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02 06 2020

Ordre ou désordre dans la nature juridique des ordonnances de l’article 38 de la Constitution ? À propos de la décision 2020-843 QPC du Conseil constitutionnel du 28 mai 2020

Il est des anniversaires qu’il ne faut pas manquer. Le Conseil constitutionnel s’en est peut-être souvenu, en marquant l’événement d’une solution inédite, rendue dans sa décision du 28 mai 2020, soit dix ans jour pour jour après la première décision QPC[2]

Alors qu’il y a quelques semaines, par une démarche originale, sur le fond comme sur la forme, le président du Conseil constitutionnel, intervenant dans la presse pour réagir aux critiques portant sur une décision récente rendue par sa juridiction, pourfendait les « commentateurs qui ont cru pouvoir bâtir de grandes théories[3] », il y a fort à parier qu’il sera question de grandes théories après la décision du 28 mai 2020. Si l’intervention du président Fabius concernait une décision relative à la situation sanitaire tristement inédite, et si cette situation avait attiré l’attention des observateurs vers les juridictions du Palais-Royal depuis la fin du mois de mars, c’est dans un tout autre domaine que la décision 843 QPC a été rendue, si ce n’est – ironie du sort – qu’elle concerne le régime juridique des ordonnances de l’article 38, auxquelles il fut largement recouru ces derniers mois et qui font déjà l’objet d’un contentieux soutenu et prometteur[4].

À maints égards, la décision commentée suscite la curiosité : la précision de la portée de l’article 7 de la Charte de l’environnement, les techniques de contrôle mobilisées, la solution rendue – qui s’exposera aux critiques relatives à l’effectivité de la protection des droits et libertés –, sont autant d’aspects qui pourront intéresser les lecteurs et feront sans doute l’objet de précieux commentaires.

Une autre dimension de la décision attire particulièrement l’attention et fait l’objet des présents développements : la question de la nature juridique des ordonnances de l’article 38 de la Constitution, ou plus précisément de celles non ratifiées après le délai d’habilitation. Que l’on ne s’y trompe pas, c’est peut-être une révolution, au sens propre du terme, qui s’est produite rue de Montpensier, et que le Conseil constitutionnel semble avoir assumée[5]. Dans le cadre d’un contentieux QPC et au détour d’un problème juridique incident qu’il devait résoudre, le Conseil constitutionnel a été conduit à modifier – alors qu’elle semblait bien établie – la valeur juridique conférée aux ordonnances de l’article 38 de la Constitution, dans le cas où, après le délai d’habilitation, elles n’ont pas fait l’objet d’une ratification. Partant, c’est l’ensemble du régime juridique des ordonnances qui semble être reconfiguré.

Qu’on en juge, au contenu de la décision, qu’il convient de « lire attentivement », suivant le conseil du président Fabius : « […] si un projet de loi de ratification de l’ordonnance […] a été déposé dans le délai fixé […], le Parlement ne s’est pas prononcé sur cette ratification. Toutefois, conformément au dernier alinéa de l’article 38 de la Constitution, à l’expiration du délai de l’habilitation fixé […], les dispositions de cette ordonnance ne pouvaient plus être modifiées que par la loi dans les matières qui sont du domaine législatif. Dès lors, à compter de cette date, elles doivent être regardées comme des dispositions législatives[6] ».

À la seule lecture de ce considérant, qu’il s’agira de re-contextualiser, il convient de prendre la mesure de ce qui vient d’être affirmé par la haute juridiction, à l’aune de ce que l’on croyait pourtant fermement établi. Certes, « la science ne cherche pas à énoncer des vérités ou des dogmes immuables[7] », mais il est des fondations qui supportent mal les tremblements de terre. Il ne s’agit pas d’exagérer la portée de la décision rendue. En effet, cette solution intervient au détour d’un problème juridique ne concernant pas directement la contestation d’une telle ordonnance. Pour autant, ce considérant apparaît comme principiel et l’on s’attachera à montrer, qu’au-delà de la problématique précise qu’il avait à traiter, tout semble indiquer qu’il s’agit là d’une véritable position de principe aux répercussions encore difficiles à cerner[8]. Avec le peu de recul que nous avons encore, et en l’absence d’indications complémentaires que fournira peut-être le commentaire officiel, il ne s’agira donc pas de proposer une théorie de la décision mais d’en proposer une première lecture critique.

Le contexte de la solution rendue

En l’espèce, le Conseil constitutionnel a été saisi par le Conseil d’État d’une QPC portant sur la constitutionnalité de l’article L. 311-5 du code de l’énergie, dans sa rédaction issue d’une ordonnance du 9 mai 2011 portant codification dudit code, elle-même ratifiée par une loi de 2013[9]. L’article en cause subordonne l’exploitation d’une installation de production électrique à une autorisation administrative. Dans la mesure où une telle décision administrative est susceptible d’avoir une incidence directe et significative sur l’environnement, le législateur aurait dû prévoir un dispositif permettant la participation du public à l’élaboration de cette décision, conformément à l’article 7 de la Charte de l’environnement, à valeur constitutionnelle[10]. Il est établi qu’avant 2013, aucune disposition législative ne prévoyait un tel dispositif. En 2013, via une ordonnance de l’article 38, le gouvernement a inséré dans la partie législative du code de l’environnement l’article L. 120-1-1 prévoyant le dispositif exigé[11]. Il n’est donc pas contesté que la violation de l’article 7 de la Charte de l’environnement est manifeste avant 2013, et le Conseil constitutionnel a prononcé une déclaration d’inconstitutionnalité s’agissant de la période antérieure – tout en la privant d’effet utile[12]. Le problème était plus subtil s’agissant de l’état du droit postérieur à 2013, l’ordonnance en question, bien qu’ayant fait l’objet d’un projet de loi de ratification, n’ayant jamais été ratifiée expressément.

La question qui était posée au Conseil constitutionnel résidait dans la valeur juridique des dispositions de l’article L. 120-1-1 du code de l’environnement : instituant une procédure répondant aux exigences de la Charte de l’environnement, ces dispositions devaient se voir reconnaître valeur législative pour éviter la censure des Sages, pour incompétence négative du Parlement[13]. À cette question, le Conseil constitutionnel a répondu qu’il s’agissait bien de dispositions législatives.

La solution retenue appelle quelques remarques. La position du Conseil constitutionnel est particulièrement claire : parce que le dernier alinéa de l’article 38 de la Constitution dispose que, passé le délai d’habilitation, les ordonnances non ratifiées, mais dont le projet de loi de ratification a été déposé dans les délais de l’habilitation, « ne peuvent plus être modifiées que par la loi dans les matières qui sont du domaine législatif », il en conclut que les dispositions adoptées « doivent être regardées comme des dispositions législatives[14] ». Au-delà de la portée que l’on peut conférer, en général, aux raisonnements tenus par une juridiction suprême, un certain nombre d’indices atteste du fait que la solution retenue en l’espèce semble dépasser largement le seul cadre du litige : d’abord, le raisonnement proposé a l’apparence de ces raisonnements de principe qui marquent une jurisprudence et semble aisément transposable à d’autres espèces – encore faudra-t-il en circonscrire la portée. Ensuite, la communication du Conseil constitutionnel plaide en ce sens : d’une part, la mention sur la bannière de la page d’accueil du site internet indique que « Par sa décision 2020-843 QPC du 28 mai 2020 le Conseil constitutionnel précise la portée de l’article 7 de la Charte de l’environnement et le statut des ordonnances non ratifiées[15] » ;  d’autre part, l’aveu est plus ferme encore, au sein du communiqué de presse : « En outre, le Conseil constitutionnel juge désormais que doivent être regardées comme des dispositions législatives les dispositions d’une ordonnance ne pouvant plus, passé le délai d’habilitation, être modifiées que par la loi dans les matières qui sont du domaine législatif » ; la solution retenue est rendue, selon le même communiqué, « en des termes inédits[16] ». Ces indices attestent du caractère principiel du considérant en cause[17]. Ce faisant, il semble apporter une solution à une question que l’on pensait tranchée depuis longtemps : la problématique de la valeur juridique des ordonnances de l’article 38 de la Constitution. Il n’est pas utile de revenir en détail sur la question, mais simplement de procéder à quelques brefs rappels.

La valeur juridique des ordonnances en question

On sait que l’article 38 est une transcription constitutionnelle de la pratique des décrets-lois des IIIe et IVe Républiques[18]. La question de la valeur juridique des ordonnances a fait l’objet de grandes controverses sous la Ve République, notamment liée aux « approximations constitutionnelles[19] » en la matière : si la question de savoir s’il s’agit d’une véritable délégation du pouvoir législatif a pu diviser la doctrine[20], tous les défenseurs de la délégation n’ont pas poussé la logique jusqu’au bout, qui aurait conduit à considérer que « les ordonnances […] sont des textes législatifs non seulement parce qu’elles peuvent modifier des lois antérieures mais aussi parce qu’elles ne pourront plus être modifiées par le Gouvernement après l’expiration du délai fixé par le Parlement pour l’exercice de ce pouvoir[21] ». Il faut dire que le contentieux a eu l’effet, comme souvent, d’une loupe ou d’un écran : en admettant très tôt la recevabilité du recours pour excès de pouvoir contre les ordonnances non ratifiées, le Conseil d’État – prolongeant sa jurisprudence traditionnelle inaugurée en 1907[22] – et le Conseil constitutionnel ont attribué, implicitement puis expressément, valeur réglementaire auxdites ordonnances[23].

Dès lors, le régime juridique contentieux de l’ordonnance de l’article 38, s’il est complexe et fait d’elle un véritable objet juridique « hybride », en ce qu’elle est « alternativement de nature réglementaire ou de nature législative[24] », n’en demeurait pas moins fermement établi : « Les ordonnances sont […] des mesures réglementaires que le Parlement, par une loi, habilite le président de la République à édicter pendant une période déterminée et qui présentent le caractère exorbitant de pouvoir porter sur le domaine de la loi[25] ». Par conséquent, selon la formule désormais bien connue, « le gouvernement ne légifère pas par voie d’ordonnance, il réglemente exceptionnellement en matière législative[26] ». Ce faisant, tant que l’ordonnance n’est pas ratifiée, elle conserve la valeur d’un acte réglementaire. Elle peut donc être attaquée, à la fois par la voie du recours pour excès de pouvoir, mais aussi au travers de l’exception d’illégalité. La ratification confère, en revanche, le brevet de légalité, dans le délai prévu par la loi d’habilitation, et ce de manière rétroactive[27] : par une fiction juridique, on considère que l’ordonnance a toujours eu valeur législative. Cette hybridité est liée à la vocation même de l’article 38, et permet de maintenir un équilibre tout en verrouillant la dérogation à la répartition des compétences. Ce raisonnement, issu d’une construction jurisprudentielle élaborée et, semble-t-il, équilibrée – qui ne signifie pas pour autant que l’ensemble soit parfaitement cohérent, nous y reviendrons – semble avoir été majoritairement suivi par la doctrine[28].

C’est au nom de cet équilibre que les ordonnances non ratifiées ne peuvent, selon le dernier alinéa de l’article 38, « plus être modifiées que par la loi dans les matières qui sont du domaine législatif », à l’expiration du délai d’habilitation. Cette disposition renforce encore un peu la dimension hybride de l’ordonnance de l’article 38 en ce qu’elle confère aux ordonnances non ratifiées une sorte d’immunité ou un verrouillage : bien qu’actes réglementaires, elles ne peuvent être modifiées par le pouvoir réglementaire. Prises sur habilitation législative, il paraissait en effet difficile d’imaginer ce dernier continuer à intervenir dans le domaine législatif ad vitam aeternam, sauf à risquer l’incompétence ratione temporis[29].

C’est également au nom de cet équilibre qu’a été ajoutée au sein de l’article 38, en 2008, la condition d’une ratification expresse du Parlement, rompant avec la jurisprudence de la ratification implicite[30]. Jusqu’alors, il était en effet admis que cette ratification puisse résulter « d’une manifestation de volonté implicitement mais clairement exprimée par le Parlement[31] » voire « d’une loi qui, sans avoir cette ratification pour objet direct, l’implique nécessairement[32] ». Une telle jurisprudence a pu être considérée comme produisant de l’insécurité juridique et un affaiblissement des prérogatives du Parlement, et cette exigence d’une ratification expresse semblait participer de l’équilibre évoqué[33].

C’est pourtant ledit équilibre qui vient d’être redéfini, en partie semble-t-il, par la décision du Conseil constitutionnel. Ce dernier excipe du dernier alinéa de l’article 38 la valeur législative des ordonnances non ratifiées après le délai d’habilitation, selon le raisonnement tenu par les défenseurs de la thèse de la délégation législative. Ce raisonnement est sujet à interrogations, notamment au regard de son caractère inabouti dans la décision commentée.

Les limites du raisonnement du Conseil constitutionnel

Il convient à nouveau de replacer la solution rendue dans son contexte : alors que la Charte de l’environnement impose une définition par la loi des modalités d’organisation de l’élaboration des décisions publiques ayant une incidence sur l’environnement, le Conseil constitutionnel estime que cette condition est remplie, dès lors que le dispositif d’espèce est bien organisé par des mesures matériellement législatives. Il est donc amené à interpréter la Charte de l’environnement à l’aune d’une conception matérielle de la loi.

Ce raisonnement paraît pouvoir être généralisé : le Conseil constitutionnel déduit expressément de l’article 38 la valeur législative desdites ordonnances. Sous prétexte qu’une fois le délai d’habilitation passé, elles ne peuvent faire l’objet de modification que par la loi, les ordonnances auraient valeur législative. Un tel raisonnement n’est pas dénué de logique, et a pu être défendu par Marcel Waline, Louis Favoreu et, plus récemment, le professeur Denys de Béchillon[34]. Il est relativement séduisant et bien exposé par ce dernier, estimant que le régime contentieux avait conduit à « phagocyter tous les autres phénomènes de la vraie valeur juridique de l’ordonnance[35] ». Or, selon l’auteur, « il n’existe aucune raison pour laquelle, dans le Panthéon des critères de la hiérarchie des normes, l’angle contentieux devrait forcément occuper une place prééminente. Les conditions de mutabilité de l’acte présentent, à cet égard, un intérêt au moins équivalent. Et de ce fait, il n’y a vraiment rien de choquant à dire qu’un acte apte à modifier ou abroger une loi, et ne pouvant être modifié ou abrogé que par elle, possède la valeur d’une loi[36] ». Aussi séduisante soit-elle, cette thèse n’est pas pleinement convaincante, du moins et notamment en raison de la manière dont elle est défendue par le Conseil constitutionnel – et même si la Constitution manque sans doute de clarté et de cohérence à ce sujet, nous y reviendrons.

D’abord, mais c’est une question théorique qu’il n’est pas de notre ressort de trancher ici, quelle que soit la conception que l’on peut avoir de l’ordre juridique ou de la hiérarchie des normes, il n’est pas certain que l’on puisse déterminer la valeur juridique d’un acte en fonction de la valeur des actes susceptibles de les modifier.

Ensuite, si l’on adhère en partie à cette logique, on est seulement conduit à reconnaître que les ordonnances ne sont pas des règlements comme les autres, et à leur conférer éventuellement une valeur supra réglementaire. Si les ordonnances ne peuvent faire l’objet d’une modification réglementaire après délai d’habilitation, ce n’est pas nécessairement parce qu’elles ont valeur législative, mais parce qu’elles interviennent dans le domaine de la loi en vertu d’une autorisation expresse du Parlement, laquelle est limitée dans le temps. C’est notamment la raison pour laquelle les ordonnances non ratifiées, en général, ne sont pas soumises au même régime contentieux que les règlements[37]. Finalement, si ces ordonnances ne sont, de manière générale, que « très fictivement des actes administratifs[38] », elle ne sont également que des « quasi-loi[39] », selon une confusion entre matière et acte à laquelle procède le juge[40]. Or, une quasi-loi n’est pas une loi[41].

Par ailleurs, les moyens utilisés par le Conseil constitutionnel ne sont pas à la hauteur de l’ambition formulée par cette solution. En effet, en liant le sort de l’ordonnance non ratifiée au dernier alinéa de l’article 38, le Conseil constitutionnel ne se contente pas seulement d’affirmer que l’ordonnance intervient dans le domaine de la loi. Le cas échéant, il lui aurait suffi de se référer à l’article 34 de la Constitution (encore aurait-il fallu qu’il justifiât d’interpréter ainsi la Charte de l’environnement, ce qui n’était pas insurmontable). En allant bien au-delà, le Conseil constitutionnel semble ajouter une subtilité au régime juridique des ordonnances. Toutefois, en n’assumant pas totalement la doctrine Waline – les ordonnances non ratifiées durant le délai d’habilitation demeurant des actes réglementaires – cette jurisprudence semble rompre l’apparente clarté de la construction établie. Inaboutie et donc source d’incohérence, cette solution peut apparaître par ailleurs comme dangereuse, notamment en raison du signal qu’elle envoie au Parlement, à travers l’atténuation du rôle de la ratification.

La mise en cause de la portée de la ratification

Une telle solution retenue par le Conseil constitutionnel semble aller, d’une certaine manière, à l’encontre du texte et de l’esprit de la Constitution, parce qu’elle met notamment en cause le principe même de la ratification par le Parlement et sa signification.

En conférant aux ordonnances non ratifiées après le délai d’habilitation une valeur législative, le Conseil constitutionnel remet en cause, d’une certaine manière, le sens de la ratification par le Parlement. En tant qu’elle permet une extension du pouvoir réglementaire dans le domaine de la loi, l’ordonnance a ceci de spécial qu’elle est strictement encadrée par l’intervention du Parlement : avant, par la loi d’habilitation et le cadrage qu’elle effectue, temporellement et matériellement ; après, par la ratification qu’elle appose, si besoin est, aux mesures prises par le Gouvernement. Cet encadrement est la clef de l’équilibre trouvé par le constituant pour permettre cette dérogation à la répartition des compétences entre la loi et le règlement. La ratification joue notamment un rôle symbolique en rappelant au pouvoir réglementaire qu’il n’est pas souverain et qu’il ne dispose pas, à tout le moins, d’une véritable délégation législative : elle est d’autant plus importante que le constituant en a renforcé le poids, en 2008, en exigeant qu’elle intervienne expressément, mettant fin à la pratique courante des ratifications implicites admise par la jurisprudence[42]. En l’état, ainsi que l’affirme le professeur Benoît Plessix, « l’article 38 ne lèse pas le Parlement et n’avantage pas outre mesure le gouvernement[43] ».

Par un raisonnement a contrario, on peut donc aisément considérer que si « l’effet essentiel de la ratification est de conférer valeur législative dès sa signature à l’ordonnance[44] », l’absence de ratification emporte maintien de la valeur réglementaire. Autrement dit, « plus fréquemment, la qualité d’acte législatif peut être reconnue à un acte édicté par le gouvernement. Mais cet effet est subordonné à la ratification, par le législateur de cet acte pris sur son habilitation initiale. Faute de ratification, l’acte du gouvernement conserve sa nature d’acte administratif, certes particulier pour avoir été pris dans le domaine de compétence du législateur[45] ».

En attribuant valeur législative à l’ordonnance non ratifiée après délai d’habilitation, le Conseil constitutionnel semble pourtant procéder, au mieux à une ratification implicite, mais contra legem, au pire à une mise à l’écart du processus de ratification, contre l’esprit de la Constitution. Dans les deux cas, il ampute le Parlement d’une prérogative majeure. Ce faisant, il paraît mettre en péril l’équilibre trouvé en la matière. Cet équilibre trouve sans doute ses origines dans la volonté de « conjurer le poids de l’histoire et des mauvais souvenirs » et de présenter l’ordonnance « comme un acte second, contrôlable, maîtrisable, toujours susceptible d’être déféré au juge[46] ». Il reste qu’il paraît difficile de ne pas suivre cette voie, quitte à ne pas réussir à unifier le régime juridique des ordonnances.

Il semble d’ailleurs que le constituant ait sa part de responsabilité dans cette impossibilité d’unification des régimes, en raison d’approximations, voire de contradictions au sein de l’article 38 : ce dernier conditionne la valeur législative des ordonnances à la ratification expresse avant la fin du délai d’habilitation, tout en conférant, par ailleurs, une valeur quasi législative à celles non ratifiées, passé ce délai. Il y a ici une quasi-contradiction. Face à une telle imprécision et pour contourner cette impasse, une interprétation en forme de pis-aller paraît pouvoir être effectuée par les interprètes authentiques de la Constitution : celle, défendue jusqu’alors, de considérer que le constituant n’a pas entendu conférer une valeur législative aux ordonnances non ratifiées, passé le délai d’habilitation.

Sous la Ve République, c’est bien le Parlement qui « vote la loi[47] ». C’est ce qui avait notamment justifié l’amendement constitutionnel de 2008 ajoutant l’exigence de ratification expresse à l’article 38. Il avait en outre pour objectif de réduire l’insécurité juridique résultant du désordre normatif des ratifications implicites, mais aussi de renforcer le rôle du Parlement[48] : si une telle réforme paraissait déjà limitée dans sa portée [49], il semble que la solution du Conseil constitutionnel mette à mal ces deux objectifs et, plus largement, l’esprit de la Constitution.

Une interprétation intermédiaire serait de considérer que, face à l’afflux des ordonnances non ratifiées, le Conseil constitutionnel envoie au Parlement un message de vigilance, mettant au contraire en valeur le processus de ratification expresse. En conférant auxdites ordonnances une valeur législative, il sanctionnerait en réalité l’inaction du Parlement s’agissant d’une ordonnance ayant fait l’objet d’un projet de loi de ratification. Sur le plan politique, c’est d’ailleurs ce à quoi le Parlement sera sans doute conduit. Mais, il s’agit là d’une interprétation doctrinale que l’on pourrait qualifier de bienveillante. Encore aurait-il fallu que le Conseil constitutionnel argumentât en ce sens. Quand bien même, il n’est pas certain que la solution ainsi appréhendée puisse être constitutionnellement audible : la ratification est bien une faculté et non une obligation, et la Constitution ne confère pas au Conseil constitutionnel « un pouvoir général d’appréciation et de décision identique à celui du Parlement[50] ».

Outre ces aspects institutionnels, cette décision semble n’être pas dénuée de conséquences sur le plan contentieux.

Les conséquences sur le plan contentieux

Il n’est pas question de se faire oracle et de prédire ce qui arrivera, mais simplement d’essayer d’imaginer les incidences d’une telle solution sur le plan contentieux. Le régime des ordonnances paraît susceptible d’évoluer à l’aune de cette solution. Si le Conseil constitutionnel ne va pas jusqu’à reconnaître formellement une valeur législative à l’ordonnance en question, on peut toutefois s’interroger quant au destin contentieux de ces ordonnances, devant le Conseil constitutionnel lui-même, mais aussi devant le juge administratif. Par une interprétation extensive, une telle solution impliquera-t-elle que les ordonnances non ratifiées soumises au Conseil d’État, le plus souvent par la voie de l’exception d’illégalité[51], soient désormais susceptibles de n’être contestée que par la voie de l’exception d’inconstitutionnalité, que seul le Conseil constitutionnel peut connaître[52], et de l’exception d’inconventionnalité[53] ? Si ce dernier ne pose pas problème, s’agissant du contrôle de constitutionnalité, une telle logique devrait conduire le Conseil constitutionnel à admettre des QPC portant sur des ordonnances non ratifiées après délai d’habilitation, ce qui permettrait l’invasion, dans le domaine du contrôle a posteriori de constitutionnalité, de normes adoptées par le pouvoir réglementaire, et accomplirait le vœu de la doctrine de la délégation législative.

Cela était pourtant expressément exclu jusqu’alors, le Conseil constitutionnel ayant interprété l’article 61-1 selon une appréhension formelle de la loi. Il a, en effet, affirmé en 2012 que les dispositions d’une ordonnance qui n’a pas été ratifiée « ne revêtent pas le caractère de dispositions législatives au sens de l’article 61-1 de la Constitution » et « qu’il n’y a donc pas lieu, pour le Conseil constitutionnel, d’en connaître[54] ». Certes, le délai d’habilitation était encore ouvert, mais cette solution s’imposerait, a fortiori, au cas des ordonnances non ratifiées, après le délai encadrant l’habilitation. La brèche avait pourtant été ouverte, le Conseil constitutionnel acceptant depuis longtemps de contrôler la constitutionnalité, a priori, d’une loi de ratification[55]. Ainsi que le rappelle le professeur Julien Boudon, à cette occasion, « le Conseil se permet de scruter la constitutionnalité de l’ordonnance en cours de ratification » alors même qu’en « toute logique, il devrait se l’interdire puisque l’ordonnance n’est pas encore ratifiée[56] ».

La question est d’une grande actualité en raison du grand nombre d’ordonnances prises dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire et le Conseil constitutionnel sera tenu par le comportement des juridictions ordinaires, en tant que juges du filtre des QPC.

Ajoutons qu’il n’est pas certain que les justiciables aient à y gagner. Le régime contentieux des ordonnances non ratifiées est, certes, relativement restrictif à l’heure actuelle, s’agissant notamment des moyens de légalité. Toutefois, il est permis de soulever des moyens de constitutionnalité et de conventionnalité en tout genre – et à tout moment via l’exception d’illégalité. On sait en revanche que la QPC ne peut concerner qu’une atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution, ce qui exclut les dispositions formelles. Par ailleurs, le chemin menant au Conseil constitutionnel est plus tortueux que celui menant au juge administratif. Enfin, il n’est pas certain que la QPC permette une meilleure protection des droits et libertés que le contentieux administratif – la décision commentée en atteste –, notamment parce que les effets des décisions d’abrogation des dispositions législatives sont strictement encadrés, voire parfois réduits à néant pour le justiciable. On imagine cependant mal le Conseil d’État accueillir un tel moyen, renonçant ainsi à sa compétence et à sa jurisprudence historique en la matière. Il y a fort à parier que le juge ordinaire tentera de minimiser la solution du Conseil constitutionnel, mais rien n’est jamais acquis.

*

Dans un article bien connu, le Président Bruno Genevois prenait la doctrine majoritaire à contre-pied et dressait un « constat de cohérence globale » du cadre juridique d’application des ordonnances de l’article 38 de la Constitution, attribuant ces mérites à « l’apport conjugué de la jurisprudence constitutionnelle, administrative, judiciaire et même de celle du Tribunal des conflits[57]». La lecture de la décision commentée pourra peut-être faire réévaluer ce constat : le régime juridique des ordonnances pourra alors éventuellement bien être qualifié de « byzantin et incertain[58] ».

En conclusion, les enjeux soulevés par la décision du Conseil constitutionnel sont multiples, autant sur le plan institutionnel que contentieux, sans qu’il ne soit possible de tout évaluer en l’état. Il est en tout certain qu’en filigrane, c’est bien du statut de la loi dont il est question et, partant, du rôle du Parlement et de l’équilibre entre les pouvoirs[59]. On voit là, au passage, l’intérêt de l’étude du contentieux constitutionnel qui, loin d’être du droit constitutionnel en vase clos, est intimement liée aux dimensions institutionnelles et théoriques.

[Mis à jour le 4 juin 2020].


[1] CC, n° 2020-843 QPC, 28 mai 2020, Autorisation d’exploiter une installation de production d’électricité.

[2] CC, n° 2010-1 QPC, 28 mai 2010, Cristallisation des pensions.

[3] L. Fabius, « Pas d’éclipse des principes fondamentaux du droit », Le Figaro, 17 avr. 2020, à propos de la décision iconoclaste l’ayant conduit à renoncer à sanctionner une inconstitutionnalité procédurale manifeste « compte tenu des circonstances particulières de l’espèce » (CC, n° 2020-799 DC, 26 mars 2020, Loi organique d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19, § 3). Pour un décryptage, voir notamment M. Carpentier, « L’arrêt Heyriès du Conseil constitutionnel ? », Blog de Jus Politicum [Jus Politicum Blog] ; V. Champeil-Desplats, « Le Conseil constitutionnel face à lui-même. À propos de la décision n° 2020-799 DC du 26 mars 2020 », La Revue des Droits de l’Homme [en ligne], Avril 2020 [RDH] ; et J. Jeanneney, La non-théorie des “circonstances particulières”. Sur la décision relative à la loi organique d’urgence sanitaire », AJDA, 2020/15, p. 843-848.

[4] Voir notamment sur la base de jurisprudence du Conseil d’État, le nombre de décisions déjà rendues en la matière (par exemple, ces derniers jours : CE, 6 mai 2020, n° 440166 ; CE, 12 mai 2020, n° 440285 ; CE, 12 mai 2020, n° 440419 ; CE, 19 mai 2020, n° 440459).

[5] Voir infra.

[6] § 11 de la décision commentée.

[7] B. Russel, ABC de la relativité, P. Cinquart [trad.], 10|18, 1997, p. 134.

[8] Voir infra.

[9] Ordonnance n° 2011-504 du 9 mai 2011 et loi n° 2013-619 du 16 juillet 2013 portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne dans le domaine du développement durable.

[10] L’article 7 de la Charte de l’environnement dispose que : « Toute personne a le droit, dans les conditions et les limites définies par la loi, d’accéder aux informations relatives à l’environnement détenues par les autorités publiques et de participer à l’élaboration des décisions publiques ayant une incidence sur l’environnement ».

[11] Article L. 120-1-1 du code de l’environnement, inséré par l’ordonnance du 5 août 2013. Il n’est pas utile, pour la présente note de revenir en détail sur les dispositifs instaurés.

[12] Notamment parce qu’il a privé expressément d’effet utile sa décision en jugeant manifestement excessives les conséquences que pourrait avoir une telle abrogation rétroactive (sans préciser ce qu’étaient ces conséquences manifestement excessives : on pense sans doute à des considérations relatives à la sécurité juridique).

[13] On sait, en effet, depuis la décision Kimberly Clark (CC, n° 2010-5 QPC, 18 juin 2010, cons. 3) que « la méconnaissance par le législateur de sa propre compétence ne peut être invoquée à l’appui d’une question prioritaire de constitutionnalité que dans le cas où cette méconnaissance affecte par elle-même un droit ou une liberté que la Constitution garantit » (rappelé dans le § 4 de la décision commentée).

[14] § 11 de la décision commentée.

[15] Nous soulignons.

[16] Communiqué de presse de la décision commentée : « En des termes inédits, il en déduit que, à compter de cette date, elles doivent être regardées comme des dispositions législatives » (https://www.conseil-constitutionnel.fr/actualites/communique/decision-n-2020-843-qpc-du-28-mai-2020-communique-de-presse).

[17] On sait en effet le rôle de la communication du Conseil constitutionnel pour préciser la portée de ses décisions : voir notamment M. Heitzmann-Patin, « La communication des décisions du Conseil constitutionnel français », in P. Bourdon (dir.), La communication des décisions du juge administratif, Lexisnexis, février 2020, publication d’un ouvrage collectif à l’issue du colloque du 12 avril 2019, Université du Mans ». Sur le rôle plus spécifique des communiqués de presse, voir M. Méthivier, « Les communiqués de presse du Conseil constitutionnel, objets non identifiés du droit constitutionnel », RFDA, 2018, p. 163 et s.

[18] Pour une étude récente du pouvoir réglementaire sous les IIIe et IVe Républiques, voir la thèse de E. Quinart, L’émancipation du pouvoir réglementaire (1914-1958), thèse dactyl., Univ. Lille 2.

[19] J. Boudon, « Propos malicieux sur les ordonnances de l’article 38 de la Constitution », AJDA, 2019/26, p. 1492. Sur une étude de la controverse, voir notamment L. Favoreu, « Ordonnances ou règlements d’administration publique ? », RFDA, 1987/5, p. 686-699, rééd. in id., La Constitution et son juge, Economica, 2014, p. 595-612. Il n’a pas été possible de se procurer, dans les délais, la thèse de C. Boyer-Mérentier, Les ordonnances de l’article 38 de la Constitution du 4 octobre 1958, Economica, coll. Droit public positif, 1999, ainsi que l’ouvrage d’A.-M. Le Pourhiet, Les ordonnances : la confusion des pouvoirs en droit public français, LGDJ, coll. Systèmes. Droit, 2011, auxquels la majorité des auteurs renvoie.

[20] La thèse de la délégation est défendue en particulier par Marcel Waline dans de nombreux écrits (voir notamment M. Waline, « Les rapports entre la loi et le règlement avant et après la Constitution de 1958 », RDP, 1959, p. 1059 et s.). Le vocabulaire de la délégation a également été utilisé par de nombreux auteurs : voir, par exemple, G. Burdeau, Droit constitutionnel et institutions politiques, LGDJ, 14e éd., 1969, p. 549. Sous un paragraphe intitulé « Une délégation de pouvoir », l’auteur affirme que « La Constitution officialise la délégation du pouvoir législatif appartenant au Parlement » ; voir aussi M. Duverger, Institutions politiques et droit constitutionnel, PUF, coll. Thémis, 10e éd., 1968, p. 557. L’auteur évoque « le pouvoir de légiférer par ordonnances » ; voir enfin A.-M. Le Pourhiet, Droit constitutionnel, Economica, coll. Corpus droit public, 5e éd., 2013, p. 390 qui évoque « le pouvoir de légiférer par ordonnances ». La confusion procède notamment de ce que l’article 41 de la Constitution a recours à la formule « délégation accordée en vertu de l’article 38 » (sur cette question, voir J. Boudon, « Propos malicieux… », art. cité, p. 1493-1494).

Elle est toutefois rejetée par de nombreux auteurs et notamment par G. Vedel, Droit administratif, PUF, coll. Thémis, 4e éd., 1968, p. 198, F. Hamon et M. Troper, Droit constitutionnel, LGDJ, coll. Manuel, 35e éd., 2014, p. 125 ; B. Plessix, Droit administratif général, LexisNexis, coll. Manuel, 2e éd., 2018, p. 732.

[21] M. Waline, « Les rapports entre la loi et le règlement… », art. cité, p. 1059. Voir également L. Favoreu, « Ordonnances ou règlements d’administration », art. cité ou encore D. de Béchillon, « La vraie nature des ordonnances », art. cité (référence y est faite à sa thèse, qui n’a pas pu être consultée dans les délais impartis : id., Hiérarchie des normes et hiérarchie des fonctions normatives, Economica-PUAM, 1994, p. 323 et s.). Quant aux auteurs précités recourant au vocabulaire de la délégation législative, ils admettent tous la valeur réglementaire des ordonnances non ratifiées (voir notamment G. Burdeau, Droit constitutionnel et institutions politiques, op. cit., p. 551 et voir infra).

[22] CE, 6 déc. 1907, Compagnie des chemins de fer de l’Est ; voir égalementCE, Ass., 25 juin 1937, Union des véhicules industriels et CE, Ass., 15 juil. 1954, Société des établissements Mulsant.

[23] Pour ce qui est du Conseil d’État, voir CE, 3 nov. 1961, Damiani (implicitement) puis CE, 24 nov. 1961, Fédération nationale des syndicats de police. Voir notamment, CC, n° 72-72 L, 29 fév. 1972, Nature juridique de crtaines dispositions… ; s’agissant du Conseil constitutionnel, voir CC, n° 85-196 DC, 8 août 1985, Loi sur l’évolution de la Nouvelle-Calédonie et CC, n° 86-224 DC, 23 janv. 1987, Conseil de la concurrence. Voir, pour un résumé en la matière, B. Genevois, « L’application de l’article 38 de la Constitution : un régime juridique cohérent et nullement baroque », RFDA, 2018/4, p. 755 et s.

[24] J. Boudon, « Propos malicieux… », art. cité, p. 1494.

[25] A. Laubadère, Traité de droit administratif, t. I, 1980, p. 78 cité par L. Favoreu, « Ordonnances ou règlements d’administration », art. cité, p. 600. La thèse de la cohérence est notamment celle défendue par B. Genevois, « L’application de l’article 38 de la Constitution », art. cité, p. 755-769.

[26] B. Plessix, Droit administratif, op. cit., p. 732-733.

[27] Voir CE, 19 déc. 1969, Dame Piard. (confirmant la jurisprudence à propos des décrets-lois : CE, 11 mai 1949, Ligue des fonctionnaires pères et mères de famille nombreuse). Voir également D. Costa, « La ratification des ordonnances », AJDA, 2003, p. 27 et s. Une fois ratifiées, les ordonnances deviennent inattaquables devant le Conseil d’État, solution qui prévalait déjà pour les décrets-lois (voir notamment CE, Ass., 25 juin 1937, Union des véhicules industriels et la note sous arrêt de L. Rolland, RDP, 1937, p. 502 : « Il est évident qu’un décret-loi approuvé par le Parlement devient juridiquement inattaquable ; la ratification du Parlement couvre toutes les irrégularités »).

[28] On le constate notamment à la lecture de la plupart des manuels de droit constitutionnel et de droit administratif. Louis Favoreu estimait à ce titre que « la doctrine dominante confirmée par la jurisprudence est qu’il n’y a pas délégation des pouvoirs législatifs : il y a simplement extension provisoire du pouvoir réglementaire » (L. Favoreu, « Le pouvoir normatif primaire du Gouvernement en droit français », Congrès annuel de l’Association italienne des constitutionnalistes, 24-25 nov. 1995, in L. Favoreu, La Constitution et son juge, op. cit., p. 461).

[29] Cette disposition a d’ailleurs été largement interprétée par l’Assemblée du Conseil d’État estimant notamment que le pouvoir réglementaire n’était pas compétent, après expiration du délai d’habilitation, pour abroger les dispositions d’une ordonnance de l’article 38 et intervenues dans le domaine de la loi (CE, Ass., 11 déc. 2006, Conseil national de l’ordre des médecins, n° 279517). Voir sur cet arrêt, C. Landais et F. Lenica, « Le pouvoir d’abrogation de l’autorité réglementaire à l’égard des ordonnances », AJDA, 2007/3, p. 133-136 et D. de Béchillon, « La vraie nature des ordonnances », in Le dialogue des juges. Mélanges en l’honneur de Bruno Genevois, Dalloz, 2007, p. 209-215.

[30] Voir P. de Montalivet, « La ratification des ordonnances (l’article 38 de la Constitution) », LPA, 2008, n° 254, p. 59 et s.

[31] CC, n° 72-73 L, 29 fév. 1972, Nature juridique de certaines dispositions…, cons. 3.

[32] CC, n° 86-224 DC, 23 janv. 1987, Conseil de la concurrence, cons. 24.

[33] Voir infra

[34] Voir supra.

[35] D. de Béchillon, « La vraie nature des ordonnances », art. cité, p. 214. L’auteur souligne. Louis Favoreu l’exprimait également à sa manière : « Ainsi donc, les ordonnances ont été qualifiées d’actes administratifs parce que le Conseil d’État est compétent a admis la recevabilité du recours pour excès de pouvoir et de l’exception d’illégalité contre elles. Pour de nombreux auteurs, c’est une évidence : les ordonnances sont des actes administratifs parce que le Conseil d’État est compétent pour en connaître (L. Favoreu, « Ordonnances et règlements d’administration publique », art. cité, p. 599).

[36] D. de Béchillon, « La vraie nature des ordonnances », art. cité, p. 215.

[37] On pense notamment au fait que le contrôle de légalité est restreint s’agissant des normes de références : elles peuvent être confrontées à la Constitutions, aux traités, aux principes généraux du droit, à la loi d’habilitation, mais pas à l’ensemble des autres dispositions législatives en vigueur (voir CE, 13 juil. 2006, n° 286711, France nature environnement). Pour une étude sur la question, voir C. Boyer-Mérentier, « Les ordonnances de l’article 38 de la Constitution : une place ambiguë dans la hiérarchie des normes (propos autour du contentieux relatif aux ordonnances portant réforme de la Sécurité sociale) », RFDA, 1998, p. 924 et s. et B. Genevois, « L’application de l’article 38 de la Constitution : un régime juridique cohérent et nullement baroque », art. cité,p. 755-769.

[38] D. de Béchillon, « La vraie nature des ordonnances », art. cité, p. 214.

[39] J. Boudon, « Propos malicieux… », art. cité, p. 1495.

[40] Voir sur cette critique : J. Boudon, « Propos malicieux… », art. cité, p. 1495.

[41] Voir notamment M. Duverger, Institutions politiques et droit constitutionnel, op. cit., p. 558 : « Une fois expiré le délai pendant lequel les ordonnances peuvent être prises, elles ne peuvent plus être modifiées que par des lois, dans les matières qui sont du domaine législatif : le Gouvernement ne peut donc plus intervenir. Mais elles n’en deviennent pas pour autant des lois véritables, tant que le Parlement ne les a pas expressément ratifiées. En l’absence de cette ratification, elles restent ce qu’elles étaient pendant le délai où le Gouvernement les a élaborées : des actes de nature administrative, qui peuvent donc faire l’objet de recours pour excès de pouvoir devant le Conseil d’État. C’est la solution traditionnelle en matière de décrets-lois ».

[42] Voir par exemple CC, n° 86-224 DC, 23 janv. 1987, Conseil de la concurrence ; CE, 10 juil. 1972, n° 77961, Compagnie Air inter ; Cass. com., 6 oct. 1992 et T. confl., 19 mars 2007, n° 3622, Samzun. Pour une critique de cette jurisprudence, voir Y. Gaudemet, « Sur l’abus ou sur quelques abus de la législation déléguée », in Mélanges en l’honneur de Pierre Pactet, Dalloz, 2003, p. 617 et s.

[43] B. Plessix, Droit administratif, op. cit., p. 733.

[44] B. Genevois, « L’application de l’article 38 de la Constitution : un régime juridique cohérent et nullement baroque », art. cité, p. 765.

[45] B. Seiller, « Acte administratif : identification », Répertoire du contentieux administratif, Dalloz, n° 123.

[46] D. de Béchillon, « La vraie nature des ordonnances », art. cité, p. 215.

[47] Article 24 de la Constitution.

[48] Sur les raisons de cette réforme, voir P. de Montalivet, « Le leurre de la ratification expresse des ordonnances de l’article 38 de la Constitution », RDP, 2011/6, p. 1565 et s.

[49] Voir P. de Montalivet, ibid.

[50] CC, n° 74-54 DC, 15 janvier 1975, Loi relative à l’interruption volontaire de grossesse, cons. 1.

[51] Les cas sont très rares – et difficiles à recenser – d’ordonnances non ratifiées et soumises au Conseil d’État après délai d’habilitation (voir par exemple CE, 23 avr. 1965, Pierre-Justin et CE, 13 nov. 1974, Sté Leroi et Lardereau).

[52] Certes, le Conseil d’État exerce depuis longtemps un véritable contrôle de constitutionnalité des ordonnances non ratifiées, en l’absence de loi faisant matériellement écran. Toutefois, c’est bien en tant qu’acte formellement règlementaire que l’ordonnance est alors traitée, et non en tant qu’acte législatif (voir sur ce contrôle, CE, 4 nov. 1996, Association de défense des sociétés de course des hippodromes de province, n° 177162).

[53] Ici aussi, le Conseil d’État a toujours contrôlé les ordonnances au regard des normes internationales (CE, sect., 19 oct. 2005, CGT).

[54] Voir notamment CC, n° 2011-219 QPC, 10 fév. 2012, Non lieu : ordonnance non ratifiée…, cons. 3 ; CC, n° 2014‑331 QPC, 5 juil. 2013, Pouvoir de sanction de l’ARCEP, cons. 2. Une telle position avait déjà été adoptée par le Conseil d’État : CE, 11 mars 2011, n° 341658, Alexandre A

[55] Voir notamment CC, n° 83-156 DC, 28 mai 1983, Loi portant diverses mesures relatives aux prestations de vieillesse ; ou encore récemment, CC, n° 2018-761 DC, 21 mars 2018, Loi ratifiant diverses ordonnances…

[56] J. Boudon, « Propos malicieux… », art. cité, p. 1495.

[57] B. Genevois, « L’application de l’article 38 de la Constitution : un régime juridique cohérent et nullement baroque », art. cité, p. 756.

[58] L. Favoreu, « Ordonnances ou règlements d’administration publique ? », p. 604

[59] Voir, pour une étude reflétant l’importance de ces questions sur la thématique évoquée : J. Trémeau, La réserve de la loi. Compétence législative et Constitution, Economica-PUAM, 1997.

Commentaires

Claude Danthony dit :

Merci pour cet excellent article.

Autre point troublant dans l’interprétation « valeur législative dès la fin du délai d’habilitation » de cette décision : le CC invoque que le projet de loi de ratification avait été déposé. Or il peut ne l’être que longtemps après la fin du délai d’habilitation. Serait-ce donc à dire que l’ordonnance acquerrait rétroactivement valeur législative à la fin du délai d’habilitation du seul fait (totalement indépendant du parlement et au seul bon vouloir du gouvernement) du dépôt du projet de loi de ratification ?

Bon, il se trouve que j’ai déféré au Conseil d’État une ordonnance en août dernier (après la fin du délai d’habilitation, mais bien avant le dépôt du projet de loi de ratification). Je pense que je vais produire un mémoire.

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