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06 11 2022

[Chronique 2022/11] Le Conseil d’État donne également son avis sur les réseaux sociaux

Dans la continuité récente d’une série de thématiques très liées au champ numérique le Conseil d’État a intitulé son étude annuelle 2022 « Les réseaux sociaux : enjeux et opportunités pour la puissance publique ». Qu’à cela ne tienne et comme un auteur l’a également remarqué[1], « Si, pendant longtemps, les États ont semblé renoncer à intervenir, laissant à ces plateformes numériques le soin de se réguler elles-mêmes, une telle retenue n’apparaît plus possible aujourd’hui, compte tenu, d’une part, de l’importance qu’elles ont de fait acquise, d’autre part des insuffisances de l’autorégulation, que de multiples dysfonctionnements voire scandales ont récemment mis en lumière »[2]. Si évoquer un retour de l’État a l’allure d’un slogan un peu simpliste il reste que cette étude annuelle exprime, de la part de ses auteurs, la volonté de justifier une réappropriation du cadre normatif des réseaux sociaux. Comme le rappelle le Conseil d’État au début de son étude un tel cadre est loin d’être inexistant. On ne répètera jamais assez que les réseaux sociaux ne sont pas une zone de non droit. Ainsi, le droit pénal et notamment les délits de presse, le droit de la concurrence, le droit de la consommation ou encore le droit électoral ont été l’occasion d’applications dans des contentieux impliquant l’usage d’un réseau social[3].

Au-delà de l’encouragement fait aux administrations d’investir les réseaux sociaux dans le rapport aux usagers[4] le Conseil d’État fait part d’importants éléments de doctrine interprétative dont il sera intéressant de suivre l’éventuelle concrétisation. On peut ainsi relire les propositions formulées au prisme de la compétence contentieuse du Conseil d’État en particulier au regard des principes qu’il serait susceptible de mobiliser dans sa jurisprudence. La proposition n° 2 encourageant la généralisation du recours à certains types de solutions d’identité numérique aux fins de garantir la « fiabilité des échanges sur les réseaux sociaux » pourrait être l’occasion d’un positionnement intéressant du Conseil d’État. En effet, sous réserve de mise en place d’un dispositif par le législateur et le pouvoir règlementaire, il y a de fortes chances que s’opère une mise en balance intéressante entre cet objectif (d’intérêt général ?) de fiabilité des échanges avec des principes comme le droit à la vie privée et la liberté d’expression auxquels risquerait de porter atteinte une telle réduction du pseudonymat. Le fait de promouvoir l’adoption d’une (nouvelle) charte des droits fondamentaux à l’ère numérique (Proposition n° 17) à l’échelon international sera précieux, dès lors qu’adoptée elle passera au crible des règles applicables au sources internationales du droit administratif. Enfin, il est impossible de ne pas garder à l’esprit tous les principes figurant dans le DSA et risquant d’être réappropriés par le Conseil d’Etat, qui plus est s’il est amené à statuer sur des contentieux impliquant des actions de modération de contenus sur des pages d’administrations, tels que l’équité, la transparence, la responsabilité, la notion d’environnement « sûr » (safe), « prévisible » (predictable) et de « confiance » (trusted).

Il y a naturellement un grand nombre de sujets abordés dans ce rapport mais on se permettra d’attirer l’attention sur une notion irriguant l’ensemble de l’étude. L’utilisation métonymique du « pouvoir » pour désigner l’État n’est pas un hasard en ce qu’il s’agit bien de la construction d’un équilibre avec notamment « la puissance des grands réseaux »[5]. L’encadrement normatif de l’activité « d’influence » peut encore être interprétée comme l’encadrement du pouvoir très direct des un(e)s sur les autres par le pouvoir de l’État[6]. On peut analyser de la même manière la volonté d’encourager les procédés par lesquels le « rapport de force » entre utilisateurs et plateformes devraient être « rééquilibré »[7].

            Assurément, le travail de d’analyse opéré par le Conseil d’État profitera à l’action publique plus généralement par la mise à disposition d’un langage et d’une grammaire susceptibles d’être réappropriés par les administrations qui le souhaiteront.


[1] R. Badouard, « Ce que peut l’État face aux plateformes », Pouvoirs, n° 177, 2021, p. 49-58.

[2] CE., « Les réseaux sociaux : enjeux et opportunités pour la puissance publique », Etudes annuelles, 2022, 27/09/2022, avant-propos, p. 10 ou encore p. 293.

[3] Idem, p. 154 et suivantes.

[4] Idem, p. 161 et suivantes.

[5] CE., « Les réseaux sociaux : enjeux et opportunités pour la puissance publique », Etudes annuelles, 2022, 27/09/2022, p. 107

[6] Idem, p. 143.

[7] Idem, p. 15 ; 25.

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