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03 01 2022

[Chronique 01/2022] Nouvel acte d’une guerre des juges qui n’aura pas lieu

L’idée s’est répandue rapidement dans la presse grand public[1] que le juge de l’Union européenne était intervenu pour assujettir les militaires au droit du travail applicable à tous les salariés. Dans la continuité d’une décision rendue le 15 juillet dernier par la Cour de justice de l’Union Européenne[2], le Conseil d’État s’est prononcé dans l’espèce chroniquée, tout en subtilité, sur l’applicabilité de la Directive 2003/88/CE du 4 novembre 2003 concernant certains aspects de l’aménagement du temps de travail à la gendarmerie départementale[3]. Naturellement, la solution n’est pas aussi simple qu’un assujettissement pur et simple des militaires au code du travail français. Si cette brève chronique ne peut être l’occasion d’un commentaire détaillé, elle peut tout du moins être le support d’un rappel de quelques éléments structurants de la décision M. Q. rendue en assemblée le 17 décembre 2021.

Le contentieux a été enclenché à la suite d’une phase non contentieuse ayant consisté en une demande formulée par un gendarme au Ministère de l’Intérieur tendant à ce que son temps de travail soit mis en conformité avec la directive susmentionnée, prévoyant que celui-ci devait être limité à quarante-huit heures sur une période de sept jours. Un refus a été adressé au gendarme par l’intermédiaire du directeur général de la gendarmerie nationale. À l’occasion du recours pour excès de pouvoir introduit, les Ministres de l’Intérieur et de la Défense opposent qu’une annulation du refus, en vue d’une mise en conformité de l’aménagement du temps de travail des militaires à la directive 2003/88/CE, entrainerait une violation de garanties constitutionnelles telles que la libre disposition de la force armée ou l’indépendance de la Nation.

Le Conseil d’État prend soin de rappeler les termes de la théorie de la protection équivalente, avant de présenter la démarche qu’il entend suivre dans le cas très particulier qui lui est soumis au paragraphe 17. Le raisonnement peut être découpé en quatre étapes. Tout d’abord, il revient au juge administratif de vérifier précisément que l’activité visée entre bien dans le champ de la directive 2003/88/CE. Une fois cela confirmé, il convient de caractériser, le cas échéant, l’incompatibilité entre les prescriptions de la Directive et l’état du droit applicable à l’aménagement du temps de travail des gendarmes départementaux. Dans ce cas uniquement, le juge administratif doit s’assurer que l’application du droit de l’Union européenne se fait dans la mesure où elle ne prive pas « de garanties effectives l’exigence constitutionnelle de nécessaire libre disposition de la force armée, aux fins d’assurer la sauvegarde des intérêts fondamentaux de la Nation ». Enfin, le juge administratif décide s’il convient d’écarter la méconnaissance du droit du droit de l’Union.

Dans la mise en œuvre de ce raisonnement, le Conseil d’État évite cependant une discussion le conduisant sur le terrain du conflit entre bloc de Constitutionnalité et droit de l’Union européenne en ne dépassant pas la première étape décrite auparavant.

Le paragraphe 15 est l’occasion d’une distinction opportune lui permettant d’éviter une discussion sur la compatibilité de la directive avec la Constitution. En effet, le Conseil d’État, reprenant la jurisprudence de la CJUE[4], restitue avec précision les différentes activités assurées par les gendarmes départementaux, de sorte que seulement certaines sont susceptibles de relever du champ de la Directive 2003/88/CE. Le Conseil d’État estime ainsi que « ne sauraient relever du champ d’application de la directive du 4 novembre 2003 les activités des militaires intervenant dans le cadre d’une opération militaire, de leur formation initiale, d’un entraînement opérationnel, ainsi que celles qui présentent un lien d’interdépendance avec des opérations militaires et pour lesquelles l’application de la directive se ferait au détriment du bon accomplissement de ces opérations », précisant au paragraphe 44 que sont visées notamment les activités menées « en cas de circonstances exceptionnelles ». Ainsi, pour les activités concernées par le champ de la Directive 2003/88/CE, le Conseil d’État reprend rigoureusement les modalités d’organisation du temps de travail, notamment en matière d’astreintes et de droit au repos, constatant ainsi que le temps de travail imposé à la gendarmerie départementale n’excède pas les quarante-huit heures fixées par la Directive 2003/88/CE.

La solution a de quoi apaiser les inquiétudes boulangistes, la Cour de Justice de l’Union Européenne n’est pas à accabler pour les difficultés rencontrées par le service public des armées.


[1] Par exemple : https://www.valeursactuelles.com/politique/la-cour-de-justice-de-lunion-europeenne-somme-larmee-francaise-de-moins-travailler/ ou encore https://www.lexpress.fr/actualite/monde/europe/pourquoi-un-arret-europeen-sur-le-temps-de-travail-de-l-armee-suscite-la-colere-de-la-france_2155217.html

[2] CJUE, 15 juillet 2021, B.K. c/ Republika Slovenija (Ministrstvo za obrambo), aff. C‑742/19.

[3] Directive 2003/88/CE concernant certains aspects de l’aménagement du temps de travail, JOUE L 299/9, 18/11/2003.

[4] CJUE, 15 juillet 2021, B.K. c/ Republika Slovenija (Ministrstvo za obrambo), aff. C‑742/19.


[1] CJUE, 15 juillet 2021, B.K. c/ Republika Slovenija (Ministrstvo za obrambo), aff. C‑742/19.

[2] Directive 2003/88/CE concernant certains aspects de l’aménagement du temps de travail, JOUE L 299/9, 18/11/2003.

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