L’article L. 146-6 du code de l’urbanisme et la protection du littoral
Par FL :: Droit de l'urbanisme
La protection du littoral constitue un objectif consacré par la loi ; l’article L. 321-1 du code de l’environnement dispose en effet : « I. – Le littoral est une entité géographique qui appelle une politique spécifique d’aménagement, de protection et de mise en valeur. » Une telle politique « d’intérêt général » doit avoir pour objet notamment, « la protection des équilibres biologiques et écologiques, la lutte contre l’érosion, la préservation des sites et paysages et du patrimoine », indique le II du même article. La protection des zones littorales s’est traduite, il y a vingt cinq ans, par les dispositions de la loi « littoral » du 3 janvier 1986, codifiées aux articles L. 146-1 et suivants du code de l’urbanisme, qui ont pour vocation de maîtriser, voire interdire dans certaines conditions, le développement de l’urbanisation dans ces zones. On rappellera que cette loi, bien connue des professionnels du droit administratif, juges et avocats, comporte notamment des dispositions visant à limiter l’urbanisation des zones littorales : c’est l’article L. 146-4 du code de l’urbanisme instaurant « un régime gradué d’autant plus strict que l’on s’approche du littoral » (voir conclusions Mitjavile sur l’arrêt CE Mme Barrière du 3 mai 2004 n° 251534). Les dispositions codifiées de la loi « littoral » prévalent sur les dispositions des plans locaux d’urbanisme pour l’instruction des demandes d’autorisation d’occupation du sol.
La loi littoral comporte un régime de protection codifié à l’article L. 146-6, dont les dispositions concernent les espaces littoraux, qui sont notamment désignés par l’article R. 146-1 : dunes, landes côtières, plages, lidos, estrans, falaises et abords de celles-ci, forêts et zones boisées proches d’un rivage de la mer, îlots inhabités, parties naturelles des estuaires, des rias ou abers et caps (a) à d) de cet article ), ainsi que les plans d’eau intérieurs d’une superficie supérieure à 1 000 ha (b).
Ce régime de protection a des implications très importantes, puisqu’il peut conduire, d’une part, à annuler une autorisation de travaux en vue d’un aménagement touristique (voir arrêt du 20 mai 2011 commenté infra), d’autre part, à ordonner ou non la démolition de l’ouvrage irrégulièrement implanté, enfin, à conduire le juge à condamner le maître d’ouvrage de l’ouvrage irrégulièrement implanté au versement d’une indemnité à une association à raison de la faute commise du fait de la décision d’implantation d’un ouvrage interdit par la loi littoral.
La qualification « d’espace préservé » au sens de ces dispositions peut résulter de la prise en compte de plusieurs critères : le havre de Regnéville, situé sur la côte ouest du Cotentin, a été qualifié tel au regard de sa position littorale (il s’agit d’un estuaire de rivière caractéristique du patrimoine naturel de ce littoral normand), de sa situation de « site classé » en application de la loi du 2 mai 1930 modifiée, de secteur inscrit à l’inventaire des ZNIEFF ainsi qu’à l’inventaire des zones importantes pour la conservation des oiseaux (ZICO) établi en application de la directive « oiseaux » du 2 avril 1979 : voir CE 13 février 2009 COMMUNAUTE DE COMMUNES DU CANTON DE ST- MALO DE LA LANDE n° 295885 aux T. Dans cette affaire, le CE n’a toutefois pas fait droit aux conclusions de l’association Manche Nature tendant à l’annulation de la décision du président de la communauté de communes de Saint-Malo de la Lande en tant qu’elle rejetait la demande de démolition de la cale des Moulières et à ce que soit ordonnée cette démolition, dès lors que cette cale, d’une part, présente un « intérêt certain pour la sécurité des exploitants, des plaisanciers et des estivants », d’autre part, « n’a qu’un impact limité sur le paysage, la faune et la flore du site », faisant ainsi application de la jurisprudence du 29 janvier 2003 n° 245239 Syndicat départemental de l’électricité et du gaz des Alpes Maritimes (publié au rec.) concernant la démolition d’un ouvrage public irrégulièrement édifié. Enfin, le même arrêt a confirmé que la communauté de communes avait commis une faute en autorisant la réalisation de l’ouvrage irrégulier de nature à engager sa responsabilité et que l’association requérante avait, par suite, subi un préjudice.
Par un arrêt très récent : CE 20 mai 2011 COMMUNAUTE D’AGGLOMERATION DU LAC DU BOURGET, n° 325552, la haute juridiction a confirmé cette jurisprudence s’agissant de la qualification « d’espace remarquable » au sens du L. 146-6 s’agissant du terrain d’assiette d’un projet situé « sur le territoire de la commune de Chindrieux à proximité de l’extrémité nord du lac du Bourget au bord du canal de Savières » et consistant dans un aménagement touristique et portuaire au lieu-dit « Portout » (création d’aires de jeux et de loisirs et d’un bassin de plaisance d’une capacité de 60 bateaux de plaisance comprenant un pavillon à usage de capitainerie. Le terrain est implanté « dans une partie naturelle du site inscrit du lac du Bourget défini en application de la loi du 2 mai 1930 et s’inscrit « dans une zone naturelle sans aucune construction formant un ensemble homogène » et n’ayant fait l’objet d’aucune altération du fait de l’activité humaine ; le terrain en outre est inscrit dans le périmètre d’une ZNIEFF et d’une ZICO. Le CE a considéré que le projet, compte tenu de la nature et de l’emprise des constructions envisagées (sur 16 000 m2) ne pouvait être regardé comme un aménagement léger au sens du deuxième alinéa de l’article L. 146-6 du code et de l’article R. 146-2. Il a outre fait droit aux conclusions tendant à la démolition de l’ouvrage public litigieux réalisé sur le rivage du lac du Bourget en considérant que la « démolition des aménagements réalisés et la remise en état des lieux ne portaient pas, en l’espèce, une atteinte excessive à l’intérêt général, eu égard à l’intérêt public qui s’attache à la préservation d’un espace naturel remarquable fragile et au maintien de sa biodiversité », faisant ainsi une application intéressante de sa jurisprudence précitée du 29 janvier 2003.
Ces deux arrêts, qui précisent utilement les contours du régime de l’article L. 146-6, et sont intervenus à propos de sites sensibles, montrent que les associations de protection de l’environnement peuvent jouer un rôle majeur pour que soit effectivement appliquées des dispositions fort utiles du code de l’urbanisme et que le juge administratif puisse remplir son office quant aux pouvoirs qui lui sont impartis par la jurisprudence.
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