« Soulever une QPC devant le Conseil constitutionnel, juge électoral, c’est possible ! », commentaire sous CC, 12 janvier 2012, Bubenheimer, n° 2011-4538 SEN
Par Florian POULET :: Droit électoral
En vertu de l’article 59 de la Constitution, le contentieux né de « l’élection des députés et des sénateurs » est confié, à titre exclusif, au Conseil constitutionnel. Sans surprise, les dernières élections sénatoriales, intervenues le 25 septembre 2011, ont été l’occasion d’un certain nombre de protestations portées devant lui. Parmi elles, la protestation formée par M. Grégory Bubenheimer, à l’encontre de l’élection de trois sénateurs dans la circonscription du Loiret, a été à l’origine d’une question inédite – dans tous les sens du terme – devant le Conseil constitutionnel.
En effet, à l’appui de sa requête, M. Bubenheimer, conseiller municipal de Beaugency, s’est plaint de ne pas avoir pu intégrer le collège électoral appelé à désigner les sénateurs de sa circonscription. Il a donc entrepris de contester la régularité des opérations de désignation des délégués du conseil municipal de Beaugency au sein du collège des électeurs sénatoriaux. Or, à l’occasion de cette contestation, le requérant, averti de toutes les potentialités du contrôle de constitutionnalité des lois a posteriori, permis par la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, a soulevé une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) : selon lui, en prévoyant, dans les communes de plus de 3.500 habitants, le recours à la méthode de la représentation proportionnelle avec application de la règle de la plus forte moyenne, et non de la règle du plus fort reste, l’article L. 289 du code électoral ferait obstacle à ce que l’ensemble des groupes politiques minoritaires d’un conseil municipal puisse être représenté dans le collège des électeurs sénatoriaux et méconnaitrait, de ce fait, le principe de pluralisme des courants d’idées et d’opinions qui découle de l’article 4 de la Constitution[1].
Indépendamment même de son mérite, la question ainsi posée devait placer le Conseil constitutionnel dans une configuration pour le moins singulière : habituellement chargé d’examiner les QPC en provenance de chacune des juridictions suprêmes des deux ordres juridictionnels – Conseil d’État et Cour de cassation –, ce dernier se voyait directement saisi, à l’occasion d’un litige relevant de sa propre compétence, d’une QPC dirigée contre certaines dispositions législatives.
Il y a moins de trois jours, ce dernier a rendu publique la solution qu’il souhaitait apporter à cette affaire : il s’agit de la décision du 12 janvier 2012, Bubenheimer, n° 2011-4538 SEN, consultable sur le site Internet du Conseil. Or, si, à travers cette décision, le Conseil constitutionnel procède au rejet de la QPC soulevée devant lui, ce rejet n’intervient pas sur le terrain de l’irrecevabilité, mais sur celui du mal-fondé. Autrement dit, le Conseil a refusé d’accueillir la question de constitutionnalité développée par le requérant, mais seulement après avoir accepté d’en examiner le mérite au fond. Il a considéré que l’article L. 289 du code électoral devait être « déclaré conforme à la Constitution » et a, par suite, rejeté la requête formée par M. Bubenheimer contre l’élection sénatoriale dans le département du Loiret.
De manière quelque peu décevante, les motifs de la décision s’abstiennent de tout développement relatif à la recevabilité de la QPC ainsi écartée : là où on aurait aimé trouver un considérant préalable et pédagogique, dédié à cette étape procédurale majeure, la décision, au contraire, envisage directement la pertinence de la question, sans s’arrêter sur sa recevabilité. Et, l’audience publique, tenue à l’occasion de cette affaire deux jours plus tôt, n’est, sur ce point, d’aucun secours : à aucun moment, les observations orales des parties – du moins celles formulées par le représentant du premier ministre, seul présent à l’audience – n’ont abordé ce point.
Par construction, la recevabilité étant d’ordre public et imposant au juge un ordre de traitement des questions déterminé, les membres du Conseil constitutionnel n’ont pu raisonnablement faire l’économie de son examen. Néanmoins, ce silence pouvait laisser croire que la recevabilité de la question allait de soi et qu’elle s’imposait avec une évidence telle qu’elle n’avait mérité – et qu’elle ne méritait – aucune attention particulière. De façon bienvenue, le commentaire accompagnant la décision rendue – publié, lui aussi, sur le site Internet du Conseil –, vient suppléer au mutisme de cette dernière et préciser expressément que la recevabilité de la QPC, loin de s’imposer avec évidence, constituait l’un des enjeux principaux de cette affaire.
Grâce à sa décision, le Conseil constitutionnel autorise, dans son principe, la possibilité de soulever une QPC directement devant lui lorsqu’il intervient en qualité de juge électoral (1). Mais, parce que cette autorisation revêt une nature jurisprudentielle, le traitement de la QPC répond alors à une procédure nécessairement aménagée (2).
1. Une QPC autorisée dans son principe
a) Nonobstant le silence de la décision sur ce point, la recevabilité de la QPC posée par M. Bubenheimer ne coulait pas de source. Deux solides séries d’arguments – au moins – semblaient même s’y opposer :
– la première tenait à la jurisprudence élaborée par le Conseil constitutionnel lui-même. Jusqu’à présent, en effet, ce dernier avait toujours considéré qu’il ne lui appartenait pas, « saisi de recours contre l’élection de sénateurs, d’apprécier la conformité à la Constitution » de dispositions législatives[2]. Adoptant une lecture stricte des textes relatifs au contrôle de constitutionnalité des textes législatifs, il faisait valoir qu’il ne pouvait « être appelé à statuer sur la conformité d’une loi à la Constitution que dans les cas et suivant les modalités définis par son article 61 » et « qu’il ne lui (appartenait) donc pas, lorsqu’il se prononce en qualité de juge de l’élection en vertu de l’article 59 de la Constitution, d’apprécier la constitutionnalité d’une loi »[3];
– la seconde série d’arguments tenait à la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, ayant abouti à l’introduction de la QPC. Car, si le nouvel article 61-1 de la Constitution permet au Conseil constitutionnel d’être saisi, à l’occasion d’une instance juridictionnelle, d’une question portant sur la constitutionnalité de dispositions législatives, l’article précise bien que cette saisine intervient « sur renvoi du Conseil d’État ou de la Cour de cassation ». Et, la loi organique du 10 décembre 2009, appelée à mettre en œuvre cette disposition, ne prévoit la possibilité de poser une telle question que « devant les juridictions relevant du Conseil d’État ou de la Cour de cassation ». Le caractère récent de la réforme et la combinaison entre ces deux textes inclinaient fortement à interpréter l’œuvre du constituant comme réservant le contrôle de constitutionnalité des lois a posteriori aux seules juridictions rattachées à un ordre juridictionnel. C’est, d’ailleurs, sur le fondement de cette interprétation positiviste que le Tribunal des conflits a, le 4 juillet 2011, exclu la recevabilité d’une QPC soulevée devant lui[4]. Dans ces conditions, la nature préjudicielle de la QPC apparaissait difficilement contestable et, ainsi que l’admettra du bout des lèvres l’auteur du commentaire accompagnant la décision, « une lecture littérale (des textes concernés) ne conduisait pas avec évidence à reconnaître la possibilité de soulever une question de constitutionnalité directement devant le Conseil constitutionnel, juge de l’élection »[5].
b) Pour lever ces obstacles, le Conseil constitutionnel a donc dû user de son pouvoir jurisprudentiel, celui-là même qu’évoquaient MM. Jean-Luc Warsmann et Hugues Portelli lors des travaux préparatoires à l’adoption de la loi organique du 10 décembre 2009[6]. Ainsi, sur le fondement de ce pouvoir prétorien, le Conseil constitutionnel est non seulement revenu sur son ancienne position qui lui interdisait de contrôler la constitutionnalité des lois à l’occasion du contentieux électoral, mais il a également opté en faveur d’une lecture pour le moins constructive – et non littérale – des dispositions constitutionnelles et organiques encadrant la QPC.
Afin de justifier cette démarche active – pour ne pas dire cet activisme –, le Conseil s’est appuyé sur des considérations de cohérence. Refuser, en effet, la recevabilité de la QPC directement soulevée devant lui à l’occasion de la contestation d’élections parlementaires nationales, là où elle est parfaitement admise devant la juridiction administrative à l’occasion de la contestation des élections locales ou européennes, aurait abouti à un réel paradoxe, difficilement compréhensible pour les requérants. En retenant la solution de la recevabilité, le Conseil garantit ainsi un traitement égal entre des justiciables placés dans une situation analogue, et prévient l’éventualité – semble-t-il omise par le constituant en 2008 – d’un angle mort au sein de la procédure QPC.
Au surplus, la spécificité des règles contentieuses encadrant, de manière particulière, la contestation de la désignation des électeurs sénatoriaux, donnait ici au besoin de cohérence une résonance supplémentaire : dans la mesure où, effectivement, par le jeu de l’article L. 292 du code électoral[7], le Conseil constitutionnel pourrait être amené à trancher une QPC sur renvoi de la juridiction administrative (l’intervention du tribunal administratif étant, en ce qui concerne la contestation de la désignation des électeurs sénatoriaux, un préalable obligatoire), le refus d’exercer le contrôle de constitutionnalité a posteriori des lois à l’occasion cette fois-ci de la protestation déposée devant le Conseil, aurait pu conduire à un résultat pour le moins déconcertant.
Conscient de l’office qui est le sien dans le cadre du contentieux électoral, et attaché à faire prévaloir l’objectif de cohérence – qui s’impose, précisément, à raison de cet office –, le Conseil constitutionnel a donc admis la possibilité que soit soulevée devant lui une question mettant en cause la constitutionnalité de la loi : désormais, les requérants contestant la régularité d’opérations électorales peuvent utilement critiquer, à titre incident, la constitutionnalité de dispositions législatives.
Cependant, parce que cette recevabilité est le fruit d’une construction jurisprudentielle, la question ainsi envisagée sera nécessairement aménagée dans son traitement juridictionnel.
2. Une QPC aménagée dans son traitement
Aussi silencieuse soit-elle sur le problème précis de la recevabilité de la QPC, la décision du 12 janvier 2012 ne saurait dissimuler totalement l’ambigüité de la position adoptée par le Conseil constitutionnel. Ainsi, tout en admettant dans son principe la possibilité d’une telle question, celui-ci est, dans le même temps, obligé de revisiter quelque peu la procédure QPC pour adapter son application à une situation non envisagée par les textes.
a) Tandis que le Conseil constitutionnel aurait pu admettre l’idée d’un contrôle de constitutionnalité des lois a posteriori mis en œuvre en-dehors de la procédure QPC, il s’est, au contraire, efforcé de rattacher ce contrôle à la procédure introduite par la révision de 2008. Le commentaire accompagnant la décision est, sur ce point, on ne peut plus clair : « En l’absence, par hypothèse, de dispositions de procédure qui organisent ce contrôle, le Conseil a choisi d’insérer le contrôle de constitutionnalité soulevé à l’occasion du contentieux électoral dans le cadre fixé par l’article 61-1 de la Constitution »[8]. Les manifestations de ce rattachement sont ainsi nombreuses :
– d’abord, d’un point de vue linguistique, la décision du 12 janvier 2012, dans ses visas comme dans ses motifs, fait explicitement référence au concept de « question prioritaire de constitutionnalité », et non à l’expression générale – qui n’aurait pas renvoyé à un dispositif contentieux spécifique, de « moyen tiré de l’inconstitutionnalité de l’article L. 289 du code électoral » ;
– ensuite, le Conseil constitutionnel a fait application, en l’espèce, des exigences relatives à la communication et à l’instruction des QPC : après avoir transmis la question (formalisée dans un mémoire distinct et motivé…) aux parties et aux autorités visées à l’article 23-8 de l’ordonnance du 7 novembre 1958, il a garanti l’échange contradictoire des mémoires dans les conditions prévues par son règlement intérieur QPC ; puis, il a organisé une audience publique conformément à l’article 23-10 de la même ordonnance et dans les conditions prévues par le même règlement ;
– enfin, sur le fond, le Conseil a exercé le même type de contrôle que celui prévu originairement pour la QPC : restreint aux seuls « droits et libertés que la Constitution garantit », mais étendu aux motifs d’inconstitutionnalité le cas échéant relevés d’office par lui, l’examen mené a conduit à une déclaration de conformité dans le dispositif de la décision, avec le même effet – erga omnes – que les autres décisions rendues à l’occasion de telles questions.
b) Toutefois, le Conseil constitutionnel n’a pas pu totalement faire oublier que la question dont il acceptait la recevabilité n’était pas prévue, en tant que telle, par les textes relatifs à la QPC : il s’est agi, on l’a dit, d’une construction prétorienne justifiée par des motifs de cohérence. Il en résulte que « la procédure de question prioritaire de constitutionnalité de l’article 61-1 ne saurait, par construction, trouver à s’appliquer telle quelle devant le Conseil constitutionnel, juge de l’élection »[9]. Deux aménagements, en particulier, sont nécessaires s’agissant du traitement de cette question :
– en premier lieu, l’étape du filtrage opéré normalement par l’une des Cours suprêmes des deux ordres juridictionnels, inimaginable ici, est logiquement exclue. En d’autres termes, dans l’hypothèse où le Conseil constitutionnel, juge électoral, se voit directement saisi d’une QPC, celle-ci n’est plus préjudicielle : elle peut être adressée directement par le justiciable, sans renvoi d’un autre juge. Dès lors, si on savait, depuis l’affaire Melki et Abdeli[10], que la QPC n’était plus nécessairement prioritaire du point de vue de l’articulation entre contrôle de constitutionnalité et contrôle de conventionnalité des lois, on sait désormais, avec l’affaire Bubenheimer, que la QPC n’est plus nécessairement préjudicielle… Du reste, il est particulièrement intéressant de constater que, devant le Conseil constitutionnel intervenant en qualité de juge électoral, la question de la constitutionnalité de la loi n’est précisément pas prioritaire du point de vue, cette fois-ci, des délais restreints imposés par les textes pour résoudre au plus vite la question. En l’espèce, en effet, alors qu’il était saisi le 29 septembre 2011 d’un mémoire QPC, le Conseil n’a rendu sa décision que le 12 janvier 2012 : ce faisant, ce dernier s’est délibérément soustrait au délai de trois mois imposé par l’article 23-10 de l’ordonnance modifiée du 7 novembre 1958 dans le cas où le Conseil constitutionnel est appelé à intervenir sur renvoi du Conseil d’État ou de la Cour de cassation. Lorsque la QPC est directement soulevée devant le Conseil constitutionnel, ce délai sera donc considéré comme inapplicable ;
– en second lieu, et dans le prolongement des observations précédentes, la solution apportée à la QPC dont le Conseil constitutionnel, juge électoral, est saisi, ne fait pas l’objet d’une décision autonome, mais est intégrée à la décision venant trancher la protestation électorale. Ainsi, alors même qu’une audience publique est pourtant dédiée à la question (en l’espèce, l’audience du 10 janvier 2012) il n’y a, in fine, qu’une seule et unique décision venant mettre un terme et à la QPC et au contentieux électoral[11]. Naturellement, les spécificités induites par le dépôt d’une QPC donnent à la décision électorale certains traits particuliers : ainsi, cette décision est rendue au visa de « la Constitution », sans préciser « notamment son article 59 » (ce qui est pourtant l’usage dans le contentieux des élections parlementaires nationales) ; de même, les visas mentionnent également, de manière distincte, l’échange des mémoires consacrés à la QPC ; enfin, le dispositif comporte, outre l’article 1er qui déclare conforme à la Constitution la disposition attaquée, un article 3 qui prévoit la notification de la décision aux autorités signalées à l’article 23-11 de l’ordonnance modifiée du 7 novembre 1958 (Président de la République, Premier ministre et Présidents de l’Assemblée nationale et du Sénat).
Dans ces conditions, il est difficile de ne pas voir à quel point la QPC soulevée devant le Conseil constitutionnel, juge électoral, prend alors les atours d’une véritable question préalable : l’exception d’inconstitutionnalité invoquée – entendue, ici, dans son sens plein et entier – sera appréhendée et résolue par le même juge – celui saisi de l’action principale – à l’occasion d’une décision juridictionnelle unique, venant trancher l’ensemble des points soumis à la discussion.
Ce faisant, deux procédures (nécessairement inégalitaires dans la fréquence de leur mise en œuvre) coexisteront dorénavant : une première – la QPC de droit commun –, la plus utilisée, sera appliquée dans le strict cadre des dispositions constitutionnelles et organiques ; une seconde – la QPC sui generis –, rarement activée, bénéficiera d’un traitement spécifique tout au long de son parcours juridictionnel devant le Conseil constitutionnel. Pour cette raison, la décision Bubenheimer du 12 janvier 2012 pourrait bien être regardée comme consacrant, discrètement mais sûrement, la fin du caractère unitaire de la procédure QPC.
Notes
[1] « Les partis et groupements politiques concourent à l’expression du suffrage. Ils se forment et exercent leur activité librement. Ils doivent respecter les principes de la souveraineté nationale et de la démocratie. / Ils contribuent à la mise en œuvre du principe énoncé au second alinéa de l’article 1er dans les conditions déterminées par la loi. / La loi garantit les expressions pluralistes des opinions et la participation équitable des partis et groupements politiques à la vie démocratique de la Nation ».
[2] CC, 2 décembre 1980, décision n° 80-889 SEN, Eure.
[3] CC, 21 octobre 1988, décision n° 88-1082/1117 AN, Val d’Oise, 5ème circ.
[4] TC, 4 juillet 2011, »M. Jacques B. c. Ministre du budget, des comptes publics et de la réforme de l’État », n° 3803 : « Considérant qu’il résulte de la combinaison de l’article 61-1 de la Constitution et de l’article 23-1 de l’ordonnance n° 58-1607 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, issu de la loi organique n° 2009-1523 du 10 décembre 2009, qu’une question prioritaire de constitutionnalité ne peut être présentée que devant les juridictions qui relèvent du Conseil d’État ou de la Cour de cassation ; que dès lors, une telle question ne peut être présentée devant le Tribunal des conflits ; qu’ainsi la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par M. B est en tout état de cause irrecevable ».
[5] Commentaire accompagnant la décision, p. 9.
[6] V. not. les extraits cités dans le commentaire de la décision rendue (p. 10) : « Dans son rapport devant l’Assemblée nationale, M. Warsmann (affirmait) que le texte du futur article 23-1 de l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ne permettait pas « de préjuger dans quelle mesure le Conseil constitutionnel statuant comme juge des élections législatives et sénatoriales (…) pourrait admettre une question de constitutionnalité directement soulevée devant lui » et qu’il « appartiendra au Conseil constitutionnel de tirer lui-même les conséquences de la réforme constitutionnelle » (Assemblée nationale, rapport n° 1898 déposé le 3 septembre 2009 au nom de la Commission des lois) » ; « dans son rapport au Sénat, le sénateur Portelli allait dans le même sens. Il estimait qu’il appartiendrait au Conseil constitutionnel de décider s’il devait transposer le contrôle par voie d’exception dans les instances ouvertes devant lui, en qualité de juge électoral (Sénat, rapport n° 637 déposé le 29 septembre 2009 au nom de la Commission des lois) ».
[7] « Des recours contre le tableau des électeurs sénatoriaux établi par le préfet peuvent être présentés par tout membre du collège électoral sénatorial du département. Ces recours sont présentés au tribunal administratif. La décision de celui-ci ne peut être contestée que devant le Conseil constitutionnel saisi de l’élection. Dans les mêmes conditions, la régularité de l’élection des délégués et suppléants d’une commune peut être contestée par le préfet ou par les électeurs de cette commune ».
[8] Commentaire accompagnant la décision, p. 12.
[9] Commentaire accompagnant la décision, p. 10.
[10] CJUE, 22 juin 2010, Melki et Abdeli, aff. jointes n°s C-188/10 et C-189/10.
[11] Ceci explique que la QPC soulevée dans une telle hypothèse ne se voit pas attribuer de numéro d’enregistrement à part entière : elle est adossée à l’instance électorale et emprunte donc son numéro d’enregistrement (en l’espèce : affaire n° 2011-4538 SEN).
Commentaires
Reste à ouvrir la QPC au Tribunal des conflits (un revirement de jurisprudence à espérer ?)…
Les conditions dans lesquelles intervient le TC (une QPC peut être soulevée avant ou après sa saisine) et la nature de son office (lorsqu’il agit dans le cadre de la répartition des compétences juridictionnelles), le placent tout de même dans une situation particulière.
Cela dit, après la décision rendue par le Conseil constitutionnel ce jeudi 12 janvier, plus rien ne semble vraiment impossible… Je ne me risquerai pas (ou plus) à miser sur la réalisation ou non d’un éventuel revirement de jurisprudence en la matière…
En tout cas, la décision du Conseil constitutionnel démontre qu’une autre lecture des textes relatifs à la QPC – différente de celle retenue par le TC, et particulièrement audacieuse – est envisageable. Á cet égard, – et dans l’hypothèse où le TC ne toucherait pas à sa jurisprudence -, il sera intéressant d’observer si, à l’avenir, celui-ci maintiendra la motivation qu’il a élaborée le 4 juillet 2011 pour justifier l’irrecevabilité des QPC soulevées devant lui, ou bien si la récente solution du Conseil constitutionnel le poussera, au contraire, à un ajustement rédactionnel (comme conséquence d’un dialogue des juges).
"Heureusement, le commentaire accompagnant la décision rendue vient largement pallier le mutisme de celle-ci et préciser expressément que cette recevabilité, loin de s’imposer avec évidence, constituait l’un des enjeux principaux de cette affaire."
Est-il normal qu’une décision de justice reste muette sur l’une des principales questions sur lesquelles se prononce cette décision ?
Je comprends très bien votre critique (déjà formulée, en off, par un éminent lecteur et invité du blog…) et la partage en partie. L’analyse de la décision fait précisément état de ce paradoxe : compte tenu de l’importance de la question de principe posée au Conseil constitutionnel, il était attendu de ce dernier qu’il s’expliquât, dans le corps même de sa décision, sur son choix d’accepter la recevabilité des QPC soulevées directement devant lui dans le cadre du contentieux électoral. Et cela d’autant plus que, comme il l’a été dit, cette acceptation ne s’imposait pas avec évidence.
Pour tout vous dire, à l’origine, la première version de l’analyse reliait expressément cette décision à la critique, de plus en plus vive, dénonçant l’imperium brevitas du Conseil constitutionnel (notamment en matière de QPC).
Cela dit, je n’étais pas certain que la critique tirée du silence assourdissant de la décision sur ce point fût, dans les circonstances de l’espèce, totalement fondée. En effet, d’un point de vue contentieux, le juge ne fait jamais état, dans les motifs de sa décision, de toutes les étapes préalables de son raisonnement. Très souvent, bon nombre de ces étapes (je pense, notamment, aux questions de compétence ou de recevabilité) sont seulement implicites dans sa décision. Le juge ne doit véritablement se justifier (à travers une motivation expresse) sur l’acceptation de sa compétence ou de la recevabilité d’une prétention que lorsque le défendeur remet ouvertement en cause l’un de ces aspects (encore que l’hypothèse du jugement pour faire reste de droit nuance de nouveau ce principe).
On peut faire ici une analogie avec la pratique du juge administratif : d’importantes décisions de principe, venant trancher des questions de compétence ou de recevabilité inédites, ne comportent sur ce point aucune motivation explicite (cf. les fameuses décisions du Lebon venant consacrer les « sol. impl. »).
Dans ces conditions, le lecteur des décisions en cause ne connaît jamais totalement le raisonnement conduit par le juge à l’endroit de chacune de ces étapes procédurales. Et c’est alors que, de manière heureuse, certains documents annexes (préparatoires ou non) – on pense aux conclusions du rapporteur public pour les décisions du juge administratif, ou bien aux commentaires techniques pour celles du Conseil constitutionnel (attention, je ne considère pas du tout ces supports comme équivalents) – peuvent permettre, éventuellement, d’appréhender plus avant le fil de ce raisonnement. C’était le sens (et le seul) de l’affirmation selon laquelle « Heureusement, le commentaire accompagnant la décision rendue vient largement pallier le mutisme de celle-ci ».
Maintenant, je vous rejoins totalement : le juge devrait dire tout ce qui doit être dit dans le corps de la décision de justice qu’il rend et non se réfugier derrière un silence décrypté ou interprété par des commentaires techniques qui n’ont, précisément, ni la nature ni la valeur d’une telle décision.