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03 12 2021

Étrangère au pouvoir du juge administratif, l’abrogation, pourquoi le serait-elle ?

Le 19 novembre 2021, le Conseil d’État a fait évoluer l’office du juge de l’excès de pouvoir, consacrant la possibilité pour ce dernier d’être saisi de conclusions subsidiaires tendant à l’abrogation d’un acte réglementaire devenu illégal, sur lesquelles il statue alors au regard des règles applicables et des circonstances prévalant à la date de sa décision. Ce nouveau pouvoir, qui est spécialement aménagé, renforce le recours pour excès de pouvoir dirigé contre les actes réglementaires.

Comme l’injonction, l’abrogation aurait pu être l’objet d’une exclamation naïve du Huron : « Ne me dites pas qu’elle est par nature étrangère aux pouvoirs du juge ! » (J. Rivero, « Nouveaux propos naïfs d’un Huron sur le contentieux administratif », EDCE, 1979-1980, p. 28). Mais comme l’injonction avec, en particulier, la loi du 8 février 1995, l’abrogation est aujourd’hui assimilée par le juge administratif en son office. En effet, le 19 novembre 2021, dans son arrêt Association ELENA et autres, la Section du contentieux du Conseil d’État a fait évoluer l’office du juge de l’excès de pouvoir, consacrant la possibilité pour ce dernier d’être saisi de conclusions subsidiaires tendant à l’abrogation d’un acte réglementaire devenu illégal, sur lesquelles il statue alors au regard des règles applicables et des circonstances prévalant à la date de sa décision (CE Sect., 19 nov. 2021, Association ELENA et a., req. n° 437141 et 437142 (sera publié au recueil Lebon)). Cet arrêt appelle, à ce titre, des commentaires particuliers relatifs à l’office du juge de l’excès de pouvoir, et ce, indépendamment du simple intérêt de la décision du point de vue du droit des étrangers.

En l’espèce, les associations requérantes, notamment ELENA France et Ardhis, ont demandé l’annulation pour excès de pouvoir de la délibération du 5 novembre 2019 par laquelle le conseil d’administration de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides a fixé la liste des pays considérés comme étant des pays d’origine sûrs. En cours d’instruction de leurs requêtes, elles en ont également demandé l’abrogation en ce qui concerne l’Arménie, la Géorgie et le Sénégal. Par une décision du 2 juillet 2021, le Conseil d’État statuant au contentieux a, d’une part, annulé pour excès de pouvoir cette délibération en tant qu’elle a maintenu sur la liste les Républiques du Bénin, du Sénégal et du Ghana, d’autre part, renvoyé à la section du contentieux, sur le fondement de l’article R. 122-7 du code de justice administrative (CJA), le jugement des conclusions à fin d’abrogation ainsi que tendant au versement d’une somme au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du CJA, et, en conséquence, sursis à statuer sur ces conclusions. Elle a, enfin, rejeté le surplus des conclusions des requêtes (CE, 2 juill. 2021, Association ELENA et a., req. n° 437141 et 437142 (sera mentionné aux tables du recueil Lebon)).

Les questions justifiant l’examen de l’affaire par la Section du contentieux étaient au nombre de deux. Des conclusions tendant à l’abrogation d’un acte administratif sont-elles recevables devant le juge de l’excès de pouvoir ? Si oui, à quelles conditions ? À ces deux questions, le Conseil d’État répond par la positive en quatre considérants « sur l’office du juge de l’excès de pouvoir » (V., pour la première fois, CE Ass., 19 juill. 2019, Association des Américains accidentels, Rec. p. 296).

1. La consécration du pouvoir d’abrogation juridictionnelle pour illégalité « survenue »

Premier temps, la Section du contentieux rappelle l’office classique du juge de l’excès de pouvoir, constitué non seulement par l’intervention qui lui est demandée et le dispositif de la décision juridictionnelle : l’annulation et ainsi, la rétroactivité, mais également par la date d’édiction de l’acte à laquelle le contrôle juridictionnel est exercé et donc, la cause orthodoxe de l’intervention du juge : la légalité ab initio. C’est ce couple qui commande son office traditionnel. Cela signifie, notamment, que « les circonstances ou les faits postérieurs à l’acte administratif n’exercent aucune influence sur la légalité de celui-ci, qui s’apprécie à la date à laquelle il a été pris » (C. Heumann, concl. sur CE, 21 déc. 1956, Sieur Pin, D., 1957, p. 75). Selon ce principe, le moyen tiré de l’illégalité « survenue » d’un acte administratif est inopérant au soutien de conclusions en annulation (V., not., CE Sect., 22 juill. 1949, Société des Automobiles Berliet, Rec. p. 367).

Deuxième temps, le Conseil d’État complète cet office du juge de l’excès de pouvoir de la possibilité pour ce dernier de prononcer l’abrogation d’un acte réglementaire « au motif d’une illégalité résultant d’un changement de circonstances de droit ou de fait postérieur à son édiction ».

L’abrogation d’un acte, c’est « sa disparition juridique pour l’avenir » (Art. L240-1 du code des relations entre le public et l’administration). Ce pouvoir appartient, en principe, à l’administration, pas au juge administratif. Le Conseil d’État a d’ailleurs eu l’occasion de considérer qu’« il n’appartient pas à la juridiction administrative […] de prononcer elle-même l’abrogation d’un acte administratif » (CE, 18 déc. 2017, Société Axelline et a., req. n° 400561). Un tel pouvoir n’est néanmoins pas totalement étranger à l’office du juge administratif. Tout d’abord, il lui revient de constater que le contenu de dispositions législatives ou réglementaires est inconciliable avec un texte qui s’impose à eux et qui leur est postérieur. C’est la technique de l’abrogation implicite (O. Pluen, « L’abrogation implicite des actes et dispositions réglementaires ou législatives “périmées” », RDP, 2016, p. 1809-1839). Ensuite, il lui revient de prévoir que « tout ou partie des effets d[’un] acte [administratif] antérieurs à son annulation devront être regardés comme définitifs » (CE Ass., 11 mai 2004, Association AC ! et autres, Rec. p. 200). C’est la technique de l’« annulation aux effets limités à l’avenir » (C. Devys, concl. sur CE Ass., 11 mai 2004, arrêt préc., Rec. p. 215), la chronique de jurisprudence à l’AJDA parlant, quant à elle, d’abrogation afin de la décrire (C. Landais, F. Lénica, « La modulation des effets dans le temps d’une annulation pour excès de pouvoir », in « Chronique générale de jurisprudence administrative française », AJDA, 2004, p. 1187). Enfin, le 28 février 2020, dans son arrêt M. Stassen, le Conseil d’État a considéré qu’eu égard à l’effet utile d’un recours tendant à l’annulation d’une mesure de suspension provisoire, prise à titre conservatoire sur le fondement de l’article L. 232-23-4 du code du sport, il appartient, notamment, « au juge de l’excès de pouvoir, saisi de conclusions en ce sens, d’apprécier la légalité de la décision à la date ou il statue et, s’il juge qu’elle est devenue illégale, d’en prononcer l’abrogation » (CE, 28 févr. 2020, M. Stassen, Rec. p. 64). Cet arrêt fait office de « premier pas » vers la consécration du pouvoir d’abrogation juridictionnelle pour illégalité « survenue ».

La théorie du changement de circonstances affectant la légalité des actes réglementaires, quant à elle, est née avec le « grand arrêt » Sieur Despujol du 10 janvier 1930, dans lequel la Section du contentieux du Conseil d’État posa l’obligation pour l’administration d’abroger un règlement devenu illégal, tout intéressé étant recevable à demander, par la voie du recours pour excès de pouvoir, l’annulation du refus d’y déférer ou du règlement lui-même dans le délai de recours contentieux de deux mois à partir de leur publication, le cas échéant, rouvert par la publication « de la loi qui serait venue ultérieurement créer une situation juridique nouvelle » (CE Sect., 10 janv. 1930, Sieur Despujol, Rec. p. 30). Entre ces deux voies de droit, c’est la première qui a permis la réalisation effective de l’obligation d’abroger les règlements devenus illégaux, d’autant plus avec le pouvoir d’injonction et la jurisprudence Association des Américains accidentels. Néanmoins, la troisième voie composant le contentieux des actes réglementaires, l’exception d’illégalité, s’y est également adaptée. Avec les arrêts du 2 janvier 1982, Butin et Ah Won, l’Assemblée du contentieux du Conseil d’État adapta l’office du juge de l’exception d’illégalité à cette théorie dans le cas restreint à l’illégalité d’un règlement qui ne serait pas resté légalement pris à la date à laquelle il en a été fait application (CE Ass., 2 janv. 1982, Butin et Ah Won, Rec. p. 27 et 33 (2 esp.)). La théorie du changement de circonstances affectant la légalité des actes réglementaires a été étendue à l’hypothèse du règlement devenu légal avec l’arrêt Fédération française de gymnastique du 10 octobre 2013, dans lequel le Conseil d’État a considéré « que toutefois, cette autorité ne saurait être tenue d’accueillir une telle demande dans le cas où l’illégalité du règlement a cessé, en raison d’un changement de circonstances, à la date à laquelle elle se prononce » (CE, 10 oct. 2013, Fédération française de gymnastique, Rec. p. 252). Avec les arrêts du 4 octobre 2021, l’adaptation de l’office du juge de l’exception d’illégalité à une telle théorie a été étendue à l’hypothèse de l’illégalité d’un règlement qui a cessé (V., not., CE, 4 oct. 2021, Ministre de l’économie, des finances et de la relance c/ SA Ceetrus France, req. n° 448651 (sera publié au recueil Lebon)).

C’est « afin que puissent toujours être sanctionnées les atteintes illégales qu’un acte règlementaire est susceptible de porter à l’ordre juridique » que la Section du contentieux du Conseil d’État complète l’office du juge de l’excès de pouvoir, lequel peut désormais abroger un acte réglementaire devenu illégal. Jusqu’ici, son Assemblée du contentieux avait recouru à ce motif à deux grandes reprises. Elle y avait recouru, d’une part, directement, dans son « grand arrêt » CFDT Finances afin de justifier la limitation dans le temps de l’invocation des vices de forme et de procédure affectant les actes réglementaires (CE Ass., 18 mai 2018, Fédération des finances et affaires économiques de la CFDT (CFDT Finances), Rec. p. 187) – recours paradoxal dans la mesure où il aboutit à exclure ces vices du principe de légalité stricto sensu là où la théorie des « vices non substantiels » n’en exclut que ceux qui sont susceptibles d’exercer une influence sur le sens de la décision prise ou ont privé les intéressés d’une garantie. Il y avait recouru, d’autre part, indirectement (« afin que cessent les atteintes illégales que son maintien en vigueur [du refus d’abroger un acte règlementaire] porte à l’ordre juridique »), dans son arrêt Association des américains accidentels pour justifier l’enrichissement de l’office du juge de l’excès de pouvoir dans le contentieux du refus d’abroger un acte réglementaire illégal en consacrant le principe – en germe depuis l’arrêt Van Camelbeke (CE, 30 mai 2007, Van Camelbeke, Rec. T. p. 664, 673 et 1033) – de l’appréciation de la légalité de l’acte réglementaire au regard des règles applicables à la date à laquelle le juge statue. Là, dans cet arrêt Association ELENA, la Section du contentieux y recourt afin de compléter l’office du juge de l’excès de pouvoir, qui peut dorénavant prononcer l’abrogation d’un acte réglementaire devenu illégal.

Un tel motif est conforme à la « définition finaliste » (S. Roussel, concl. sur CE Sect., 19 nov. 2021, arrêt préc.) donnée au recours pour excès de pouvoir par l’arrêt dit « Dame Lamotte » en tant que « recours qui est ouvert, même sans texte contre tout acte administratif, et qui a pour effet d’assurer, conformément aux principes généraux du droit, le respect de la légalité » (CE Ass., 17 févr. 1950, Ministre de l’Agriculture contre dame Lamotte, Rec. p. 111). En effet, « il n’est question dans cette définition, ni d’annulation, ni de rétroactivité, ni de date à laquelle le contrôle juridictionnel est exercé, mais seulement de légalité » (S. Roussel, concl. préc.). Une légalité qui n’est pas statique, mais dynamique : en l’espèce, tel est tout particulièrement le cas de celle de la délibération attaquée qui dépend, notamment, au regard des exigences résultant du premier alinéa de l’article L. 531-25 du code d’entrée et de séjour des étrangers et du droit d’asile, « de la situation légale, de l’application du droit dans le cadre d’un régime démocratique et des circonstances politiques générales ».

2. Un nouveau pouvoir spécialement aménagé

Ce nouveau pouvoir d’abrogation juridictionnelle pour « illégalité survenue » est subsidiaire à l’annulation. C’est « ainsi saisi de conclusions à fin d’annulation recevables, [que] le juge peut également l’être, à titre subsidiaire, de conclusions tendant à ce qu’il prononce l’abrogation du même acte au motif d’une illégalité résultant d’un changement de circonstances de droit ou de fait postérieur à son édiction », les conclusions sur l’arrêt précisant « jusqu’à la date de clôture de l’instruction et pour la première fois en appel » (S. Roussel, concl. préc.). C’est de même qu’« il statue alors prioritairement sur les conclusions à fin d’annulation ».

Troisième temps, la Section du contentieux considère que c’est « dès lors que l’acte continue de produire des effets » qu’il appartient au juge de se prononcer sur les conclusions subsidiaires, « dans l’hypothèse où il ne ferait pas droit aux conclusions à fin d’annulation et où l’acte n’aurait pas été abrogé par l’autorité compétente depuis l’introduction de la requête ». Le premier cas est le corollaire du caractère subsidiaire des conclusions à fin d’abrogation ; la seconde hypothèse est, quant à elle, l’oblique du cas classique de non-lieu à statuer du fait de la disparition de l’objet du litige dans le contentieux du refus d’abroger un acte réglementaire illégal, cadre dans lequel des conclusions tendant à l’annulation de ce refus « doivent être regardées comme n’ayant plus d’objet » si l’administration procède à cette abrogation en cours d’instruction (CE, 27 juill. 2001, Coopérative de consommation des adhérents de la mutuelle assurance des instituteurs de France (CAMIF), Rec. p. 401).

Quatrième et dernier temps, le Conseil d’État non seulement estime que l’illégalité résultant d’un changement de circonstances a pour conséquence nécessaire l’abrogation, mais également précise l’applicabilité de la seconde modalité de la jurisprudence Association AC !, celle permettant au juge de l’excès de pouvoir de prévoir « que l’annulation ne prendra effet qu’à une date ultérieure qu’il détermine ». La première, celle qui lui permet de prévoir que « tout ou partie des effets d[’un] acte [administratif] antérieurs à son annulation devront être regardés comme définitifs » est « sans objet » dans la mesure où l’abrogation prononcée signifie sa disparition juridique à compter de « la date à laquelle il statue », pas de « la date à laquelle l’acte en litige est devenu illégal », seconde option plus conforme au principe de légalité néanmoins écartée au motif de son caractère difficilement praticable (S. Roussel, concl. préc.). La seconde modalité, l’annulation aux effets limités à l’avenir, quant à elle, conserve son utilité en ce que, comme l’annulation, l’abrogation de l’acte réglementaire est de nature à emporter des conséquences manifestement excessives en raison de « l’intérêt général pouvant s’attacher à un maintien temporaire de ses effets » susceptibles de justifier le report de sa date de prise d’effet. Pourtant, ce n’est plus « d’une part, les conséquences de la rétroactivité de l’annulation pour les divers intérêts publics ou privés en présence et, d’autre part, les inconvénients que présenterait, au regard du principe de légalité et du droit des justiciables à un recours effectif, une limitation dans le temps des effets de l’annulation », mais « eu égard à l’objet de l’acte et à sa portée, aux conditions de son élaboration ainsi qu’aux intérêts en présence » que l’abrogation aux effets différés doit être mise en œuvre. Il en ressort que le juge de l’excès de pouvoir peut, non seulement annuler un acte réglementaire pour illégalité ab initio, le cas échéant, en « cristallisant » ses effets passés et/ou reportant la date de prise d’effet de l’annulation ; mais également l’abroger pour illégalité « survenue », le cas échéant, en reportant la date de prise d’effet de l’abrogation. Dans le silence de l’arrêt, il n’y a pas non plus de raison d’exclure par principe le prononcé d’une injonction, les articles L. 911-1 et L. 911-2 du CJA n’étant « pas, dans leur formulation, réservé aux annulations » (S. Roussel, concl. préc.).

En l’espèce, cette évolution de l’office du juge de l’excès de pouvoir permet à la Section du contentieux du Conseil d’État de se prononcer sur les conclusions à fin d’abrogation de la délibération du 5 novembre 2019 fixant la liste des pays d’origine sûrs en ce qui concerne le Sénégal, l’Inde, l’Arménie et la Géorgie. Concernant le premier, elle considère qu’il n’y a pas lieu à statuer dans la mesure où, par sa décision du 2 juillet 2021, le Conseil d’État a annulé ladite délibération en tant qu’elle maintenait sur la liste, notamment, ce pays. Concernant la seconde, elle les estime irrecevables en ce qu’elles ont été présentées après le rejet, par ladite décision, des conclusions principales tendant à l’annulation pour excès de pouvoir de cette délibération concernant ce pays. S’agissant des deux derniers, elle les juge non fondées ; la situation de ces pays ne s’étant pas dégradée au point d’entacher d’illégalité leur inscription sur la liste.

3. Le renforcement du recours pour excès de pouvoir dirigé contre les actes réglementaires

Plus substantiellement, une telle évolution, d’une part, dédouble l’office du juge de l’excès de pouvoir. Il en ressort deux juges pour deux légalités pour répondre aux deux questions posées par l’intitulé de l’ouvrage collectif dirigé par le Professeur Benjamin Defoort et Benjamin Lavergne d’ailleurs restitué le même jour que la lecture publique de l’arrêt Association ELENA à l’occasion d’un colloque organisé à l’Université de Tours (B. Defoort, B. Lavergne (dir.), Juger de la légalité administrative : quel(s) juge(s) pour quelle(s) légalité(s), LexisNexis, 2021, 335 p.) : d’une part, le cas – prioritaire – dans lequel il est saisi de conclusions tendant à l’annulation d’un acte réglementaire et apprécie la légalité de cet acte à la date de son édiction et, s’il le juge illégal, en prononce l’annulation ; d’autre part, l’hypothèse – subsidiaire – dans laquelle il est saisi de conclusions tendant à l’abrogation de cet acte et statue alors au regard des règles applicables et des circonstances prévalant à la date de sa décision et, s’il le juge illégal, en prononce l’abrogation. Au juge de l’annulation le contrôle de légalité ab initio, au juge de l’abrogation le contrôle de la « légalité actuelle du règlement » (P.-L. Josse, note sous CE Sect., 10 janv. 1930, Sieur Despujol, D., III, p. 16). Ce dédoublement enrichit l’office du juge de l’excès de pouvoir d’une nouvelle technique intermédiaire et alternative au diptyque rejet / annulation rétroactive : l’abrogation, qui, comme ses devancières, est équilibrée : elle influe sur le contenu de la norme qui règle la situation à l’avenir dans le respect du pouvoir d’appréciation et de décision de l’autorité administrative.

D’autre part, cette évolution spécifie un peu plus le traitement juridictionnel de l’acte réglementaire au profit du recours pour excès de pouvoir. C’était déjà le cas du « grand arrêt » CFDT Finances qui distingue les trois contestations composant le contentieux des actes réglementaires – le recours pour excès de pouvoir, l’exception d’illégalité et le recours pour excès de pouvoir dirigé contre le refus d’abroger – afin d’empêcher l’invocation des vices de forme et de procédure dans le cadre des deux dernières. Entre les différentes voies de droit structurant le contentieux des actes réglementaires, c’est ainsi le recours pour excès de pouvoir qui est sorti triomphant du « moment CFDT Finances ». C’est également le cas de cet arrêt Association ELENA qui consacre la possibilité pour le juge de l’excès de pouvoir de prononcer l’abrogation d’un acte réglementaire devenu illégal. Cette consécration a pour effet de basculer une partie du contentieux du refus d’abroger dans le contentieux du recours pour excès de pouvoir, basculement néanmoins limité à l’hypothèse d’une illégalité « survenue » d’un acte réglementaire en cours d’instruction et qui, conformément à la jurisprudence Fédération française de gymnastique, pourrait d’ailleurs également bénéficier au défendeur. La jurisprudence Despujol et le contentieux du refus d’abroger un acte réglementaire ne sont donc pas morts ! Comme la jurisprudence CFDT Finances, l’arrêt Association ELENA est propre aux actes réglementaires. Comme elle (CAA Nancy, 27 déc. 2019, M. K. F. et a. c/ SPL Territoire 25, req. n° 18NC03397), il sera peut être étendu au contentieux des actes non réglementaires (S. Roussel, concl. préc.), le contentieux des actes édictant des règles générales et impersonnelles demeurant toutefois leur berceau et leur terrain d’application privilégié.

C’est donc, en définitive, le recours pour excès de pouvoir dirigé contre les actes réglementaires le grand vainqueur de ce « moment Association ELENA ». Le recours pour excès de pouvoir, cette « étoile temporaire des Gémeaux » pour reprendre la célèbre métaphore de Maurice Hauriou dans sa note sous l’arrêt dit « Boussuge » (M. Hauriou, note sous CE, 29 nov. 1912, Sieurs Boussuge, Guépin et a., S. 1914. III. 33), qui, plus d’un siècle plus tard, tout particulièrement parce qu’elle est dirigée contre les actes réglementaires, et pour reprendre la non moins fameuse formule de René Chapus (R. Chapus, Droit du contentieux administratif, 13e éd., Montchrestien, 2008, p. 269), est plus vivante que jamais.

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