Disparition du Professeur Colliard
Par Alexis FRANK :: L'Université
En hommage au Professeur Jean-Claude Colliard, disparu le 27 mars 2014, le BDA publie, avec l’accord de Françoise Dreyfus et Danièle Lochak, et en association avec plusieurs blogs juridiques, l’avant propos des Mélanges qui devaient lui être remis dans quelques semaines.
AVANT PROPOS
Jean-Claude Colliard, « tintinologue » émérite, on aurait aimé pouvoir dédier un album en images et en bulles qui se serait intitulé, au choix : « Jean-Claude et les mystères de l’Élysée », « Jean-Claude et le Trésor du Palais Bourbon », « Jean-Claude dans le secret des isoloirs », « Jean-Claude et le temple de la rue Soufflot »… Faute de posséder des talents suffisants, ses étudiants, ses collègues, ses amis se sont résolus à lui offrir ces Mélanges de facture plus classique à travers lesquels se lisent les étapes d’une carrière riche et variée.
Petit-fils et fils de professeurs de droit, Jean-Claude partait dans la vie — du moins dans la vie professionnelle — avec une hérédité chargée. Il a décidé d’assumer l’héritage et de prolonger la tradition familiale. Il l’a fait avec brio : études à la Faculté de droit de Paris doublées d’un bref passage par Science po’, comme il était d’usage à l’époque pour acquérir une sorte de « supplément d’âme », — c’est là aussi qu’il rencontrera Sylvie, qui sera sa compagne et son plus fidèle soutien dans toutes ses fonctions à venir, elle-même petite-nièce d’Adhémar Esmein…; doctorat en droit public obtenu en 1972 avec une thèse consacrée aux Régimes parlementaires contemporains, sous la direction de Maurice Duverger, agrégation de droit public et science politique passée et réussie dans la foulée. Il quitte alors l’Université Paris I où il était assistant depuis octobre 1968 pour celle de Nantes — non sans avoir dû dans l’intervalle effectuer son service militaire car l’Armée ne le tient pas quitte : il est affecté comme sapeur-mineur de 2e classe au 32e régiment du Génie en Allemagne où les agrégés ne devaient pas être… légion. On tient ici la preuve du peu de goût de Jean-Claude pour le piston car il est probable qu’il aurait pu, s’il s’en était donné la peine, échapper à cette affectation exotique et inusitée, due sans nul doute à la volonté de surveiller et punir : car, aussi surréaliste que cela puisse paraître avec le recul, l’UNEF sent encore le soufre à l’époque aux yeux des autorités militaires qui se méfient donc des recrues dont elles connaissent l’engagement dans le syndicalisme étudiant.
En poste à la Faculté de droit de Nantes à partir de 1974, Jean-Claude accepte en 1979 les fonctions de doyen : mélange d’atavisme et de dévoue- ment à l’institution, déjà. Son mandat sera toutefois écourté puisqu’en 1981, pour les raisons que l’on sait et sur lesquelles on reviendra plus loin, il va mettre sa vie universitaire entre parenthèses pendant plus de onze ans. Mais quand il revient à l’Université, cette fois à Paris I, en 1992, c’est pour ne plus la quitter et s’y investir à fond. Il y a les cours : sa passion pour l’enseignement se manifeste aussi bien lorsqu’il s’agit d’enseigner le droit constitutionnel dans les amphis bondés de première année que « le gouver- nement comparé » ou « l’ingénierie électorale » en maîtrise — il faut dire désormais, en langage universitairement correct, en première année de master. Il y a aussi les fonctions administratives puisqu’il assurera entre 1995 et 2000 la direction du département de science politique où ses talents de négociateur acquis en d’autres lieux lui seront souvent bien utiles. Même pendant la période de son mandat au Conseil constitutionnel entre 1998 et 2007, il ne manque jamais un cours, continue à diriger des thèses et à assumer ses tâches de directeur de département.
Le point d’orgue de cette carrière universitaire est l’élection à la prési- dence de l’Université Paris I en 2009. Il ne faut voir là ni désir d’honneur — il en avait eu suffisamment dans sa carrière — ni appétit de pouvoir; plutôt une forme d’hommage posthume à la mémoire de son père, Claude- Albert Colliard, qui, bien qu’ayant été l’un des fondateurs de cette univer- sité, ne l’avait jamais présidée. Sans doute aussi le défi que représente la défense des intérêts universitaires dans une période difficile en raison de la politique gouvernementale en matière d’enseignement supérieur n’est-il pas pour lui déplaire. Qu’on lui ait confié, en 2012, la présidence du PRES Hésam (Hautes Études, Sorbonne, Arts et Métiers) qu’il a contribué à créer, est une marque de la confiance que lui ont accordée ses partenaires des autres établissements.
Mais cette description d’un itinéraire universitaire même aussi accompli ne rend compte que de façon très imparfaite et incomplète de la carrière de Jean-Claude, à la fois universitaire et acteur engagé en politique. Cet intérêt pour la politique, dont on trouve déjà la trace dans le choix de son sujet de mémoire pour le DES de science politique : Les républicains indépendants, ne restera pas purement académique. Jean-Claude adhère à la Convention des institutions républicaines puis au parti socialiste dans lequel se fond la Convention lors du congrès d’Épinay en juin 1971. Il devient un proche collaborateur de François Mitterrand, alors premier secrétaire du parti socialiste, auprès duquel il joue un peu le rôle d’un « directeur de cabinet » pendant toutes les années qui précèdent l’élection présidentielle de 1981. C’est donc presque naturellement qu’il devient directeur adjoint puis direc- teur du cabinet de Mitterrand à l’Élysée, fonction qu’il occupera pendant tout le premier septennat. En 1988 il se présente sans espoir excessif aux élections législatives à La Ciotat, son lieu d’ancrage familial. Il est battu
mais y sera élu conseiller municipal en 1995 — mandat qu’il abandonnera à regret lors de sa nomination au Conseil constitutionnel, pour cause d’in- compatibilité. Après avoir pensé revenir à l’université au moment où se terminent ses fonctions à l’Élysée en 1988, il accepte finalement le poste de directeur de cabinet du président de l’Assemblée nationale, Laurent Fabius, qu’il occupera jusqu’en 1992.
En dépit de cette activité intense et variée, il continue à apporter sa pierre à l’analyse des institutions politiques et des questions électorales dont il est le spécialiste incontesté. Il est ainsi amené, en 1992 et 1993, à siéger dans la Commission Vedel de réflexion sur la réforme du mode de scrutin et dans le Comité consultatif pour la révision de la Constitution, également présidé par Georges Vedel puis, à partir de 2006, à la « commission pour la démocratie par le droit », dite commission de Venise, du Conseil de l’Eu- rope. Cette expertise reconnue internationalement le conduit aussi à répondre à de nombreuses invitations à travers le monde. Il met à profit ces voyages pour satisfaire une autre de ses passions : la visite des sites archéolo- giques. Et puis, ce bon vivant aime aussi découvrir, aux quatre coins de la planète, les restaurants intéressants et les recommander ensuite à ses amis.
Parmi les contributeurs qui ont participé à cet hommage figurent à la fois ceux et celles qui l’ont connu sur les bancs de la fac de droit de Paris au début des années 1960, ses collègues et ses anciens thésards, ceux et celles qui l’ont côtoyé et apprécié à l’Élysée, à l’Assemblée nationale ou au Conseil constitutionnel — l’énumération est bien entendu incomplète.
Parce que Jean-Claude s’est toujours voulu à la fois universitaire et homme de terrain, ces Mélanges ont été construits autour de deux grands fils conducteurs qui visent à rendre compte de ces deux aspects de sa per- sonnalité et de sa carrière : « Penser » et « Éprouver ». Dans chacune de ces deux parties on retrouve la référence à ses sujets de prédilection : le droit, les institutions, les élections, le politique — qu’il a contribué à « penser », mais aussi à « éprouver ».
On espère ainsi ne pas… « éprouver » sa modestie. Les qualités de Jean- Claude sont innombrables, mais il en est une que les signataires de ces lignes placeraient volontiers au-dessus de toutes les autres : c’est le fait de ne s’être jamais laissé griser par le pouvoir. Quelle que soit l’importance des postes qu’il a occupés, des responsabilités qu’il a exercées, il a toujours conservé la même distance critique, le même regard décalé, amusé et par- fois ironique sur l’univers dans lequel il évoluait et sur son propre rôle — en un mot cette simplicité qui fait si cruellement défaut à la plupart de ceux qui ont un jour côtoyé les hautes sphères du pouvoir.
Françoise Dreyfus et Danièle Lochak
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