Trois ans d’avis rendus par le collège de déontologie de la juridiction administrative, ça se fête !
Par Florian POULET :: Fonction publique
Résumé de l’article :
Installé en mars 2012, le collège de déontologie de la juridiction administrative a récemment célébré son 3e anniversaire. À titre principal, cette instance est chargée de répondre, par des avis, aux questions de déontologie que les juges administratifs sont susceptibles de rencontrer dans l’exercice de leurs fonctions. La célébration de cet anniversaire est l’occasion de faire le point sur les conditions dans lesquelles le collège de déontologie est saisi et se prononce sur les demandes d’avis qui lui sont adressées.
Corps de l’article :
Installé par le vice-président du Conseil d’État en mars 2012, le collège de déontologie de la juridiction administrative a récemment célébré son 3e anniversaire. L’existence de ce collège résulte de la charte de déontologie des membres de la juridiction administrative qui, élaborée en 2011 et mise en ligne au début de l’année 2012 sur le site Internet du Conseil d’État, représente une application évocatrice de l’idée de droit souple[1]. Aux termes de la 7e et dernière rubrique de cette charte, le collège de déontologie « est chargé d’éclairer les membres de la juridiction administrative sur l’application des principes et bonnes pratiques rappelés dans le présent document »[2]. À cette fin, il peut être saisi de demandes d’avis ou bien émettre, de sa propre initiative, des recommandations précisant la charte ou appelant à lui apporter certaines modifications.
Certes, l’adoption du projet de loi relatif à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires pourrait donner une assise législative à ce collège. Les articles 10 et 11 de ce projet prévoient, en effet, de consacrer cette instance au sein du code de justice administrative. En plus de rendre des avis et d’émettre des recommandations, le collège se verrait, au demeurant, chargé d’examiner les déclarations d’intérêts que pourraient lui transmettre les membres du Conseil d’État et les magistrats administratifs. Cependant, le vote de ces dispositions ne figure plus, aujourd’hui, parmi les priorités du Gouvernement : délibéré en Conseil des ministres et enregistré à la présidence de l’Assemblée nationale à l’été 2013, le projet de texte a été renvoyé à la commission des lois en l’absence de constitution d’une commission spéciale dans les délais impartis. Malgré les demandes en ce sens[3], le texte n’a fait l’objet, depuis lors, d’aucune inscription à l’ordre du jour.
En l’état donc, la charte de 2011 constitue le seul texte consacrant l’existence du collège de déontologie. Si, depuis sa création, ce dernier a émis deux recommandations, l’essentiel de son activité réside dans le prononcé d’avis, rendus à la demande des membres de la juridiction administrative. Au total, sur la période s’étalant du 20 mars 2012 au 31 mars 2015, le collège a rendu 30 avis, soit une moyenne de 10 par an[4].
Prononcés sur la base d’une simple charte, dans le but d’assister et de conseiller les membres de la juridiction administrative sur les aspects déontologiques de leurs fonctions, les avis du collège n’ont pas de force contraignante pour leurs destinataires. Ces derniers ne sont pas tenus de les suivre et, partant, ne peuvent pas former de recours juridictionnels contre eux. Pour autant, ces avis ne sont pas dépourvus de tout effet. D’abord, il n’est pas exclu que les prises de position qu’ils expriment puissent, le cas échéant, être mentionnées et utilisées à l’occasion de poursuites disciplinaires engagées contre un membre de la juridiction administrative (suspecté, par exemple, d’avoir méconnu certaines obligations législatives ou réglementaires) ou lors d’une procédure de récusation initiée par un justiciable (qui aurait cherché à exploiter, à son profit, certains avis du collège traitant de la question de l’impartialité). Mais, surtout, ces avis ne sauraient être considérés comme dépourvus d’effet parce qu’ils bénéficient d’une réelle force morale, largement reconnue. Cette force morale résulte de l’objet même des avis rendus – il s’agit de réponses à des questions déontologiques –, mais aussi de la composition du collège. Désignés pour un mandat de trois ans, renouvelable, les membres de ce collège sont au nombre de trois : un membre du Conseil d’État, élu par l’assemblée générale, un membre du corps des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel, nommé sur proposition unanime du Conseil supérieur des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel, ainsi qu’une personnalité qualifiée, choisie par le vice-président du Conseil d’État, ce dernier désignant, par ailleurs, le membre du collège chargé d’exercer les fonctions de président[5]. Le tout premier collège de déontologie de la juridiction administrative a été composé de M. Daniel Labetoulle, président honoraire de la section du contentieux du Conseil d’État et désigné, pour l’occasion, président du collège, de M. Henri Chavrier, président honoraire de tribunal administratif, et de M. Bruno Cotte, président honoraire de la chambre criminelle de la Cour de cassation.
Si la composition du collège de déontologie est ainsi connue, les modalités selon lesquelles ses avis sont sollicités et adoptés apparaissent, en revanche, quelque peu obscures et suscitent, en tout cas, un certain nombre de questions ; par exemple : qui sont les auteurs des saisines du collège ? Quels problèmes peuvent-ils lui soumettre ? Suivant quelle procédure le collège se prononce-t-il ? Comment formalise-t-il sa réponse ?
Le 3e anniversaire des avis rendus par le collège de déontologie de la juridiction administrative est l’occasion de faire le point sur ces interrogations. À partir de l’analyse approfondie des solutions retenues et des bilans annuels d’activité publiés par le collège[6], il est proposé de clarifier les conditions dans lesquelles ce dernier est saisi (I) et rend ses avis (II).
I. Les conditions dans lesquelles le collège est saisi pour avis
Les conditions dans lesquelles le collège de déontologie est saisi pour avis se caractérisent par leur hétérogénéité. Cette caractéristique trouve d’abord à s’observer dans la formalité à accomplir pour consulter le collège : si, en pratique, il semble que « c’est par voie électronique que, dans la plupart des cas, il est saisi »[7], aucune disposition de la charte ne régit la façon concrète dont le collège peut être sollicité ; dès lors, tous les moyens de saisine sont, a priori, envisageables. Mais, au-delà de cet aspect, l’hétérogénéité dont il s’agit s’observe également du point de vue des auteurs des saisines (A) et des questions qui en sont à l’origine (B).
A) Les auteurs des saisines
Aux termes de la charte, deux catégories d’acteurs susceptibles de consulter le collège doivent être distinguées[8] :
• en premier lieu, le collège peut être saisi « par les membres de la juridiction administrative de toute question déontologique les concernant personnellement »[9]. Tout membre de la juridiction administrative, rencontrant à titre individuel un problème déontologique, peut ainsi consulter directement, en cette qualité, le collège ;
• en second lieu, le collège peut être également saisi « par le vice-président du Conseil d’État, par les présidents de section du Conseil d’État, par le secrétaire général du Conseil d’État, par le chef de mission permanente d’inspection des juridictions administratives, par les présidents des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel, ou encore par le Conseil supérieur des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel »[10]. L’ouverture de la saisine du collège à ces autorités hiérarchiques ou fonctionnelles, intervenant ès-qualités, présente un double intérêt :
– d’une part, elle permet de consulter le collège, de façon impersonnelle, sur une question déontologique susceptible d’intéresser plusieurs membres de la juridiction administrative à la fois : bien qu’exercée par une autorité donnée, la saisine peut, ce faisant, revêtir une portée collective ;
– d’autre part, elle permet de saisir le collège de questions délicates que n’oserait peut-être pas poser directement tel ou tel membre de la juridiction administrative, de crainte d’attirer l’attention sur sa situation personnelle. Il peut alors s’agir pour l’autorité concernée de se substituer à un membre de la juridiction administrative qui s’abstiendrait d’exposer son problème déontologique au collège ou, à l’inverse, d’intervenir à la demande expresse d’un membre qui aurait cherché, par son intermédiaire, à provoquer la saisine du collège.
Prolongeant sur ce point l’intention des rédacteurs de la charte de 2011, le collège a entendu retenir une acception extensive des acteurs habilités à le saisir. Il a, par exemple, accepté sans difficulté de se reconnaître compétent pour connaître d’une demande d’avis présentée par un individu qui, tout en ayant rejoint le corps des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel, n’avait pas encore achevé sa période de formation[11]. De façon plus audacieuse, il a également admis la possibilité d’être saisi par des personnes n’exerçant plus, au moment de la saisine, de fonctions au sein de la juridiction administrative, soit qu’elles aient été admises à faire valoir leurs droits à la retraite[12], soit qu’elles aient été placées en position de disponibilité[13]. Pour justifier sa compétence à l’égard de ce dernier type de saisissants, le collège a fait valoir que certaines des activités qu’ils pouvaient être amenés à exercer étaient « de nature à porter atteinte à la dignité (de leurs) anciennes fonctions ou affecter le fonctionnement et l’indépendance de la juridiction administrative ».
Nonobstant cette approche relativement libérale, le collège a toutefois refusé de franchir certaines limites. C’est ainsi, par exemple, qu’il a décliné sa compétence pour connaître d’une demande d’avis émanant d’un attaché d’administration exerçant des fonctions d’assistant du contentieux auprès d’un tribunal administratif qui l’interrogeait sur son projet d’embrasser la profession d’avocat : après avoir affirmé que « si le champ d’application des principes et bonnes pratiques énoncés par la charte de déontologie (…) n’est pas strictement limité à l’activité des membres du Conseil d’État et des magistrats des cours administratives d’appel et des tribunaux administratifs », le collège a fait valoir que « les dispositions de la charte » ne l’autorisent pas à « connaître du cas d’une personne qui n’appartient à aucun de ces deux corps »[14].
Dans la pratique, on observe que les demandes d’avis sont présentées, le plus souvent, par des membres de la juridiction administrative intervenant à titre personnel : ainsi, sur les 29 demandes d’avis émanant d’acteurs effectivement autorisés à saisir le collège, 17, soit un peu moins de 60 % des saisines, ont été formées par cette catégorie de saisissants. À cet égard, les demandes présentées par les magistrats (15) sont nettement plus nombreuses que celles soumises par les membres du Conseil d’État (seulement 2). Les 12 autres demandes d’avis (un peu plus, donc, de 40 % du total des demandes) ont été déposées par l’une des autorités hiérarchiques ou fonctionnelles désignées dans la charte ; cela ne signifie pas nécessairement que ces saisines aient été étrangères au cas d’un membre de la juridiction administrative en particulier, mais seulement que, d’un point de vue formel, la demande a été transmise au collège par l’une des autorités habilitées à le saisir[15]. Parmi ces autorités, deux apparaissent particulièrement actives : d’une part, le secrétaire général du Conseil d’État (7 demandes d’avis), d’autre part, les chefs de juridiction (4 demandes d’avis). Les rôles respectifs de ces deux types d’autorités – interface administrative pour l’un, référent déontologique de terrain pour l’autre –, contribuent à expliquer cette forte implication. En revanche, le collège n’a été saisi que d’une seule demande d’avis émanant d’un président de section du Conseil d’État. Surtout, trois autorités n’ont pas encore exercé leur droit de consulter le collège : le vice-président du Conseil d’État, le chef de la mission permanente d’inspection des juridictions administratives et le Conseil supérieur des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel.
B) Les questions à l’origine des saisines
En vertu de la charte de 2011, le collège peut être saisi « de toute question déontologique »[16] concernant les membres de la juridiction administrative. Par définition donc, il n’est pas compétent pour connaître des questions dépourvues de tout lien avec la déontologie, telles que celles, par exemple, strictement relatives aux conditions et relations de travail ou à la carrière des membres de la juridiction administrative. À l’inverse, dès l’instant où elle revêt un caractère effectivement déontologique, toute question semble pouvoir être posée au collège. Il apparaît douteux, en effet, que ce dernier s’autorise à refuser de répondre à une demande d’avis au motif que la question soulevée serait, à ses yeux, insuffisamment pertinente : tout au plus pourrait-il, dans le cas où la demande porterait, en réalité, sur une question déjà appréhendée à l’occasion d’une saisine précédente, rendre un avis reproduisant ou renvoyant à la réponse correspondante. Cependant, à notre connaissance, cette hypothèse ne s’est pas encore produite. Au contraire, dans ses rapports annuels d’activité de 2013 et 2014, le collège s’est félicité, d’une manière générale, de la « pertinence des demandes dont il avait été saisi »[17] ; selon lui, « l’intérêt des demandes d’avis pouvait varier, mais, quel que fût son auteur, aucune n’était injustifiée »[18].
Or, il résulte de l’analyse de ces demandes d’avis que les questions transmises au collège présentent une assez large diversité : l’objet des saisines est multiple. Au final, il apparaît possible d’identifier six rubriques principales dans lesquelles peuvent être rangées, du moins jusqu’à présent, les demandes d’avis, selon que la question déontologique qui les motive intéresse :
– l’exercice de certaines activités antérieurement[19] ou postérieurement[20] à l’exercice des fonctions de membre de la juridiction administrative ;
– le cumul, en qualité de membre de la juridiction administrative, de plusieurs fonctions juridictionnelles différentes[21] ou de fonctions juridictionnelles avec des fonctions administratives[22] ;
– le cumul des fonctions de membre de la juridiction administrative avec d’autres activités accessoires de nature professionnelle[23], associative[24], politique[25], civique[26], pédagogique[27] ou doctrinale[28] ;
– les activités ou fonctions exercées par le conjoint[29] ou le parent[30] d’un membre de la juridiction administrative ;
– l’acceptation d’un cadeau[31] ;
– les rencontres et échanges entre les membres de la juridiction administrative et l’administration active[32].
La diversité des questions susceptibles d’être soumises au collège est encouragée par la circonstance que ce dernier accepte volontiers de connaître de problèmes qui ne sont pas directement et spécialement abordés par la charte de 2011[33]. Dans cette perspective, il se reconnaît le pouvoir, « à la lumière des cas dont il est saisi, (d’)énoncer lui-même de bonnes pratiques ayant une portée analogue à celles énoncées dans la charte et formant avec elle un ″corpus″ non formalisé mais cohérent »[34]. Par ailleurs, le collège s’autorise également à connaître des questions de déontologie dont la réponse exige une opération préalable de qualification et, partant, d’interprétation des énonciations de la charte : à l’occasion d’une demande d’avis, il a été conduit, par exemple, à devoir déterminer si de très brèves annotations publiées par un magistrat sur une décision juridictionnelle pouvaient être regardées ou non comme un « commentaire » au sens de la charte[35].
Aussi diverses soient-elles, les questions pouvant être adressées au collège ne sont pas, cependant, illimitées. Certaines d’entre elles échappent à la compétence du collège. Tel est le cas, en particulier, des questions ou aspects de question dont la réponse aurait pour effet de restreindre les possibilités d’action future des autorités administratives ou, pire, de porter par avance une appréciation sur la légalité de leurs décisions. Ainsi, par exemple, saisi de la question de savoir si un membre du Conseil d’État en activité pouvait être nommé, en qualité de représentant de l’État, comme administrateur d’une entreprise publique, le collège a fait savoir qu’« il ne lui appartient pas de rechercher en fonction de quels principes les autorités compétentes peuvent, pour de telles nominations, faire application des notions respectives de ″représentants de l’État″ et de ″personnalités qualifiées″ »[36]. De même, à propos de la question de savoir si l’exercice antérieur de fonctions de direction par un ancien administrateur territorial faisait obstacle à l’affectation de ce dernier, en qualité de magistrat, dans une juridiction dépendant géographiquement de son ancienne collectivité, le collège a clairement refusé de répondre : après avoir rappelé qu’il avait seulement vocation à assister les membres de la juridiction administrative en vue de les éclairer préventivement sur leurs devoirs déontologiques, il a indiqué qu’« il n’est pas compétent pour apprécier la légalité de la décision qu’une autorité administrative a prise ou pourrait prendre : il en va ainsi qu’il soit saisi par cette autorité ou par un magistrat »[37].
II. Les conditions dans lesquelles le collège rend ses avis
La charte de 2011 ne prévoit aucune règle venant déterminer les conditions concrètes dans lesquelles le collège est appelé à rendre ses avis. Dès lors, il est revenu à ce dernier de définir lui-même les modalités de son fonctionnement. Si les membres du collège affirment avoir « fait le choix d’un mode de fonctionnement simple et sans formalisme »[38], cette option ne signifie pas, pour autant, qu’ils se prononcent sans respecter aucune procédure ni aucune forme. L’analyse des avis rendus depuis 2012 démontre que le collège a élaboré un certain nombre de méthodes et de protocoles, tant au stade de l’instruction des demandes qui lui sont adressées (A) qu’à celui de la formalisation des avis (B).
A) L’instruction des demandes d’avis
Alors même que le collège ne constitue pas une juridiction et ne se trouve donc pas soumis aux exigences du droit processuel, certaines des méthodes qu’il suit dans le cadre de l’instruction des demandes d’avis s’apparentent à celles relatives au traitement des demandes juridictionnelles. Ce constat ne doit pas surprendre : dans la mesure où le collège est composé de personnalités exerçant ou ayant exercé les fonctions de juge et où les dossiers qu’il aborde concernent la déontologie des membres de la juridiction administrative, c’est la situation inverse qui aurait étonné. La charte étant silencieuse sur ce point, ces méthodes sont, dans une large mesure, rendues publiques par le collège lui-même, à l’occasion de ses rapports annuels d’activité – notamment le premier.
De façon générale, l’instruction répond à un principe de souplesse et d’efficacité. Comme le précise le collège lui-même, « c’est par voie électronique qu’il procède à l’instruction » des demandes d’avis[39] et « le déroulement de l’instruction donne lieu généralement à des échanges fréquents et informels entre les trois membres du collège »[40]. Dans la pratique, le protocole d’instruction suivi apparaît bien défini. À compter de la réception d’une demande d’avis, les membres du collège s’accordent pour désigner, parmi eux, un rapporteur auquel est affecté le dossier. Certes, « le plus souvent, la demande, éventuellement accompagnée de quelques pièces, comporte par elle-même tous les éléments d’appréciation nécessaires »[41]. Toutefois, lorsque la demande d’avis ne contient pas certaines informations ayant une incidence sur le sens et le contenu de la réponse à apporter, celles-ci sont demandées au saisissant par le rapporteur, soit directement, soit par l’intermédiaire du secrétariat du collège, par écrit ou oralement. Dès le départ, le collège s’est réservé la possibilité de procéder à l’audition, par le rapporteur ou l’ensemble des membres le composant, de l’auteur de la demande d’avis[42]. L’idée est de garantir la parfaite information du collège, en sorte qu’il puisse rendre la réponse la plus pertinente et la plus utile possible à la question qui lui est soumise.
Cette quête de l’information parfaite ne saurait, cependant, conduire le collège à méconnaître la confidentialité de sa saisine, laquelle constitue, en raison de la confiance qu’elle inspire, l’une des conditions essentielles du succès de la consultation de cette instance déontologique. En raison de ce principe de confidentialité, « le collège s’interdit évidemment de procéder unilatéralement à quelque mesure d’instruction ou d’information que ce soit auprès d’un tiers »[43]. Pour autant, cela n’interdit pas le collège, dans l’hypothèse où l’auteur de la demande en a adressé une copie à son chef de juridiction, de prendre contact avec ce dernier aux fins de recueillir ses éventuelles observations : l’auteur de la demande ayant lui-même averti son chef de juridiction de la saisine du collège, l’exigence de confidentialité ne se trouve en rien atteinte[44]. Inversement, lorsque la demande d’avis est présentée par un chef de juridiction et concerne le cas particulier d’un magistrat de cette juridiction, l’exigence de confidentialité ne fait pas non plus obstacle à ce que le collège communique cette demande au magistrat intéressé et recueille, le cas échéant, les observations qu’il souhaiterait faire valoir[45].
B) La formalisation des avis
À l’issue de la phase d’instruction, le rapporteur prépare, à l’intention des deux autres membres, une note dans laquelle il expose la solution qui lui paraît devoir s’imposer et un projet d’avis formalisant cette solution. Il accompagne également ce projet d’avis d’un « projet de communiqué »[46]. Ces projets sont soumis à la délibération de tous les membres du collège. Par principe, cette délibération est orale et a lieu à l’occasion de l’une des réunions – physiques – du collège, dont le nombre est variable (3 au cours de la période courant de mars 2012 à mars 2013 ; 5 durant la période courant d’avril 2013 à mars 2014). Néanmoins, le collège a d’ores et déjà indiqué que, « dans les cas où il apparaitrait souhaitable de statuer sur la demande d’avis dans un délai très rapproché, difficilement compatible avec la réunion des trois membres, le sens et les termes de la réponse pourraient être arrêtés à la suite d’échanges par voie électronique ou téléphonique »[47]. Il y a là une manifestation supplémentaire de la souplesse et de la simplicité du mode de fonctionnement du collège.
Une fois l’avis rendu, le collège le notifie à l’auteur de la demande ainsi, le cas échéant, qu’au membre ou à l’autorité associé(e) à la phase d’instruction. En vertu de la charte, « le collège rend publics, sous forme anonyme, les avis qu’il estime de nature à éclairer l’ensemble des membres de la juridiction administrative »[48]. Or, il est intéressant d’observer que le collège a, jusqu’à présent, fait le choix de rendre publics la totalité des avis qu’il a rendus, laissant présumer que tous étaient de nature à éclairer l’ensemble des membres de la juridiction administrative. Afin d’assurer cette publicité, un espace spécialement dédié aux avis du collège de déontologie a été créé sur le site Internet du Conseil d’État : on y retrouve tous les avis, à l’exception de l’avis n° 2012/9 du 15 janvier 2013 dans lequel le collège a refusé de connaître de la demande émanant d’un attaché d’administration, cet avis ayant fait l’objet, néanmoins, d’une mention spéciale dans le premier rapport annuel d’activité[49]. Une telle démarche, consistant à rendre systématiquement publics les avis rendus, ne peut être que saluée : d’abord, elle répond à un impératif de transparence, permettant aux acteurs extérieurs à la juridiction administrative – au premier rang desquels figurent les justiciables – de mieux connaître le fonctionnement de celle-ci et de s’assurer du respect, par ses membres, des règles essentielles de déontologie ; de surcroît, cette publicité systématique participe d’un objectif d’efficacité en tant qu’elle assure la diffusion des réponses du collège auprès de tous les membres de la juridiction administrative et donc auprès de ceux qui peuvent rencontrer un problème de déontologie déjà appréhendé. Cette publicité ne porte, au demeurant, aucune atteinte à la vie privée des destinataires des avis puisqu’elle intervient après un travail d’anonymisation : comme le rappelle l’annexe des rapports annuels d’activité du collège, « les textes d’avis (…) ont été rendus publics après occultation des éléments de la réponse qui auraient été incompatibles avec le caractère anonyme que doit revêtir leur publication »[50].
Les avis rendus par le collège sont brefs : en règle générale, leur motivation tient sur une page ; parfois deux ; exceptionnellement trois. Dans la majorité des cas, le communiqué dans lequel s’insère la réponse du collège procède à un rappel préliminaire de la ou des questions de déontologie dont il a été saisi. L’absence d’un tel rappel dans certains communiqués fait la preuve, a contrario, de son importance pour les tiers qui peuvent éprouver de réelles difficultés à saisir toute la portée de la réponse donnée par le collège, sans avoir eu connaissance, au préalable, du problème posé[51]. De ce point de vue, la généralisation de la mention, dans les avis publiés sur Internet, des questions soumises au collège, renforcerait pour les tiers la lisibilité et, par suite, l’efficacité des réponses apportées par cette instance consultative. Elle pourrait être opérée sans remettre en cause le principe de l’anonymat.
Si les avis ne comportent pas de visas, il est de principe qu’ils se réfèrent, dans leur corps même, aux énonciations de la charte et, le cas échéant, aux textes législatifs ou réglementaires applicables à la question soulevée, voire aux recommandations que le collège a pu lui-même adopter sur le sujet dont il a à connaître. Lorsque le collège ne comporte pas de telles références, c’est que l’avis porte sur un point qui n’a été spécialement appréhendé ni par la charte ni par des textes de droit dur ni par l’une de ses recommandations[52]. Par ailleurs, il arrive aussi au collège de se référer expressément à certains avis qu’il a déjà rendus à l’occasion de saisines précédentes, soit pour appliquer une solution de portée générale déjà acquise, soit pour construire une nouvelle solution à partir d’un raisonnement élaboré antérieurement[53]. Cette démarche atteste du recours à une logique de type jurisprudentiel dans l’édiction des avis du collège « qui non seulement interprète les énonciations de la charte mais parfois les prolonge »[54].
Enfin, il convient de souligner que s’il arrive au collège d’apporter des réponses bien tranchées[55], la plupart de ses avis sont nuancés et assortis de conditions et réserves[56] ; certains peuvent même se contenter de donner un cadre général et des critères d’appréciation, renvoyant au membre de la juridiction administrative qui l’a saisi ou à son chef de juridiction le soin de déterminer, dans telle ou telle situation particulière, la réponse devant être apportée à la question posée[57]. Cette caractéristique permet de rappeler, de façon opportune, l’office du collège : celui-ci est seulement « chargé d’éclairer les membres de la juridiction administrative »[58] sur la dimension déontologique de leurs fonctions. À la différence du juge, il n’a donc pas à régler un litige, en lui apportant une réponse nécessairement précise et concrète.
Pour citer cet article : Florian POULET, « Trois ans d’avis rendus par le collège de déontologie de la juridiction administrative, ça se fête ! », Le blog Droit administratif, 1er avril 2015.
Notes
[1] En ce sens, v. not. Conseil d’État, Le droit souple, étude annuelle 2013, La documentation française, 2013, p. 39 et s.
[2] Charte de déontologie des membres de la juridiction administrative, p. 18.
[3] V. not. A. TOURRET, Rapport pour avis de la commission des lois sur les crédits du programme n° 148 « Fonction publique », 9 octobre 2014, proposition n° 20, accessible sur le site Internet de l’Assemblée nationale.
[4] V., sur le site Internet du Conseil d’État, la rubrique spécifique consacrée à la « Déontologie des membres de la juridiction administrative », au sein de laquelle sont regroupés : la charte de 2011 ainsi que les avis, recommandations et rapports annuels d’activité du collège de déontologie.
[5] Tout en confirmant le principe de cette composition, le projet de loi relatif à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires y apporte quelques modifications à la marge : le magistrat administratif serait « élu par le conseil supérieur des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel » et la personnalité qualifiée serait « nommée par le Président de la République, en dehors des membres des juridictions administratives » ; par ailleurs, il reviendrait au Président de la République de nommer le président du collège.
[6] À la date de cette étude, deux rapports annuels d’activité ont été adoptés par le collège : le premier en 2013, le second en 2014 (v. la rubrique précitée sur le site du Conseil d’État).
[7] Premier rapport annuel d’activité du collège, p. 1.
[8] Le projet de loi relatif à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires n’apporte aucun changement sur ce point.
[9] Charte de déontologie des membres de la juridiction administrative, p. 18.
[10] Id.
[11] V. rapport annuel d’activité 2014, p. 1 ; égal. avis n° 2015/3 du 27 mars 2015.
[12] V. avis n° 2012/3 du 4 juin 2012 ; égal. avis n° 2012/6 du 22 octobre 2012.
[13] V. avis n° 2012/10 du 1er février 2013.
[14] V. avis n° 2012/9 du 15 janvier 2013.
[15] Pour un exemple récent et significatif dans lequel, précisément, la demande transmise par l’autorité concernait le cas personnel d’un membre de la juridiction administrative, v. avis n° 2015/1 du 9 mars 2015.
[16] Charte de déontologie des membres de la juridiction administrative, p. 18.
[17] Rapport annuel d’activité 2014, p. 3.
[18] Premier rapport annuel d’activité, p. 3.
[19] V. avis n° 2013/1 du 5 février 2013 ; égal. avis n° 2015/3 du 27 mars 2015.
[20] V. avis n° 2012/3 du 4 juin 2012 ; avis n° 2012/6 du 22 octobre 2012 ; avis n° 2012/10 du 5 février 2013 ; ou encore avis n° 2013/6 du 17 juin 2013.
[21] V. avis n° 2012/7 du 22 octobre 2012.
[22] V. avis n° 2014/6 du 23 juin 2014.
[23] V. avis n°s 2012/4, 2012/5 et 2012/8 du 22 octobre 2012 ; avis n° 2013/3 du 15 avril 2013 ; avis n° 2013/8 du 16 septembre 2013 ; avis n° 2014/2 du 18 mars 2014 ; avis n° 2014/3 du 18 mars 2014 ; avis n° 2014/8 du 17 novembre 2014 ; ou encore avis n° 2015/1 du 9 mars 2015.
[24] V. avis n° 2012/2 du 4 juin 2012 ; égal. avis n° 2014/1 du 18 mars 2014.
[25] V. avis n° 2014/4 du 17 avril 2014.
[26] V. avis n° 2014/7 du 22 juillet 2014.
[27] V. avis n° 2013/2 du 15 avril 2013 ; égal. avis n° 2014/9 du 17 novembre 2014.
[28] V. avis n° 2012/1 du 4 juin 2012.
[29] V. avis n° 2013/7 du 16 septembre 2013 ; égal. avis n° 2014/5 du 16 juin 2014.
[30] V. avis 2015/2 du 25 mars 2015.
[31] V. avis n° 2013/4 du 17 juin 2013.
[32] V. avis n° 2013/5 du 17 juin 2013.
[33] V., par ex., avis n° 2012/3 du 4 juin 2012 ; avis n° 2012/10 du 5 février 2013 ; avis n° 2013/5 du 17 juin 2013 ; ou encore avis n° 2014/7 du 22 juillet 2014.
[34] Premier rapport annuel d’activité, p. 2.
[35] V. avis n° 2012/1 du 4 juin 2012.
[36] Avis n° 2014/2 du 18 mars 2014.
[37] Avis n° 2015/3 du 27 mars 2015.
[38] Premier rapport annuel d’activité, p. 1.
[39] Id.
[40] Id.
[41] Id.
[42] Id.
[43] Id.
[44] L’hypothèse est expressément envisagée par le collège dans son premier rapport annuel d’activité, p. 1.
[45] V. avis n° 2014/4 du 17 avril 2014.
[46] Premier rapport annuel d’activité, p. 2.
[47] Id.
[48] Charte de déontologie des membres de la juridiction administrative, p. 19. L’article 10 du projet de loi relatif à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires reprend cette disposition.
[49] Premier rapport annuel d’activité, p. 9.
[50] Ibid., p. 4 ; égal. rapport annuel d’activité 2014, p. 4.
[51] V., par ex., avis n° 2012/2 du 4 juin 2012 ; avis n° 2012/4 du 22 octobre 2012 ; ou encore avis n° 2014/7 du 22 juillet 2014.
[52] V. not. avis n° 2012/3 du 4 juin 2012 ; avis n° 2012/10 du 5 février 2013 ; avis n° 2013/5 du 17 juin 2013 ; ou encore avis n° 2014/7 du 22 juillet 2014.
[53] V. not. avis n° 2013/2 du 15 avril 2013 ; avis n° 2012/6 du 17 juin 2013 ; ou encore avis n° 2014/4 du 17 avril 2014.
[54] Premier rapport annuel d’activité, p. 2.
[55] V. not. avis n° 2014/4 du 17 avril 2014 ; avis n° 2014/8 du 17 novembre 2014 ; ou encore avis n° 2015/1 du 9 mars 2015.
[56] V. not. avis n° 2012/3 du 4 juin 2012 ; avis n° 2014-2 du 18 mars 2014 ; ou encore avis n° 2014/6 du 23 juin 2014.
[57] V. not. avis n° 2013/1 du 5 février 2013 ; avis n° 2013/3 du 15 avril 2013 ; ou encore avis n° 2013/8 du 16 septembre 2013.
[58] Charte de déontologie des membres de la juridiction administrative, p. 18.
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