aboutit, cependant, à une restriction inévitable de leur portée (2).
1. Les saisines blanches sauvegardées dans leur principe
Si la pratique des saisines blanches a pu se développer, c’est certes parce qu’elle correspondait parfaitement à l’office du juge constitutionnel, mais également parce que les textes encadrant l’exercice du contrôle a priori n’ont jamais prévu d’obligation expresse de motivation[9]. Ainsi, contrairement au contentieux administratif, les auteurs de saisine ne sont pas tenus, à peine d’irrecevabilité du recours, de mentionner « l’exposé des faits et moyens, ainsi que l’énoncé des conclusions soumises au juge »[10].
Si le Conseil constitutionnel avait donc décidé de mettre fin à la pratique des saisines blanches – implicitement autorisées puisque non expressément prohibées – il aurait dû le faire en usant de son pouvoir jurisprudentiel[11]. Brisant le silence des textes, et ajoutant une nouvelle condition à l’exercice d’un tel recours, il aurait alors constaté au cas présent l’absence de motivation de la saisine et prononcé son rejet sur le terrain de l’irrecevabilité.
Or, tel n’a pas été le cas en l’espèce. Saisi d’une requête vierge, le Conseil ne prononce pas son irrecevabilité, mais procède, au contraire, à l’examen de son mérite ; et, après avoir constaté, d’une part, que « cette loi a été adoptée selon une procédure conforme à la Constitution », d’autre part, qu’ « aucun motif particulier d’inconstitutionnalité ne ressort des travaux parlementaires », il juge que « la loi relative à l’organisation du championnat d’Europe de football de l’UEFA en 2016 est conforme à la Constitution ».
De la sorte, le Conseil constitutionnel paraît dévoiler le raisonnement – en deux temps – qu’il adoptera, dorénavant, en présence de saisines blanches présentées dans le cadre du contrôle a priori :
– dans un premier temps, il s’astreindra à vérifier d’office – et ce, systématiquement[12] – que la procédure au terme de laquelle la loi en cause a été adoptée, respecte les prescriptions constitutionnelles ;
– dans un second temps, il acceptera d’examiner d’office certains vices tenant au fond de la loi, mais seulement dans les cas où ces derniers ressortiraient des travaux parlementaires[13].
Dans ces conditions donc, si le Conseil constitutionnel consacre ici l’introduction d’une modulation dans l’exercice de son pouvoir d’examen d’office des dispositions législatives, il ne condamne pas pour autant l’existence des saisines blanches. Comme le souligne, avec insistance, le commentaire de la décision – publié en même temps qu’elle sur le Site Internet du Conseil – : par cette solution, « le Conseil ne s’est nullement interdit de soulever d’office toute question de constitutionnalité qu’il estimerait nécessaire, même en cas de saisine blanche. Il continuera à examiner la loi, notamment à la lumière des travaux parlementaires, pour soulever d’office toute question susceptible d’affecter la constitutionnalité de la disposition en cause ».
Il reste, cependant, que, tout en sauvegardant l’existence de ces saisines, cette décision conduit à une restriction inévitable de leur portée.
2. Les saisines blanches restreintes dans leur portée
Alors qu’auparavant, les auteurs d’une saisine blanche pouvaient s’attendre à ce que le Conseil constitutionnel examinât d’office la totalité de la loi déférée, ils devront, désormais, compter avec la modulation par ce dernier de son pouvoir d’examen d’office.
Ainsi, dès l’instant où ils souhaiteront voir le Conseil se prononcer sur le contenu de la loi – et non seulement sur la régularité de sa procédure d’adoption –, il leur appartiendra d’invoquer expressément des griefs en ce sens. En l’absence d’une telle motivation, le Conseil se bornera à examiner le respect de la procédure et, le cas échéant, les seuls griefs de fond qui ressortiraient des travaux préparatoires[14].
Sur ce dernier point en particulier, force est de constater que les moyens de fond susceptibles d’être relevés d’office par le Conseil restent et resteront largement indéterminés. La référence aux motifs d’inconstitutionnalité qui ressortiraient des travaux parlementaires, si elle cherche à objectiver – et donc à légitimer – l’intervention discrétionnaire[15] du Conseil constitutionnel, n’apporte en réalité aucune sécurité. La justice constitutionnelle saura en effet, comme ses homologues administrative et judiciaire, retirer ou maintenir le bandeau qu’elle est censée avoir sur les yeux et relever ou non d’office, en fonction de facteurs d’opportunité[16], des griefs ressortant plus ou moins du dossier[17].
En l’espèce, faute pour les députés d’avoir assorti leur saisine d’un quelconque argumentaire contentieux à l’encontre des articles de la loi, le Conseil a considéré que, dans les circonstances de l’espèce, il n’y avait « pas lieu (…) d’examiner spécialement ces dispositions d’office » : par conséquent, si les saisissants s’attendaient à voir le juge statuer sur la validité des mesures envisagées – tels l’élargissement des cas d’éligibilité aux aides publiques pour les projets de construction concernés ou le recours à l’arbitrage par les personnes publiques – ils auraient dû soulever expressément ces points de droit[18].
De cette manière, le Conseil exprime sa nouvelle façon de voir les choses : désormais, le contentieux constitutionnel né à l’occasion du contrôle a priori ne constitue plus, dans son ensemble, un contentieux d’ordre public. Seuls la procédure d’adoption législative et les griefs ressortant manifestement des pièces du dossier – du moins ceux qu’il voudra bien regarder comme tels – seront examinés d’office par lui. Pour le reste, l’initiative reviendra aux saisissants[19].
Au-delà de la perte d’intérêt – relative – qu’elle entraîne à l’endroit des saisines blanches, la décision du 26 mai 2011 peut être regardée comme révélant trois apports potentiels.
En premier lieu, elle pourrait constituer une précision bienvenue quant aux conséquences des décisions rendues par le Conseil constitutionnel – à l’occasion d’une saisine blanche – sur le contrôle a posteriori. Jusqu’à présent en effet – et cela continuera à être le cas –, lorsque ce dernier est saisi d’une saisine vierge et qu’il ne relève d’office aucun motif d’inconstitutionnalité, il conclut en principe, dans son dispositif, à la conformité de la loi dans sa totalité[20]. Or, en venant préciser, comme il le fait en l’espèce, que les dispositions de la loi n’ont pas été « spécialement » examinées d’office, il permet ainsi de préserver la recevabilité future d’une éventuelle question prioritaire de constitutionnalité à l’encontre de la même loi. Faute pour celle-ci d’avoir fait l’objet d’un examen spécial dans les motifs de la décision, la condition posée au 2° de l’article 23-2 de l’ordonnance du 7 novembre 1958[21], sera de ce fait sauvegardée[22].
En deuxième lieu, la décision du 26 mai 2011 pourrait traduire la prise de conscience, de la part du Conseil, de l’existence à l’échelle constitutionnelle d’un système de voies de droit – fût-il sommaire –, entendu comme un ensemble organisé et cohérent de voies de recours[23]. Si l’absence, autrefois, d’un contrôle a posteriori exigeait effectivement du Conseil constitutionnel qu’il examinât et censurât d’office l’ensemble des dispositions contraires à la Constitution, l’introduction de la question prioritaire de constitutionnalité n’impose plus avec autant d’acuité ce contrôle systématique. Aujourd’hui, pour ce qui concerne les griefs relatifs au fond de la loi, le contrôle des textes législatifs en vigueur – désormais possible – offre en quelque sorte au Conseil une session de rattrapage, lui permettant de neutraliser des dispositions (inconstitutionnelles) qui n’auraient pas été dénoncées avant leur promulgation. Et, c’est précisément parce que la QPC, à l’inverse, exclut de son champ d’application les moyens d’inconstitutionnalité relatifs à la procédure législative[24], que le Conseil a maintenu le caractère systématique de son examen à leur égard[25]. La dualité des contrôles – a priori / a posteriori – permet ainsi au Conseil constitutionnel de moduler son examen d’office et d’exiger des saisissants, selon l’aspect considéré, qu’ils invoquent ou non des griefs de constitutionnalité.
En troisième et dernier lieu, cette décision pourrait exprimer de la part du Conseil constitutionnel une rationalisation de ses méthodes juridictionnelles. Habitué – depuis plus d’un an maintenant – à orienter son contrôle en fonction de l’argumentation développée par les justiciables au soutien de leur QPC, le Conseil pourrait, désormais, vouloir transposer cette méthode de travail à l’examen qu’il exerce dans le cadre du contrôle a priori. Ce nouveau réflexe pourrait d’autant plus être adopté par le Conseil que les textes qui lui sont déférés dans le cadre de ce contrôle ne cessent de s’alourdir (90 articles pour la loi n° 2010-1563 du 16 décembre 2010 de réforme des collectivités territoriales ; 200 pour la loi n° 2011-525 du 17 mai 2011 de simplification et d’amélioration de la qualité du droit ; ou encore plus de 110 pour le projet de loi relatif à l’immigration, à l’intégration et à la nationalité définitivement adopté le 11 mai 2011). Demander aux acteurs à l’origine du contrôle a priori de motiver leurs saisines est ainsi de nature à faciliter sa tâche et, partant, à alléger sa charge de travail.
En définitive, la décision rendue le 26 mai par le Conseil constitutionnel traduit l’influence – inéluctable[26] – de la nouvelle procédure QPC sur les conditions d’exercice du contrôle a priori et souligne la tendance plus générale à la juridictionnalisation des saisines formées sur le fondement de l’article 61, alinéa 2, de la Constitution.
Et, si les modalités de ce contrôle conservent encore aujourd’hui certains traits particuliers – liés, en partie, aux contraintes de délais qui pèsent sur ce dernier[27] – il est aujourd’hui difficile de nier le rapprochement toujours plus étroit entre la procédure suivie dans le cadre du contrôle a priori et celle issue du droit commun du procès. La poursuite du déploiement de la QPC ne pourra, semble-t-il, qu’accentuer cette tendance.
Notes
[1] Compétition organisée par l’Union des associations européennes de football et censée rassembler les meilleures équipes masculines européennes.
[2] Le texte en question était, en réalité, issu d’une proposition – et non d’un projet – de loi, déposée le 4 février 2011 par le député Bernard DEPIERRE.
[3] V. les observations du Gouvernement publiées sur le Site Internet du Conseil constitutionnel.
[4] Notons que de telles saisines sont systématiques pour les textes obligatoirement transmis au Conseil constitutionnel sur le fondement du 1er alinéa de l’article 61 de la Constitution (à savoir : les lois organiques, les règlements des assemblées parlementaires et, depuis 2008, les propositions de loi mentionnées à l’article 11 avant qu’elles ne soient soumises au référendum).
[5] Pour des illustrations de saisines blanches remarquées, v. : la décision n° 71-44 DC du 16 juillet 1971, Loi complétant les dispositions des articles 5 et 7 de la loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d’association, Rec. CC, p. 29, à propos d’une saisine blanche du Président du Sénat ; la décision n° 94-343/344 DC du 27 juillet 1994, Loi relative au respect du corps humain et loi relative au don et à l’utilisation des éléments et produits du corps humain, à l’assistance médicale à la procréation et au diagnostic prénatal, Rec. CC, p. 100, à propos d’une saisine blanche du Président de l’Assemblée nationale ; la décision n° 2010-613 DC du 7 octobre 2010, Loi interdisant la dissimulation du visage dans l’espace public, à propos d’une saisine blanche par les présidents des deux chambres à la fois ; ou encore les décisions n° 86-211 DC du 26 août 1986, Loi relative aux contrôles et vérifications d’identité, Rec. CC, p. 120 et n° 95-360 DC du 2 février 1995, Loi relative à l’organisation des juridictions et à la procédure civile, pénale et administrative, Rec. CC, p. 195, pour des saisines blanches de 60 députés ou 60 sénateurs.
[6] V. T. DI MANO, Le Conseil constitutionnel et les moyens et conclusions soulevés d’office, Mémoire de DEA de droit public, préf. de L. FAVOREU, Economica, coll. Droit public positif, 1994.
[7] Décision n° 96-386 DC du 30 décembre 1996, Loi de finances rectificative pour 1996, Rec. CC, p. 154 : « l’effet de la saisine du Conseil est de mettre en œuvre, avant la clôture de la procédure législative, la vérification par le Conseil constitutionnel de toutes les dispositions de la loi déférée y compris de celles qui n’ont fait l’objet d’aucune critique de la part des auteurs de la saisine » (cons. 4).
[8] V., par ex., S. SLAMA, « Décision relative à la loi pénitentiaire : désaveu de la saisine blanche (décision n° 2009-593 DC du 19 novembre 2009) », Blog Combat pour les droits de l’homme, 24 novembre 2009.
[9] Qu’il s’agisse de l’article 61 de la Constitution, de l’ordonnance n°58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ou bien encore des décrets pris en application de cette dernière, tous sont parfaitement silencieux sur ce point.
[10] Code de justice administrative, art. R. 411-1. On notera que la jurisprudence administrative se montre, d’ailleurs, particulièrement stricte dans l’application de cette solution puisqu’elle considère que l’existence éventuelle de moyens d’ordre public – susceptibles donc, d’être relevés d’office par le juge – ne saurait pallier le défaut originel (et non régularisé) de motivation de la requête (v. CE, 25 octobre 1993, Commune de Collonges-sous-Salève, n° 121616).
[11] Celui-là même qui l’a conduit, par exemple, à interdire l’hypothèse d’un désistement en dehors des cas d’erreur matérielle, de fraude ou de vice du consentement (v. décision n° 96-386 DC du 30 décembre 1996, Loi de finances rectificative pour 1996, préc.) ou à exclure la possibilité pour certains auteurs de la saisine de produire, en cours d’instance, des mémoires complémentaires (v. décision n° 2007-557 DC du 15 novembre 2007, Loi relative à la maîtrise de l’immigration, à l’intégration et à l’asile, Rec. CC, p. 360).
[12] C’est, en tout cas, ce que laisse supposer la formulation de la décision.
[13] On notera, à l’inverse de tout à l’heure, l’analogie qui existe ici avec le contentieux administratif puisque comme le rappelle régulièrement le Conseil d’État, il n’appartient au juge administratif de relever d’office un moyen d’ordre public que dans le cas où l’existence de celui-ci ressort des pièces du dossier (v., par ex., CE, 14 novembre 1980, Union départementale des syndicats CGT du Tarn, n° 17172, Rec. CE, p. 422). Autrement dit, et en dehors de l’hypothèse d’un vice entachant la procédure législative, le Conseil constitutionnel ne sera tenu, comme le juge administratif, que de relever les seuls griefs qui ressortent, avec une certaine évidence, des pièces dont il a à sa disposition.
[14] De fait donc, la décision condamne pour l’avenir l’option stratégique, parfois retenue par les parlementaires, consistant à ne pas motiver leur saisine pour laisser au Conseil la plus grande marge de manœuvre possible et accroître ainsi les chances de censure.
[15] Et non plus systématique.
[16] Ainsi que de la volonté du Conseil d’exploiter ou non les « portes étroites » (selon l’expression du doyen Georges Vedel) qui, en l’état actuel du droit, ne bénéficient toujours pas d’un caractère officiel et ne sont donc soumises à aucun encadrement.
[17] On se souvient, par exemple, de la controverse suscitée par le Conseil constitutionnel lorsqu’il a, à l’occasion de sa décision n° 2009-599 DC du 29 décembre 2009, Loi de finances pour 2010, Rec. CC, p. 218, prononcé d’office la censure de la disposition instaurant la contribution carbone. V., à ce sujet, D. CHAGNOLLAUD, « Taxe carbone : une décision sans précédent », entretien publié le 30 décembre 2009 sur le Site Internet du quotidien Le Figaro.
[18] La circonstance que le Conseil constitutionnel ait consacré cette nouvelle appréhension des saisines blanches à l’occasion d’une proposition de loi relativement consensuelle – l’organisation en France de l’Euro 2016 – est, d’ailleurs, particulièrement révélatrice : tel était, semble-t-il, le moyen le moins préjudiciable – vis-à-vis des saisissants – pour opérer le revirement de jurisprudence ainsi souhaité.
[19] On notera, à cet égard, que la solution retenue par le Conseil concernera, selon toute vraisemblance, l’ensemble des autorités de saisine habilitées à mettre en œuvre le contrôle prévu à l’article 61, alinéa 2, de la Constitution. Réserver cette évolution aux seuls parlementaires, sans l’étendre aux autres autorités compétentes (Président de la République, Premier ministre et Présidents des chambres) reviendrait, en effet, à consacrer une inégalité de traitement entre les usagers du service public de la justice constitutionnelle. En revanche, en ce qui concerne les actions exercées sur le fondement de l’article 61, alinéa 1er, de la Constitution, le caractère obligatoire des saisines et l’absence de contrôle a posteriori à l’encontre de ces textes, laissent à penser que l’état de la jurisprudence antérieur au 26 mai, restera applicable tel quel.
[20] V. not. CC, 26 août 1986, décision n° 86-211 DC , Loi relative aux contrôles et vérifications d’identité, préc. et CC, 2 août 1991, décision n° 91-299 DC , Loi relative au congé de représentation en faveur des associations et des mutuelles et au contrôle des comptes des organismes faisant appel à la générosité publique, Rec. CC, p. 124.
[21] Qui réserve la QPC aux dispositions non déjà jugées conformes à la Constitution « dans les motifs et le dispositif » d’une décision du Conseil constitutionnel.
[22] V., sur ce point, CC, 2 juillet 2010, décision n° 2010-9 QPC, Section française de l’Observatoire international des prisons, cons. 3 et 4.
[23] Pour une analyse récente de la notion de système de voies de droit, v. not. A. CIAUDO, L’irrecevabilité en contentieux administratif français, thèse, L’Harmattan, 2009, p. 464-478.
[24] Sauf à ce que la règle de procédure en question puisse être rattachée à l’un des « droits et libertés que la Constitution garantit » (Constitution, art. 61-1).
[25] Pour ces moyens, en effet, l’éventuelle carence des saisissants – résultant du défaut de motivation de la saisine – ne pourrait pas être rattrapée par le contrôle a posteriori. Il subsisterait donc le risque qu’une loi, adoptée en méconnaissance des procédures déterminées par la norme fondamentale, intègre l’ordonnancement juridique sans aucune occasion de censure.
[26] En ce sens, v. P. CASSIA, « Il est temps de faire du Conseil constitutionnel une véritable juridiction », article publié le 17 février 2010 sur le Site Internet du quotidien Le Monde.
[27] On pense, en particulier, à l’absence de communication préalable des griefs relevés d’office (contrairement à ce qu’il en est pour le contentieux administratif – article R. 611-7 du code de justice administrative – et pour le contrôle a posteriori – article 7 du règlement intérieur QPC du 4 février 2010) ou à l’impossibilité – du moins alléguée – de poser des questions préjudicielles à la Cour de justice de l’Union européenne (v. CC, 12 mai 2010, décision n° 2010-605 DC, Loi relative à l’ouverture à la concurrence et à la régulation du secteur des jeux d’argent et de hasard en ligne, cons. 18).
Commentaires
On aura noté l’application de cette nouvelle orientation jurisprudentielle à l’occasion de la décision n° 2011-631 DC du 09 juin 2011, Loi relative à l’immigration, à l’intégration et à la nationalité :
« – SUR LES ARTICLES 73 À 88 :
81. Considérant que les requérants ne formulent aucun grief particulier à l’encontre de ces articles ; qu’il n’y a pas lieu de les examiner d’office ».
très intéressant, merci. Je pense que vous avez raison de constater que le CC ne se cantonne plus qu’au respect de la procédure et à l’examen des travaux parlementaires pour déclarer à priori une loi conforme ou non à la constitution, car ils considèrent la QPC comme une session de "rattrapage", mais pourquoi laisser subsister des dispositions législatives potentiellement constitutionnelles et attendre une occasion qui ne viendra peut être pas de sitôt pour les purger?
Ensuite je trouve que cette décision, en illustrant l’évolution des méthodes de travail du conseil, nécessaire par l’introduction de la QPC (par exemple vous dites que les lois sont de plus en plus longues ce qui en rend plus difficile l’examen) repose la question de la composition de ce Conseil!
merci
@ Benoît :
1. Vous mettez là le doigt sur l’apport principal de cette décision à savoir la nouvelle conception que le Conseil a de son office dans le cadre du contrôle a priori. Auparavant, et sous réserve de quelques récentes décisions laissant présager ce changement de paradigme, le Conseil se donnait pour mission de contrôler d’office l’ensemble de la loi qui lui était déférée. Dorénavant, tel n’est plus le cas : son contrôle sera modulé.
Pour autant, cette décision ne saurait être lue comme traduisant la volonté du Conseil de laisser subsister des dispositions inconstitutionnelles jusqu’au dépôt éventuel d’une QPC. Assurément, son pouvoir de censure d’office demeure.
Elle doit davantage être regardée comme un renversement – partiel – de la charge consistant à pointer du doigt, avant son entrée en vigueur, les vices susceptibles d’entacher la loi. En ce sens, elle consacre une réelle responsabilisation des auteurs de saisines en général et des parlementaires en particulier. C’est à eux désormais que revient le devoir de dénoncer expressément les dispositions litigieuses et de formuler à leur encontre des griefs bien identifiés.
2. Je vous rejoins totalement sur ce point. Les critiques dirigées contre la composition du Conseil sont d’ailleurs de plus en plus relayées et appuyées (voir l’article précité du Pr. P. CASSIA – « Il est temps de faire du Conseil constitutionnel une véritable juridiction » –, mais aussi celui plus récent du Pr. B. FRANCOIS – « La naissance d’une Cour suprême » –, ou encore celui de MM. J. THOMAS et J-P. DEROSIER – « Et si le Conseil constitutionnel devait disparaître le temps d’une QPC ? » –, tous consultables sur le Monde.fr).
La décision n° 2011-630 DC, Euro 2016, ajoute au débat en ce qu’elle met en lumière, effectivement, des considérations pratiques tenant à la capacité objective du Conseil à exercer, dans sa composition et son organisation actuelles, le contrôle de constitutionnalité qui lui revient.
La nouvelle réorientation jurisprudentielle qu’elle consacre repose d’ailleurs davantage sur des nécessités d’ordre pratique (état d’encombrement de son rôle, poids du contentieux QPC, impossibilité d’examiner d’office des textes de plus en plus lourds, faiblesse – en termes d’effectifs – des équipes d’aide à la décision du Conseil…) que sur des choix théoriques bien marqués.
3. En toute hypothèse, les évolutions susceptibles d’intervenir sur le terrain du contentieux constitutionnel restent encore nombreuses. La période qui vient de s’ouvrir risque d’être particulièrement riche en la matière.
Dernier exemple en date : l’adoption ce mardi 21 juin 2011 par le Conseil d’une décision portant modification du règlement intérieur sur la procédure suivie devant lui pour les QPC [Intervention de tiers].
En consacrant expressément la possibilité pour les personnes « justifiant d’un intérêt spécial » d’adresser des observations en intervention relatives à une QPC, cette décision confirme l’effervescence qui agite actuellement la procédure constitutionnelle contentieuse.
Cette modification permet d’imaginer dans l’avenir – par analogie – une institutionnalisation éventuelle des « portes étroites » – qui n’ont, actuellement, qu’un caractère officieux dans le cadre du contrôle a priori –, et démontre en toute hypothèse l’intégration progressive par le Conseil constitutionnel des règles du droit commun du procès.
j’ai bien compris votre réponse sur le principal objectif de ce changement dans la procédure qui est donc (en dehors des causes matérielles) la responsabilisation des parlementaires. Certainement la saisine par les députés ou sénateurs y gagnera en qualité et précision. Vous avez raison de nuancer mon premier commentaire, en effet le conseil garde cependant le pouvoir de censurer d’office une disposition.
Je développe un peu ma critique de la composition du conseil : une refonte s’impose sur un plan pratique, le volume du contentieux constitutionnel devenant toujours plus important (introduction de la saisine par 60 députés ou sénateurs, création du bloc de constitutionnalité, et maintenant QPC) mais aussi sur la qualité des membres qui peut poser problème dans certaines décisions : pas leur compétence (anciens ministres, présidents d’assemblées, président de cour de cassation ou vice président de conseil d’Etat, je ne la discute pas) mais de leur qualité et de la procédure de nomination qui n’en font pas forcément des magistrats indépendants.
En effet j’ai lu sur le site du monde.fr justement je crois, un article revenant sur la qpc posée pendant le procès Chirac qui soulignait que 8 des 11 membres ont des liens directs ou indirects avec lui (soit nommés par lui au conseil, soit dans un même ancien gouvernement ou à la mairie de Paris etc). Certes le cas est ici exceptionnel mais tout de même!
merci