Crise sanitaire du COVID-19 : quel impact sur le fonctionnement des juridictions administratives ?
Par Jean-Baptiste CHEVALIER :: Contentieux administratif
[Dernière mise à jour : le 26/03/2020 à 10:44]
En raison de la crise sanitaire du COVID-19, qui s’est considérablement amplifiée au cours des derniers jours, la vie économique et sociale de notre pays est, comme dans de nombreux pays d’Europe et du Monde, profondément bouleversée. Le fonctionnement des juridictions administratives n’est pas interrompu, mais réduit « au minimum indispensable », toutes les audiences étant suspendues à l’exception des « contentieux essentiels » . L’enregistrement des requêtes est maintenu, mais les délais de procédure susceptibles d’expirer après le 12 mars 2020 ont été prorogés par l’ordonnance n°2020-306 du 25 mars 2020 (cf. sur ce point : La prorogation des délais du fait de l’urgence sanitaire en contentieux administratif, F. Gilbert, BDA).
Après avoir interdit, vendredi 13 mars, « tout rassemblement, réunion ou activité mettant en présence de manière simultanée plus de 100 personnes en milieu clos ou ouvert »[1], le ministre des solidarités et de la santé a, dès le lendemain[2], ordonné la fermeture temporaire de la plupart des établissements recevant du public[3], notamment des restaurants et des débits de boissons, mais aussi des établissements d’accueil des enfants et des établissements d’enseignement scolaire et supérieur.
Ces mesures ont été renforcées et complétées ce dimanche 15 mars, pour prolonger la liste des établissements concernés par la fermeture temporaire[4] et pour permettre aux magasins, centres commerciaux, restaurants et débits de boissons de maintenir leurs activités de livraison, de retraits de commandes et de vente à emporter[5]. Compte tenu de la rapidité de la propagation du virus, ces mesures seront vraisemblablement complétées, au fil des jours, par de nouvelles restrictions.
I. – La fermeture des juridictions, à l’exception des contentieux essentiels
Dans ce contexte, il a évidemment été décidé de réduire autant que possible l’activité des juridictions, et notamment des juridictions administratives.
Par un communiqué publié ce dimanche 15 mars, la ministre de la justice a ainsi annoncé la fermeture des juridictions, à l’exception des « contentieux essentiels »[6].
La ministre a précisé que « les services d’accueil du public seront donc fermés ainsi que les maisons de justice et du droit et les points d’accès au droit », que « les agents de ces services ne recevront plus de public », mais qu’« ils pourront, en revanche, continuer à être joint par téléphone pour répondre aux situations d’urgence ».
II. – La suspension des audiences des juridictions administratives, à l’exception des référés et des audiences d’éloignement
Ces restrictions s’appliquent pleinement aux juridictions administratives, dans lesquelles le « plan de continuité » a été activé ce matin. Toutes les audiences sont reportées, à l’exception des contentieux les plus urgents.
1. En ce qui concerne les tribunaux administratifs, l’accueil physique du public est fermé à compter de ce lundi 16 mars 2020, seule étant maintenue, dans la plupart des tribunaux, une permanence téléphonique et une boite aux lettres.
En ce qui concerne l’activité juridictionnelle, toutes les audiences prévues sont annulées et reportées sine die, à l’exception, d’une part, des référés, et d’autre part, des audiences d’éloignement du territoire (OQTF).
Concernant les référés, on relèvera qu’il semble y avoir encore des différences d’appréciation entre les différents tribunaux. Ainsi par exemple, certains tribunaux ne maintiennent que les seules audiences de référé-liberté (art. L. 521-2)[7], alors que d’autres tribunaux ont pour l’instant décidé de maintenir également les audiences de référé-suspension (art. L. 521-1), de référé-conservatoire (art. L. 521-3), ainsi que les référés contractuels et précontractuels[8]. D’autres tribunaux sont plus évasifs indiquant que ne seront audiencés que les « référés urgents »[9], les recours présentant une « urgence avérée »[10] ou encore que sera maintenu un « fonctionnement minimum de l’activité juridictionnelle »[11].
2. L’activité des cours administratives d’appel sera d’autant plus ralentie, puisque l’appel contre les ordonnances de référé-liberté est formé devant le Conseil d’État, et que les ordonnances de référé-suspension et de référé-conservatoire ne peuvent faire l’objet que d’un pourvoi en cassation, également devant le Conseil d’État.
La plupart des cours administratives d’appel ont ainsi indiqué, hier ou ce matin, que la juridiction étaient fermées et l’ensemble des audiences suspendues, pour une durée indéterminée. Seule la cour administrative d’appel de Bordeaux a précisé que pourraient se tenir « les audiences de référés ou sursis urgents ou celles pour lesquelles un délai de jugement impératif est fixé par la loi ».
3. L’activité du Conseil d’État est également fortement réduite. Par un communiqué publié ce dimanche 15 mars, le Conseil d’État a ainsi indiqué que :
« Dans le cadre de la lutte contre la propagation du Coronavirus COVID-19 conformément aux instructions du gouvernement, le Conseil d’Etat a pris les mesures suivantes :
https://www.conseil-etat.fr/actualites/actualites/arret-des-seances-de-jugement
1. Toutes les séances de jugement sont annulées à l’exception des référés.
2. La présence de personnes aux audiences de référé sera limitée :
a. La présence physique des requérants n’est pas obligatoire (la procédure étant écrite)
b. L’accès du public sera très restreint
3. Les requêtes des personnes physiques et morales de droit privé non représentées par un avocat, devront être déposées via le site internet (www.telerecours.fr) ou par fax au 01 40 20 80 08. ».
III. – Le maintien de l’enregistrement des recours
En revanche, pour l’instant, les tribunaux continuent d’enregistrer les recours, ainsi que les mémoires et les courriers, par l’intermédiaire de l’interface Télérecours.
Les justiciables et leurs conseils peuvent donc continuer de saisir les juridictions administratives, dans le cadre du plan de continuité mis en place.
Compte tenu de ces circonstances exceptionnelles, les délais de procédure, tout comme l’ensemble des délais impératifs (« délais prévus à peine de nullité, caducité, forclusion, prescription, inopposabilité, cessation d’une mesure ou déchéance d’un droit, fin d’un agrément ou d’une autorisation, cessation d’une mesure« ), susceptibles d’expirer après le 12 mars 2020 ont été prorogés par l’ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 relative à la prorogation des délais échus pendant la période d’urgence sanitaire (cf. sur ce point : La prorogation des délais du fait de l’urgence sanitaire en contentieux administratif, F. Gilbert, BDA).
Jean-Baptiste Chevalier
Avocat à la Cour
[1] Arrêté du 13 mars 2020 portant diverses mesures relatives à la lutte contre la propagation du virus covid-19, NOR: SSAZ2007748A, JORF n°0063 du 14 mars 2020.
[2] Par l’arrêté du 14 mars 2020 portant diverses mesures relatives à la lutte contre la propagation du virus covid-19, NOR: SSAZ2007749A, JORF n°0064 du 15 mars 2020.
[3] Salles d’auditions, de conférences, de réunions, de spectacles ou à usage multiple, centres commerciaux, restaurants et débits de boissons, salles de danse et salles de jeux, bibliothèques, centres de documentation, salles d’expositions, établissements sportifs couverts, musées.
[4] Étant ajoutés : Chapiteaux, tentes et structures, établissements de plein air, établissements d’éveil, d’enseignement, de formation, centres de vacances, centres de loisirs sans hébergement.
[5] Arrêté du 15 mars 2020 complétant l’arrêté du 14 mars 2020 portant diverses mesures relatives à la lutte contre la propagation du virus covid-19, NOR: SSAS2007753A, JORF n°0065 du 16 mars 2020.
[6] Sont, à ce titre, maintenues : les audiences correctionnelles pour les mesures de détention provisoire et de contrôle judiciaire, audiences de comparution immédiate, les présentations devant le juge d’instruction et le juge des libertés et de la détention, les audiences du juge de l’application des peines pour la gestion des urgences, les audiences du tribunal pour enfants et du juge pour enfant pour la gestion des urgences, notamment pour l’assistance éducative, les permanences du parquet, les référés devant le tribunal judiciaire visant l’urgence, et les mesures urgentes relevant du juge aux affaires familiales (notamment immeubles menaçant ruine, éviction conjoint violent, les audiences auprès d’un juge des libertés et de la détention civil (hospitalisation sous contrainte, rétention des étrangers), les permanences au tribunal pour enfants, l’assistance éducative d’urgence, les audiences de la chambre de l’instruction pour la détention, les audiences de la chambre des appels correctionnels et de la chambre d’applications des peines pour la gestion des urgences.
[7] Tels que le TA de Nice,
[8] Tels que le TA de Rennes ;
[9] TA de Châlons-en-Champagne, de Montreuil, de Guyane ou de Grenoble, formulation imprécise pouvant laisser penser que seront audiencés les référés-liberté, suspension et conservatoire.
[10] TA de Besançon et de Versailles, ce qui laisse penser que seuls seront audiencés les référés-liberté ;
[11] TA de Nancy.
Commentaires
Intéressant. Trois remarques :
– je crois que le plus souvent les IMR font partie des contentieux prioritaires;
– à l’inverse, les OQTF sans rétention n’en font pas partie
– enfin, pour les référés autres que le référé-liberté, c’est sans doute affaire d’appréciation affaire par affaire. On peut faire du référé-provision ou du référé-mesures utiles en « télétravail » et sans audience. Pour le référé précontractuel, il faut statuer dans les 20 jours de la saisine mais ce délai n’est pas prévu à peine de dessaisissement…
On aurait aussi pu ajouter le contentieux des refus d’enregistrement des candidatures au second tour des municipales mais on en reparlera demain !
Cdt
Il y a aussi le contentieux de l’enregistrement des listes de candidats pour les élections, selon le plan de continuité d’activité. Certes, ce n’est plus applicable aujourd’hui mais c’est dans le PCA.
Ce ne sont pas que les OQTF 96h mais le contentieux des étrangers devant être jugé légalement en moins de 7 jours. Normalement les OQTF sans délai et/ou avec assignation à résidence (comme pour les transferts Dublin) devraient être jugées mais la situation est telle que ne pas juger ces contentieux ne préjudicie pas à la situation des requérants in fine (même si cela peut être compliqué à admettre).
Quant aux référés, normalement, ce ne sont que les référés-liberté mais il est laissé au choix des TA de traiter les référés-suspension qui semblent absolument urgents.
Mais que se passe-t-il en cas de confinement quasi total comme il a été décidé ? Le PCA est -il fait pour cette situation ? Nous le saurons rapidement.
Ce que je note c’est que, avant que le magistrat fasse le choix d’audiencer une affaire ou non, tout repose d’abord sur les agents de greffe qui enregistrent les requêtes, quand même elles soient déposées via Télérecours (sachant que nombre de contentieux dit essentiels le seront par l’horodateur ou La Poste).
J’attends les informations pour la suite…
Bonne journée,
Intéressant d’observer que si la tenue des élections municipales est qualifiée d’essentielle, en revanche la justice n’est essentielle aux citoyens que dans deux cas : dire aux étrangers de quitter le territoire et prononcer des « sursis urgents ».
Je m’éloigne du débat purement technique, mais je ne peux m’empêcher de me demander pourquoi les « commerces de détail de matériaux de construction, quincaillerie, peintures et verres en magasin spécialisé » par exemple, d’après le récent arrêté, seraient plus vitaux à la nation que les cours et tribunaux statuant au nom des citoyens.