Le blog Droit administratif

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15 12 2006

L’appellation du commissaire du gouvernement, ou les derniers jours d’une condamnée

Olivier Pluen est doctorant à l’Université de Paris II Panthéon-Assas. Il prépare actuellement une thèse de doctorat en droit public sur le sujet : « L’inamovibilité des magistrats : un modèle ? ». (Auteur de la première partie)

Sébastien Hourson est allocataire-moniteur à l’Université Paris II Panthéon-Assas. Il prépare actuellement une thèse de doctorat en droit public portant sur « Les pseudo-contrats en droit administratif français ». (Auteur de la seconde partie)

Les auteurs envisagent de proposer ce billet pour une publication dans une revue spécialisée et vous remercient par avance pour la pertinence de vos commentaires.

Récemment, le Conseil constitutionnel a, par une décision en date du 30 novembre 2006 (2006-208 L), procédé au déclassement des termes « commissaire du gouvernement » contenus aux articles L. 7 et L. 522-1 du code de justice administrative. Les sages de la rue Montpensier avaient en effet été saisis sur le fondement de l’article 37 al. 2 de la Constitution du 4 octobre 1958 destiné à permettre au gouvernement de « purger » le domaine législatif des éventuelles dispositions réglementaires latentes. C’est par une motivation très laconique que cette dénomination a été rattachée à la matière réglementaire. En revanche, cette décision apparaît peu platonique. En effet, une menace persiste sur l’institution même du commissaire du gouvernement. La controverse disproportionnée portant sur cette appellation en illustre la vivacité. A l’évidence, on perçoit le destin de celle-ci mais non sans en critiquer le parcours. Ce déclassement, peu l’imposait, beaucoup s’y opposait.

I – La délégalisation de l’appellation, ou lorsque la fin justifie les moyens

« Considérant que l’appellation : « commissaire du gouvernement » devant les juridictions administratives ne met en cause aucun des principes fondamentaux, ni aucune des règles que la Constitution a placés dans le domaine de la loi ; que, par suite, elle a le caractère réglementaire ». C’est par cette formule elliptique que le Conseil constitutionnel a admis la délégalisation, sur le fondement de l’article 37, alinéa 2 de la Constitution, de la notion de « commissaire du gouvernement » prévue aux articles L. 7 et L. 522-1 du code de justice administrative.

Sauf à admettre que le Conseil constitutionnel a statué en opportunité, il apparaît nécessaire de trouver des réponses aux interrogations suscitées par cette solution. D’une part, pourquoi le Conseil constitutionnel n’a-t-il pas repris les termes de sa jurisprudence antérieure sur les délégalisations d’appellations ? D’autre part, est-il certain que la notion de « commissaire du gouvernement » ne met en cause aucun des principes fondamentaux, ni aucune des règles relevant du domaine de la loi en vertu de la Constitution ?

S’agissant de la première interrogation, le Conseil constitutionnel avait en effet développé, dès la fin des années 1980, un raisonnement structuré en deux étapes, concernant les déclassements d’appellations. Pour illustration, à l’occasion de sa décision n°88-159 L du 18 octobre 1988, il avait eu recours à la formulation suivante : « Considérant que ressortit à la compétence du législateur (en vertu de l’article 34 de la Constitution), la création d’une commission composée d’experts indépendants et ayant pour mission de procéder à une évaluation de la valeur des entreprises publiques avant leur transfert vers le secteur privé (I) ; qu’en revanche, le choix de la dénomination d’une telle commission, sous réserve que ne soient pas dénaturées les règles la concernant qui sont du domaine de la loi, relève de la compétence du pouvoir réglementaire (II)».

Répondre à cette question suppose nécessairement de s’interroger sur la transposition de ce raisonnement à l’espèce examinée.

Tout d’abord, est-il possible de considérer que la création d’un commissariat exercé par un conseiller d’État ou un conseiller de tribunal administratif ou de cour administrative d’appel, et ayant pour mission d’exposer « publiquement et en toute indépendance, son opinion sur les questions que présentent à juger les requêtes et sur les solutions qu’elles appellent », relève du domaine de loi ? Au regard des caractéristiques de ce commissaire, trois fondements constitutionnels peuvent être successivement proposés.

Premièrement, l’article 34, alinéa 5 de la Constitution du 4 octobre 1958, prévoit que la loi fixe les règles concernant : « le statut des magistrats ». Cependant, ce fondement paraît difficilement exploitable, dans la mesure où les conseillers d’État et les conseillers de tribunaux administratifs et de cours administratives d’appel sont soumis à des régimes statutaires différents. En effet, les seconds ont la qualité de magistrat en vertu de la loi n° 86-14 du 6 janvier 1986 fixant les règles garantissant l’indépendance des membres des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel[1]. Aussi, leur statut relève de la loi en application de la disposition constitutionnelle susvisée. En revanche, les conseillers d’Etat, qui n’ont pas le statut de magistrat, ont vu leur statut longtemps régi par le décret n° 63-767 du 30 juillet 1963 portant statut des membres du Conseil d’Etat[2]. Cette première hypothèse ne peut donc qu’être écartée.

Deuxièmement, il résulte du même alinéa de l’article 34, que la loi fixe les règles concernant : « la procédure pénale ». Or, l’institution du commissaire du gouvernement s’inscrit dans le cadre de la procédure administrative, qui se trouve exclue, à l’instar de la procédure civile, des matières législatives.

Aussi, à défaut de pouvoir recourir à ces deux fondements, il peut être opportun de se reporter au principe fondamental reconnu par les lois de la République d’indépendance des juridictions administratives et de spécificité de leurs fonctions, dégagé par le Conseil constitutionnel à l’occasion de sa décision n° 119-80 DC du 22 juillet 1980, dite « Validation d’actes administratifs ». Effectivement, la reconnaissance d’un tel principe implique théoriquement la compétence du législateur, s’agissant de l’organisation, du fonctionnement et des attributions des juridictions administratives[3]. A l’appui de cette position, il semble utile de rappeler que le principe fondamental reconnu par les lois de la République invoqué par le Conseil constitutionnel, trouve sa source dans la loi du 24 mai 1872 portant réorganisation du Conseil d’Etat. Ce texte accorde à ce dernier, la justice déléguée, et opère une séparation entre les ordres administratif et judiciaire en rétablissant durablement le Tribunal des conflits[4]. En un sens, il crée un véritable ordre de juridiction[5]. Or, l’article 34, alinéa 5 de la Constitution du 4 octobre 1958, dispose que la loi fixe les règles concernant : « la création de nouveaux ordres de juridiction ». Ainsi, bien que cette interprétation puisse paraître funambulesque, rien ne semble s’opposer à fonder la compétence du législateur pour fixer les règles relatives à l’indépendance des juridictions administratives et à la spécificité de leurs fonctions, sur cette disposition. D’ailleurs, l’intervention quelques années plus tard, de la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 portant réforme du contentieux administratif, s’inscrit d’une certaine manière dans cette logique, puisqu’elle a permis de renforcer à la fois l’indépendance des juridictions administratives et la spécificité de leurs fonctions[6], mais également leur regroupement au sein d’un ordre de juridiction en construction permanente. Dans ce cadre, il ne semble pas douteux que la création du commissaire du gouvernement puisse relever du domaine de la loi, en vertu de la fonction dont il se trouve investi. Effectivement, il est souhaitable de le rappeler, il a pour mission d’exposer « publiquement et en toute indépendance, son opinion sur les questions que présentent à juger les requêtes et sur les solutions qu’elles appellent ». Pour être plus explicite, il a pour rôle d’exposer l’état du droit en vigueur, et de proposer à la lumière de celui-ci, une solution au cas sur lequel la formation contentieuse est amenée à statuer. Dans ces conditions, il apparaît en quelque sorte, comme un oracle du droit assimilable à bien des égards, dans l’esprit qui l’anime, aux prestigieux juges de Common law. Au cours des 150 dernières années, les commissaires du gouvernement ont démontré leur capacité à exercer cette fonction en toute indépendance, alors que celle-ci ne leur a été véritablement reconnue par le législateur, que très tardivement. Partant, il est juste de présenter le commissaire du gouvernement comme une condition supplémentaire et significative de l’indépendance des juridictions administratives, et de la spécificité de leurs fonctions. En conséquence, force est de penser que la création d’un commissaire répondant aux caractéristiques susvisées, « ressortit de la compétence du législateur ».

Une fois passée cette première étape du raisonnement, il s’agit de s’interroger, dans le cadre de la deuxième, sur l’existence d’une dénaturation des règles caractérisant le commissaire du gouvernement, du fait de cette appellation. C’est ce que semble réfuter pour sa part le Conseil constitutionnel, puisqu’il conclut à la compétence du pouvoir réglementaire concernant le choix de celle-ci. Pourtant, il convient de rappeler que cette institution avait été créée à l’origine, par l’ordonnance des 12 et 21 mars 1831, afin de donner à l’administration et à l’ordre public, des moyens de défense analogues à ceux qui leurs étaient assurés devant les juridictions de droit commun. Il s’agissait donc, comme l’indiquait l’exposé des motifs de ce texte, de prévoir une contrepartie en faveur de l’administration, à la reconnaissance aux parties des « avantages de la publicité et de la discussion orale ». Ainsi, le commissaire du gouvernement (« commissaire du Roi », selon les termes de l’époque) faisait office de ministère public, ce que prévoyait d’ailleurs expressément l’ordonnance, devant le Conseil d’Etat et les conseils de préfectures. Or, cette image négative semble avoir perduré bien au delà de la consécration de l’appellation de « commissaire du gouvernement » par le règlement intérieur du Conseil d’Etat du 29 mai 1849, et de l’intervention de la loi du 24 mai 1872 portant réorganisation du Conseil d’Etat. La solution adoptée par ce dernier dans son arrêt « Gervaise » du 10 juillet 1957, s’agissant de la mission impartie au commissaire du gouvernement[7], et sa reprise partielle à l’article L. 7 du code de justice administrative, n’ont semble-t-il, pas suffit à rassurer les justiciables sur la pleine indépendance de cette institution. Si une telle crainte ne subsistait pas, le gouvernement aurait-il fait une demande de délégalisation de cette appellation auprès du Conseil Constitutionnel, en vue de la modifier par voie réglementaire, synonyme l’urgence ? Plus encore, le Conseil constitutionnel aurait-il admis ce déclassement sur la base d’un considérant aussi elliptique ? Rien n’est moins certain. Aussi, il y a lieu de penser que l’appellation de « commissaire du gouvernement » conduit à une dénaturation des règles caractérisant cette institution.

A ce niveau du raisonnement, il semble désormais possible de suggérer une réponse à la seconde interrogation. L’appellation de « commissaire du gouvernement » met nécessairement en cause des principes fondamentaux ou des règles que la Constitution a placés dans le domaine de la loi, ou pour être plus précis, un principe fondamental et des règles que la Constitution a placés dans le domaine de la loi. Effectivement, et c’est ce qui justifie en fin de compte le déclassement en vue d’une modification rapide de l’appellation de « commissaire du gouvernement », cette dernière peut laisser croire aux justiciables que cette institution constitue un obstacle réel pour l’indépendance des juridictions administratives. Ce faisant, son maintien conduirait à cacher à ces personnes, que l’existence du commissaire du gouvernement constitue en réalité une garantie supplémentaire en faveur de l’indépendance de ces juridictions. Partant, l’article L.7 du code de justice administrative verrait la portée de ses dispositions annihilée. C’est donc, en fin de compte et par ricochet, l’article 34, alinéa 3 de la Constitution selon lequel la loi fixe les règles concernant « les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l’exercice des libertés publiques », qui se trouve mis en cause.

Une fois de plus, comme c’est le cas pour l’article 38 de la Constitution, le Conseil constitutionnel semble faire prévaloir l’urgence sur la distinction entre les domaines de la loi et du règlement : parce que l’appellation de « commissaire du gouvernement » constituerait en fait une atteinte aux droits et libertés relevant de la compétence du législateur, il reviendrait au pouvoir réglementaire d’intervenir pour modifier cette appellation dans les délais les plus brefs.

Cependant, en vue d’atteindre une telle fin, était-il raisonnable d’autoriser une délégalisation qui fera ressortir pour l’avenir à la compétence du pouvoir réglementaire, le choix de l’appellation d’un commissariat constitutif d’une garantie fondamentale reconnue au justiciable à l’occasion de son recours devant la juridiction administrative ? La réponse à une telle question suppose sans doute de s’interroger, dans le cadre d’une formulation très sandienne, sur la validité de l’affirmation suivante : une nouvelle appellation va permettre à l’institution, après avoir « dormi pendant plus de cent cinquante dans la boue », de « se réveiller demain parmi les étoiles ».

II – Le bannissement de l’appellation, ou lorsque les moyens appellent une fin

Le commissaire du gouvernement jouit d’une notoriété certaine. En vérité, peu nombreux sont ceux pouvant prétendre l’égaler. Au cœur de la juridiction administrative depuis 1831[8], sa célébrité est peut-être l’œuvre du temps. Sans doute résulte-t-elle de la qualité des Hommes. Bien souvent, les grands arrêts sont tout autant les grandes conclusions[9]. Mais surtout elle semble provenir de la fonction même. D’une part, omniprésent lors des décisions, le commissaire du gouvernement n’est absent que dans de rares cas et pour des motifs de bonne administration de la justice[10]. D’autre part, il est aisément identifiable par les requérants, en raison de la publicité orale de ses conclusions. Dès lors, la décision du Conseil constitutionnel précédant la disparition irrémédiable de la dénomination « commissaire du gouvernement » souffre de nombreuses critiques. En permettant la dissociation du nom de la fonction, elle n’apparaissait ni nécessaire, ni suffisante, ni influente.

Tout d’abord, cette qualification ne semble pas si incommodante. Bien que gênante pour la Cour européenne des droits de l’Homme, elle n’effraie plus tant les requérants. Car la présomption de partialité, liée à sa dénomination, s’évanouit lors du prononcé des conclusions. A cet instant transparaissent avec évidence les dispositions de l’article L. 7 du code de justice administrative[11]. Aussi le Conseil d’État a rappelé que « le commissaire du gouvernement (…) a pour mission d’exposer les questions que présentent à juger chaque recours contentieux et de faire connaître, en formulant en toute indépendance ses conclusions, son appréciation, qui doit être impartiale, sur les circonstances de fait de l’espèce et les règles de droit applicables ainsi que son opinion sur les solutions qu’appelle, suivant sa conscience, le litige »[12]. Le temps n’est plus aux journaux nationaux publiant les conclusions d’un commissaire du gouvernement, en titrant « Même le commissaire du gouvernement a conclu à l’annulation »[13]. Comme s’il était invraisemblable que le commissaire puisse conclure défavorablement à l’Administration. Nul doute possible, le commissaire du gouvernement n’est pas l’avocat du gouvernement. Par conséquent, cet abandon ne semble pas nécessaire et, en revanche, peut être naïf. A cet égard, la tentative manquée de substitution des commissaires de la République aux préfets illustre les risques encourus. Dans le premier vaste mouvement de décentralisation, un décret du 10 mai 1982[14] avait remplacé l’appellation napoléonienne. Mais il s’est avéré que cette modification esthétique, marquant une nouvelle orientation politique, n’était guère admise. Ainsi, le commissaire redevint préfet par un décret du 29 février 1988[15]. De même, si la sagesse des juges reste manifeste, il n’est pas improbable que les membres des juridictions administratives ne deviennent frondeurs. Avec optimisme, l’initiative pourrait donc rester vaine.

Ensuite, si cette dénomination devait être abandonnée, son remplacement deviendrait nécessaire puisque la disparition pure et simple de l’institution du commissaire du gouvernement est inenvisageable. Donc cet abandon ne se suffit pas à lui-même. Mais l’opportunité d’une modification demeure douteuse. Quelle appellation consacrer ? Les hypothèses laissées par la décision des juges de la rue Montpensier sont nombreuses. Tout ceci est affaire de mode. Si l’actuelle dénomination est jugée d’un « design » trop deuxième République, il ne faudrait pas que son épigone le soit plus encore. Sans faire de la voyance juridique, relevons que les propositions évoquées ne sont pas dépourvues d’ambiguïtés. A la vérité, aucune n’emporte pleinement la conviction. Parmi celles-ci, certaines apparaissent trop réductrices. Tel est le cas du « commissaire de la loi »[16]. En effet, la loi n’épuise pas l’office du commissaire du gouvernement. Il conclut à l’aune du bloc de légalité que l’on ne saurait circonscrire à la loi seule[17]. La présence régulière des normes constitutionnelles et internationales dans la jurisprudence administrative est si manifeste qu’il serait superfétatoire d’en faire la démonstration ici. De la même manière, opter pour un « commissaire du droit » apparaîtrait réducteur[18]. Son appréciation ne se limite pas au droit. Cela a été énoncé limpidement par E. Laferrière, « l’institution des commissaires du gouvernement au contentieux eut dès le début le caractère qu’elle n’a pas cessé d’avoir depuis : celui d’un ministère public concluant selon la loi et selon sa conscience »[19]. La chose est entendue, l’appréciation du commissaire en serait travestie. En poursuivant cette énumération non exhaustive, certaines appellations semblent confuses. Par exemple, l’adoption de la qualification d’ « avocat général ». Ce faisant, la juridiction administrative après avoir inspiré le procédé à la Cour de justice des communautés européennes, en emprunterait le label. Il n’est pas certain que les requérants soient rassurés pour autant. En effet, l’avocat a communément pour fonction d’assister et de représenter une partie. La confusion guète, de quelle partie l’ « avocat général » serait-il le représentant ? Dans l’ombre de l’avocat se dissimule forcément son « client ». Les administrés pourraient légitimement être troublés… Mais encore, « le rapporteur public » n’échappe pas non plus à la critique car une confusion avec le rapporteur, membre de la formation de jugement et participant au délibéré, serait introduite. Distinguer ces homonymes pour les administrés relèverait presque du casse-tête. Et il serait peut-être ardu, pour ces novices, d’admettre la publicité du rapport de l’un et le secret du rapport de l’autre. On le voit, la tâche sera délicate. A défaut d’adopter la plus juste, on optera pour la moins fausse. En toute hypothèse, ces querelles sémantiques ne doivent pas masquer de simples coquetteries de langages.

L’institution du commissaire du gouvernement demeure indispensable et indissociable de la juridiction administrative « à la française ». A ce titre, elle ne saurait en être écartée discrètement. Il faut donc plaider – quitte à être candide – pour son maintien. Cela n’est pas sans rappeler les déboires du décret du 27 octobre 1982[20] permettant la dispense de conclusions devant les tribunaux administratifs. Cette modification fut rapidement abandonnée par le décret du 7 septembre 1989[21]. A l’aune de cet épisode, il est probable que le Conseil d’État ait à examiner la régularité de l’éventuel décret modifiant l’appellation de « commissaire du gouvernement », tout pourra alors arriver… Retenons ici que l’appellation ne changera pas fondamentalement le procès administratif. Pour transposer la célèbre mise en garde prononcée par M. Hauriou, on ne nous change pas notre justice ! Et c’est tant mieux car parmi ses multiples vertus (rappelées couramment), les conclusions constituent un précieux instrument pédagogique (qu’elles soient conformes ou contraires à la décision). En effet, le jugement ou arrêt doit, principalement, rendre la justice. Ce n’est que subsidiairement qu’il participe à la construction jurisprudentielle. A l’inverse, si le commissaire du gouvernement conclut dans un sens déterminé, il ne tranche pas le litige. Son indépendance lui permet, en revanche, d’expliciter les motifs de la décision. Cela est inconcevable dans le corps de cette dernière au risque de la rendre illisible pour les administrés.

Les efforts[22] consentis pour se conformer aux exigences de la Cour européenne des droits de l’Homme et du citoyen doivent être mesurés. Sans qu’il soit besoin de revenir sur la motivation juridiquement douteuse de la Cour de Strasbourg[23], cette dernière ne saurait être tenue pour modèle. Notamment, la pratique de l’opinion dissidente n’est-elle pas contestable pour le requérant qui pourrait y voir une occasion manquée ? La décision du 30 novembre 2006 s’inscrit dans un processus dont l’issue reste incertaine. En cherchant désespérément à préserver les apparences, ce mouvement ne doit pas nier silencieusement la conception française du procès administratif. Au contraire, il doit permettre d’insuffler un souffle nouveau au commissaire du gouvernement auquel le droit administratif est si redevable. Une chose est certaine, si le successeur du commissaire du gouvernement ne sera pas plus le serviteur de ce dernier, il lui sera néanmoins redevable de sa qualité.

Bref, un pas bien incertain vers des « lendemains qui chantent… ».

Notes

[1] Les dispositions de ce texte ont été depuis lors, codifiées par l’ordonnance n° 2000-387 du 4 mai 2000 relative à la partie législative du code de justice administrative.

[2] Les dispositions de ce texte ont été par la suite codifiées, par le décret n° 2000-389 du 4 mai 2000 relative à la partie réglementaire du code de justice administrative.

[3] Il s’agit notamment de la position adoptée, avec un raisonnement différent, par les Professeurs Favoreu et Philip, dans leurs observations sous cette décision, publiées dans « Les grandes décisions du Conseil constitutionnel ».

[4] Le Tribunal des conflits avait en effet connu une existence éphémère sous la IIe République. Cette institution trouvait alors son fondement dans l’article 89 de la Constitution du 4 novembre 1848.

[5] A l’occasion de sa décision n° 77-99 L du 20 juillet 1977, le Conseil constitutionnel ainsi qualifié, la Cour de cassation « qui, seule, a pour mission de juger les pourvois contre les décisions rendues en dernier ressort par les juridictions judiciaires », d’ordre de juridiction.

[6] Il semble ici utile de rappeler que, quelques mois plus tôt, à l’occasion de sa décision n° 86-224 DC du 23 janvier 1987, dite « Loi transférant à la juridiction judiciaire le contentieux des décisions du Conseil de la concurrence », le Conseil constitutionnel avait dégagé l’existence d’un principe fondamental reconnu par les lois de la République selon lequel, « à l’exception des matières réservées par nature à l’autorité judiciaire, relève en dernier ressort de la compétence de la juridiction administrative l’annulation ou la réformation des décisions prises, dans l’exercice des prérogatives de puissance publique, par les autorités exerçant le pouvoir exécutif, leurs agents, les collectivités territoriales de la République ou les organismes publics placés sous leur autorité ou leur contrôle ».

[7] Le rôle du commissaire du gouvernement n’est pas de représenter l’administration, mais « d’exposer les questions que présente à juger chaque recours contentieux et de faire connaître en formulant en toute indépendance ses conclusions, son appréciation qui doit être impartiale, sur les circonstances de fait de l’espèce et les règles de droit applicables ainsi que son opinion sur les questions qu’appelle, suivant sa conscience, le litige soumis à sa juridiction », Rec. CE, p. 466.

[8] Le commissaire du gouvernement a été institué au Conseil d’État par l’ordonnance du 12 mars 1831 sous la dénomination de « ministère public », puis le décret du 25 janvier 1852 (pérennisé par l’art. 16 de la loi du 24 mai 1872) a adopté l’appellation actuelle. V. développements supra.

[9] Parmi les plus éminents commissaires et les plus brillantes conclusions : David sur TC, 8 février 1873, Blanco ; Romieu sur CE, 6 février 1903, Terrier ; Matter sur TC, 22 janvier 1921, Société commerciale de l’Ouest africain (Bac d’Eloka) ; et plus récemment, Frydman sur CE, 20 octobre 1989, Nicolo.

[10] Tel est le cas des ordonnances de référé en raison de l’urgence de la situation. Ainsi, l’al. 3 de l’art. L. 522-1 du CJA dispose : « Sauf renvoi à une formation collégiale, l’audience se déroule sans conclusions du commissaire du gouvernement ». Cette procédure « dénudée » est plus justifiée encore dans le cadre de l’art. L. 521-2 concernant le référé-liberté.

[11] Le commissaire du gouvernement « expose publiquement, et en toute indépendance, son opinion sur les questions que présentent à juger les requêtes et sur les solutions qu’elles appellent ».

[12] CE, 29 juillet 1998, Mme Esclatine (V. auparavant CE, 10 juillet 1957, Gervaise).

[13] Épisode concernant le journal Le Monde qui avait publié les conclusions Letourneur sur la fameuse affaire CE, 28 mai 1954, Barel (Cité par BRAIBANT (G.) et STIRN (B.), Le droit administratif français, éd. Presse de Sciences-Po et Dalloz, 7ème éd., 2005, p. 565.

[14] Décret n° 82-389 du 10 mai 1982 publié au J.O. du 11 mai 1982, p. 1335.

[15] Décret n° 88-189 du 29 février 1989 publié au J.O. du 2 mars 1988, p. 2869.

[16] Expression que l’on retrouve, par exemple, en République Malgache. On peut assimiler à celle-ci le « commissaire de la législation ».

[17] V. cependant l’étude EISENMANN (Ch.), « Le droit administratif et le principe de légalité », E.D.C.E., 1957 (n° 11), p. 25.

[18] Cette expression est néanmoins retenue au Sénégal.

[19] LAFERRIÈRE (E.), Traité de la juridiction administrative et des recours contentieux, éd. Berger-Levrault, Paris, 1887, réimpression éd. L.G.D.J, 1989, p. 204.

[20] Décret n° 82-917 du 27 octobre 1982 publié au J.O. du 29 octobre 1982, p. 3269.

[21] Décret n° 89-641 du 7 septembre 1989 publié au J.O. du 10 septembre 1989, p. 11494 ; suivant la loi n° 86-14 du 6 janvier 1986 publié au J.O. du 7 janvier 1986, p. 332.

[22] Notamment CE, 12 juillet 2002, Leniau consacré par l’art. R. 731-5 du CJA ; décret n° 2005-1586 du 19 décembre 2005 ; décret n° 2006-964 du 1er août 2006 abrogeant l’art. R. 731-7 issu du décret du 19 décembre 2005 et le remplaçant par la combinaison des art. R 731-2 : « La décision est délibérée hors la présence des parties et du commissaire du Gouvernement » (pour les TA et CAA) et R. 733-3 : « sauf demande contraire d’une partie, le commissaire du gouvernement assiste au délibéré. Il n’y prend pas part » (pour le CE seulement). La décision du Conseil constitutionnel qui fait l’objet de ce billet en offre une récente illustration.

[23] V. notamment CEDH, 7 juin 2001, Kress c/ France : « La Cour conçoit en outre qu’un plaideur puisse éprouver un sentiment d’inégalité si, après avoir entendu les conclusions du commissaire dans un sens défavorable à sa thèse à l’issue de l’audience publique, il le voit se retirer avec les juges de la formation de jugement afin d’assister au délibéré dans le secret de la chambre du Conseil » ; CEDH, 12 avril 2006, Martini c/ France : « il y a eu, en la cause du requérant, violation de l’article 6 § 1 de la Convention du fait de la présence du commissaire du gouvernement au délibéré de la formation de jugement du Conseil d’Etat ».

Commentaires

GroM dit :

Je ne crois pas que la discordance des opinions soit préjudiciable à l’autorité des décisions de la CEDH. Il suffit de voir que c’est vers elle que se retournent tous les justiciables qui n’ont pas eu gain de cause devant les juridictions nationales. Sans m’être livré à une étude exhaustive en la matière, j’ai l’impression que les opinions discordantes matérialisent en fait les évolutions potentielles de jurisprudence. Un complément des conclusions de l’avocat général ?

PO Caille dit :

Si jeunes et déjà si conservateurs… Pardon pour cette formule mais c’est trop tentant. Vous aurez compris que je ne suis pas d’accord avec vous. Tant mieux pour la discussion.

Je ne suis pas du tout convaincu par les arguments en défense de l’appellation actuelle.

Mettons nous dans la peau du requérant lambda. Il assiste à l’audience, entend le commissaire du gouvernement conclure au rejet de sa requête. Vous croyez vraiment que "la présomption de partialité, liée à sa dénomination, s’évanouit lors du prononcé des conclusions. A cet instant transparaissent avec évidence les dispositions de l’article L. 7 du code de justice administrative" ??? Croyez-vous même qu’il va ouvrir le Code pour se demander qui a parlé (en dernier d’ailleurs) ? Si encore il avait une robe…

D’autre part, même si les expressions de commissaire de la loi ou du droit ne sont pas satisfaisantes (loin de là), celle de commissaire du gouvernement a l’immense défaut d’être portée à la fois par "notre" commissaire et par d’authentiques représentants de l’administration, que ce soit devant les formations administratives du Conseil d’Etat ou dans divers contentieux dont le plus connu est celui de l’expropriation. Bref, si on veut que le justiciable (et la logique aussi d’une certaine manière) puisse s’y retrouver, il faut renommer l’un ou l’autre. Et le commissaire du gouvernement de l’article L 7 CJA me semble être celui dont le titre doit changer.

Sur la forme, j’aurais tendance à penser qu’on prépare une thèse plus qu’on ne la poursuit (contrairement à ses études). Quoique !

PS : ayons aussi une pensée pour les pauvres journalistes français sans cesse obligés de préciser que le commissaire du gouvernement n’est pas le représentant de l’administration…

Très brillant billet comme on pouvait s’y attendre venant de deux si excellents juristes. Une seule remarque, concernant la note 9 et le choix des plus grands commissaires et brillantes conclusions. Beaucoup de grands noms ont été laissé de côté : Aucoc, Odent, pour ne citer que les plus connus, mais évidemment le manque de place explique cela. Il me semblait que Paul Matter était un conseiller à la Cour de cassation, n’ayant par conséquent conclu que devant le Tribunal des conflits, peut-on le considérer comme un grand commissaire? Je ne crois pas.

Ce qui me donne une idée, après les grands arrêts, les grands commissaires, une idée de billet peut-être…

Encore félicitations et bienvenue sur le blog à Sébastien

Monsieur Caille,

Merci pour la présentation qui nous a convaincu, "préparer" ou "poursuivre" une thèse. La modification a été faite dans votre sens.

Tom dit :

"cette institution avait été créée à l’origine, par l’ordonnance des 12 et 21 mars 1831"…
Ne serait-ce pas plutôt des 2 février et 12 mars 1831 ?

Serge Slama dit :

Sur le billet proprement dit je n’ai pas vraiment de remarques à faire.
Il pourrait être utile de creuser certains aspects, notamment existe-t-il un PFRLR fondant l’existence du commissaire? (voir en ce sens Rolin).

Ne peut-on pas aussi considérer que l’indépendance constitutionnelle de la juridiction administrative suppose aussi celle de ses membres, y compris celle des commissaires (idée développée par P. DELVOLVE en conf. d’agrég)?

L’aspect historique pourrait être creusé avec le papier de Marc BOUVET dans l’excellent, Regards sur l’histoire de la justice administrative. Journée d’études du Centre d’histoire du droit de l’Université Rennes 1, sous dir G. BIGOT et M. BOUVET, Litec, 2006, p.129.

Sinon je partage pleinement la position de PO Caille.

Enfin, je m’interroge sur les travaux de la commission de codification du CJA. Normalement la commission propose le déclassement des dispositions législatives intervenant dans le domaine réglementaire. Or, là, le caractère réglementaire de l’appelation "commissaire du gouvernement" ne lui a pas sauté aux yeux.
Aitrement dit, votre papier ne peut faire totalement abstraction de ces considérations d’opportunité/ stratégique/ fenêtre de tir du mois de décembre 2006. En effet, la logique aurait voulu que ça soit une loi qui procède à un tel changement. Pourquoi ne pas l’avoir envisagé?
Il apparaît en effet totalement fictif, au sein de dispositions dont nul ne conteste le caractère législatif (le L7 et L.522-1) d’enlever juste une appelation pour la déclasser. D’ailleurs suite à ce déclassement ces dispositions deviennent totalement bancales puisque l’article L 7 devient :
"Un membre de la juridiction, chargé des fonctions de ……., expose publiquement, et en toute indépendance, son opinion sur les questions que présentent à juger les requêtes et sur les solutions qu’elles appellent".

L’article L522-1
" Le juge des référés statue au terme d’une procédure contradictoire écrite ou orale.
(…)
Sauf renvoi à une formation collégiale, l’audience se déroule sans conclusions du ….".
Ca n’a aucun sens. Ils vont adopter une loi pour restaurer ensuite la nouvelle appelation dans ces dispositions? Ah non, c’est réglementaire… Bon, et bien, on laisse ces textes tronqués alors…
Sinon c’est l’OVC d’intelligibilité des la loi qui en prend un coup. Non?

On pourrait en effet prendre n’importe quelle loi ou partie légisative de codes et demander le déclassement.
Prenons par exemple la loi du 30 décembre 2004 portant création de la HALDE, pourquoi ne pas déclasser l’article 1er,
"Il est institué une autorité administrative indépendante dénommée haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité." On déclasse HALDE?

Prenons le Code de l’Education,suivant cette logique on pourrait déclasser l’appelation "Haut conseil de l’éducation"

"Article L230-1

(inséré par Loi nº 2005-380 du 23 avril 2005 art. 14 Journal Officiel du 24 avril 2005)

Le Haut Conseil de l’éducation est composé de neuf membres désignés pour six ans. Trois de ses membres sont désignés par le Président de la République, deux par le président de l’Assemblée nationale, deux par le président du Sénat et deux par le président du Conseil économique et social en dehors des membres de ces assemblées. Le président du haut conseil est désigné par le Président de la République parmi ses membres."

Olivier Pluen dit :

Tom,

Non, je pense qu’il s’agit bien de l’ordonnance des 12 et 21 mars 1831. En effet, il n’y a pas une ordonnance des 2 février et 12 mars 1831, mais deux textes distincts. Au-delà, l’article 2 de l’ordonnance des 12 et 21 mars 1831 disposait que le ministre président du Conseil d’Etat désignerait au commencement de chaque trimestre, "trois maîtres des requêtes qui exerceront leurs fonctions du ministère public". En revanche, l’ordonnance du 2 février de la même année, se contentait de prévoir que, pour chaque affaire, un membre du comité de justice administrative procéderait à une lecture en audience publique dans laquelle il résumerait les faits, les moyens et les conclusions des parties, et exposerait le projet d’ordonnance proposé par le comité. C’est très différent.

Serge SLAMA :

Le caractère réglementaire de dispositions figurant dans la partie législative d’un code n’est pas inédite et la situation a parfois été plus complexe. Je vous renvoie, notamment, à mon article sur le code de l’expropriation : http://www.blogdroitadministrati...

Sébastien Hourson dit :

GroM,

Cet article suscite des réflexions, c’est tant mieux et je vous en remercie. En revanche, le principe du contradictoire auquel tout juriste est attaché m’autorise à vous répondre.

Il est évident qu’en lui-même un désaccord n’est pas préjudiciable à l’autorité des décisions juridictionnelles (qu’il s’agisse de la CEDH ou d’une autre juridiction…). Il est constant que, comme toute juridiction digne de ce nom, les décisions de la CEDH sont revêtues de l’autorité de la chose jugée! Pour s’en assurer, il suffit de se replonger dans la Conv. EDH (art. 46). Il semble même que la place singulière de cette Cour pourrait lui conférer une autorité toute particulière (ultime voie de recours, elle a le dernier mot sur un litige). Même si, et on peut le regretter, la Cour de cassation a considéré dans un arrêt du 4 mai 1994 que ces arrêts "n’ont aucune incidence directe en droit interne sur les décisions nationales" (Crim., 4 mai 1994, Saidi Farhat, Bull., p. 381).

Mais il ne faut pas s’y méprendre, c’est bien parce qu’elle constitue une ultime voie de recours (suivant le principe de l’épuisement des voies de recours) que de nombreux justiciables y déposent une requête après un rejet devant les juridictions nationales. Ce n’est pas une affaire d’autorité mais de simple procédure.

Enfin, je suis parfaitement d’accord sur l’apport majeur de ces opinions dissidentes pour l’amélioration du droit. C’est indéniable ! Néanmoins, le procédé demeure discutable. Ces échanges qui ont sans doute lieu dans les couloirs (ou salons) du CE sont ici rendus publics. Puisque c’est d’apparences dont il s’agit, il me semble que le requérant ayant vu son recours rejeté par la Cour EDH puis contesté par l’un des juges peut être troublé… Tout autant que par l’appellation du "commissaire du gouvernement" qui n’est pas sans reproche, loin s’en faut ! Sans doute ressent-il inévitablement un goût d’inachevé. Bien souvent, les contentieux dont connaît la CEDH s’avèrent particulièrement graves et on peut imaginer les nombreux espoirs nourris durant ces longues années de procédure. La déception causée par la décision doit sembler plus amère encore lors de la lecture d’une opinion dissidente.

C’était le sens de mon propos, peut-être trop rapidement ou maladroitement formulé. Mais il est déjà enrichi de vos critiques.

Serge Slama dit :

@ François
Merci pour ce billet fort intéressant que je n’avais pas lu. Même si c’est très compliqué le billet est très didactique et j’ai tout compris :))

Sur le fond, c’est totalement suréaliste. Et ça s’appelle "simplification du droit"…

Mais ça ne répond pas à ma question: on fait quoi des portions tronquées des deux dispositions du CJA? On consacre l’appelation "3 petits points"?

Pour moi, cette demande de déclassement ne se justifiait guère. C’est un bricolage qui témoigne, comme le recours aux ordonnances de l’article 38C, d’une crise des institutions.
Le commissaire du XXXX ne valait-il pas une loi?

Ben dit :

Une idée aurait été judicieuse, celle de développer le rôle du commissaire et l’issue de ces changements. Je pense que l’article complet doit en faire état. A celà, une dénomination plus simple (ou plus neutre) lui permettrait peut-être d’être davantage indépendant – fort bien – mais alors ne serait-ce pas instituer un juge rapporteur tout puissant ? Le vocable ne fait que cacher le basculement qui en découle en interne. Quel est l’impact d’un commissaire du gouvernement dont les conclusions ne sont qu’évoquées en fin d’audience, faute de comparution des parties et faute de temps pour la formation de jugement, voulons nous procéder à une déstabilisation organisée d’un magistrat dont le rôle reste essentiel pour un bon appareil de justice ?

A trop déstabiliser le juge administratif, le CEDH va surement oublier que son modèle juridictionnel relève en partie de la vision publiciste française du juge…

GroM dit :

"Ces échanges qui ont sans doute lieu dans les couloirs (ou salons) du CE sont ici rendus publics."

Mais n’est-ce pas aussi le droit du justiciable de connaître le fond des termes du débat, plutôt que de demeurer un sujet passif ? En plus, il me semble que l’apparence d’impartialité est plus forte dans le cas du CdG: il parle avant le délibéré et il est de tradition que la juridiction suive ses conclusions (sauf cas qui demeurent relativement exceptionnels). Les juges qui émettent des opinions contradictoire le font après le délibéré, et il est facile de comprendre que si leur opinion est contradictoire, c’est qu’ils n’ont pas réussi à convaincre la majorité. Cela relativise la chose …

Ben dit :

Certes le justiciable reste au coeur de la démarche du Juge Administratif, néanmoins votre stigmatisation de la Juridiction Administrative est un peu caricaturale. En ce sens qu’ayant participé à de nombreuses séances d’instruction ainsi que délibérés, je peux vous dire (et sans trahir le secret qui s’y rapporte) que l’idée selon laquelle le CDG est toujours suivi par la formation de jugement n’est plus si vraie…

Les débats sont animés en séance d’instruction, c’est à cette occasion que le CDG prend toute son envergure. Le délibéré ne fait souvent qu’entériner la position d’un juge rapporteur dégagé aujourd’hui de la présence muette d’une opinion souvent différente à la sienne.

Pour ce qui est de l’émission des opinions dissidentes, cette manoeuvre ne ressort pas des usages français et à l’heure ou l’on met en avant l’exemplarité du travail du Juge Administratif face aux écueils du Juge Judiciaire, à l’heure ou le justiciable de droit privé est délaissé et le justiciable de droit public en proie à une justice de qualité, que penser du rôle de l’auxiliaire de justice qu’est l’Avocat dont le but est de traduire au justiciable les mécanismes du Juge Administratif ?

Prenons alors un point de comparaison bien éloigné mais qui n’a pas encore soulevé débat: que penser du Procureur qui siège à la même hauteur que la formation de jugement et se situe alors au-dessus du justiciable et de son Avocat? N’y at-il pas là une réelle apparence de déséquilibre ? Dans quelle mesure peut-on dire que le Procureur – qui certes n’a pas droit de parole en dernier – garantit davantage les droits de la défense alors qu’il siège au-dessus des parties? Représente t-il un intérêt supérieur à celui du justiciable? Vous n’achevrez pas de me convaincre de celà… Dès lors pourquoi le juge judiciaire ne fait pas l’objet de telles attaques de la part du justiciable? Surement parce que l’Avocat y est plus présent, et ce surtout au pénal.

Aussi une solution à la réelle tranquilité du CDG (ou son appellation ultérieure) serait surement d’imposer l’Avocat en REP ou pour les contentieux les plus délicats, le justiciable aurait alors un appui pour traduire ses impatiences et ses interrogations… La théorie de l’apparence perdrait alors en vigueur…

Paxatagore dit :

Je viens d’achever la lecture de la première partie de ce billet.

Le moins que je puisse dire, c’est que le raisonnement présenté me paraît totalement erroné et repose sur une interprétation tout à fait étonnante de la décision du conseil constitutionnel de 1988.

Selon moi, cette décision doit être interprétée ainsi : normalement, le nom des organes établis par la loi relève ordinairement de l’autorité règlementaire. Point. Il n’y a pas d’exception (si ce n’est, évidemment, les organes dont la dénomination a valeur constitutionnelle, comme par exemple le premier ministre).

Donc, pour le conseil constitutionnel, le choix de la dénomination de cet organe particuliers de la procédure administrative que nous appelons actuellement "commissaire du gouvernement" est du domaine règlementaire.

Il pèse alors une obligation particulière sur l’autorité règlementaire : choisir une dénomination qui de dénature par les règles légales – ou a fortiori constitutionnelles – concernant cet organe. Mais, comme toute obligation qui pèse sur l’autorité règlementaire, elle est sanctionnée par le juge de celle-ci, i.e. le juge administratif.

Si, par exemple, le premier ministre se proposait de désigner le commissaire du gouvernement "délégué du garde des sceaux", le conseil d’Etat devrait alors constater que cette dénomination porte atteinte à un principe à valeur au moins légale, l’indépendance du commissaire du gouvernement.

Votre raisonnement, lui, est tout différent, puisque vous indiquez que selon la dénomination retenue, elle serait ou non du domaine légal ou règlementaire. Il me semble qu’il est absurde de prétendre qu’une dénomination, selon son contenu, serait légale ou règlementaire. Je crois que l’interprétation que j’ai évoqué ci-dessus est beaucoup plus conforme au texte de la décision du conseil constitutionnel et à la logique juridique.

Scif dit :

A mon avis, vous exprimez un jugement trop sévère envers le Conseil constitutionnel quand vous estimez qu’il a jugé en opportunité, par des considérations d’urgence, alors qu’il s’est juste abstenu de s’opposer à une réforme dont le gouvernement, après tout, est à l’initiative.

S’il ne s’est pas prononcé sur la question du fondement législatif de la fonction de commissaire du gouvernement, c’est je pense par économie de moyens. La question n’étant pas évidente et non nécessaire à la solution, donc elle a été laissée sur le côté …

La transformation du nom de commissaire du gouvernement est une proposition qui vient en toute évidence du Conseil d’Etat, je me demande s’il est bien nécessaire de se faire plus royaliste que le roi.

zoopol dit :

Le Conseil constitutionnel a sans doute d’autant moins statué en urgence qu’il anticipe de plus en plus les saisines…

Quant à l’arrêt du 12 avril dernier, c’est "Martinie" et non "Martini" — mais tout le monde le savait déjà.

Olivier Pluen dit :

P-O Caille,

Pour reprendre votre division bipartite, je me permettrai de vous répondre sur la forme et sur le fond.

Personnellement, j’ai le sentiment, sans doute partagé par d’autres camarades, de poursuivre actuellement une thèse, et non de la préparer. En effet, qu’est-ce qu’une thèse, sinon une longue réflexion et d’importantes recherches menées à partir d’un sujet donné. C’est donc bien un cheminement vers un but précis. Dans ce cadre, le support papier ou informatique auquel vous semblez faire référence, n’en constitue que l’enveloppe, la traduction matérielle. Certes, la forme est primordiale en droit, mais celle-ci intervient essentiellement dans la seconde étape du traitement du sujet.

Pour établir, justement, une passerelle entre la forme et le fond, j’imagine bien que vous avez du avoir un petit (voire un grand) sourire en écrivant : « si jeunes et déjà si conservateurs ». Sans l’affirmer, j’aurai peut-être fait de même à votre place. Toutefois, je me demande si vous n’avez pas fait une confusion dans le choix du second mot. Ne vouliez-vous pas en réalité écrire : « si jeunes et déjà si sages » ?

Etre favorable au maintien de l’appellation de « commissaire du gouvernement », peut effectivement me sembler être, plus un signe de sagesse que de conservatisme. Bien entendu, il faut pour cela s’entendre sur le sens des mots. Il est vrai que l’expression «commissaire du gouvernement », n’est a priori, pas très engageante. Vous indiquez, avec justesse, que celle-ci est « portée à la fois par "notre" commissaire et par d’authentiques représentants de l’administration, que ce soit devant les formations administratives du Conseil d’Etat ou dans divers contentieux dont le plus connu est celui de l’expropriation », et concluez en faisant référence à ces « pauvres journalistes français sans cesse obligés de préciser que le commissaire du gouvernement n’est pas le représentant de l’administration… ».

En soi, les deux termes : « commissaire » et « gouvernement », apparaissent problématiques. Cependant, seul le second pose une réelle difficulté, dans la mesure où il conditionne le sens et la portée du premier.

A ce stade, je me permettrai un petit détour. Pensez-vous, sincèrement, que Cincinnatus puisse être comparé à Mussolini ou Staline ? Je ne le crois pas. Pourtant, celui-ci a bien été qualifié à leur instar, de « dictateur ». Mais le fait est que, dans ces deux cas, ce terme n’avait pas la même signification.

N’en irait-il pas de même, s’agissant de la notion de « gouvernement » ? Cette dernière n’est en effet, pas forcément synonyme de « Gouvernement ». D’ailleurs, il faut bien reconnaître que la notion de « Gouvernement » n’a réellement trouvé sa substance que sous la Ve République. Mais surtout, sachant que l’appellation de « commissaire du gouvernement » est apparue sous la IIe République, il semble nécessaire de s’attacher à la place donnée au terme de « gouvernement » dans la Constitution du 4 novembre 1848, les lois constitutionnelles de 1875, suite à la révision du 14 août 1884, l’ordonnance du 9 août 1944, et la Constitution du 27 octobre 1946. Cette différenciation orthographique n’a pas totalement, il est vrai, survécu à la loi constitutionnelle du 3 juin 1958 et à la Constitution du 4 octobre de la même année, mais une distinction de sens est cependant demeurée.
Dans ce cadre, j’admets que l’appellation de « commissaire du Gouvernement » au sens de l’article 20 de la constitution, puisse apparaître peu rassurante pour les justiciables. En revanche, je trouve celle de « commissaire du Gouvernement (« gouvernement », dans les textes précédents) » à l’aune de l’article 89, alinéa 5 du même texte, extrêmement honorable.

Certes, vous me direz que cet alinéa n’est pas connu de tous…et que ses interprétations sont trop nombreuses ! Alors que faire ? Recourir à la distinction entre les appellations de « Cabinet », « gouvernement » et « Administration » ? C’est un débat sans fin.

Enfin, le Gouvernement n’aura que l’embarras du choix : « commissaire de la légalité », « officier (ça fait peut-être trop irrévocable) près le Conseil d’Etat / la cour administrative d’appel / le tribunal administratif »,…

En revanche, je suis d’accord avec vous lorsque vous nous qualifiez de : « si jeunes »…en comparaison d’un membre du Sénat conservateur, c’est peu dire !

Pour passer à une question plus amusante, j’ai relevé que vous sembliez regretter l’absence du port de la robe par les commissaires du gouvernement. Est-ce que le fait de les munir de cet attribut changerait le regard qui est porté sur eux ? C’est assez difficile à dire. Sous la IIIe République, certains hommes politiques s’étaient montrés horrifiés de savoir qu’à l’avenir, le col en poils de lapin remplacerait celui bordé d’hermine, chez les juges répressifs. Ces magistrats en sont-ils pour autant apparus moins impartiaux ? Je n’en suis par certain. Mais bon, je reconnais que le port de la perruque irait à ravir aux magistrats français.

En toute hypothèse, je vous remercie pour l’ensemble de vos commentaires, dont je reconnais pleinement l’intérêt et l’utilité.

M. Slama,

Un grand merci pour vos indications bibliographiques.

A mon avis, ce n’est pas seulement le « commissaire du xxxxxx » qui mérite une loi, mais le « xxxxxx du xxxxxx ». En effet, le terme de commissaire pourrait également se voir critiquer un jour.

Scif et Zoopol,

Lorsque je parlais d’urgence, je ne visais pas le Conseil constitutionnel, mais le Gouvernement.

Non, bien entendu, il ne s’agit pas d’être plus royaliste que le roi. Mais sachant que le premier acte d’indépendance de cette institution remonte à 1832, alors que celle-ci portait encore l’appellation de « commissaire du Roi », il est un peu dommage d’avoir attendu plus de 170 ans avant d’estimer qu’une modification s’imposait…assez brusquement. Même s’il est vrai que cela devait arriver un jour.

GroM dit :

@Ben: "votre stigmatisation de la Juridiction Administrative est un peu caricaturale." Je ne pensait pas stigmatiser la justice administrative, mais j’ai du mal me faire comprendre. Merci en tout cas de nous faire part de votre expérience concrète. Pour ma défense, songez que mon point de vue est alimenté par la doxa commune des cours de base de droit administratif. Il y a peut-être un peu de pédagogie à faire là aussi 🙂

Je ne partage pas votre avis toutefois sur l’idée qu’il conviendrait d’imposer le ministère d’avocat en REP. Après tout, le succès de lla procédure vient aussi de son ouverture.

Par contre, je ne suis pas contre qu’on corrige l’erreur du menuisier, même si j’attribue l’insistance du justiciable "administratif" contre le CdG à une différence sociologique vis à vis des justiciables du droit pénal. En gros, le justiciable administratif est plus procédurier.

Giuseppe dit :

Bonjour,

la première partie de votre raisonnement, qui s’appuie sur une décision du CC de 1980 pour conclure que l’institution du CDG constitue un ordre de juridiction au sens de l’article 34 de la Constitution, est logique et l’interprétation paraît conforme à la décision. En revanche, dans la seconde partie qui consiste à affirmer que le changement de dénomination du CDG dénature les règles l’organisant, l’argumentation me paraît faible. Pour conclure que "il y a lieu de penser que l’appellation de « commissaire du gouvernement » conduit à une dénaturation des règles caractérisant cette institution", vous vous appuyez sur des considérations historico-juridiques qui ne sont plus du droit positif. Si en 1831 le CDG devait être clairement du côté de l’administration, la jurisprudence Gervaise et l’article L7 du CJA ont dissipé tout doute en la matière, au moins en droit sinon dans les esprits, et il est étrange de s’appuyer sur des considérations historiques et de confusion dans l’esprit du justiciable pour conclure au caractère législatif de la dénomination du CDG. Dans le droit positif, car c’est ainsi qu’il faut raisonner, aucue norme ne va dans votre sens. Dans sa décision de 1988, le CC a posé le principe selon lequel une dénomination qui ne dénature pas les règles de l’institution relève du pouvoir réglementaire. Dans le cas du CDG il s’agit simplement de trouver une dénomination adéquate – certes pas évidente j’en conviens – et de laisser toutes les autres règles, surtout celles contenues dans le L7 cu DJA, inchangées. Dès llors la dénomination en l’espèce, sauf dérapage, ne devrait mettre en cause aucun principe ou règle de valeur constitutionnelle…

Si vous avez des arguments plus convinquants pour me démontrer que la dénomination du CDG dénature ses règles, si vous avez autre chose à avancer qu’"une image négative" ou la "crainte" de justiciables, faites-nous en part…

Al dit :

"La fin justifie les moyens" dit le titre de la première partie. Je crois qu’il ne faut pas discuter au-delà de ce constat des fondements de la décision. Tout le reste n’est qu’élucubraiton intellectuelle, d’une portée des plus limitées…

LEBRUN dit :

Comment contrer un commissaire du gouvernement au Conseil d’Etat qui bafoue le code de justice et par son impartialité est perçu comme le suppot vassal de l’administration ?

Je cherche de l’aide….

A. Nonyme dit :

Euh… Déja, faire une note en délibéré extrêmement vite après les conclusions et qui aura intérêt à être plus solide que les argumentations vagues du commentaire.

Si l’arrêt suit les conclusions du commissaire et si vous avez des arguments TRES solides sur l’impartialité, vous pouvez toujours tenter l’aventure de la CEDH. Mais je vous conseille de bien étudier tous les arrêts que la CEDH a pu rendre sur le sujet et de vous entourer de solides juristes. Et au final, la CEDH pourra au mieux demander à l’Etat de vous indemniser sans rouvrir le procès sous-jacent.

PS: l’impartialité, ça ne consiste pas juste à défendre une solution défavorable au requérant

Rah Am Sah dit :

En afrique, certains commissaires du gouvernement se prennent pour des avocats de l’Etat. D’autres croient qu’ils sont "ministère public" comme dans les juridictions civiles. le changement d’appellation pourra-t-il apporter le revirement souhaité par la CEDH? Pour ma part je n’en suis pas certain. Et à quand l’harmonisation des appellations?

La délégalisation de l’appelation commissaire du gouvernement ainsi que sa prochaine modification a fait l’objet de vives critiques par Madame le Professeur Gonod dans la tribune du dernier numéro de l’AJDA : P. GONOD, "Etre et paraître", AJDA, 2007, p. 609