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08 07 2015

Dura lex, sed lex : Quand l’irrégularité d’un bulletin de vote entraîne l’annulation totale du scrutin

Note sur : CE, 22 juin 2015, Elections municipales de Wasquehal, n°385686 (Lexbase Hebdo édition publique n°381, 9 juillet 2015).

Par un arrêt rendu le 22 juin 2015, le Conseil d’Etat a annulé les élections municipales de Wasquehal, après avoir relevé, d’une part, que l’irrégularité de l’un des bulletins de vote, tirée de l’absence d’indication de la nationalité d’une candidate belge, avait affecté la sincérité du scrutin, et d’autre part, que face à une pareille irrégularité, le juge électoral devait nécessairement prononcer une annulation totale de l’élection.

La loi est dure, mais c’est la loi… Les règles encadrant le déroulement des campagnes et des opérations électorales sont strictes, et les conséquences de leur méconnaissance peuvent être particulièrement sévères. Elles le sont particulièrement lorsqu’une irrégularité, d’apparence bénigne et imputable à un seul candidat, entraîne l’annulation de l’élection dans son ensemble.

Le résultat des élections municipales (et communautaires) de la ville de Wasquehal avait été contestée devant le tribunal administratif de Lille par l’un des candidats malheureux du second tour, au cours duquel quatre listes s’étaient opposées.

Saisi de sa protestation, le tribunal avait reconnu que les bulletins de vote d’une liste concurrente étaient irréguliers, en ce qu’ils ne comportaient pas l’indication de la nationalité d’une candidate ressortissante belge. Malgré cette irrégularité, il avait étonnamment rejeté la protestation en se prévalant de la formulation (maladroite) des conclusions du requérant, qui n’avait demandé que la seule rectification des résultats du scrutin, ce que le tribunal n’était pas en mesure de faire.

Saisi en appel, le Conseil d’Etat a estimé, dans une décision rendue le 22 juin 2015 [1], que la nullité des bulletins de vote altérait la sincérité du scrutin dans son ensemble (I.) et prononcé, en conséquence, l’annulation de l’ensemble des opérations électorales (II.).

I. La nullité des bulletins de vote : inflexibilité du juge électoral

L’annulation des élections contestées a été fondée sur un unique motif, tiré de l’irrégularité des bulletins de vote de l’une des listes présentes au second tour. La critique portait sur le fait que la nationalité de l’une des candidates de cette liste, ressortissante belge, n’était pas mentionnée sur le bulletin de vote.

Une telle mention est rendue obligatoire par les dispositions de l’article L.O. 247-1 du code électoral [2], qui prévoient, pour les communes qui comptent plus de 1000 habitants, que « les bulletins de vote imprimés distribués aux électeurs comportent, à peine de nullité, en regard du nom des candidats ressortissants d’un Etat membre de l’Union européenne autre que la France, l’indication de leur nationalité ».

Dans sa décision, le Conseil d’Etat a confirmé une jurisprudence désormais bien établie : « l’omission sur les bulletins de vote de l’indication de la nationalité des candidats ressortissants d’un Etat membre de l’Union européenne autre que la France entache, à elle seule, ces bulletins de nullité » [3]. Pour justifier le prononcé d’une telle sanction, qui peut paraître d’une extrême sévérité, le Conseil d’Etat précise que celle-ci « résulte des termes mêmes » de l’article LO 247-1 du code électoral. Cette seule justification serait peu convaincante s’il n’avait, par le passé, eu l’occasion d’expliquer que « la mention de la nationalité du candidat aux élections municipales ressortissant d’un Etat membre de l’Union européenne autre que la France est nécessaire à l’information des électeurs, les dispositions de l’article L.O. 2122-4-1 du code général des collectivités territoriales et de l’article L.O. 286-1 du code électoral faisant respectivement obstacle à ce que les conseillers municipaux n’ayant pas la nationalité française puissent exercer des fonctions de maire ou d’adjoint au maire et participer à l’élection des sénateurs » [4]. C’est donc le défaut d’information des électeurs qui est ici sanctionné.

Une telle solution peut cependant étonner à deux égards.

D’une part, les conséquences attachées à cette irrégularité – la mention de la nationalité d’un candidat européen – peuvent paraître totalement disproportionnées par rapport à sa gravité. On voit mal, en effet, quelle manœuvre frauduleuse pourrait se cacher derrière l’absence de mention de la nationalité d’un candidat, laquelle résulte presque généralement d’une simple omission lors de la confection du bulletin de vote. On voit encore moins en quoi une telle irrégularité pourrait exercer quelque influence sur le discernement des électeurs, et in fine, en quoi celle-ci aurait pu avoir pour effet de porter atteinte à la sincérité du scrutin.

D’autre part, le juge électoral traite avec beaucoup plus de pondération nombre d’autres irrégularités affectant les bulletins de vote, irrégularités pourtant non moins graves. C’est notamment le cas des irrégularités sanctionnées par l’article R. 66-2 du code électoral, lequel déclare que « sont nuls et n’entrent pas en compte dans le résultat du dépouillement », notamment « les bulletins ne répondant pas aux prescriptions légales ou réglementaires édictées pour chaque catégorie d’élections », « les bulletins comportant une modification de l’ordre de présentation des candidats », ou encore, « les bulletins imprimés d’un modèle différent de ceux qui ont été produits par les candidats ou qui comportent une mention manuscrite ».

Dans la mesure où de tels bulletins sont déclarés « nuls » sans la moindre réserve, l’observateur non averti pourrait croire que cette nullité serait, elle aussi, relevée automatiquement par le juge électoral. Pourtant, saisi de griefs relevant de telles irrégularités affectant les bulletins de vote, le juge s’octroie une assez large marge d’appréciation, et ne prononce l’invalidation des suffrages qu’à condition que l’irrégularité résulte d’une manœuvre et qu’elle ait pu induire en erreur les électeurs sur l’identification de la liste [5]. Dans une démarche pragmatique, le juge électoral s’assure surtout que les électeurs ayant utilisé les bulletins en cause n’ont pas été induits en erreur et qu’ils ont clairement manifesté leur intention de voter pour la liste concernée [6]. Ainsi peut-il écarter tous les griefs portant sur des erreurs matériels dans le positionnement du titre de la liste, dans l’ordre des candidats ou encore, sur la mention d’un nom autre que celui des candidats [7].

On peut s’étonner que le Conseil d’Etat maintienne de la sorte une jurisprudence d’exception quant aux irrégularités tirées de l’absence d’indication de la nationalité d’un candidat européen. Dans la quasi-totalité des cas, l’invalidation automatique des suffrages en cause entraînera l’annulation des opération électorales, en l’absence même de toute manœuvre ou de toute irrégularité susceptible d’avoir induit en erreur les électeurs.

II. L’annulation du scrutin : souplesse de l’office du juge électoral

Dans cette affaire, il semble que le tribunal se soit cru dans une impasse. En pareil cas, le juge électoral annule l’élection, en tenant généralement compte de ce que la mise à disposition de bulletins de vote erronés a privé de toute portée utile les suffrages des électeurs ayant voté pour la liste en cause, qui n’ont donc pas été en mesure d’exprimer valablement leurs suffrages. Il tient également compte du fait que la liste en cause n’obtient aucun représentant au conseil municipal, alors que les dispositions de l’article L. 262 du code électoral prévoient une représentation au conseil municipal des listes qui ont obtenu au moins 5% des suffrages exprimés. Il s’attache enfin au fait que l’irrégularité des bulletins de vote entraîne une incertitude tant pour le calcul de la majorité des suffrages exprimés que pour le décompte des voix obtenues par les listes en présence. Le juge électoral estime, dans ces conditions, que l’irrégularité des bulletins de vote déclarés nuls affecte la sincérité du scrutin [8]. Au regard de cette solution jurisprudentielle constante, tout pouvait donc laisser à penser que le tribunal annulerait, immanquablement, l’élection.

Celui-ci s’est cependant cru lié à la formulation (malheureuse) des conclusions de la protestation, qui ne sollicitaient pas l’annulation des opérations électorales, mais seulement « la révision du résultat ». L’annulation de l’élection semblait ainsi se heurter à un obstacle juridique : les premiers juges pouvaient légitimement estimer que ce faisant, ils statueraient ultra petita. Mais la révision des résultats sollicitée se heurtait à un autre obstacle, matériel : l’incertitude portant sur le décompte des voix obtenues par les listes en présence plaçait le tribunal « dans l’impossibilité » de reconstituer la répartition exacte des voix et de rectifier les résultats. D’un côté, observer la rigueur des règles de procédure contentieuse administrative, et d’un autre côté, garantir la sincérité d’une élection…

Pour sortir de cette impasse, le Conseil d’Etat a précisé l’office du juge électoral. Il a en effet confirmé, et c’est là l’intérêt principal de cette décision, qu’« il appartenait dans un tel cas au tribunal administratif, dès lors qu’il jugeait que l’irrégularité commise entraînait une incertitude pour le décompte des voix obtenues par les listes en présence, compte tenu du nombre d’électeurs qui n’avaient pas été en mesure d’exprimer valablement leur suffrage pour la liste dont les bulletins ont été déclarés nuls, de prononcer, eu égard au mode de scrutin applicable dans les communes de plus de 1 000 habitants, l’annulation de l’ensemble des opérations électorales, quand bien même une telle annulation n’aurait pas été demandée par le protestataire ».

Face aux difficultés soulevées par une formulation maladroites des conclusions de la protestation électorale, le Conseil d’Etat retient donc une approche pragmatique, en faisant primer l’impératif de sincérité des scrutins électoraux sur la rigueur de la procédure contentieuse administrative, qui impose en principe au juge de ne statuer que sur des conclusions dont il est expressément saisi. On remarquera cependant que, sans statuer ultra petita (mais la frontière est parfois mince), le juge administratif s’autorise de longue date à interpréter des conclusions maladroitement ou inadéquatement formulées par les requérants, notamment lorsque ceux-ci ne bénéficient pas de l’assistance d’un avocat [9]. On relèvera par ailleurs que cette même solution avait déjà été retenue dans une récente décision, dans laquelle le Conseil d’Etat avait déjà validé, par les mêmes motifs, le jugement d’un tribunal qui avait prononcé l’annulation de l’ensemble des opérations électorales alors même qu’il n’était saisi que d’une demande d’annulation des seuls suffrages litigieux [10].

Ces décisions n’intéresseront pas que les spécialistes du contentieux électoral. Elles pourront intéresser les élus et candidats aux élections locales et nationales, et retentissent comme un petit avertissement : les prescriptions du code électoral relatives à la présentation des bulletins de vote, parfois négligées, ont bel et bien un caractère contraignant. Toute irrégularité, paraîtrait-elle anecdotique, créera en général un risque non nul d’annulation de l’élection. Et toute irrégularité tenant à l’omission de l’indication de la nationalité d’un candidat européen, entraînera, assez immanquablement, l’annulation de l’ensemble du scrutin. La loi est dure, mais c’est la loi

Jean-Baptiste Chevalier
Avocat au barreau de Rennes

Notes

[1] CE, 22 juin 2015, Elections municipales de Wasquehal, n°385686, sera mentionné aux tables du recueil Lebon

[2] Article issu de la loi organique n°98-404 du 25 mai 1998, qui avait pour objet de transposer la directive n°94/80/CE du 19 décembre 1994, et qui a permis aux ressortissants de l’Union européenne de participer, dans certaines conditions, aux élections municipales.

[3] V. déjà : CE, 12 juillet 2002, Elections municipales de Champigny-sur-Marne, n°239083, aux tables du recueil Lebon ; CE, 29 décembre 2014, Elections municipales de la Croix-Valmer, n°383127 ; CE, 13 février 2015, Elections municipales de Martizay, n°382416.

[4] CE, 12 juillet 2002, n°239083, précité, aux tables du recueil Lebon.

[5] v. par exemple : CE, 16 juin 2010, Election des membres de l’assemblée des français de l’étranger, n°329761 ; CE, 13 juillet 2010, Elections municipales d’Aix-en-Provence, n°335843.

[6] CE, 4 mars 2009, Elections municipales de Saint-Jean-de-Védas, n°318621.

[7] v. par exemple : CE, 22 mai 2015, Elections municipales de Villeneuve-le-Roi, n°385476 ; TA Caen, 3 juin 2014, Elections municipales de Pirou, n°1400598-1400619.

[8] CE, 15 septembre 2004, Elections municipales de Marmande, n°260716, publié au recueil Lebon ; v. également, les arrêts très didactiques : CE, 10 décembre 2014, Elections municipales de Challex, n°381708 ; CE, 13 mai 2015, Elections municipales de Pontault-Combault, n°385430.

[9] V. déjà : C. Debbasch, L’interprétation par le juge de la demande des parties, JCP 1982, I, n°3085 ; R. Chapus, Droit du contentieux administratif, éd. Montchrétien, 12e éd., n°902-903, pp. 774-775.

[10] CE, 20 février 2015, Elections municipales de Saint-André-de-Cubzac, n°385408, aux tables du recueil Lebon.

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