Le blog Droit administratif

Aller à l'accueil | Aller à la table des matières |
03 02 2022

Le passe vaccinal et le Conseil constitutionnel, nouvel épisode de la crise sanitaire

Telle une série télévisée, la crise sanitaire n’a de cesse de donner lieu à de nouveaux épisodes, toujours plus riches en rebondissements, et dont le dernier en date remonte au mois de janvier. Au cœur de l’intrigue, la mise en place d’un « passe vaccinal » qui se substitue en grande partie au « passe sanitaire », vieux d’alors seulement quelques mois[1].

L’adoption par le Parlement du projet de loi prévoyant la mise en place du passe vaccinal s’est déroulée dans un climat relativement tendu, notamment à la suite de la divulgation, début janvier, de propos provocateurs tenus par le chef de l’État, attisant alors la colère de l’opposition et emportant le report du vote du texte à l’Assemblée nationale en première lecture.

Le texte de la loi renforçant les outils de gestion de la crise sanitaire et modifiant le code de la santé publique sera toutefois définitivement adopté au Parlement le 16 janvier.

En dépit du retard accumulé, la sensibilité de l’objet du texte, instituant notamment un nouvel outil – le passe vaccinal – pour la gestion de la crise sanitaire, rendait la saisine a priori du Conseil constitutionnel inévitable, afin qu’il se prononce sur la constitutionnalité de la loi préalablement à sa promulgation.

Ce fut chose faite le 17 janvier, avec la saisine du Conseil par au moins 60 députés et 60 sénateurs, conformément à l’article 61, alinéa 2.

Dans le cadre de sa saisine, les députés et sénateurs ont alors soumis au contrôle du Conseil constitutionnel certaines dispositions de l’article 1er de la loi ainsi que celles de l’article 16, traitant respectivement de la mise en place du passe vaccinal et des systèmes d’informations mis en œuvre pour lutter contre l’épidémie.

Ne souhaitant pas perdre davantage de temps face à un calendrier de promulgation du texte déjà retardé, le Premier ministre a demandé au Conseil constitutionnel de statuer conformément à la procédure d’urgence prévue à l’article 61, alinéa 3, qui permet de réduire à une semaine le délai d’un mois accordé au Conseil pour rendre sa décision.

Par une décision du 21 janvier dernier, le Conseil constitutionnel reconnaît, pour l’essentiel, la constitutionnalité des dispositions dont il a été saisi, avec toutefois deux réserves d’interprétation et une censure concernant certaines dispositions de l’article 1er de la loi.

La première réserve d’interprétation concerne les dispositions de l’article 1er qui offrent la possibilité au Premier ministre d’imposer, pour les activités qui ne permettent pas d’assurer la mise en œuvre de mesures de nature à prévenir la propagation du virus, la présentation du résultat d’un test de dépistage virologique négatif en plus d’un justificatif de statut vaccinal. S’il valide sur le principe ces dispositions, au regard de la liberté d’aller et venir, le Conseil constitutionnel considère néanmoins qu’elles ne peuvent pas s’appliquer aux transports publics interrégionaux pour les déplacements de longue distance.

La seconde réserve d’interprétation concerne la possibilité de demander, pour les personnes et services autorisés à contrôler la détention d’un passe vaccinal ou sanitaire, la présentation d’un document officiel accompagné d’une photo d’identité, en cas de doute sur le fait que le document présenté au titre du passe se rattache bien à la personne qui le présente. Sur ce point, afin d’assurer le respect du principe d’égalité devant la loi, le Conseil constitutionnel considère que la mise en œuvre de ce contrôle ne peut se faire sur la base de critères discriminatoires.

Enfin, la censure opérée par le Conseil constitutionnel concerne la faculté offerte à une personne responsable de l’organisation d’une réunion politique d’en soumettre l’accès à la présentation d’un passe sanitaire, par dérogation à la compétence de principe du Premier ministre. Pour censurer les dispositions litigieuses, le Conseil commence par relever que par cette mesure, permettant de soumettre l’accès à certains lieux à risques pour la propagation du virus à la présentation d’un passe sanitaire, le législateur a poursuivi l’objectif de valeur constitutionnelle de protection de la santé. Néanmoins, alors que la loi précise les conditions dans lesquelles le Premier ministre peut subordonner l’accès à certains lieux à la présentation d’un passe sanitaire ou vaccinal, concernant la faculté offerte à l’organisateur d’une réunion politique, le Conseil relève que « les dispositions contestées n’ont soumis l’édiction de telles mesures par l’organisateur de la réunion politique ni à la condition qu’elles soient prises dans l’intérêt de la santé publique et aux seules fins de lutter contre l’épidémie de covid-19, ni à celle que la situation sanitaire les justifie au regard de la circulation virale ou de ses conséquences sur le système de santé, ni même à celle que ces mesures soient strictement proportionnées aux risques sanitaires encourus et appropriées aux circonstances de temps et de lieu ». Dès lors, il considère qu’il n’y a pas de conciliation équilibrée entre l’objectif de valeur constitutionnelle de protection de la santé d’une part, et les droits au respect de la vie privée et d’expression collective des idées et des opinions d’autre part.

Du reste, le Conseil constitutionnel souligne que les dispositions de la loi qui lui sont soumises opèrent une conciliation équilibrée entre l’objectif de valeur constitutionnelle de protection de la santé et la protection des droits et libertés constitutionnellement garantis. Il relève en effet que les atteintes portées aux droits et libertés constitutionnellement garantis par les mesures en cause sont justifiées par l’objectif de valeur constitutionnelle de protection de la santé et sont entourées de garanties suffisantes, tenant notamment à la limitation de leur durée au 31 juillet 2022 et à la circonscription de leur champ d’application aux lieux et activités présentant un risque particulier de diffusion du virus.

Quoi qu’il en soit, la décision du Conseil constitutionnel ne va pas sans poser question, et il convient de s’arrêter ici sur un point en particulier : celui relatif à l’affirmation de l’absence d’obligation vaccinale en dépit de la mise en place du passe vaccinal (§18).

Sur ce point, le Conseil constitutionnel considère que la possibilité offerte par la loi aux pouvoirs publics de subordonner l’accès à certains lieux à la présentation d’un justificatif de statut vaccinal ne conduit pas, « eu égard à la nature des lieux et des activités qui y sont exercées », à instituer une obligation vaccinale.

Or dans sa décision du 5 août 2021, validant le principe du passe sanitaire pour l’accès à ces mêmes lieux, le Conseil avait reconnu que les dispositions en cause n’instauraient « ni obligation de soin ni obligation de vaccination », et ce, parce que « les obligations imposées au public [pouvaient] être satisfaites par la présentation aussi bien d’un justificatif de statut vaccinal, du résultat d’un examen de dépistage virologique ne concluant pas à une contamination ou d’un certificat de rétablissement à la suite d’une contamination ».

Cependant, dans sa décision du 21 janvier, pour reconnaître que n’est pas instaurée d’obligation vaccinale, le Conseil constitutionnel ne se fonde plus sur le fait que plusieurs moyens sont offerts au public en dehors de la vaccination pour accéder aux lieux soumis à la présentation d’un passe, mais plus sobrement « à la nature des lieux et activités en cause ». Dès lors, si l’on suit la logique du Conseil, l’absence d’obligation vaccinale ne découle désormais plus de la diversité des moyens offerts aux individus en dehors de la vaccination pour accéder à ces lieux, mais du caractère « non indispensable » de cet accès. Or parmi ces lieux et activités, outre les activités de loisirs, de restauration ou de débit de boissons, figurent notamment les transports publics interrégionaux[2], les foires et salons professionnels, pourtant nécessaires à l’exercice de certaines activités professionnelles. N’en déplaise au Conseil, qui soutient vraisemblablement ici l’Exécutif à l’origine du projet de loi, on tend tout de même à se rapprocher d’une obligation vaccinale qui ne dit toutefois pas son nom.


[1] Le passe sanitaire a été institué par la loi du 31 mai 2021 relative à la gestion de la sortie de crise sanitaire et conduit à subordonner l’accès de certains lieux, services ou événements à la présentation d’un schéma vaccinal complet, d’un résultat de test de dépistage négatif, d’un certificat de rétablissement ou encore d’un certificat de dérogation à la vaccination. Quant au passe vaccinal, il a vocation à soumettre l’accès à certains lieux, services ou événements à la présentation d’un schéma vaccinal complet, d’un certificat de rétablissement ou d’un certificat de dérogation à la vaccination.

[2] Qui bénéficient certes d’une dérogation au passe vaccinal en cas d’urgence et de « motif impérieux d’ordre familial ou de santé », néanmoins ces cas n’ont vocation à jouer que de façon extrêmement réduite.

Commentaires

illiassov dit :

bonjour, merci de cet intéressant commentaire de décision… cela fait longtemps que je cherchais une lecture « purement » juridique
en tout cas, sans se limiter à cela du coup, il y a effectivement une grande question dans le paragraphe suivant : »Quoi qu’il en soit, la décision du Conseil constitutionnel ne va pas sans poser question, et il convient de s’arrêter ici sur un point en particulier : celui relatif à l’affirmation de l’absence d’obligation vaccinale en dépit de la mise en place du passe vaccinal (§18). »

et sur ce, j’avoue que je suis vite retombé sur les articles « non purement » juridique et surtout « non cohérents » les uns vis à vis des autres :

voici la meilleure illustration (lien plus bas), un 1er article… puis un 2nd qui débute ainsi

« L’article de Philippe Ségur consacré à la licéité de l’obligation vaccinale anti-covid
publié par la RDLF (2021 chron. n°20) a suscité des nombreuses réactions dans
et en dehors de la communauté des juristes. Il a eu un écho important dans la
mouvance hostile au pass sanitaire voire à la vaccination. Deux spécialistes de
droit de la santé et de santé publique, Caroline Lantero et David Braunstein,
proposent ici une autre lecture du droit applicable à la vaccination et s’inscrivent
en faux avec les analyses du professeur perpignanais. »

Merci donc de votre article/commentaire et au plaisir d’en lire d’autres

v.i

» Sur la licéité d’une obligation vaccinale anti-Covid …
http://www.revuedlf.com/droit-administratif/sur-la-liceite
Quatre vaccins anti-covid sont aujourd’hui autorisés en France : le vaccin Moderna, le vaccin Pfizer & BioNTech (nom de marque : Comirnaty), le vaccin Astrazeneca (nom de marque : Vaxzevria) et le vaccin Johnson & Johnson (nom de marque : Janssen). La vaccination – technique médicale consistant à inoculer une substance capable de …

SUR LA LICÉITÉ D’UNE OBLIGATION VACCINALE ANTI-COVID – 2.
https://www.seban-associes.avocat.fr/wp-content/uploads/2021/0… · Fichier PDF
Cet article se penchait p ourtant avec pertinence (mais avec un biais) sur la question de la licéité d’une obligation vaccinale an ti-Covid-19 a lors que la question faisait son entrée dans le débat

Cointet Nice dit :

Fort heureusement, espérons que ce mauvais feuilleton arrive enfin à son terme.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.