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02 09 2022

[Chronique 2022/09] Une loi Avia bis devant le Conseil constitutionnel ?

Le législateur semblant rejouer la partie de la loi Avia[1], l’entrée en vigueur du règlement (UE) 2021/784 du 29 avril 2021[2] relatif à la lutte contre la diffusion des contenus à caractère terroriste en ligne, pourtant d’application direct, a été l’occasion d’une loi de transposition[3]. Cette loi a été soumise au contrôle du Conseil Constitutionnel dans les conditions de l’article 61 de la Constitution lequel a rendu sa décision le 13 août 2022[4]. On peut rappeler que dans le cas d’une loi de transposition le Conseil Constitutionnel s’astreint à confronter ladite loi avec d’éventuels principes inhérents à l’identité constitutionnelle de la France[5]. Toutefois, le Conseil constitutionnel relève que le règlement susmentionné laisse aux États membres une marge d’appréciation pour trois composantes du régime du retrait des contenus à caractère terroriste à savoir le choix de l’autorité compétente pour prendre une injonction de retrait, les modalités de recours et enfin les caractéristiques des sanctions applicables.

Le règlement faisant l’objet d’une transposition prévoit qu’un fournisseur de service d’hébergement ayant reçu une demande de retrait de contenu estimé à caractère terroriste doit retirer ou bloquer « l’accès à ces contenus dans tous les États membres dès que possible et, en tout état de cause, dans un délai d’une heure à compter de la réception de l’injonction de retrait »[6]. La compétence a été confiée par le législateur à la toute nouvelle autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (ARCOM)[7]. Le législateur a décidé de sanctionner la méconnaissance d’une demande retrait par une amende de 250 000 € et un an d’emprisonnement. Enfin, la loi prévoit qu’un recours devant le juge administratif peut être introduit dans un délai de quarante-huit heures à compter de la notification de la demande de retrait. Le juge se prononce dans un délai de soixante-douze heures.

Le Conseil constitutionnel mobilise trois arguments pour affirmer la conformité à la Constitution du dispositif mis en place.

Tout d’abord, l’objet des mesures de retrait est limité à ceux identifiés comme ayant un caractère terroriste. L’autorité administrative doit de plus motiver « de façon suffisamment détaillée »[8] sa décision. Le règlement européen contient par ailleurs des éléments que l’ARCOM devra prendre en compte puisqu’il précise que « Le matériel diffusé au public à des fins éducatives, journalistiques, artistiques ou de recherche, ou à des fins de prévention ou de lutte contre le terrorisme, y compris le matériel qui représente l’expression d’opinions polémiques ou controversées dans le cadre du débat public, n’est pas considéré comme étant un contenu à caractère terroriste. Il est procédé à une analyse afin de déterminer le véritable objectif de cette diffusion et de vérifier si le matériel est diffusé au public à ces fins »[9]. Une approche subtile est donc exigée du régulateur qui devra démêler les contenus authentiquement terroristes, de contenus humoristiques ou scientifiques. Inversement, l’approche peut être encore complexifiée en interrogeant le cas de contenus faussement humoristiques ou jouant de certains codes scientifiques et masquant en réalité un caractère terroriste.

Par suite, le nouveau recours prévu par le législateur est jugé satisfaisant par le Conseil constitutionnel. En effet, les délais très brefs prévus sont de nature à permettre une protection suffisante de la liberté d’expression permettant la restauration rapide d’un contenu retiré.

Enfin les modalités de sanction sont jugées équilibrées par le Conseil Constitutionnel car les hypothèses justifiant de ne pas caractériser de manquement à la demande de retrait sont satisfaisantes. En effet, le fournisseur de service ne saurait être sanctionné dès lors que l’absence de mise en œuvre du retrait résulte d’un « cas de force majeure, d’une impossibilité de fait qui ne lui est pas imputable ou des erreurs manifestes ou de l’insuffisance des informations que l’injonction contient »[10].

Cette activité de l’ARCOM est à suivre car elle façonnera, par l’équilibre qu’elle construira au fil de ses décisions, pour une part importante les conditions de l’exercice de la liberté d’expression dans les espaces numériques. Par ailleurs, par ses similitudes avec le dispositif d’Oversight board mis en place par Facebook il y aura une série de comparaisons intéressantes à établir. Enfin, le dispositif mis en place en matière terroriste connaîtra certainement des déclinaisons avec l’entrée en vigueur du Digital service Act qui contient un volet important sur le rôle des fournisseurs de services d’hébergement dans la régulation de l’information diffusée au public[11].


[1] LOI n° 2020-766 du 24 juin 2020 visant à lutter contre les contenus haineux sur internet, JORF n° 0156, 25/06/2020, texte n°1. On peut rappeler brièvement que cette loi avait été largement vidée de sa substance par une décision n° 2020-801 DC rendue par le Conseil constitutionnel le 18 juin 2020.

[2] Règlement (UE) 2021/784 du parlement européen et du conseil du 29 avril 2021 relatif à la lutte contre la diffusion des contenus à caractère terroriste en ligne, JOUE, 17/05/2021, L 172/79, art. 24.

[3] Loi n° 2022-1159 du 16 août 2022 portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne en matière de prévention de la diffusion de contenus à caractère terroriste en ligne, JORF n° 0189, 17/08/2022, texte n° 3.

[4] Cons. Const., décision n° 2022-841 DC du 13 août 2022 Loi portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne en matière de prévention de la diffusion de contenus à caractère terroriste en ligne, JORF n° 0189, 17/08/2022, texte n° 6.

[5] Voir par exemple la décision n° 2021-940 QPC du 15 octobre 2021 Société Air France qui avait été l’occasion pour le Conseil constitutionnel déterminer le premier principe inhérent à l’identité constitutionnelle de la France de sa jurisprudence.

[6] Règlement (UE) 2021/784 du parlement européen et du conseil du 29 avril 2021 relatif à la lutte contre la diffusion des contenus à caractère terroriste en ligne, JOUE, 17/05/2021, L 172/79, art. 3, § 3.

[7] Loi n° 2021-1382 du 25 octobre 2021 relative à la régulation et à la protection de l’accès aux œuvres culturelles à l’ère numérique, JORF n° 0250, 26/10/2021, texte n° 2, article 1.

[8] Cons. Const., décision n° 2022-841 DC du 13 août 2022 Loi portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne en matière de prévention de la diffusion de contenus à caractère terroriste en ligne, JORF n° 0189, 17/08/2022, texte n° 6, § 14.

[9] Règlement (UE) 2021/784 du parlement européen et du conseil du 29 avril 2021 relatif à la lutte contre la diffusion des contenus à caractère terroriste en ligne, JOUE, 17/05/2021, L 172/79, art. 1, § 3.

[10] Cons. Const., décision n° 2022-841 DC du 13 août 2022 Loi portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne en matière de prévention de la diffusion de contenus à caractère terroriste en ligne, JORF n° 0189, 17/08/2022, texte n° 6, § 18.

[11] Voir notamment articles 8 et suivant de la Proposition de RÈGLEMENT DU PARLEMENT EUROPÉEN ET DU CONSEIL relatif à un marché intérieur des services numériques (Législation sur les services numériques) et modifiant la directive 2000/31/CE, en ligne : https://eur-lex.europa.eu/legal-content/fr/TXT/?qid=1608117147218&uri=COM%3A2020%3A825%3AFIN

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