Le cinquantenaire des grands arrêts de la jurisprudence administrative
Par Alexandre CIAUDO :: Colloques
Ce 29 novembre 2006 a eu lieu à Paris un passionnant colloque consacré au cinquantenaire des grands arrêts de la jurisprudence administrative. Premier colloque de la jeune Association Française pour la recherche en Droit Administratif (AFDA), présidée par le Professeur Seiller (pour une présentation voir JCP A, 26 juin 2006, p. 862), cette journée a été l’occasion pour tous, ou presque, les professeurs de droit administratif de France de se réunir. A ceux qui prédisent un avenir sombre à la doctrine du droit administratif avec le prochain départ à la retraite des grands noms des trente dernières années, ce colloque a été l’occasion de constater que la relève était bien assurée. Le Professeur Truchet a pu lancer : « Nous vous laissons les rênes du droit administratif ! ».
En présence de tous les auteurs du GAJA, l’éditeur Dalloz a lancé en grande pompe la réimpression de la toute première édition de l’ouvrage, celle de 1956. Profitant de l’occasion, l’annonce de la réimpression en deux tomes du cours du Président Odent a également été faite, ouvrage désormais introuvable qui trouvera incontestablement un grand succès. L’éditeur a enfin affirmé que la 16e édition du GAJA était prévue pour 2007.
En ouverture du colloque Madame le Professeur Gonod, qui préface la réimpression de la première édition, a pu retracer la genèse du GAJA. En 1952, René Cassin, alors vice-président du Conseil d’Etat souhaite qu’un ouvrage retrace les grands traits de la jurisprudence administrative afin de pouvoir la faire connaître aux avocats qui plaideront devant les futurs tribunaux administratifs, mais également aux universitaires et aux étrangers qui sont demandeurs d’un ouvrage de synthèse. En accord avec le Professeur Marcel Waline, il confie la rédaction de cet ouvrage aux majors respectifs de l’ENA et de l’agrégation de droit public qui n’avaient que 26 ans : Marceau Long et Prosper Weil. Devant l’ampleur de la tâche, Guy Braibant, alors jeune auditeur au Conseil d’Etat, leur est adjoint. C’est ainsi que naît en 1956 la première édition du GAJA.
Après 15 éditions, 52 arrêts ont été retirés du GAJA mais les 18 premiers arrêts n’ont pas été touchés. La première édition comptait 114 arrêts, la 15e 118. Si le nombre d’arrêts est resté stable, le volume a plus que doublé, l’ouvrage fait désormais près de 1000 pages. Toutefois les auteurs ont confirmé que le cap des 1000 pages ne serait pas dépassé. Le premier tirage des grands arrêts était de 2 500, la 15e édition s’est vendue à près de 30 000 exemplaires : le GAJA est un best-seller.
Le grand moment d’émotion du colloque a évidemment été la question des « futurs grands arrêts », qui avaient déjà récemment fait l’objet d’un débat sur le blog du Professeur Rolin. En substance, le Professeur Lachaume a proposé l’abandon de l’écran législatif en matière de contrôle de constitutionnalité des lois, le recours des tiers contre le contrat administratif (recours spécifique, non le recours pour excès de pouvoir), la fin de l’irresponsabilité du législateur en cas de violation du droit international, le contrôle de la réciprocité des traités, une nouvelle réduction de la catégorie des actes de gouvernement, la fin des jurisprudences Ternon et Duvignères. Le président Labetoulle s’est personnellement montré favorable au recours contre le contrat et à l’abandon de la jurisprudence Arrighi.
Les actes du colloque seront prochainement publiés à la RFDA.
P. GONOD, « 1952-1953 : la naissance des grands arrêts »
J.-L. MESTRE, « Les grands arrêts antérieurs à 1873 »
B. PACTEAU, « Les grands arrêts ignorés »
J.-L. AUTIN, « Les grands arrêts disparus »
D. LABETOULLE, « La préparation d’un grand arrêt »
B. POTIER DE LA VARDE, « Les avocats aux Conseils et les grands arrêts »
M. DEGUERGUE, « Déclin ou renouveau de la création de grands arrêts »
J.-F. LACHAUME, « Les futurs grands arrêts »
Commentaires
A ma connaissance la jurisprudence Arrighi n’a pas – et n’est pas prête (sauf révision de la Constitution) – à être abandonnée. C’est probablement en référence à la jurisprudence sur l’abrogation implicite des lois par une dispositions constitutionnelles postérieures cad CE 2005 Syndicat nationaldes huissiers de justice , ainsi que Boisvert ou encore, au regard d’une loi, Baux.
Non, non, le Président Labetoulle s’est clairement montré favorable à l’abandon de la jurisprudence Arrighi. Il pense que le moment est venu de mettre fin à l’écran législatif en matière de contrôle de constitutionnalité qui, après l’arrêt Nicolo, a beaucoup perdu de sa logique. Son sentiment semblait partagé par l’assistance.
Il a également été insinué que l’arrêt KPMG serait un des nouveaux grands arrêts de la prochaine édition du GAJA.
Pour KPMG, cela semblerait très logique… en dépit de la faible portée du principe consacré par cet arrêt.
Parmi toutes ces communications remarquables – tant de sources concordantes sur ce colloque auquel je n’ai pu assister ne peuvent mentir ! – il en est une qui me semble faire défaut (outre celle signalée par C. Teitgen Colly, d’après ce qu’on m’a dit), c’est celle de la "construction" des grands arrêts. Je prends l’exemple de KPMG évoqué dans le commentaire précédent. L’arrêt ne dit pas PGD, F. Melleray l’a bien souligné. Pourtant la chronique du centre de documentation évoque cette notion, et je suis prêt à parier que le commentaire de la 16e ed. dira PGD. Voilà donc une constrcution, ou plus exactement une reconstruction de la solution, pour lui donner le sens que l’arrêt ne contient pas explicitement. Et pourtant, tout le monde dira ensuite KPMG = PGD. De la force de la chose commenté supérieure à celle de la chose jugée…
La même observation a déjà été faite à propos de l’arrêt Blanco (v. la thèse un peu excessive mais captivante de Luchet), on pourrait encore la souligner à propos des arrêts des années 1980 (type Commaret" qui sont un affichage de l’application juridictionnelle de réformes, alors que celle-ci était très timide et qu’à la date de l’édition du GAJA suivant Commaret, seules 3 astreintes de la loi de 1980 avaient été prononcées).
Ou encore de l’arrêt Italia, qui dément un arrêt de moisn d’un an qui adpostait une solution contraire (et donc petit arrêt), ou encore de "fabricants de Semoule" qui n’a jamais été un grand arrêt, ou encore de "Naliato", dont la désinvstiture des grands arrêts a été théatralement mise en scène.
Tout cela pour dire qu’on ne naît pas grand arrêt mais qu’on le devient, au travers d’une construction (qui peut avoit commencé de manière anté-natale dans certains cas).
t je crois qu’il aurait été utile d’étudier cette construction (étant observé que ce colloque lui-même, par ses effets d’annonces a concouru à la constrcution de futurs grans arrêts…)
C’était le sens de ma question au colloque, que je n’ai pas correctement formulée. Il eut mieux valu que vous la posiez à ma place. L’arrêt KPMG ne parle pas de PGD de sécurité juridique, mais deux jours après sa lecture, sur le site internet du Conseil d’Etat on pouvait lire: "Le Conseil d’Etat énonce un nouveau PGD de sécurité juridique". Le pouvoir de la chose interprêtée est en effet matière à controverse.
En fin de matinée, Madame le Professeur Teitgen-Colly a en effet posé une question des plus intéressantes, qui n’a malheureusement pas trouvé de réponse. Elle s’interrogeait sur la notion même de grand arrêt, et posait la question de savoir si le grand arrêt n’était pas celui qui portait en lui-même les valeurs républicaines, compte tenu du fait que de nombreux arrêts d’importance de la période Vichy ont été passés sous silence dans le GAJA.
Citer Simone de Beauvoir, c’est s’exposer au risque que que je ne vienne troller le billet 😉 . D’autant que d’après ses Mémoires, "toute réussite suppose une abdication"… , ce qui pourrait trouver à s’appliquer à un nombre conséquent de grands arrêts.
Par ailleurs, si l’on devient grands arret, on peut cesser aussi de l’etre. Il y a des "grands arrêts" générationnels, qui ont sombré dans l’oubli. Et d’autres promus immédiatement à cette qualité sans avoir fait grand chose pour le mériter (cf par ex. Morsang sur Orge)…
@Diane Roman: Décidément, vous avez une dent contre Morsang-sur-Orge 🙂
@Frédéric Rolin: j’aime bien votre commentaire sur la construction des grands arrêts par la doctrine, qui me semble révélateur de la sociologie du monde du droit. Peut-être est-ce justice rendue aux jurisconsultes qui avaient été un peu oubliés depuis Rome 🙂
J’ai toutefois l’impression, même si mon manque de culture juridique pourrait constituer un prisme trompeur, que la Cour de Cassation fait savoir de manière plus claire quels sont ses grands arrêts que ne le fait le CE. Une pierre dans le jardin administratif ?
Un nouvel article très intéressant sur les grands arrêts :
P. GONOD, « A propos des Grands arrêts de la jurisprudence administrative », Mélanges Labetoulle, Dalloz, 2007, p. 441
A noter, la publication à la RFDA des contributions du colloque :
Dossier « Le 50e anniversaire du GAJA », RFDA, 2007, p. 223
La vraie question demeure : Y a-t-il encore des grands arrêts de droit administratif ?