Quand un magistrat judiciaire demande l’auto-dissolution du Conseil d’Etat
Par Alexandre CIAUDO :: Divers
Une petite pointe d’humour pour dédramatiser la rentrée.
Un petit tour sur Legifrance peut parfois vous faire tomber sur des décisions bien surprenantes. Dans une ordonnance de référé-liberté adoptée le 28 novembre 2006, Monsieur B., un ancien magistrat judiciaire, bien connu des administrativistes, et que l’on pourrait facilement classer parmi les requérants d’habitude (F. LEMAIRE, « Les requérants d’habitude », RFDA, 2004, p. 554), ne demande rien de moins au Conseil d’Etat que de s’auto-dissoudre !
La motivation de la requête est encore plus édifiante :
Le requérant « expose qu’alors qu’il a lui-même prêté serment en sa qualité de magistrat, il lui a fallu s’adresser, pour assurer sa survie de juge indépendant, au Conseil d’Etat, juridiction composée de juges qui n’ont pas même prêté serment ; qu’il se déduit d’une étude d’un sociologue que le décret du 24 juillet 1987 le radiant des cadres de la magistrature n’a pas d’existence légale ; qu’eu égard à la circonstance que le Conseil d’Etat subordonne le respect du droit à ce que veut bien admettre son Vice-Président issu du Secrétariat général du Gouvernement, il faut ordonner la dissolution de cette institution pour refonder la République française sur des bases dignes d’elle ».
Le sang-froid avec lequel le juge des référés du Conseil d’Etat répond mérite d’être salué :
« Considérant que l’énoncé même de cette argumentation dénote de la part de son auteur, une méconnaissance totale de l’indépendance du Conseil d’Etat et de ses membres ; qu’à l’évidence, le rejet du recours pour excès de pouvoir antérieur introduit contre le décret du 24 juillet 1987 ne saurait être regardé comme portant atteinte à une liberté fondamentale ; que la requête présentée par M. B doit ainsi être rejetée, par application de la procédure prévue par l’article L. 522-3 du code de justice administrative ».
On notera, sans surprise, la condamnation à une amende de 3.000 euros pour recours abusif.
Après la « quérulence processuelle » rapportée par le Professeur Cassia (P. CASSIA, « Entre droit et psychiatrie : la quérulence processuelle », AJDA, 2006, p. 1185), l’on comprend que le métier de juge administratif n’est pas évident tous les jours quand les requérants cherchent à tester les limites de sa patience.
Commentaires
A la source de tout excès se trouve un moment de fulgurante vérité…
Le lien vers Légifrance ne marche pas, le bug de la session… (soupir). Ne serait-ce pas cette affaire : http://www.legifrance.gouv.fr/WA...
?
@ erasoft
Merci, j’ai modifié le lien.
Qu’a fait cet homme pour mériter d’être évincé deux fois de la magistrature en 6 ans ?
Ah, la "quérulence"…
Une maladie globalement peu répandue mais très bien connue des spécialistes de contentieux : paranoïa, mensonges et mauvaise foi, acharnement et rage…
Certains "patients" sont assez déprimants… Ici, je trouve que l’intéressé ne manque pas d’air… ni d’humour !
Personnellement, je trouve cette affaire très drôle.
Bon, je suppose quand même que le requérant avait déjà mis de côté ses 3.000€…
Et merci pour la référence sur les "requérants d’habitude".
Pour mémoire, le Sieur B. a par la suite "demandé au juge des référés du Conseil d’Etat (…) d’ordonner que les juges administratifs, et spécialement le juge des référés-libertés, ne sauraient être autorisés plus longtemps à rendre des décisions de justice sans avoir préalablement prêté serment de loyauté et de dignité en audience publique solennelle (…)" au motif que "cette décision sera de nature à désarmer tous ceux qui pensent que les conseillers d’Etat sont secrètement inféodés à la franc maçonnerie ou à des réseaux manipulés par des puissances étrangères" (Cf. CE Ord. Réf., 26 juin 2007, n°306691, je ne sais si elle est disponible sur Légifrance).
C’est effectivement un requérant d’habitude ayant saisi le CE d’une cinquantaine de requêtes (en hypothèse basse selon mes souvenirs), ainsi que le Cons Cons d’ailleurs.
Sur le fond, on ne peut effectivement s’empêcher de penser qu’au delà du caractère inhabituel de ces requêtes, ce n’est qu’une question de temps avant que la CEDH n’applique sa sacro-sainte théorie des apparences à la robe et au serment que les magistrats administratifs ne porte ni ne prononce.
Le recours devant le CE (des juges qui ne sont pas les pairs) pour les magistrats judiciaires sanctionnées me paraît être la moins mauvaise des garanties (cf. jurisprudence "stilinovic", "de montgolfier") , on peut d’ailleurs poser la question d’instituer la symétrie pour les magistrats administratifs, afin d’écarter toute suspicion subjective ou objective concernant le gestionnaire-juge, sauf à renforcer les prérogatives du cstacaa (statuant en juridiction disciplinare comme le csm).
@septime: les membres des ta et caa n’ont pas attendu la cedh pour réclamer ledit statut plein et entier (cf. site sja et usma) mais il est vrai que la contrainte extérieure fait accélérer les choses….
J’aime beaucoup le dernier considérant :
"Considérant que la présente requête est manifestement dénuée de fondement et revêt un caractère abusif ; que s’y ajoute la circonstance aggravante tenant à ce que l’intéressé, sous couvert de mettre en œuvre une procédure d’urgence instituée dans l’intérêt de la sauvegarde des libertés fondamentales, multiplie les injures à l’encontre de détenteurs de l’autorité publique ; que, dans ces conditions, il y a lieu d’infliger à M. B, qui n’a de cesse de présenter des requêtes de ce type, une amende de 3 000 euros…"
Parfois, on regrette qu’une amende pour recours abusif ne puisse aller au-delà de 3000 euros…
Et encore, je ne sais pas si M. B a organisé son insolvabilité comme un certain M. A… qui, lui, a bon nombre d’amendes pour recours abusif à son actif, mais n’en a payé aucune…
@Mog
J’imagine cher Mog que vous avez dû naître avec une cuiller en argent dans la bouche pour regretter que l’amende pour recours abusif n’aille pas au delà de 3000 euros. Vous vous prennez pour qui de vous délectez ainsi de ce considérant ? Vous êtes un esthète du droit, c’est ça ??
Il me semble que cette amende ne fait pas honneur à la juridiction admininstrative. Je pense qu’il y a bien d’autres moyens de rejeter les requêtes fantaisistes ou de ces requérants d’habitude. Elles ne demandent pas trop d’energie aux magisrats administratifs . La plus simple consiste à faire faire des ordonnances par des assistants de justice.
Ces amendes sont grossières. Elles dépassent l’office du juge et ne sont qu’un moyen mesquin du JA de règler ses comptes avec un dossier, somme toute pas bien compliqué.
Et qu’on ne nous dise pas que c’est le genre de technique qui permet de désengorger la JA. Tout le monde sait qu’elles ont l’effet inverse.
@ R 741-12
Attention au ton que vous employez. Vous pouvez dire la même chose sans être agressif.
non seulement l’amende pour recours abusif est un outil utile dans certaines affaires (à utiliser évidemment avec sagesse) mais il conviendrait que le cja prévoit une amende symétrique pour un défendeur abusant des délais d’instruction ou ayant provoqué abusivement le litige (cf. notamment contribution P. FOMBEUR dans les mélanges Labetoulle)
Juste une question: le CE n’aurait-il pas pu simplement opposer une fin de non-recevoir sans aller plus en avant: les conclusions semble quand même plus que fantaisistes?
@ yomyom2 :
le CE a quand même rejeté sur le fondement du L. 522-3 (pas d’audience ni de communication de la requête au défendeur… mais en l’espèce le défendeur… étant le CE lui-même…. des observations à ce sujet ? 🙂
et il fallait bien un minimum de motivation pour justifier l’amende… et pour le plaisir ?
"Cf. CE Ord. Réf., 26 juin 2007, n°306691, je ne sais si elle est disponible sur Légifrance)."
http://www.legifrance.gouv.fr/WA...
"Parfois, on regrette qu’une amende pour recours abusif ne puisse aller au-delà de 3000 euros…"
La dernière phrase vous plaira: « Copie en sera transmise au procureur de la République à Paris, en application de l’article 40 du code de procédure pénale »
Ah, mais je savais bien que je consultais beaucoup trop rarement ce blog…
J’ai beaucoup apprécié cette chronique judiciaire (enfin, administrative plus exactement).
Je n’ai jamais vu ce type de contentieux quand j’étais en Cabinet (pourtant spécialisé en Droit public…) ;
Mais je trouve cela excellent, surtout la réponse (toujours motivée) des sages du Palais Royal…
Sages… trop sages d’ailleurs parfois, non ? (c’est combien un outrage, car on en est pas loin dans la philosophie du recours intenté par ce requérant, non ?).
Mais bon, heureusement que les requérants d’habitude existent (parfois), car sinon on aurait pas d’arrêt SOCIETE LAMBDA par exemple (excellent aussi ce nom de société, non ??!!)
Merci, donc pour cette petite chronique qui nous permet de sortir un peu de certains dossier beaucoup plus (trop??) sérieux…
cdt
sur l’usage (trop rare mais cela change) par le juge administratif de l’article 40-2 du cpp, je signale l’excellent article intitulé "le JA et le procureur" in AJDA ,2003 ,p369.
@ manuel:
Au temps pour moi.
Par contre je vois bien le recours devant la CEDH pour déni de justice et atteinte aux droits de la défense. Surtout si on est dans le cas d’un requérant procédurier qui ne devait avoir aucun doute sur l’issue de sa requête (même en ce qui concerne le recours abusif).
Ce requérant semble constituer un sérieux conccurent pour le GISTI !!! (certes les demandes de ce requérant sont bien plus serieuses)
L’amende est-elle demandée par une partie, ou imposée d’office les juges eux-mêmes, et la partie susceptible d’être condamnée peut-elle présenter ces observations sur ce point ? Dans le cas contraire, la procédure ne serait pas contradictoire. Par ailleurs le mot "amende" évoque la matière pénale et, à défaut, son caractère pécuniaire lui donne un aspect civil, donc dans les deux cas on pense à l’art. 6 CEDH (rapprochement à faire avec les règles sur le jugement des délits d’audience et de l’outrage à magistrat ?)
Les conclusions tendant à la condamnation de la partie adverse pour recours abusif sont irrecevables : CE, 2 avril 1971, Ministre de l’équipement, AJDA, 1971, p. 355 ; CE, 20 avril 1977, Le Pelletier, Rec. T., p. 931 ; CE, 24 janvier 1986, Rosset, Rec. T., p. 669 ; CE, 27 février 1987, Bertin, Rec. T., p. 892 ; CE, 30 mars 2007, Techer, AJDA, 2007, p. 720
Pour moi, cette Amende de 3000 euro était très raisonnable comme sanction, il aurait mérité encore plus …
Merci pour l’article, y a plusieurs morales qu’on pourrait en apprendre.
Malheureusement, l’article R. 741-12 du code de justice administrative y fait obstacle.