Loi de bioéthique sur la recherche sur l’embryon : non au caractère discrétionnaire de la délivrance des autorisations !
Par Marie-Amélie METZGER (MAIGNE) :: Droit de la santé publique
Les sénateurs ont adopté, dans la nuit du mardi 4 au mercredi 5 décembre, en moins de deux heures de débats, la proposition de loi tendant à modifier la loi n° 2011-814 du 7 juillet 2011 relative à la bioéthique en autorisant sous certaines conditions la recherche sur l’embryon et les cellules souches embryonnaires.
L’Assemblée nationale débattra de ce texte le 28 mars prochain.
Cette proposition de loi est sujette à critique à au moins deux titres : elle sera adoptée sans débat public (I) et elle tend à rendre discrétionnaire l’octroi des autorisations de recherches sur l’embryon (II).
I) L’absence de débat
Alors que l’article L. 1412-1-1 du code de la santé publique dispose que « Tout projet de réforme sur les problèmes éthiques (…) soulevés par les progrès de la connaissance dans les domaines de la biologie, de la médecine et de la santé doit être précédé d’un débat public sous forme d’états généraux », aucun débat public n’aura eu lieu sur cette question éminemment éthique qu’est la recherche sur les embryons.
On peut débattre du fait que la proposition de loi constitue ou non un « projet de réforme », comme le mentionne ce texte.
On peut regretter que, ce débat public n’étant pas constitutionnalisé, le législateur ne commettra aucune irrégularité dans la procédure d’adoption de la loi en passant outre les « états généraux » prévus par le code de la santé public.
On peut à tout le moins trouver inquiétant que, pour la première fois – puisque les lois de bioéthique de 1994, de 2004 puis de 2011, qui toutes posaient le principe de l’interdiction de la recherche sur l’embryon, avaient été précédées d’un vaste débat public – une loi de bioéthique soit votée sans que les citoyens soient ni consultés sur le sujet, ni même vraiment informés qu’il est en train d’être débattu.
La brièveté du texte (un article unique), et l’horaire du débat (22h30) a même permis, le 4 décembre, un vote éclair au Sénat. On ne peut qu’espérer que les députés se montreront, le 28 mars prochain, plus curieux des enjeux soulevés par ce texte.
II) Le caractère discrétionnaire de l’octroi des autorisations par l’agence de la biomédecine
a) Le bouleversement de la philosophie du texte
Les embryons concernés sont ceux qui, évidemment encore vivants au moment où ils sont choisis pour faire l’objet de recherches, ont été conçus par procréation médicalement assistée et ne font plus l’objet d’un « projet parental ». Ils sont donc dits surnuméraires.
L’article unique du texte propose de remplacer le dispositif juridique actuel d’interdiction – assortie de dérogations – de recherche sur l’embryon et les cellules souches embryonnaires par un régime « d’autorisation encadrée ».
Outre le fait que le passage de l’interdiction à l’autorisation constitue une révolution sur le plan symbolique, puisque le principe n’est plus celui de la protection de l’embryon (voir à ce sujet A. Mirkovic, Recherche sur l’embryon : adoption par le Sénat de la proposition de loi, Recueil Dalloz 2012, p. 2897), il faut bien souligner les conséquences pratiques de cette inversion.
Ainsi que le soulignait le Conseil d’État dans son étude de 2009 sur la révision des lois de bioéthique, « dans un régime d’interdiction assorti de dérogations, la possibilité de déroger à l’interdiction est interprétée strictement, alors que dans un régime d’autorisation soumise à conditions, ce sont les conditions qui peuvent donner lieu à une interprétation stricte ». Ainsi, le demandeur d’autorisation, qui doit encore aujourd’hui précisément étayer son dossier, et bien justifier qu’il entre dans les cas de dérogations, pourrait à l’avenir voir allégée cette obligation : on passe d’une présomption d’irrecevabilité à une présomption de recevabilité. À moins de soutenir qu’il n’y a aucune différence entre être présumé innocent ou présumé coupable, on comprend que la philosophie du texte est entièrement bouleversée.
Le texte aurait, pour cette seule raison, mérité mieux que le passage en catimini dont il a fait l’objet au Sénat. Il va cependant plus loin que cette inversion des principes, en allégeant considérablement les conditions à satisfaire pour obtenir une autorisation.
b) L’allègement des conditions et la fin de la motivation des autorisations
L’article L. 2151-5 énumère toujours quatre conditions à remplir pour bénéficier d’une autorisation de recherche, mais deux de ces quatre conditions sont fortement assouplies.
Si la 1ère condition – selon laquelle « La pertinence scientifique de la recherche » doit être « établie » – et la 4ème condition – selon laquelle « Le projet de recherche et les conditions de mise en œuvre du protocole » doivent respecter « les principes éthiques relatifs à la recherche sur l’embryon et les cellules souches embryonnaires » – restent inchangées, les deux autres conditions sont allégées.
La 2ème condition, « La recherche est susceptible de permettre des progrès médicaux majeurs » devient ainsi « La recherche s’inscrit dans une finalité médicale ». L’atteinte à l’embryon soulevant de profondes questions éthiques, il semblait peu contestable que ces atteintes ne soient permises que dans une optique de « progrès médicaux majeurs ». On objectera que la recherche sur l’embryon n’a permis aucun progrès médical majeur depuis qu’elle est autorisée, et qu’il est donc raisonnable d’abaisser le niveau d’exigence imposé aux chercheurs. Mais s’il ne s’agit que d’une simple finalité médicale, le jeu en vaut-il la chandelle ?
La 3ème condition, « Il est expressément établi qu’il est impossible de parvenir au résultat escompté par le biais d’une recherche ne recourant pas à des embryons humains, des cellules souches embryonnaires ou des lignées de cellules souches » devient : « Il est impossible, en l’état des connaissances scientifiques, de mener une recherche similaire sans recourir à des cellules souches embryonnaires ou à des embryons ». Cette condition dite des « méthodes alternatives » a été rendue à peu près inopérante par la découverte, par le Pr. Yamanaka (prix Nobel de médecine), des cellules souches adultes « reprogrammées ». C’est sans doute ce qui a conduit le Sénat à la priver d’effet utile en substituant à l’identité de but (« parvenir au résultat escompté ») une simple similarité de moyens (« mener une recherche similaire ») : à l’évidence, la recherche alternative ne sera jamais « similaire » à celle menée sur les embryons.
Cette crainte est renforcée quand on sait avec quelle souplesse l’agence de la biomédecine (ABM) pouvait parfois déjà interpréter cette 3ème condition : en 2012, la CAA de Paris avait ainsi annulé une autorisation, l’ABM n’ayant pas démontré qu’il existait une méthode alternative à la recherche sur l’embryon (CAA Paris 10 mai 2012, n°10PA05827).
Par ailleurs, la phrase « Les recherches alternatives à celles sur l’embryon humain et conformes à l’éthique doivent être favorisées » est tout simplement supprimée, de même que l’obligation d’informer le couple qui a consenti à ce que ses embryons surnuméraires fassent l’objet de recherches « de la nature des recherches projetées afin de lui permettre de donner un consentement libre et éclairé ». Faut-il penser que, pour les rédacteurs du texte, il est préférable que le consentement de ces couples ne soit pas entièrement « libre et éclairé » ?
Le coup le plus dur porté au caractère de garde-fou que constituent ces conditions est cependant porté par la suppression de l’obligation de motivation des décisions de l’ABM. Si la proposition de loi est adoptée en l’état, ce sont ainsi des décisions discrétionnaires que pourra rendre l’ABM. Comment en effet le juge pourra-t-il vraiment contrôler le bien-fondé de décisions qui ne sont pas motivées ? Cette curieuse suppression de la motivation constitue une véritable méfiance à l’égard de la juridiction administrative – voire un chèque en blanc signé à l’ABM.
Ainsi, au prétexte de faciliter le travail des chercheurs, c’est un véritable régime de l’opacité que mettra en place le texte, s’il est adopté le 28 mars en l’état.
Opacité, car le débat prévu par le code de la santé publique n’a pas eu lieu.
Opacité, car le couple dont sont issus les embryons ne sera plus informé des recherches entreprises sur ce dernier.
Opacité, car le juge sera amputé d’une grande partie de son pouvoir de contrôle sur la délivrance de ces autorisations.
Opacité enfin, car les citoyens eux-mêmes seront privés de la faculté de comprendre les motifs des décisions de l’ABM.
À supposer même que l’on soutienne l’esprit de ce texte, ne peut-on convenir que la suppression de la motivation de décisions touchant à la bioéthique constitue un recul du droit préoccupante ?
Commentaires
La loi est-elle finalement passée ?