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01 12 2009

Modernisation de la juridiction administrative et qualité de la justice administrative

Le colloque qui s’est tenu à Toulon les 23 et 24 novembre 2009 sur le thème « Modernisation de la juridiction administrative et qualité de la justice administrative » est le fruit d’un fructueux dialogue entre le Tribunal administratif de Toulon et la Faculté de droit de Toulon. Organisé par le Centre d’Etudes et de Recherches sur les Contentieux (CERC, Pr. M. Paillet) et le Tribunal administratif de Toulon (Présidente D. Bonmati), cette rencontre intervient à une date clé, qui est celle du premier anniversaire de la naissance de ce tribunal.

Officialisé par le décret n° 2008-819 du 21 août 2008, le Tribunal administratif de Toulon a en effet tenu sa première audience collégiale le 21 novembre 2008. Sa création s’inscrit dans un mouvement de maillage du territoire, marqué aussi par l’ouverture d’un Tribunal administratif à Nîmes en 2007 et, dernièrement, à Montreuil (novembre 2009), mouvement « qui vise à satisfaire aux deux impératifs de proximité et de célérité qui guident la justice administrative » (Panazza (J-P), « Un nouveau tribunal administratif à Nîmes », LJA janv. 2007, n° 14, p. 1). Etabli dans le but de désencombrer le prétoire de Nice, il a jugé, selon les chiffres donnés par la Présidente D. Bonmati, presque 3000 affaires cette année, sur le stock des 3700 qui lui ont été initialement transférées, en provenance du Tribunal administratif de Nice. L’organisation d’un colloque intégralement consacré au contentieux administratif, était l’occasion de fêter dignement cette entrée réussie dans le paysage des juridictions administratives françaises, en même temps qu’une invitation faite aux magistrats, avocats et universitaires de réfléchir au présent et à l’avenir de la juridiction administrative. Malgré quelques absences de dernière minute, inévitables dans tout colloque, ce dernier a pu se dérouler sans encombres, les absents ayant été remplacés ou, le cas échéant, ayant aimablement transmis le texte de leur intervention, lequel a ainsi pu être lu, voire complété par l’orateur désigné et, ensuite, soumis aux débats du public.

Quel beau thème à aborder que celui de la « Modernisation de la juridiction administrative et qualité de la justice administrative » ! Sous un intitulé qui n’est pas redondant, malgré ce qu’il laisse paraître de prime abord, il s’est agi d’expliciter le mouvement de réforme qui travaille la juridiction administrative de l’intérieur depuis quelques années, et de mettre en valeur ses incidences sur la qualité de la justice administrative. La modernisation de la juridiction administrative est-elle garante de la qualité de la justice administrative ? Rien n’est moins sûr et c’est là tout l’intérêt de ce colloque, ainsi que l’a mis en lumière M. le Professeur J-J. Sueur, reprenant en cela les propos de Mme le Professeur H. Pauliat, chargée de présenter le rapport introductif du colloque, malheureusement absente. Ainsi, les efforts faits pour augmenter la capacité de jugement n’ont-ils pas, au contraire, une conséquence négative sur la qualité ? Dans une autre optique, la façon dont la juridiction administrative est perçue ne gagnerait-elle pas à être améliorée, de même que l’intelligibilité du procès administratif, pour tendre vers davantage de qualité ? Telles ont été les questions soulevées lors de ces deux journées, auxquelles les intervenants ont tenté d’apporter des réponses.

Porté à l’attention du grand public en 2007 par la mise en place par J-M. Sauvé, Vice-Président du Conseil d’Etat, de différents groupes de travail chargés de réfléchir « sur les évolutions nécessaires de la juridiction administrative dans son ensemble »[1] , le processus de modernisation est cependant plus ancien, même si le principal acteur en a toujours été le Conseil d’Etat. L’ambition des organisateurs du colloque était, en se nourrissant des réflexions récentes, de réfléchir globalement aux transformations qui ont été apportées à la juridiction administrative, en vue de répondre à l’objectif de qualité nécessaire à toute justice. Si les réflexions sur la qualité de la justice en général ne sont, elles aussi, pas nouvelles, comme en témoigne l’organisation d’un colloque sur le sujet, à Poitiers, en 2007[2] , M. le Président J-M. Sauvé ayant d’ailleurs eu lui-même l’occasion de s’exprimer à cet égard lors d’un colloque très récent célébrant les vingt ans du Tribunal de Première Instance des Communautés Européennes (TPICE)[3] , il manquait un volet administrativiste. Adoptant un point de vue résolument critique, le colloque a permis de combler ce vide. La rencontre s’est au demeurant distinguée par la qualité des interventions et par la richesse des débats qui ont suivi. Une place a même été faite, et c’est heureux, à la juridiction judiciaire. L’intervention de Mme le Professeur M. Douchy-Oudot est ainsi revenue sur les évolutions communes aux deux ordres de juridiction (prégnance de la notion de procès équitable, inclusion au sein des mécanismes de jugement des avancées technologiques notamment), les emprunts réciproques entre ceux-ci (par exemple procédure d’avis contentieux), écartant implicitement l’idée, pourtant souvent retenue, d’une juridiction judiciaire, modèle de la juridiction administrative[4] . La première journée du colloque a été l’occasion d’envisager les liens entre modernisation et qualité sous l’angle de la maîtrise des flux contentieux. Revenant sur la conception managériale aujourd’hui retenue dans l’appareil juridictionnel administratif, les intervenants ont retracé les différents mécanismes qui ont fleuri et se sont enracinés pour répondre au besoin d’une amélioration quantitative du traitement des recours contentieux, à la suite du constat d’engorgement de la plupart des juridictions administratives. Enfants de la nécessité, ces mécanismes ont été classés en deux catégories : d’un côté, les instruments organisationnels de gestion du contentieux, de l’autre les techniques procédurales proprement dites. Tous sont cependant issus d’une seule et même idée : celle qui veut que pour juger vite, il faut s’en donner les moyens. Toute la difficulté est alors de trouver l’équilibre entre la qualité de la justice administrative et l’amélioration de la rapidité de la juridiction administrative, afin que le second élément n’exclue pas le premier.

La création des contrats d’objectifs et de moyens passés avec les Cours administratives d’appel est à classer dans cette première catégorie. M. le Conseiller d’Etat J. Léger a été utilement chargé d’en retracer l’historique et d’en faire le bilan, fort de son expérience d’actuel Président de la Cour administrative d’appel de Marseille. Innovation sans précédent, ces contrats, qui prennent acte d’un véritable dialogue entre le Conseil d’Etat et les cours, ont été une réussite. Parce qu’ils ont permis de fixer, après négociation, des objectifs globaux, les cours ont désormais intégré une « culture du résultat », ce qui a diminué sensiblement leur délai moyen de jugement. A l’heure actuelle, il n’est cependant pas question de les étendre en tant que tel aux tribunaux administratifs, en l’absence d’une nouvelle loi d’orientation et de programmation pour la justice. A la place, a été retenu le concept de « projets de juridiction » dépourvus de portée contraignante pour les juridictions signataires. Leur intérêt s’en trouve par là même peut-être amoindri.

Le traitement par ordonnance est un autre instrument de gestion du contentieux. Efficace si l’on en croit le nombre toujours plus important d’ordonnances rendues chaque année, il permet de laisser le juge se concentrer sur les dossiers les plus importants, en procédant dès réception des affaires à un véritable tri. Il convient cependant de l’utiliser avec prudence et modération. Des gardes fous, des remparts, doivent être posés, pour ne pas donner l’impression d’une justice expéditive. Selon la Présidente D. Bonmati, le juge des ordonnances doit ainsi demeurer un magistrat expérimenté, respecter les exigences de motivation, sachant que seul ce qui relève de l’évidence doit pouvoir être rejeté par ordonnance.

Enfin, parce que le partage des compétences juridictionnelles administratives a fait l’objet de réaménagements successifs au fur et à mesure que grandissait le contentieux administratif, et que de nouvelles modifications sont actuellement en discussion (une diminution substantielle de la compétence de premier ressort du Conseil d’Etat est ainsi à prévoir), les organisateurs du colloque ont eu l’idée de demander à Mme le Professeur M. Ubaud-Bergeron de réfléchir à la question de la cohérence de l’ordre juridictionnel administratif. Traitant avec adresse de ce sujet quelque peu alambiqué, celle-ci a souligné que le caractère mouvant qui caractérise cet ordre « n’est non seulement pas le signe d’une incohérence, mais tout au contraire le signe de son adaptabilité permanente à un objectif de qualité de la justice »[5] . C’est en effet dans le souci d’une meilleure lisibilité pour le justiciable (lisibilité qui participe de l’accessibilité à la justice) qu’ont été pensées les réformes à venir. La position du Conseil d’Etat comme juridiction supérieure, autorité régulatrice, devrait en sortir renforcée. Une réflexion en termes d’efficacité aurait également été possible. La rationalisation de l’organisation juridictionnelle administrative, à condition qu’elle débouche sur une division du travail juridictionnel entre les différents degrés de juridiction, permet en effet de gagner en efficacité.

Au titre des techniques procédurales cette fois (mais n’est-ce pas également un instrument de gestion du contentieux au même titre que ceux précédemment envisagés ?), a été mis en avant le recours accru au juge unique. Presque 15 ans après l’important colloque qui s’était tenu sur la question au sein de cette même Faculté de droit de Toulon[6] , le constat n’a pas changé. Il est celui d’une véritable prolifération des juges uniques, en contentieux administratif, au détriment du principe de collégialité. Or, les justifications du recours au juge unique sont parfois fragiles, ainsi que l’a souligné Mme le Professeur M. Deguergue qui s’est interrogée sur les causes possibles d’un ralentissement de ce développement. Parce que la collégialité demeure un critère de qualité de la justice, il ne faut pas tout sacrifier au dogme du juge unique.

L’intervention de M. G. Marchesini, maître de conférences à la faculté de droit de Toulon, a illustré brillamment l’emploi, par le juge administratif, d’un ensemble de techniques de « concentration » (ou de « regroupement » selon l’expression préférée par l’orateur) de l’instance. Certaines s’attachent à délimiter la chose jugée (connexité, jonction de requêtes, substitution de motifs notamment), d’autres à en renforcer les effets (on peut citer, entre autres, le traitement des séries et le jeu de la théorie de la décision confirmative). Si un véritable principe de « concentration », corollaire d’un principe de loyauté procédurale, n’existe pas en tant que tel en contentieux administratif[7] , des mécanismes permettent donc de tendre à ce qu’une affaire ne suscite qu’un seul contentieux, ce qui allège l’office du juge.

Enfin, le Professeur M. Paillet s’est intéressé au développement des référés de droit commun. Si un consensus est aujourd’hui établi sur l’importance de ces référés, il convient d’opposer leur efficacité procédurale (le bilan est ici plutôt positif : l’accès au juge étant facilité, suite à l’allégement de la rigueur des règles de compétence et de recevabilité ; le juge étant mobilisé pour aller vite, comme en témoigne la large utilisation de la procédure de tri) et leur efficacité substantielle (le bilan est plus mitigé cette fois). A ce titre, ont été pointées du doigt les fréquentes difficultés à apprécier une situation d’urgence et la fiction du caractère provisoire des mesures prononcées, celles-ci ayant bien souvent la réalité du définitif.

La seconde journée du colloque a permis de revenir sur le besoin de lisibilité de la justice administrative. Trop souvent, celle-ci est perçue, injustement d’ailleurs, comme l’antithèse d’une véritable justice. A l’heure où les apparences de la justice comptent autant que les fondements de la justice eux-mêmes, tenter d’établir un diagnostic, une sorte d’« aggiornamento »[8] de la façon dont est perçue la juridiction administrative est utile, afin de prendre toute la mesure de ce déficit d’image. D’autant qu’à cette mauvaise image, s’ajoute un manque d’intelligibilité du procès administratif.

Le point de vue des usagers, c’est à dire des justiciables, a été présenté par la sociologue du droit, historienne et juriste Mme K. Weidenfeld, actuellement rapporteur public au Tribunal administratif de Paris. Co-auteur d’un récent ouvrage intitulé Le recours à la justice administrative. Pratique des usagers et usages des institutions[9] , paru à La documentation française en 2008, l’intervenante s’est appuyée sur les résultats de l’étude qu’elle a menée à cette occasion pour expliciter les facteurs sociaux qui conduisent à ne pas saisir la juridiction administrative de différends. Eprouvant certaines idées reçues (l’absence d’appel traduirait un découragement, une déception, vis à vis de la juridiction administrative, et non une satisfaction à l’égard du jugement de 1ère instance), en confortant d’autres (le recours à un avocat multiplierait par 7 les chances de gagner un procès administratif), elle a fait valoir l’intérêt que pourrait avoir le dépôt de requêtes formulé de manière électronique, qui serait accompagné d’une demande d’informations précises, (de nature socio-professionnelle notamment) sur le requérant. On aurait ainsi des clés de compréhension plus fiables qui permettraient peut-être, à l’avenir, de trouver des remèdes au déficit d’image chronique de la juridiction administrative, et ainsi de redorer son blason auprès des justiciables.

Illustrant une relation du type « je t’aime, moi non plus » (selon l’expression utilisée par Mme le Professeur D. Costa dans son intervention), la Cour européenne des droits de l’homme a, quant à elle, une opinion ambivalente de la juridiction administrative française. Oscillant entre censure et révérence, la Cour a ainsi eu l’occasion de condamner à plusieurs reprises la France, pour manquement aux règles du procès équitable, telles qu’elles sont rappelées dans l’article 6§1 de la Convention européenne des droits de l’homme (délai raisonnable, présence du commissaire du gouvernement au délibéré notamment). Pour autant, malgré les points de friction, la juridiction administrative française reste plutôt positivement perçue par les juges de Strasbourg, tant le gouvernement que le juge administratif s’efforçant, de se conformer aux exigences de la Cour, selon une politique dite des « retombées positives » des condamnations. M. le Conseiller d’Etat D. Chabanol, ancien président de la Cour administrative d’appel de Lyon, a analysé la façon dont était garantie dans les textes la déontologie des magistrats administratifs. A l’opposé d’une situation de désert textuel, il s’avère que des règles suffisantes sont posées en la matière, dans le statut général des fonctionnaires comme dans le Code de justice administrative, à tel point que le groupe de travail mis en place par le Conseil d’Etat, dans son rapport, n’a pas jugé bon d’ajouter aux obligations existantes[10] . Cependant, elles frappent par leur caractère épars, ce qui dessert la lisibilité de la justice administrative. Le Président D. Chabanol a appelé, dans sa communication, à la rédaction d’un document interne à la juridiction administrative, qui concernerait tous les membres de la juridiction administrative (membres du Conseil d’Etat y compris) et énoncerait les règles les plus importantes en la matière (indépendance, impartialité, honneur…).

Enfin, la vision des avocats a été présentée par Maître P. Lopasso, avocat au barreau de Toulon. Rappelant le désintérêt flagrant des avocats pour la juridiction administrative (les chiffres sont éloquents : en 2006, seuls 398 avocats sur 45818 ont passé un certificat de spécialisation en droit public), il a tenté d’en dégager les causes. Outre l’incompréhension générale de ces praticiens du droit devant certaines règles de procédure administrative contentieuse (le peu d’espace laissé à l’oralité, les appels possibles dans certains cas et pas dans d’autres), la question du port de la robe a été abordée. Symbole visuel puissant, il véhicule une image d’indépendance des magistrats judiciaires qu’il serait souhaitable, selon l’intervenant, d’élargir aux magistrats administratifs.

Une réflexion autour des moyens susceptibles d’améliorer l’intelligibilité du procès administratif (sorte de parallèle contentieux à l’impératif d’intelligibilité de la loi fréquemment rappelé par le Conseil constitutionnel) a occupé la dernière demi-journée du colloque.

Une information du justiciable, qui participe de l’objectif d’intelligibilité du procès administratif, ne peut se réaliser dans des conditions optimales qu’à la condition que soit organisée une certaine prévisibilité de la procédure. Sans prévisibilité, en effet, les informations ne peuvent être données qu’à la dernière minute, ce qui diminue d’autant leur utilité. L’introduction possible d’un « calendrier de procédure » doit être envisagée comme une réponse à cette demande de prévisibilité. Expérimenté au sein du tribunal administratif de Toulon (pour certains contentieux seulement), il est appartenu à M. J-C. Duchon-Doris, Vice-Président de ce tribunal, d’en déterminer les tenants et les aboutissants. Le calendrier de procédure a la particularité de fixer, dès le début de la procédure, la période au cours de laquelle une affaire contentieuse sera jugée (on parle d’un « délai prévisionnel de jugement »[11] ). Le justiciable en est immédiatement avisé. A une époque où les parties ont tendance à polluer les derniers jours avant l’audience par la production de mémoires de dernière minute (ce qui nécessite parfois une réouverture de l’instruction, pour ne pas faire échec au principe du contradictoire) il s’agit avant tout d’inciter les parties à anticiper, en s’organisant en amont. Il n’est cependant pas certain que cette incitation soit réellement efficace. Dès lors, peut-être faudrait-il étudier la proposition alternative, rappelée par Mme C. Schaegis, Premier conseiller au Tribunal administratif de Toulon, qui consiste tout simplement à prévoir une date de clôture de l’instruction plus éloignée de l’audience qu’elle ne l’est actuellement (la date de clôture serait, par exemple, fixée à 8 jours avant l’audience, au lieu des 3 jours retenus aujourd’hui).

Il appartenait ensuite à M. M. Revert, rapporteur public au Tribunal administratif de Toulon, d’analyser le positionnement du rapporteur public dans le procès administratif. Après un rappel de l’historique de la fonction plutôt flatteur, l’intervenant s’est attaché à rendre compte des quelques 8 années de tensions et de contradictions qui ont bien entamé l’aura du rapporteur public. Ecarté de certains contentieux, absent du délibéré devant les tribunaux administratifs et les cours administratives d’appel sur le fondement de la théorie des apparences, obligé de transmettre le sens de ses conclusions avant l’audience, ce qui réduit fortement sa liberté d’en modifier le sens par la suite, ébranlé par les notes en délibéré des parties élaborées après l’audience, le rapporteur public traverse une « mauvaise période »[12] . Créé originellement dans l’intérêt des parties, il s’agit aujourd’hui de l’évincer pour plaire à ces dernières. Le risque est pourtant d’abaisser la qualité de l’information qui leur est délivrée.

Enfin, l’intervention de M. le Professeur O. Le Bot a permis de rappeler que l’intelligibilité du procès administratif passe aussi par une rédaction adéquate des décisions de justice rendues par le juge. Seule une rédaction élaborée selon un processus collégial, concise sans être elliptique, pédagogique tout en demeurant précise, est en effet à même de répondre aux exigences d’intelligibilité du procès administratif. Or, en la matière, la révolution est en marche. Un nouvel office du juge émerge, qui tend à faire du juge un véritable administrateur. Allant jusqu’à prescrire à l’administration la conduite à adopter, le juge se permet aujourd’hui d’expliciter les obligations qu’implique l’exécution de son jugement. La décision de justice est plus qu’une décision d’autorité, elle devient aussi une décision d’explication, dans l’intérêt des justiciables.

La conclusion du colloque s’est proposée de prendre de la hauteur, en s’interrogeant sur les perspectives qui s’ouvrent à la juridiction administrative. Confiée, originellement à M. le Conseiller d’Etat Ph. Bélaval, Président de la Mission permanente d’inspection des juridictions administratives, elle a été finalement présentée par le Président J. Léger, celui-ci ayant accepté de remplacer au pied levé M. Bélaval[13] . Elle a été l’occasion de faire le point sur l’existence de plusieurs textes, encore en préparation. Deux décrets, tout d’abord, sont attendus pour la fin de l’année 2009. Le premier se propose de poser les règles déontologiques dont nous a entretenu le Président D. Chabanol, le second de modifier de façon significative le Code de justice administrative. Les modifications concernent d’abord le Conseil d’Etat (transfert, du pouvoir réglementaire au Vice-Président du Conseil d’Etat, du pouvoir de fixer le nombre de chambres au sein des Tribunaux et des Cours, modification des compétences juridictionnelles de premier ressort du Conseil d’Etat, institution de l’amicus curiae au Conseil d’Etat…) et, plus largement, l’ensemble des juridictions administratives (création de formations de jugement solennelles plus restreintes afin d’éviter l’Assemblée plénière, possibilité d’exiger un mémoire récapitulatif des mémoires antérieurs…). Une loi est également annoncée, pour le courant de l’année prochaine. Elle devrait permettre, notamment, de modifier certaines règles de nomination (adoption d’une liste d’aptitudes spécifiques pour devenir Président de juridiction, fixation d’un nombre de postes plus élevé de maître des requêtes et de conseillers d’Etat recrutés parmi les membres du corps des TA/CAA …).

Toute modernisation n’est pas bonne à prendre, et c’est ce qu’a tenu à souligner M. le Professeur J-J. Sueur, dans son rapport de synthèse. Faisant le partage entre « bonne » et « mauvaise » modernisation, il a mis en lumière le fait que la « bonne » modernisation est nécessairement liée à des exigences démocratiques. Démocratie institutionnelle, démocratie procédurale, telles sont, selon lui, les grandes notions qui sous-tendent l’idée de toute justice et la justice administrative n’y fait pas exception. L’existence d’une juridiction administrative chargée de rendre la justice administrative, distincte de la juridiction judiciaire, répond-elle à ces préoccupations ? La question demeure posée.

Les actes du colloque paraîtront aux Editions Larcier, dans le courant du premier semestre 2010.

Notes

[1] Brondel (S), « Des lettres de mission pour les sept groupes de travail sur les tribunaux administratifs et les Cours administratives d’appel », AJDA 2007, p. 1156

[2] La qualité des décisions de justice, Actes du colloque de Poitiers, 8-9 mars 2007, Les études de la Commission européenne pour l’efficacité de la justice (CEPJ), 2008, n° 4, Editions du Conseil de l’Europe

[3] Le colloque en question s’est tenu à Luxembourg, le 25 septembre 2009. L’intervention J-M. Sauvé portait sur « Les critères de la qualité de la Justice »

[4] « Le modèle est toujours fourni par l’ordre judiciaire. Le rapprochement de l’organisation de la justice administrative de celui-ci est censé la rationaliser et la parfaire », Fortsakis (T), Conceptualisme et empirisme en droit administratif français, LGDJ, 1987, p. 209

[5] Mme. M. Ubaud-Bergeron étant absente, son rapport a été lu par Mme S. Torcol, maître de conférences au sein de la Faculté de droit de Toulon

[6] Les juges uniques. Dispersion ou réorganisation du contentieux ?; Actes du colloque des 19-30 mai 1995, Faculté de droit de Toulon, Bolze (C), Pédrot (Ph) (coord.), Dalloz, 1996

[7] Il existe, par contre, en procédure judiciaire, un principe de concentration des moyens. Pour en savoir plus, se référer au Rapport Magendie (J-C), Célérité et qualité de la justice devant la Cour d’appel, 25 juin 2008

[8] Ce terme, d’origine italienne, est également utilisé en procédure judiciaire. Pour un exemple : Raynaud (P), « Aggiormamento de la Cour de cassation », D. 1979, chr,. XXXIV

[9] Contamin (J-G), Saada (E), Spire (A), Weindelfeld (K), Le recours à la justice administrative. Pratique des usagers et usages des institutions , Collec. « Perspectives de la justice », La documentation française, 2008

[10] Groupe de travail présidé par le Président du Tribunal administratif de Bordeaux, Henri Chavrier

[11] Il a été fixé à 12 mois devant le Tribunal administratif de Toulon

[12] Expression utilisée par M. J. Léger au cours des débats suscités par l’intervention de M. M. Revert

[13] M. Ph. Bélaval a été finalement retenu à Paris par une réunion du CSTACAA

Commentaires

Bienvenue à Clémence et merci pour ce riche et éclairant compte rendu.

zavata dit :

un grand Merci pour ce compte rendu,
cela compense en partie l’absence à ce colloque intéressant

Les collègues Revert et Léger ont raison, la fonction de commissaire/ rapporteur public est en crise, et d’abord en crise de vocation.

A noter que la proposition de loi à venir portera également sur la réforme des statuts des magistrats de l’ordre administratif, et n’en déplaise à certains (dont chabanol) instituera peut-être l’extension de la robe et du serment aux membres du corps des TACAA, ainsi qu’en font le souhait les syndicats le SJA et l’USMA.

Emilie A. dit :

Merci beaucoup pour ce très complet compte-rendu.

Micheline Martel dit :

Lecture très intéressante de ce compte-rendu du colloque.

Il est dommage qu’une plus grande publicité n’ai pas été faite pour permettre aux juristes du Var d’y assister plus largement!

ZAF dit :

Bonne année au blog DA,
et meilleurs voeux pour la juridiction administrative, que cette année 2010 soit l’année de la consécration de sa réforme au service du droit au procès équitable y compris dans son apparence.

ZAF dit :

http://www.lefigaro.fr/actualite...
avec un avis éclairé d’un Mcf de droit public…

Gus dit :

La modernisation de la justice administrative n’empêche pas quelques oublis de la part de certains tribunaux administratifs… notamment Léon Blum et les congés payés… Les stagiaires M2 ou EFB, dans certains tribunaux, qui sont là pour 6 mois et indemnisés (depuis peu… Décret du 21 juillet 2009) ne peuvent malheureusement pas prendre de jours de congés… sauf à renoncer à leur gratification s’ils souhaitent s’absenter quelques jours. Voilà qui est bien triste, on ne peut pas dire que le travail des stagiaires soit justement récompensé… Des réactions???

Altruisme dit :

Votre présidnet de juridiction est seul maître à bord… quoiqu’en dise la note "stagiaire" du CE…
Donc, courbez vous auprès de votre P ou VP, et vous irez vous dorer…

Altruisme dit :

Votre présidnet de juridiction est seul maître à bord… quoiqu’en dise la note "stagiaire" du CE…
Donc, courbez vous auprès de votre P ou VP, et vous irez vous dorer…

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