Le blog Droit administratif

Aller à l'accueil | Aller à la table des matières |
11 10 2021

Pour une poignée de coquecigrues constitutionnelles (ou de l’inapplicabilité actuelle des modalités de report de l’élection présidentielle avant le premier tour par le Conseil constitutionnel)*

Le droit constitutionnel français n’est pas exempt de bizarreries[1] ou de « coquecigrues[2] ». Celle dont il est ici question concerne l’article 7 de la Constitution et le I de l’article 3 de la loi organique n° 62-1292 du 6 novembre 1962 relative à l’élection du Président de la République au suffrage universel, et plus précisément un élément introduit par la loi organique n° 2006-404 du 5 avril 2006 relative à l’élection du Président de la République. Elle touche à la possibilité pour le Conseil constitutionnel de reporter l’élection présidentielle en cas de décès ou d’empêchement d’un candidat avant le premier tour, possibilité introduite par une révision de 1976.

En effet, selon les lectures possibles des dispositions constitutionnelles et organiques combinées, la loi organique est inconstitutionnelle[3] ou les alinéas 6, 7 et 8 de l’article 7 de la Constitution sont inapplicables. En tout état de cause, l’alinéa 6 de l’article 7 de la Constitution est de facto privé d’effets à cause de la loi organique.

Le problème n’est pas évident à la simple lecture des énoncés, mais il le devient une fois le raisonnement exposé. Il s’agit d’un problème de contradiction des délais prévus pour le dépôt des « parrainages » des candidats à l’élection présidentielle dans la loi organique d’une part, et les délais de report de l’élection présidentielle que le Conseil constitutionnel peut prononcer d’autre part.

Ce problème n’est par ailleurs pas inconnu. Plusieurs auteurs l’ont relevé sur différents blogs juridiques[4], sans pour autant que ne soient publiés des articles dans les revues. Les raisons semblent tenir à plusieurs facteurs concomitants. La première tient à la faible actualité de la question. En effet, celle-ci ne s’est posée qu’en 2017, et précisément au moment où le candidat Fr. Fillon a été mis en examen et où l’hypothèse de son retrait a été évoquée, retrait que l’on aurait pu qualifier éventuellement « d’empêchement » au sens de l’article 7 de la Constitution[5]. Le candidat ayant choisi de rester dans la course à la présidence de la République, l’actualité de la question ne s’est pas posée assez longtemps. De plus, et c’est un deuxième élément, aucune décision d’aucune autorité n’a été rendue sur la question. Le problème de contradiction de délai n’a été soulevé ni, a fortiori, résolu, par une autorité normative. Les écrits doctrinaux ayant tendance à prendre pour objet de telles décisions, le commentaire détaillé de la situation n’avait pas d’attrait à ce niveau. Enfin, le problème est relativement simple. Sa « théorisation », sa dimension proprement doctrinale, n’est pas prima facie éclatante. Dans la mesure ou la présentation de la contradiction entre les délais de la Constitution et de la loi organique est brève, la quantité de choses à écrire sur le problème lui-même pouvait ne pas apparaître suffisante pour produire un écrit doctrinal publiable dans une revue juridique.

Ce n’est pas pour autant qu’une telle étude n’est pas pertinente à mener. Son absence d’actualité ne prive pas de pertinence la démonstration d’une incompatibilité entre les délais prévus par la Constitution et ceux prévus par la loi organique : à ce niveau la question reste pertinente tant que les dispositions organiques ou constitutionnelles restent les mêmes. En tout état de cause, même après une éventuelle modification, souligner l’incomparabilité passée est un élément de connaissance de l’état du droit positif à un moment donné. De manière plus pragmatique, illustrer le caractère inapplicable du report du premier tour des élections présidentielles en cas d’empêchement de l’un des candidats peut permettre d’attirer l’attention du législateur organique ou du constituant sur la question. Libre à ce dernier de modifier ou non l’ordre juridique pour en tirer les conséquences. Plus généralement, se pose d’ailleurs la question du rôle du chercheur face à une telle absence d’applicabilité. Une fois qu’il l’a relevée, quelle attitude doit-être la sienne ? Il est possible de ne rien en dire, de prescrire une solution particulière, de poser le cadre constitutionnel en vigueur ou encore de poser une série de solutions s’inscrivant plus ou moins dans la philosophie générale des énoncés constitutionnels. C’est un mélange de ses deux dernières positions que l’on adoptera ici. Une fois démontrée l’inconstitutionnalité de la loi organique, ou du moins son caractère inapplicable, il s’agira de donner le cadre constitutionnel en vigueur à l’intérieur duquel le législateur organique peut agir. Mais, dans l’hypothèse où le législateur organique souhaiterait maintenir le délai posé dans la loi organique, nous indiquerons les changements constitutionnels qu’il faudrait nécessairement apporter afin de rendre pleinement applicables les dispositions constitutionnelles. Il est nécessaire de souligner que même en considérant la loi organique inconstitutionnelle, dans la mesure ou le Conseil constitutionnel l’a déclarée conforme à la Constitution, il n’existe aucune obligation juridique de la modifier. Une telle modification préviendrait, au mieux, l’embarras et l’incertitude en cas d’empêchement d’un candidat menant à un report de l’élection présidentielle.

Avant de démarrer l’étude, il est nécessaire de préciser son cadre théorique. En effet, selon que l’on adoptera une position qui considère que le Conseil constitutionnel peut par principe poser les normes constitutionnelles ou que l’on adoptera à l’inverse une position théorique considérant qu’il est lié par le sens des énoncés constitutionnels, le problème n’est pas du tout le même. La première hypothèse est la position réaliste, issue de la théorie réaliste de l’interprétation[6]. Si l’on adhère à cette vision du droit alors la question n’a pas lieu de se poser. En effet, quoi que disent les énoncés, le Conseil constitutionnel pourra leur faire dire ce qu’il souhaite et sera la seule autorité à déterminer le droit constitutionnel[7]. Toute position qui considère que le Conseil constitutionnel peut aller à l’encontre des énoncés constitutionnels mais qui considère en même temps que ces derniers ont quand même un sens en eux-mêmes aboutit au même résultat : l’étude du sens des énoncés constitutionnels n’est pas pertinente. Dans une telle vision des choses, la présente étude n’est alors pas utile. La seconde hypothèse ressemble à une position normativiste, mais elle n’en est pas nécessairement une. En effet, le normativisme, comme théorie du droit, est avant tout une théorie de la production des normes valides dans un système déterminé. Ici, toute conception du droit qui accepte que les énoncés constitutionnels s’imposent au Conseil constitutionnel trouvera matière à réutiliser les raisonnements mis en œuvre. Ajoutons, en toute transparence et sous forme « d’aveu[8] », que l’on adoptera dans les développements une position normativiste[9] et, surtout, la théorie du « cadre des significations ». Ainsi, on considérera que les énoncés n’ont pas une seule signification mais un ensemble de significations, « le droit à appliquer [est] un cadre à l’intérieur duquel il y a plusieurs possibilités d’applications[10] ». C’est ce cadre qu’il s’agira d’analyser. Recourir à cette théorie du cadre nécessite aussi, dans la démonstration, d’illustrer le fait qu’aucune des significations possibles des énoncés constitutionnels et des énoncés organiques ne permet ici leur application. Dire que la loi organique ou les dispositions constitutionnelles sont inapplicables revient à dire qu’aucune des significations des deux textes ne permet leur application.

Les développements suivants tiendront en deux temps. Il s’agira d’abord de démontrer l’incompatibilité entre les énoncés organiques et constitutionnels qui amènent à l’inapplicabilité de la possibilité conférée par l’article 7 de la Constitution de reporter l’élection présidentielle en cas d’empêchement ou de décès d’un candidat avant le premier tour de l’élection présidentielle ou du candidat qualifié entre les deux tours (§ 1). Il s’agira ensuite de proposer les changements organiques ou constitutionnels à adopter afin de rendre les dispositions constitutionnelles pleinement applicables (§ 2).

§1. De lege lata : une inconstitutionnalité ou une inapplicabilité de la possibilité de report de l’élection présidentielle par le Conseil constitutionnel.

La contradiction évoquée entre les délais de report de l’élection présidentielle prévus par l’article 7 de la Constitution et la date limite de soumission des présentations des candidats mérite d’être exposée en détail (A). Cette contradiction me mener à deux conclusions aux conséquences différentes. Il est en effet possible de considérer la loi organique inconstitutionnelle (B) ou plus simplement de considérer les dispositions constitutionnelles inapplicables (C).

A. Une contradiction entre le délai constitutionnel de report de l’élection présidentielle et le délai organique de présentation des candidats

Les alinéas 6, 7, 8 et 10 de l’article 7 de la Constitution permettent au Conseil constitutionnel de reporter le premier tour de l’élection présidentielle ou de réorganiser un premier tour en cas de décès ou d’empêchement d’un des candidats. Ce ne sont pas les concepts de « décès » ou d’« empêchement » qui sont ici en cause. Peu importe, pour le raisonnement, ce qu’ils recouvrent. Ce qui nous intéresse est la faculté de report lorsque le décès ou l’empêchement sont constatés.

La loi organique n° 62-1292 du 6 novembre 1962 relative à l’élection du Président de la République au suffrage universel prévoit les modalités de l’élection présidentielle et est prévue par l’article 6 de la Constitution, son article 7 la mentionnant également. Le I de son article 3 met en œuvre le processus normatif relatif à la présentation des candidats à l’élection présidentielle. Spécifiquement, cet article prévoit que « les présentations doivent parvenir au Conseil constitutionnel au plus tard le sixième vendredi précédant le premier tour de scrutin à dix-huit heures ». Avant 2006, ce délai était de dix-huit jours. Le « sixième vendredi précédant le premier tour » n’est pas un délai strict. En effet, rien n’impose que les élections présidentielles aient automatiquement lieu un dimanche. Au maximum, si l’élection a lieu un vendredi, le sixième vendredi la précédant vise un délai de quarante-deux jours. Au minimum, si l’élection a lieu un samedi, elle vise un délai de trente-six jours. Si l’élection se déroule un dimanche, le délai sera alors de trente-sept jours. Cette modification était souhaitée par le Conseil constitutionnel, comme en attestent les travaux préparatoires[11].

L’alinéa 6 de l’article 7 prévoit une possibilité de report du premier tour si un candidat décède ou est empêché « dans les sept jours précédant la date limite du dépôt des présentations de candidatures », si ce candidat s’est déclaré « moins de trente jours avant cette date ». La détermination des sept jours peut être problématique à la marge, spécifiquement si la date limite de dépôt des présentations n’est pas fixée à minuit. De même, la notion de déclaration de candidature, ainsi que le délai de trente jours, mériterait une élucidation spécifique. Mais, en tout état de cause, ces sept jours sont forcément, a minima, entre trente-sept et quarante-trois jours avant le premier tour de l’élection présidentielle[12].

L’alinéa 7 de l’article 7 de la Constitution prévoit un report de l’élection en cas de décès d’un candidat avant le premier tour. La qualité de « candidat », par opposition à la « personne[s] ayant […] annoncé publiquement sa candidature » de l’alinéa précédent, semble laisser penser soit que le Conseil constitutionnel a déjà rendu sa décision[13], soit que le Gouvernement a publié la liste des candidats, publication devant intervenir « quinze jours au moins avant le premier tour du scrutin » aux termes de l’article 3 de la loi organique de 1962. Il semble également possible de considérer comme candidat toute personne ayant déposé ses parrainages au Conseil constitutionnel entre la date limite de dépôt et la date de rendu de la décision, puis uniquement les personnes dont les présentations seraient validées par le Conseil après sa décision. Cette interprétation permet d’éviter l’absence de possibilité ou d’obligation de report du premier tour en cas de décès ou d’empêchement du « candidat » entre le délai pour déposer les parrainages et celui de la décision du Conseil les validant. Le caractère téléologique de cette interprétation doit néanmoins conduire a une certaine prudence. Ce n’est pas parce qu’une signification est « utile » ou « pratique » qu’elle est pour autant correcte. Ce cas de figure très spécifique mériterait donc une étude détaillée. Il est néanmoins possible de dire que ce délai de report en cas d’empêchement ou de décès du candidat peut commencer à courir, si le Conseil rend sa décision le soir même du dépôt des présentations[14], jusqu’à quarante-et-un jours avant le scrutin, ou plus généralement, lorsque l’élection a lieu un dimanche, trente-cinq jours. Si l’on considère qu’il faut attendre la publication du Gouvernement, alors le délai légal minimal sera de quinze jours.

L’alinéa 10 de l’article 7 de la Constitution dispose que le Conseil constitutionnel peut reporter l’élection présidentielle à un maximum de trente-cinq jours après sa décision en cas de décès ou d’empêchement d’une personne candidate, d’un candidat ou d’un candidat qualifié au second tour, le cas échéant. La contrariété entre ce délai et celui de la loi organique saute ici immédiatement aux yeux. Dans le cas de l’alinéa 6 de l’article 7, ce délai de trente-cinq jours est dans tous les cas inférieur au délai avant le premier tour du scrutin, ce dernier étant en général compris entre quarante-quatre et trente-sept jours. En cas de décès de la personne souhaitant être candidate, le Conseil constitutionnel ne peut alors décaler le premier tour qu’à une date antérieure, et non postérieure, à la date initialement prévue. Mais au-delà, en cas de décès d’un candidat avant le premier tour, ou d’un candidat qualifié au deuxième tour[15], le Conseil constitutionnel ne peut reporter l’élection qu’à trente-cinq jours au plus. Néanmoins, le délai organique de dépôt des présentations des candidats est au minimum fixé à trente-six jours avant l’élection si celle-ci a lieu un samedi, trente-sept si elle a lieu un dimanche. En cas de report de l’élection présidentielle par le Conseil constitutionnel, aucune disposition ne prévoit de nouveaux délais pour présenter les candidats, et ces délais ne peuvent être fixés dans l’urgence par décret mais seulement par une loi organique.

L’alinéa 6 de l’article 7 de la Constitution est donc parfaitement inapplicable. Les alinéas 7 et 8 sont applicables, mais en cas de report de l’élection présidentielle, le délai maximal de report est inférieur au délai de présentation des candidats devant le Conseil constitutionnel[16]. Il est possible de considérer ces contradictions comme des inconstitutionnalités ou comme de simples inapplicabilités de la Constitution.

B. L’hypothèse de l’inconstitutionnalité

Il est possible de considérer le délai du « sixième vendredi » de la loi organique de 1962 comme étant inconstitutionnel, et ce bien que le Conseil constitutionnel ait validé la loi. Dire que celle-ci est contraire à la Constitution ne signifie pas qu’elle n’est pas valide, qu’elle ne doit pas être appliquée ou même qu’il existe une obligation faite au législateur organique de la réviser. Cela signifie simplement que la loi organique n’est pas conforme à la Constitution et qu’en cas de contrôle a posteriori, soit par la voie de la question prioritaire de constitutionnalité soit par celle de la jurisprudence état d’urgence en Nouvelle-Calédonie le Conseil constitutionnel devrait être amené à prononcer son annulation.

Il est nécessaire de distinguer le cas particulier de l’alinéa 6 de l’article 7 de la Constitution et le cas général des alinéas 7 et 8, ou même celui de l’application de l’alinéa 6 en cas de décision du Conseil constitutionnel rendue à moins de trente-cinq jours du premier tour.

Le cas du délai de l’alinéa 6 de l’article 7 de la Constitution est spécifique, car il est double. Il concerne d’abord la possibilité même du report, mais également, en cas de report, la possibilité de dépôt des parrainages. En effet, le report est prévu pour des cas de décès ou d’empêchement intervenant, si l’élection se déroule un dimanche, entre quarante-quatre et trente-sept jours avant le scrutin. À l’évidence, le Conseil pourrait être saisi après ce délai, ou rendre sa décision après ce délai. Mais, dans le cas éventuel d’un décès ou d’un empêchement au début de la période des sept jours précédant la date limite de dépôt des présentations, il est parfaitement envisageable que le Conseil constitutionnel puisse rendre sa décision rapidement. Le constat du décès ou de l’empêchement est en effet un constat relativement simple à effectuer. Si le Conseil estime nécessaire de prononcer le report suite à ce décès ou à cet empêchement, il peut rendre sa décision très rapidement.

Le délai organique du dépôt des présentations empêche, par la force du temps, de prononcer ce report. Il ne s’agirait en effet pas d’un report mais d’une anticipation. Les élections ne peuvent être reportées mais uniquement anticipées. Si l’on admet que le terme « reporter » de l’alinéa 6 ne peut viser qu’un retard, et non un avancement, de l’élection, alors les délais de la loi organique sont inconstitutionnels en ce qu’ils ne permettent pas au Conseil constitutionnel de reporter l’élection. L’inconstitutionnalité vise ici le délai du « sixième vendredi » en lui-même.

Le cas des reports prévus aux alinéas 7 et 8 de l’article 7 de la Constitution est différent. En effet, rien n’empêche matériellement le Conseil constitutionnel de prononcer ces reports, et il en va de même d’un éventuel report basé sur l’alinéa 6 qui interviendrait sous un délai de trente-cinq jours. Toutefois, en cas de report, il est impossible d’appliquer le délai du « sixième vendredi » précédent le premier tour pour soumettre au Conseil constitutionnel les présentations[17]. Il est alors possible de considérer que la loi organique est inconstitutionnelle en ce qu’elle ne permet pas la tenue de l’élection présidentielle en cas de report de celle-ci par le Conseil constitutionnel alors qu’il s’agit d’une obligation constitutionnelle. Ce n’est pas le délai de la loi organique en lui-même qui est alors contraire à la Constitution[18]. Le législateur organique peut parfaitement prévoir un tel délai lors de l’examen normal des parrainages. En revanche, l’absence de prise en compte par la loi organique d’un délai plus court en cas d’application des différentes possibilités de report de l’article 7 la rend inconstitutionnelle.

C. L’hypothèse de la « simple » inapplicabilité

L’inconstitutionnalité relative à l’alinéa 6 de l’article 7 de la Constitution semble emporter l’inconstitutionnalité complète de la loi organique. Il reste toutefois possible de considérer qu’il ne s’agit pas d’une inconstitutionnalité mais d’une simple contradiction entre les deux délais prévus. Dans un tel cas, deux cas de figure sont possibles. Il est d’abord possible de considérer que la Constitution doit primer, mais alors il n’existe pas de délai de dépôt des présentations au Conseil constitutionnel applicable en cas de report de l’élection présidentielle. À l’inverse, on peut également considérer que c’est la loi organique qui doit primer. Dans ce cas de figure, ce sont les dispositions constitutionnelles qui sont inapplicables et la loi organique qui doit, de facto, primer.

Si l’on ne considère pas la loi organique inconstitutionnelle, il n’est pas évident de trancher entre ce qui doit primer, de la Constitution ou de la loi organique. D’un point de vue temporel, en cas d’empêchement ou de décès d’un « candidat » pendant les sept jours avant la date limite du dépôt de présentation des candidats implique, par la force des choses, une impossibilité d’application de la Constitution. Dans les autres situations, puisque le report de l’élection par le Conseil constitutionnel ne peut excéder trente-cinq jours, c’est la loi organique qui se retrouverait inappliquée. C’est, en tout état de cause, ce qui se passerait également même si l’on considère la loi organique inconstitutionnelle.

Si l’on ne considère pas la loi organique inconstitutionnelle, alors cette dernière peut être inapplicable. Le système juridique se retrouve dans une situation dans laquelle il n’existe pas de règle juridique permettant d’indiquer le délai de dépôt des présentations des candidats. Si la situation se présentait, il y a fort à parier que le Conseil constitutionnel, dans sa décision de report, prévoirait des délais de dépôt réduits. La loi organique de 1962 prévoit d’ailleurs, au I de son article 3, un délai de présentation réduit en cas d’élection présidentielle anticipée pour cause de décès ou d’empêchement définitif du Président de la République. Il est alors rationnel de penser que c’est ce délai de présentation qui serait retenu, « au plus tard le troisième mardi précédant le premier tour de scrutin », c’est-à-dire dix-neuf jours avant le scrutin si celui-ci a lieu un dimanche. S’il est probable que le Conseil constitutionnel se prononcerait dans ce sens, cela ne signifie pas pour autant qu’il y est habilité. En effet, une telle décision n’est pas permise par l’ordre juridique. Le Conseil constitutionnel n’a aucunement la possibilité juridique de résoudre une situation dans laquelle aucune règle juridique ne s’applique.

§2. De lege ferenda : les modifications principalement envisageables pour rendre le report effectivement applicable et prévisible

L’analyse du droit positif révèle au moins une impossibilité d’appliquer la loi organique de 1962 ou la Constitution et au plus une inconstitutionnalité de la loi organique. L’analyse pourrait s’arrêter à ces éléments. On peut toutefois la pousser davantage en proposant des clefs permettant de résoudre l’inconstitutionnalité ou l’inapplicabilité. Il ne s’agit pas de prescrire ce que devraient faire le constituant ou le législateur organique. Il ne s’agit pas non plus de détailler la totalité des solutions possibles ; celles-ci dépendent nécessairement de choix politiques qui peuvent modifier plus ou moins l’équilibre du système. Plus modestement, il s’agit d’adopter un « point de vue interne[19] » au système juridique en proposant des énoncés anankastiques, c’est-à-dire de la forme « si l’on veut X alors il faut Y ». Ici, l’objectif est de conserver l’équilibre général de l’article 7 de la Constitution tout en prenant en compte la volonté du Conseil constitutionnel prise en compte par la révision organique de 2006 de disposer de plus de temps pour vérifier les présentations des candidats. On peut donc envisager une modification simple de la loi organique (A) ou une modification plus complexe de la Constitution et de la loi organique (B).

A. La réforme de la loi organique

Les dispositions organiques sont relativement simples à modifier, spécifiquement au regard des modifications constitutionnelles. Il en va d’autant plus concernant les sujets non partisans. Ainsi, la difficulté principale est de trouver du temps parlementaire pour inscrire la loi dans un calendrier déjà chargé. Un tel créneau a déjà été trouvé, avec le Projet de loi organique relatif à l’élection du Président de la République, n° 3713, déposé le 21 décembre 2020 à l’Assemblée nationale et transmis à la Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. Ce projet ne contient néanmoins aucune disposition visant à corriger l’inconstitutionnalité de la loi organique. Quel que soit le nouveau mécanisme choisi, on ne peut qu’espérer politiquement que le Conseil constitutionnel se montre exigeant dans son contrôle.

La première nécessité est de réduire le délai de présentation des candidats. En effet, puisque l’alinéa 6 de l’article 7 de la Constitution prévoit une possibilité de « report » de l’élection présidentielle en cas de décès ou d’empêchement d’une personne ayant annoncé sa candidature dans les sept jours précédant la date limite de présentation, et que le report ne peut excéder trente-cinq jours, le dépôt de présentation des candidats doit intervenir au plus tôt vingt-huit jours avant le premier tour de l’élection présidentielle. Dans un tel cas, le report éventuel serait par ailleurs mineur, mais il serait possible. Ce délai de vingt-huit jours est déjà plus long que celui antérieur à 2006, qui était de dix-huit jours avant le scrutin.

Il est également possible de dissocier le délai général du délai en cas de report de l’élection. Ainsi, la loi organique pourrait parfaitement prévoir qu’en cas d’empêchement ou de décès d’un candidat ou d’un candidat qualifié au deuxième tour et de report, la présentation des candidats devrait intervenir à une date plus proche de celle de la nouvelle élection, voire à une date que le Conseil constitutionnel fixerait lui-même dans sa décision de report. Ainsi, le Conseil pourrait décider, toujours dans la limite de trente-cinq jours de l’alinéa 10 de l’article 7 de la Constitution, du calendrier électoral. Même sans aller jusqu’à laisser cette marge de manœuvre au Conseil, imposer organiquement une date de dépôt des présentations plus proche du premier tour pourrait permettre au Conseil une plus large marge de manœuvre dans la détermination de la date du report.

Le sort des présentations des candidats restant, ou des candidats se présentant à nouveau au premier tour, pourrait d’ailleurs être réglé. En effet, en cas de décès d’un candidat ayant de larges chances d’emporter l’élection ou de se qualifier au second tour, la question de la validité des anciennes présentations peut se poser. Cette question est hors du spectre de la présente étude, et dans le silence actuel des textes il est difficile de donner une solution de lege lata. Le Conseil constitutionnel pourrait ainsi choisir de maintenir ou d’annuler les parrainages. Saisi de cette question, le législateur organique pourrait choisir la position que devrait adopter le Conseil en limitant son champ d’action.

B. La révision de l’article 7 de la Constitution conjuguée à la réforme de la loi organique

Si le jurislateur souhaite impérativement maintenir le délai actuel prévu par la loi organique, la seule possibilité est de réviser l’article 7 de la Constitution, quitte par la suite à introduire également des modifications dans la loi organique. En effet, on peut supposer qu’après une révision, l’adoption d’une loi organique n’est politiquement pas problématique.

Plusieurs révisions constitutionnelles sont envisageables. Il est possible de maintenir l’équilibre des compétences de la rédaction présente, et donc de simplement allonger le délai de report maximum que le Conseil constitutionnel peut prononcer, en modifiant l’alinéa 10 de l’article 7 de la Constitution. Vu la loi organique, ce délai doit être d’au moins quarante-neuf jours pour que l’alinéa 6 de l’article 7 puisse être appliqué dans tous les cas de figure. Même dans un tel cas, en cas de décès ou d’empêchement et de décision rendue le premier jour des sept jours précédant la date limite de dépôt, le report serait toujours impossible puisqu’il interviendrait à la date normale du scrutin. Il serait sans doute plus efficient de fixer un délai encore supérieur à ces quarante-neuf jours, mais aucun délai ne s’impose. Si l’on se place dans un temps relativement long, soixante jours peuvent sembler pertinents. En tout état de cause, la modification du délai de report est impérative tant que la présentation des candidats intervient vingt-huit jours au moins avant le scrutin.

Il est par ailleurs possible d’imaginer un système mixte, qui encadrerait la possibilité de report du Conseil constitutionnel selon les différentes situations. Le report pourrait ainsi être plus ou moins important afin de laisser plus ou moins de temps au personnel politique pour se préparer.

Il est enfin envisageable de fixer le délai entièrement dans la loi organique. L’article 7 de la Constitution devrait nécessairement être modifié, et éventuellement encadrer les délais de reports en interdisant, par exemple, un report supérieur à deux mois. Cette habilitation du législateur organique permettrait une plus grande souplesse dans l’organisation et la révision des modalités et, surtout, des délais, de présentation des candidats. En matière de révision constitutionnelle, les possibles sont infinis. Le constituant décidera le cas échéant.


[1]Fr. Luchaire, « Douze bizarreries constitutionnelles – bien françaises », in Le nouveau constitutionnalisme. Mélanges en l’honneur de Gérard Conac, Economica, 2001, pp. 151-165.

[2]B. Jeanneau, « Voyage au pays des ‘‘coquecigrues’’ constitutionnelles (Adieux au septennat) », L’esprit des institutions, l’équilibre des pouvoirs : mélanges en l’honneur de Pierre Pactet, Dalloz, 2003, pp. 659-674.

[3]Et ce malgré la décision n° 2006-536 DC du 5 avril 2006 par laquelle le Conseil constitutionnel a validé la loi. La loi est indéniablement en vigueur, mais elle n’en apparaît pas moins contraire à la Constitution.

[4]J.-Ph. Derosier, « Petite fable constitutionnelle sur les péripéties d’une candidature à l’élection présidentielle », La Constitution décodée [en ligne], 6/02/2017, disponible sur <https://constitutiondecodee.fr/2017/02/06/petite-fable-constitutionnelle-sur-les-peripeties-dune-candidature-a-lelection-presidentielle/>, consulté le 26/12/2020, et R. Rambaud, « L’hypothèse du report de l’élection présidentielle s’éloigne : débats autour de l’article 7 de la Constitution », Le blog du droit électoral [en ligne], 7/03/2017, disponible sur <https://blogdudroitelectoral.fr/2017/03/xx032016-lhypothese-decole-du-report-de-lelection-presidentielle-seloigne-debats-autour-de-larticle-7-de-la-constitution-r-rambaud/>, consulté le 26/12/2020.

[5]Il ne s’agit pas ici d’affirmer qu’il se serait agi d’un « empêchement », mais simplement qu’il n’était pas inenvisageable de vérifier si la situation était subsumable sous le concept « d’empêchement » de l’article 7 de la Constitution.

[6]M. Troper, « Une théorie réaliste de l’interprétation », La théorie du droit, le droit, l’État, PUF, 2001, pp. 69-84.

[7]C’est la position plus modérée de la théorie réaliste de l’interprétation. Elle considère que « la sélection des matériaux à interpréter, la détermination de leur statut, la combinaison privilégiée entre ces différents matériaux, le choix des techniques interprétatives et des doctrines juridiques qui fondent les règles particulières, tout cela s’ajoutant à l’indétermination du langage dans lequel les énoncés sont exprimés, ouvrent une marge de manœuvre potentiellement infinie aux autorités d’application du droit » : A. Le Pillouer, « Indétermination du langage et indétermination du droit », in M. Carpentier (dir.), « Droit et indétermination », Droit & philosophie. Annuaire de l’Institut Michel Villey, 2017, vol. 9, n° 1, p. 33.

[8]É. Millard, « L’aveu théorique comme préalable au travail juridique savant », communication au VIe congrès de droit constitutionnel, Montpellier, 10 juin 2005. Disponible sur <https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00009961/document>, consulté le 28/12/2020.

[9]On en trouvera les linéaments dans X. Magnon, Théorie(s) du droit, Ellipses, 2008, 167 pages.

[10]H. Kelsen, Théorie pure du droit (traduit de l’allemand par Ch. Eisenmann), 2e éd., Bruylant, LGDJ, 1999 [1962], « Titre VIII : L’interprétation », p. 337.

[11]Not. le rapport n° 2934 de M. Pierre Morel-A-L’Huissier.

[12]C’est-à-dire un jour de plus que les délais de dépôt des présentations. Au plus, si l’élection avant lieu un vendredi, ces sept jours seraient entre quarante-neuf et quarante-trois jours avant le scrutin. Dans le cas d’un premier classique un dimanche, ces sept jours sont entre quarante-quatre et trente-huit jours avant le scrutin.

[13]Décision qui doit être publiée « au plus tard le troisième vendredi précédant le premier tour de scrutin » aux termes de l’alinéa 2 de l’article 7 du décret n° 2001-213 du 8 mars 2001 portant application de la loi n° 62-1292 du 6 novembre 1962 relative à l’élection du Président de la République au suffrage universel. Dans le cas où l’élection a lieu un dimanche, la décision doit donc intervenir dix-sept jours avant le scrutin.

[14]Ce qui n’arrive pas, mais il s’agit d’envisager le délai le plus long.

[15]L’alinéa 8 de l’article 7 de la Constitution prévoit en effet le report des « opérations électorales » en cas de décès ou d’empêchement d’un des deux candidats arrivés au second tour.

[16]Notons que l’alinéa 5 de l’article 7 de la Constitution présente un problème similaire concernant le délai limite de présentation des candidat en cas de décès ou d’empêchement définitif du Président de la République.

[17]Il est par ailleurs discutable de savoir si tous les candidats doivent soumettre à nouveau leurs présentations, ou s’il ne s’agit que de permettre à un ou plusieurs nouveaux candidats de remplacer le candidat empêché ou décédé ; la réponse à cette question n’a pas ici d’importance.

[18]En faisant abstraction de la question précédente de l’inconstitutionnalité du délai par rapport à l’alinéa 6 de l’article 7 de la Constitution. Rationnellement, si l’on accepte l’inconstitutionnalité du délai pour cette raison, la question de son inconstitutionnalité par rapport au reste de l’article ne se pose pas réellement. Cette hypothèse est ici étudiée afin de couvrir tous les cas de figure.

[19]H. L. A. Hart, The Concept of law, 2e ed., Oxford University Press, 1994, p. v et p. 88 et s. V. également Chr. Grzegorczyk, Fr. Michaut, M. Troper (dir.), Le positivisme juridique, LGDJ, 1993, pp. 223-231, « Point de vue interne et externe sur le droit ».


*Nous tenons à remercier M. Stéphane Hauchemaille pour avoir attiré notre attention sur cette question.

Commentaires

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.