La justice administrative en Europe
Par Alexandre CIAUDO :: Colloques
Ce vendredi 16 mars 2007 s’est tenu à la Maison du Barreau à Paris un colloque particulièrement intéressant sur « La justice administrative en Europe ». Sous l’égide de l’association des Conseils d’Etat et des juridictions administratives suprêmes en Europe, du Conseil d’Etat français, de la Mission recherche « Droit & Justice », et des Universités de Paris I et Limoges, des intervenants venus des quatre coins de l’Union européenne, ont proposé une vision d’ensemble de la juridiction administrative européenne.
Dès l’ouverture du colloque, Yann Aguila, Conseiller d’Etat, directeur de la Mission recherche « Droit & Justice » a dressé les grandes lignes que les intervenants de toutes nationalités allaient successivement emprunter au court de cette passionnante journée : la juridiction administrative en Europe fait preuve d’une grande diversité entre les différents Etats qui la composent, mais également d’une convergence globale. Tous les pays semblent choisir la même direction, celle de la subjectivisation du procès administratif.
Les juges administratifs européens, à travers l’expérience partagée par les nombreux et divers participants et intervenants, semblent éprouver les mêmes difficultés et être confrontés aux mêmes enjeux. L’encombrement du prétoire, tonneau des Danaïdes de la juridiction administrative (J. WALINE, « La réforme de la juridiction administrative : un tonneau des Danaïdes ? », Mélanges Jean-Marie Auby, Dalloz, 1992, p. 347), est unanimement constaté dans les Etats européens. Le juge administratif se doit ainsi de concilier l’exigence sociale d’ouverture de son prétoire à l’impérative nécessité de la lutte contre l’allongement des délais de jugement. Les remèdes sont biens connus : recours administratifs préalables obligatoires, modes alternatifs de règlement des conflits, multiplication de procédures à juge unique…
Au cours du débat, ont pu être évoqués tant le statut du juge administratif que l’évolution de son office. Les exigences du procès équitable découlant de l’article 6-1 et de la jurisprudence de la Cour de Strasbourg ont notamment retenu l’attention quant au maintien de la dualité fonctionnelle du Conseil d’Etat et son éventuelle remise en cause par les arrêts Procola, Kleyn et Sacilor Lormines. Mérite à cet égard d’être signalé les longs développements qui ont été consacrés à feu l’article 20 de la loi du 24 mai 1872 interdisant à un conseiller d’Etat de connaître d’une affaire en section administrative et en section du contentieux. Bernard Stirn, président de la section du contentieux du Conseil d’Etat français a rappelé que cet article avait été abrogé en 1939 pour des raisons matérielles, de nombreux membres de la Haute juridiction appelés au combat, cette règle devenant difficile à respecter en pratique. A l’occasion, a été manifesté le souhait de rétablir cette obligation.
L’office du juge est également en plein cœur des préoccupations actuelles, comme avait pu le souligner l’excellent dossier à la RFDA consacré à la modulation des effets de l’annulation contentieuse en Europe (RFDA 2004 n° 3 et 4), le juge du Palais Royal était loin d’être un précurseur en la matière lorsqu’il a consacré cette nouvelle composante de l’office du juge dans l’arrêt AC ! Anne Courrèges, dont on se souvient d’une note devenue célèbre (J.-H. STAHL, A. COURREGES, « Note à l’attention de Monsieur le Président de la Section du contentieux », RFDA, 2004, p. 438), a pu affirmer à cet égard que l’arrêt AC ! n’était que le premier pas d’une évolution plus profonde d’une future évolution de l’office du juge.
Un aperçu général du colloque se retrouve dans la revue Recherche « Droit & Justice » n° 25 Hiver 2006-2007.
Commentaires
Sur les modes alternatifs de règlement des litiges, le Conseil d’Etat avait dès 1993 souligné dans un rapport d’étude la nécessité de les développer. Ce rapport incluait d’ailleurs le recours administratif préalable obligatoire dans de tels modes.
Autant la valeur psychologique et conciliatrice de ces procédures est incontestable, on peut cependant se demander quelle en est la réelle portée. L’administration disposant du pouvoir "exorbitant" de ne pas avoir à répondre à une demande de l’administré (le silence valant rejet, acceptation dans certaines hypothèses trop peu nombreuses), le curseur du litige ne trouve plus son fondement dans l’acte administratif ou le comportement de l’administration, mais plutôt dans le refus de cette dernière d’évaluer les demandes. Bien évidemment, la généralisation ne serait que mauvaise volonté. Mais très clairement, l’autorité de la médiation est ridicule et sans réelle portée juridique, la fonction conciliatrice du juge administratif (qui trouve son fondement dans le CJA à l’article L.211-4 sous l’appellation "Attributions contentieuses", ce qui peut apparaître curieux) n’est que très rarement mise en oeuvre, la transaction est le plus souvent homologuée devant les magistrats pour lui conférer autorité de chose jugée, et l’arbitrage est lui confiné et limité pour certaines catégories de personnes publiques limitativement énumérées par les textes.
Le constat d’échec de ces procédures saute aux yeux : une solution simple serait de généraliser les recours administratifs préalables obligatoires hiérarchiques ou devant une commission ad hoc chargée d’examiner de tels recours. Mais là encore, cela pourrait donner lieu à la fermeture des prétoires : l’irrecevabilité pour non exercice d’un RAPO est irrégularisable en cours d’instance et le juge se fera un malin plaisir de rejeter la requête par ordonnance du R.222-1 du CJA.
@Thibaut
Le sujet a été très abondamment traité dans la doctrine (J.-F. BRISSON, Les recours administratifs, thèse, LGDJ, BDP, t. 185, 1996 ; E. PREVEDOUROU, Les recours administratifs obligatoires, thèse, LGDJ, BDP, t. 180, 1996). La question de la généralisation des recours administratifs obligatoires ne peut se solder que par un échec si l’administration n’est pas dotée de services spécialisés pour traiter ces recours. Toutefois, et le contentieux fiscal en est le meilleur exemple, cette généralisation peut porter ses fruits.
Je me permets de préciser que le juge ne prend pas de "plaisir" à rejeter pour irrecevabilité en cas de défaut d’exercice d’un recours administratif préalable obligatoire, vice non régularisable (CE, 6 mai 1977, Garrigues, Rec., p. 208). Si ce recours est obligatoire pour le requérant, il lui en est fait mention dans la décision administrative en vertu des dispositions cumulées du décret du 28 novembre 1983 et de la loi du 12 avril 2000, si tel n’est pas le cas, le juge ne soulèvera pas le défaut de recours administratif préalable et invitera le requérant à exercer celui-ci (CE, 1er février 1992, Abit, JCP, 1992, IV, p. 176, note M.-C. Rouault).
@ A. Ciaudo
Merci pour ces précisions. Je tiens juste à signaler que la question de la généralisation des recours préalables est actuellement en discussion au Conseil d’Etat. Tout au moins, une extension de son domaine d’action. Il est évident que si l’administration ne dispose pas de moyens suffisant pour "instruire" les recours présentés devant elle, une telle généralisation est intrinsèquement vouée à l’échec.
Je me permets juste cependant d’ajouter un petit bémol : la réussite du domaine fiscal précontentieux (95% des réclamations aboutissent vers une issue favorable) vient de sa nature même. Une simple rectification matérielle donne lieu à recours préalable. Je crois savoir également que le contentieux du remembrement rural connaît de pareils réussites.
Bonne continuation à vous et à ce blog!
@ A. Ciaudo
Merci pour ces précisions. Je tiens juste à signaler que la question de la généralisation des recours préalables est actuellement en discussion au Conseil d’Etat. Tout au moins, une extension de son domaine d’action. Il est évident que si l’administration ne dispose pas de moyens suffisant pour "instruire" les recours présentés devant elle, une telle généralisation est intrinsèquement vouée à l’échec.
Je me permets juste cependant d’ajouter un petit bémol : la réussite du domaine fiscal précontentieux (95% des réclamations aboutissent vers une issue favorable) vient de sa nature même. Une simple rectification matérielle donne lieu à recours préalable. Je crois savoir également que le contentieux du remembrement rural connaît de pareils réussites.
Bonne continuation à vous et à ce blog!