Les libertés fondamentales au sens de l’article L. 521-2 du code de justice administrative
Par Caroline LANTERO :: Libertés publiques
Le référé liberté est désormais bien adulte. Alors que les autres référés d’urgence ont considérablement, mais seulement, été toilettés, le référé-liberté a été créé ex-nihilo par la loi n°2000-597 du 30 juin 2000 relative au référé devant les juridictions administratives et a connu plusieurs vagues de succès.
Une première vague en 2001 et 2002, juste après sa création, une seconde vague depuis 2014 avec la forte médiatisation des affaires Dieudonné, Lambert ou encore de l’inutile émoi sur l’interdiction du burkini. Il bénéfice aujourd’hui d’une telle aura que, pour le panache du recours, on en oublie parfois d’actionner des référés plus efficaces (mais moins flamboyants) tels que le référé-suspension de l’article L. 521-1 du code de justice administrative (qui peut être jugé très rapidement si on attire l’attention du juge sur ce point et qui peut être assorti de conclusions à fin d’injonction) ou le référé-conservatoire de l’article L. 521-3 du code de justice administrative, dit « mesures-utiles », qui porte bien son nom. Des référés dont les conditions d’introduction sont surtout nettement moins draconiennes que celles exigées pour le référé-liberté.
Pour mémoire, le dispositif du référé-liberté permet, aux termes des dispositions de l’article L. 521-2 du code de justice administrative et lorsque l’urgence le justifie, de saisir le juge afin qu’il ordonne « (…) toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d’une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public aurait porté, dans l’exercice d’un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale (…) ». L’article précise que le juge statue en 48h, ce qui contribue peut-être, lorsque la situation est grave et que l’urgence semble absolue, à ce qu’il soit saisi par réflexe.
Dans tous les manuels, et dans tous les cours de contentieux administratif, après avoir évoqué les conditions d’urgence, la notion de gravité et d’illégalité manifeste, le fait que le juge statue en 48h mais pas toujours (quelques heures pour l’affaire Dieudonné, six mois pour l’affaire Lambert), et que la condition tenant à ce que la personne publique ait agi dans le cadre de ses pouvoirs a été considérablement aménagée (CE, ord., 23 janv. 2013, Commune de Chirongui, n° 365262), vient ce moment délicat où il faut définir la notion de liberté fondamentale.
Or, il n’y a pas de définition.
Le juge administratif s’interdit de prononcer par principe ; il n’a pas défini de règle générale. La notion de liberté fondamentale est définie de manière casuistique et autonome. Et par « juge administratif », il faut comprendre le Conseil d’Etat qui, seul, dispose de la légitimité pour faire émerger une liberté fondamentale. Les libertés fondamentales nouvelles énoncées par les juges des référés des tribunaux administratifs doivent attendre l’onction du juge d’appel. Elles sont parfois sévèrement retoquées (Affaires des silhouettes de Dannemarie sur le principe d’égalité). Elles sont parfois, en l’absence d’appel, sujettes à interrogation (ex : JRTA de Clermont-Ferrand reconnaissant le principe de confiance légitime entre l’administration et les citoyens), ou maintenues dans les limbes (JRTA de Besançon du 28 août 2018 sur la fraternité : l’arrêté litigieux ayant été abrogé, l’appel est sans objet).
Toutefois, le Conseil d’Etat pourrait bien confirmer, comme libertés fondamentales au sens de l’article L. 521-2 du CJA, le libre exercice de la profession d’avocat et le droit pour un administré d’être accompagné par un avocat dans ses démarches ( TA Cergy Pontoise, Ord., 10 déc. 2020, n°2012496)
Le Conseil d’Etat a fait émerger un grand nombre de libertés fondamentales et a parfois précisé certaines de leurs composantes. La liste réalisée ici tentait de suivre l’actualité jurisprudentielle, et se présentait essentiellement sous forme chronologique. A l’occasion d’une communication sur sa retentissante décision reconnaissant le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé comme une liberté fondamentales (CE, ord., 20 septembre 2022, n° 451129), le Conseil d’Etat a établi sa propre liste, diffusée le 14 octobre 2022. L’occasion de toiletter la nôtre et de la réorganiser (autant que possible) en respectant les libertés fondamentales sources et leurs composantes.
- La liberté d’aller et venir (CE, ord., 9 janv. 2001 Desperthes, n° 228928) et ses extensions/corollaires/implications :
- la liberté de circulation que « l’ordre juridique de l’Union européenne attache au statut de citoyen de l’Union » (CE, Ord., 9 décembre 2014, Mme Pouabem, n°386029);
- la liberté d’accéder à la plage (CE, ord., 26 août 2016, Ligue des droits de l’homme et a. et Assoc. de défense des droits de l’homme-Collectif contre l’islamophobie en France, nos 402742, 402777, Lebon, p. 390);
- le droit de se déplacer en utilisant un moyen de locomotion autorisé (CE, Ord., 30 avril 2020, n° 440179)
- le droit pour un ressortissant français d’entrer sur le territoire français (CE, Ord., 18 août 2020, n°442581).
- Le droit d’asile ainsi que ses corollaires
- la possibilité de solliciter le statut de réfugié (CE, ord. 12 janv. 2001, Mme Hyacinthe et Gisti, n° 229039),
- le droit de demeurer en France le temps nécessaire à l’examen de la demande (CE, ord., 2 mai 2001, Dziri, n°232997),
- la possibilité de solliciter l’asile territorial territorial (qui n’existe plus) (CE, ord., 12 nov. 2001, Farhoud, n° 239792);
- la possibilité de solliciter l’asile à la frontière si la demande n’est pas manifestement irrecevable (CE, 25 mars 2003, M. et Mme Sulaimanov, n° 255237, 255238);
- le droit à des conditions matérielles d’accueil décentes (CE, ord., 23 mars 2009, Min. de l’immigration, de l’intégration, de l’identité nationale et du développement solidaire c/ Gaghiev et Mme Gaghieva, n° 325884, Lebon, p. 789 ; CE, ord., 17 sept. 2009, Salah, n° 331950)
- La libre administration des collectivités locales (CE, sect., 18 janv. 2001, Cne de Venelles, n° 229247, Lebon, p. 18)
- La liberté d’expression des courants de pensée et d’opinion (CE, ord., 24 févr. 2001, Tibéri, n° 230611, Lebon, p. 85 ; CE, ord., 11 janv. 2007, Mme Lepage, n° 300428, au tables p. 865; CE, 6 févr. 2015, Cne de Cournon d’Auvergne, n° 387726) et sa composante :
- La liberté de la presse (en tant que composante de la liberté d’expression et de la liberté de communication des idées et des opinions) (CE, ord., 3 février 2021, J et a., n°448721)
- Le droit de propriété et la libre disposition des biens qui bénéficie aussi au locataire (CE, ord., 23 mars 2001, Sté Lidl, n° 231559, Lebon, p. 154 ; CE, 29 mars 2002, SCI Stephaur, n° 243338 ; CE, 1erjuin 2017, SCI La Marne Fourmies, no 406103, Lebon T.) et sa composante :
- Le libre accès des riverains à la voie publique (CE, ord., 31 mai 2001, Commune d’Hyères-les-Palmiers, n° 234226, Lebon, p. 253).
- Le droit au respect de la liberté personnelle (CE, ord., 2 avr. 2001, de l’Intérieur c/ Consorts Marcel, n° 231965, au Lebon ; CE, ord., 26 avr. 2005, Min. de l’intérieur c/ M’Lamali, no279842: Lebon T. 1033 ; CE, 26 août 2016, LDH et autres – association CCIF, n° 402742, 402777) et sa composante :
- La liberté de pratiquer un sport (CE, Ord., 16 oct. 2020, Stés LC Sport, KC Aix, France active FNEAPL et Movin’, n° 445102)
- La liberté individuelle (CE, 15 oct. 2001, Hamani, n° 238934, 239022)
- Le droit de mener une vie familiale normale (CE, 30 oct. 2001, de l’intérieur c/ Tliba, n° 238211, Lebon, p. 523 ; CE, 4 févr. 2005, Karrer, no261029, Lebon T., p. 1033)
- La liberté du commerce et d’industrie (CE, ord., 12 nov. 2001, Cne de Montreuil-Bellay, n° 239840, Lebon, p. 551)
- La possibilité d’assurer de manière effective sa défense devant le juge (CE , ord., 3 avr. 2002, de l’intérieur c/ Kurtarici, no244686, Lebon T., p. 871, 873 ; CE , ord., 18 sept. 2008, Benzineb, no 320384, Lebon T., p. 861)
- Le droit du patient à donner son consentement (CE, ord., 16 août 2002, Mmes Feuillatey, n° 249552, Lebon, p. 309), et le droit au recueil d’un consentement libre et éclairé du patient aux soins médicaux qui lui sont prodigués CE, ord., 8 sept. 2005, Garde des Sceaux c/ M. Bunel, n° 284803, Lebon, p. 388)
- La liberté de réunion, et son corollaire, le droit pour un parti politique de tenir réunion (CE, ord., 19 août 2002, Front national, Institut de formation des élus locaux, n° 249666, Lebon, p. 311)
- La liberté de se marier (CE, ord., 27 janv. 2003, Bena, no253216, Lebon T., p. 928 (impl.) ; CE, ord., 9 juil. 2014, A, n° 382145)
- Le respect des règles de procédures:
- relatives à la procédure l’extradition (CE, ord., 29 juil. 2003, Peqini, n° 258900, Lebon, p. 344)
- fixées par le code de procédure pénale pour un détenu (CE, ord., 30 juil. 2015, , 392100)
- Le droit de grève (CE, 9 déc. 2003, Mme Aguillon et a., n°262186, Lebon, p. 497)
- La liberté de culte (CE, 7 avr. 2004, Kilicikesen, n° 266085)
- Le secret des correspondances et le libre exercice des mandats par les élus locaux (CE 9 avr. 2004, Vast, no 263759, Lebon, p. 173 ; CE, 11 avr. 2006, Tefaarere, n° 292029, au Lebon)
- La liberté du travail (sol.impl) (CE, 4 oct. 2004, Sté Mona Lisa, n°264310, Lebon, p.362)
- La présomption d’innocence (CE, ord., 14 mars 2005, Gollnisch, n° 278435, Lebon, p. 103)
- L’interdiction du travail forcé ou obligatoire (CE, Ord., 3 mai 2005, Confédération française des travailleurs chrétiens, n° 279999, Lebon T. p. 1034)
- Le libre exercice d’une profession (CE, ord., 15 déc. 2005, Marcon, no288024, Lebon, p. 565)
- Le droit à un recours effectif (CE, 13 mars 2006, Bayrou et a., n° 291118 ; CE, ord., 30 juin 2009, Beghal, n° 328879; CE, Ord, 4 mars 2010, n° 336700, au sujet d’une décision administrative faisant obstacle à l’exécution d’une décision de justice)
- La liberté syndicale (CE, ord., 28 mars 2006, Cne de St-Chély-d’Apcher, no291399, Lebon T., p. 1017 ; CE, ord. 31 mai 2007, Syndicat CFDT Interco 28, n° 298293, Lebon, p. 222) et sa composante: le libre choix d’une formation syndicale (CE, Ord., 21 juin 2019, SAFPTR, n°431713)
- La liberté d’entreprendre (CE, ord., 26 mai 2006, Sté du Yacht-club international de Marina Baie-des-Anges (SYCIM), n° 293501, Lebon, p. 265)
- La liberté de manifestation (CE, 5 janv. 2007, M de l’intérieur c/ Solidarité des français, n° 300311, aux Tables du Lebon)
- La liberté d’association et de réunion (CE, ord., 30 mars 2007, Ville de Lyon, n° 304053 ; CE, ord., 2 mai 2008, Association les Boulogne-Boys, n° 315724)
- Le droit au respect de la vie privée (CE 25 oct. 2007, Mme Y. c/ Conseil national pour l’accès aux origines personnelles (CNAOP), n° 310125, Lebon T., p. 684) et sa composante :
- Le droit à la protection des données personnelles (CE, Ord., 18 mai 2020, La quadrature du net et LDH, n° 440442, 440445)
- Le droit à la scolarisation d’un enfant handicapé (CE, 15 déc. 2010, Ministre de l’éducation nationale de la jeunesse et de la vie associative c/ Epoux Peyrilhe, n° 344729, au Lebon)
- L’intérêt supérieur de l’enfant (CE 4 mai 2011, Ministre des affaires étrangères, n° 348778, T. 1081-1081)
- Le droit au respect de la vie (CE, sect., 16 nov. 2011, Ville de Paris et Sté d’économie mixte PariSeine, nos353172, 353173, Lebon, p. 552 ; CE, 13 aout 2013, de l’intérieur c/ Cne de St Leu, n° 370902)
- Le droit à de ne pas subir de carence caractérisée :
- dans le cadre de l’hébergement d’urgence (CE, 10 févr. 2012, Fofana, n°356456);
- dans l’accès aux traitements et soins les plus appropriés à son état de santé (CE, 13 déc. 2017, Pica-Picard, no 415207, Lebon. T.; pp. 737, 740, 811);
- dans l’aménagement des conditions de passation d’épreuves d’examen ou de concours pour une personne handicapée (CE, ord., 20 sept 2018, Obargui, n° 423727)
- Le droit de ne pas subir une obstination déraisonnable et le droit au respect de la vie (CE, ord., Ass., 14 févr. 2014, Lambert, n° 375081, 375090, 375091 ; CE, 8 mars 2017, Assistance Publique – Hôpitaux de Marseille, n°408146)
- Le droit de ne pas être soumis au harcèlement moral dans la fonction publique (CE, ord., 19 juin 2014, Cne du Castelet, n° 381061, T.)
- Le droit des propriétés des personnes publiques (CE, 9 oct. 2015, Cne de Chambourcy, n° 393895, au Lebon)
- Le droit de ne pas être soumis à des traitements inhumains ou dégradants (CE , ord., 23 nov. 2015, de l’intérieur et Cne de Calais, no394540, 394568)
- La liberté de conscience (CE, ord., 26 août 2016, Ligue des droits de l’homme et a. et Assoc. de défense des droits de l’homme-Collectif contre l’islamophobie en FranceFrance, nos402742, 402777, Lebon, p. 390)
- La liberté de l’enseignement (qui est un PFRLR) (CE, Ord., 31 oct. 2019, de l’éducation nationale, n° 435435).
- La liberté de création artistique et la liberté d’accès aux œuvres culturelles (CE, Ord., 23 déc. 2020, Moreau et a., n° 447698).
- Le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé (CE, ord., 20 septembre 2022, n° 451129)
Mis à jour le 15 octobre 2022
Commentaires
Sur un tout autre plan, même si cela date. aussi : G. Koubi, in Droit et pluralisme, sous la dir. de L. FONTAINE, Nemesis/Bruylant, 2007, p. 313 : « Pluralisme et libertés fondamentales au prisme de l’article L. 521-2 du Code de justice administrative »…
Excellent article. Félicitation à l’auteure. Dense tout en étant agréable à lire.
Merci mon ancien prof de DIP 🙂
La jurisprudence Commune de Montreuil-Bellay ne consacre-t-elle pas également la liberté d’entreprendre et la liberté contractuelle ? Le résumé Legifrance semble clair « La liberté d’entreprendre, la liberté du commerce et de l’industrie qui en est une composante, la libre disposition de son bien par un propriétaire et la liberté contractuelle constituent des libertés fondamentales au sens de l’article L.521-2 du code de justice administrative ». De plus, l’ordonnance indique « Considérant en outre que, pour apprécier le degré de gravité que peut revêtir une atteinte portée à la liberté d’entreprendre, à la libre disposition de son bien par un propriétaire ou à la liberté contractuelle » et ne remet pas en cause la solution du juge du fond en ce qu’il avait consacré explicitement ces libertés…
Ma Chère Consoeur,
attaché sentimentalement au TA de Clermont où je fus affecté dans une autre vie;
à la consultation de la liste des jurisprudences, je constate un manque concernant les droits de la fonction publique;
j’imagine le droit d’un titulaire au regard du recrutement d’un contractuel sur un poste pour lequel il a fait acte de candidature : quelle liberté fondamentale verriez vous en cause ? j’ai une telle hypothèse dans une académie d’outre-mer, où le stage n’a pu se faire en métropole because pandémie, et où la titularisation a été prononcée par ladite académie.
merci de vos lumières
bien confraternellement
Discussion sur une liste des libertés fondamentales figurant sur le site du Conseil d’Etat: https://twitter.com/CarolineLto/status/1580968758671466496
Très bon article disponible gratuitement et actualisé ! Merci.