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27 03 2019

Recours indemnitaires et pécuniaires : la liaison du contentieux peut de nouveau intervenir en cours d’instance

Par un avis contentieux rendu ce 27 mars 2019[1], le Conseil d’État a précisé la portée des dispositions de l’article R. 421-1 du code de justice administrative, en indiquant que l’obligation de liaison du contentieux par une demande préalable dans les contentieux indemnitaires et pécuniaires était d’ordre public mais que cette liaison pouvait toujours intervenir en cours d’instance.

I. C’était l’une des modifications les plus emblématiques du décret n°2016-1480 du 2 novembre 2016 portant réforme du code de justice administrative (JADE). Ce décret avait renforcé l’obligation de liaison du contentieux en matière de litiges indemnitaires et pécuniaires (requêtes tendant au paiement d’une somme d’argent), en prévoyant, à l’article R. 421-1 du code de justice administrative, que « lorsque la requête tend au paiement d’une somme d’argent, elle n’est recevable qu’après l’intervention de la décision prise par l’administration sur une demande préalablement formée devant elle ».

Ces nouvelles dispositions semblaient imposer aux requérants de lier le contentieux avant l’introduction de leur recours indemnitaire ou pécuniaire, ce qui impliquait qu’ils saisissent préalablement l’administration d’une demande de paiement des sommes litigieuses et « obtiennent » une décision expresse ou implicite de rejet avant de saisir le juge administratif.

Ce nouvel alinéa de l’article R. 421-1 du code de justice administrative paraissait donc également avoir mis un terme à la jurisprudence Établissement français du sang[2], qui permettait aux requérant de lier le contentieux en cours d’instance, jusqu’à ce que le juge statue[3]. Il semblait qu’il n’était donc désormais plus possible de régulariser en cours d’instance le défaut de liaison du contentieux par l’intervention d’une décision administrative de refus d’indemnisation ou de paiement.    

II. Dans le cadre d’une demande d’avis contentieux, renvoyée par le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne dans le cadre d’une affaire dans laquelle un couple avait présenté une demande indemnitaire préalable mais saisi le tribunal avant l’intervention d’une décision de rejet, le Conseil d’État a retenu une interprétation souple des nouvelles dispositions de l’article R. 421-1 en réadmettant que le contentieux puisse être lié en cours d’instance.

Le Conseil d’État a tout d’abord rappelé que l’irrecevabilité tiré du défaut de décision administrative préalable était d’ordre public, en affirmant qu’« en l’absence d’une décision de l’administration rejetant une demande formulée devant elle par le requérant ou pour son compte, une requête tendant au versement d’une somme d’argent est irrecevable et peut être rejetée pour ce motif même si, dans son mémoire en défense, l’administration n’a pas soutenu que cette requête était irrecevable, mais seulement que les conclusions du requérant n’étaient pas fondées ».

En l’absence de régularisation, ce motif d’irrecevabilité peut donc être soulevé d’office par le juge administratif.

Quant à la question portant sur la liaison des contentieux indemnitaires et pécuniaires en cours d’instance, le Conseil d’État a estimé que « les termes du second alinéa de l’article R. 421-1 du code de justice administrative n’impliquent pas que la condition de recevabilité de la requête tenant à l’existence d’une décision de l’administration s’apprécie à la date de son introduction », que « cette condition doit être regardée comme remplie si, à la date à laquelle le juge statue, l’administration a pris une décision, expresse ou implicite, sur une demande formée devant elle » et que « par suite, l’intervention d’une telle décision en cours d’instance régularise la requête, sans qu’il soit nécessaire que le requérant confirme ses conclusions et alors même que l’administration aurait auparavant opposé une fin de non-recevoir fondée sur l’absence de décision ».

Il en résulte que la condition tenant à l’existence d’une décision administrative refusant d’indemniser un préjudice ou de payer une créance ne doit pas être appréciée à la date d’introduction de la requête, mais à la date du jugement de l’affaire. Cette irrecevabilité tenant au défaut de liaison du contentieux peut donc, de nouveau, être régularisée en cours d’instance, jusqu’au jour du jugement.

III. – Cet avis contentieux restreint donc assez considérablement la portée de la modification opérée par le décret JADE quant à la liaison des contentieux indemnitaires et pécuniaires. La seule modification notable, qui n’est pas remise en cause par l’avis, aura donc été de mettre fin à la liaison du contentieux par l’intervention d’un mémoire en défense au fond n’opposant pas de fin de non-recevoir.


[1] CE, Sect. avis, 27 mars 2019, Consorts R…, n° 426472.

[2] CE, 11 avril 2008, Etablissement français du sang, n°281374.

[3] v. aussi : CE, 25 avril 2003, SA Clinique Les Châtaigniers, n°238683, publié aux tables, p. 899 ; v. déjà : CE, 25 mars 1988, Ville de Lille, n°54411, publié aux tables, p. 943.

Commentaires

Ce qui n’enlève rien au fait qu’une ordonnance prise en raison de l’irrecevabilité manifeste de la requête puisse être adoptée avant la régularisation. C’est aussi un « jugement ». Et c’est un piège bien douloureux dont certains TA ont été friands. Par voie de conséquence, même avant JADE et même après cet avis contentieux, la plus élémentaire prudence commande d’attendre une décision implicite ou explicite de rejet.

JEANNE dit :

Est-il toujours possible de lier le contentieux lorsque le juge adresse un courrier au requérant lui précisant la susceptibilité de soulever une irrecevabilité pour défaut de demande indemnitaire à l’administration en défense, lorsque la date du l’audience est annoncée et qu’il reste moins de deux mois ? Le requérant peut-il demander un renvoi d’audience pour régulariser l’irrecevabilité ?

Jean-Baptiste CHEVALIER dit :

Dans cette hypothèse, il sera sans doute difficile d’éviter un rejet de la requête pour ce motif d’irrecevabilité. Il n’est pas de coutume de demander des renvois d’audience devant le juge administratif. De tels renvois n’interviennent, à l’initiative du juge, que s’ils sont nécessaire pour assurer le respect du caractère contradictoire de la procédure. Il peut en revanche être possible de réinitier ce contentieux après l’intervention de la décision de rejet de la demande indemnitaire préalable.

NOELLE dit :

Bonjour,
une demande indemnitaire rejetée en 1ère instance pour défaut de demande préalable peut-elle être valablement accueillie par une Cour lorsqu’il y a eu tentative de liaison du contentieux par une demande indemnitaire à l’administration alors qu’une requête introductive d’appel a été déposée après rejet de la demande par le tribunal ?

Jean-Baptiste CHEVALIER dit :

La liaison du contentieux ne peut intervenir que jusqu’à ce que le juge statue. Il n’est donc plus possible de régulariser la requête indemnitaire en appel si cela n’a pas été fait, en première instance, dans les temps.

Claire dit :

Bonjour,
J’ai attaqué la mairie qui m’employait pour un licenciement abusif devant le tribunal administratif. J’ai demandé des dommages et intérêts ainsi que l’annulation de la décision de licenciement. J’ai reçu une lettre du tribunal pour me dire que je n’avais pas fait la demande d’indemnité préalable. Cela fait maintenant plus de deux mois que j’ai été licenciée, donc est-il possible d’adresser encore cette demande à la mairie ou le tribunal va-t-il encore refuser ma demande vu que les deux mois sont passés ? Ou alors puis-je annuler ma demande de dommages intérêts et ne garder que la demande de réintégration et l’annulation de la décision de licenciement ?
Merci beaucoup.

Jean-Baptiste CHEVALIER dit :

Votre demande indemnitaire préalable peut toujours être adressée à la commune, même plus de deux mois après votre licenciement, dans la seule limite du délai de prescription quadriennale (quatre ans). Si les conclusions indemnitaires sont rejetées comme irrecevables, le juge sera tout de même conduit à statuer sur les autres conclusions de votre requête tendant à l’annulation du licenciement et à votre réintégration. Il importe cependant de préciser qu’une requête indemnitaire doit en outre être présentée par l’intermédiaire d’un avocat.

Abraham zodé dit :

que vous êtes un eminent Avocat , ce que traduit votre prompte reaction aux différentes consultations juridiques soulévées par devant vous .

Nadia BOUZID dit :

Bonjour,
J’ai été licenciée à la fin de mon année de stage.
J’ai donc effectué un recours gracieux puis un recours administratif.
Le juge a annulé la décision de licenciement et demandé la réintégration.
Il m’accorde 2500 euros pour le préjudice moral et les frais d’avocat.
Puis faire une demande de recours indemnitaire par rapport aux 2500€ ?

Jean-Baptiste CHEVALIER dit :

Si vous avez perçu ces 2500 euros au titre des frais exposés et non compris dans les dépens (art. L. 761-1 CJA), vous pouvez maintenant engager un recours indemnitaire.

Si ces 2500 euros vous ont été accordés en réparation de votre préjudice moral, et que vous trouvez ce montant insuffisant, vous pouvez éventuellement faire appel (sous réserve du montant de la demande indemnitaire initiale).

Heib Gilbert dit :

Comment faire pour intenter un procès contre l’armée pour non régularisation de situation administrative et non-paiement de solde correspondante au grade

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