Conventions internationales et contrôle de constitutionnalité après la décision du Conseil constitutionnel sur la loi DADVSI
Par François GILBERT :: Droit et contentieux constitutionnel
Suite à une question posée par Cambacérès et à un commentaire de ND posté sur le blog d’Eolas, je reviens opportunément sur la place des conventions internationales dans le contrôle de constitutionnalité des lois, qui a été modifiée par la décision d’hier du Conseil constitutionnel (je vous renvoie, sur les autres points, au commentaire d’Eolas).
Rappelons, tout d’abord, la solution classique adoptée en 1975 par le Conseil constitutionnel, dans sa décision IVG, suivie par la Cour de cassation, dans son arrêt Société des cafés Jacques Vabre : il n’appartient pas au juge constitutionnel de contrôler la conformité des lois aux engagements internationaux. Cette tâche incombe seulement au juge judiciaire ou administratif par voie d’exception.
Deux raisons pour cela :
– la conventionalité d’une loi est relative : une loi peut être contraire à une convention bilatérale, mais pas à une autre. Elle devra donc être écartée dans certains cas, mais pas dans d’autres ;
– la conventionalité d’une loi est contingente : la suprématie d’une convention internationale sur la loi dépend de son application réciproque par les autres parties au traité. Dès lors, la loi pourra être écartée à un instant X au profit de la convention internationale, mais pas à un instant Y.
Notons que le juge administratif a mis quatorze ans pour suivre cette solution, puisque la décision Nicolo n’est intervenue qu’en 1989.
La solution semblait donc simple et arrêtée. Cependant, elle a connu un fléchissement non négligeable en 2004 avec la décision du Conseil constitutionnel sur la loi pour la confiance dans l’économie numérique.
En effet, dans cette décision, le juge constitutionnel a accepté de contrôler la conformité d’une loi de transposition d’une directive communautaire, par rapport aux dispositions de cette dernière.
Le raisonnement est le suivant. La compatibilité d’une loi par rapport aux objectifs d’une directive communautaire n’est ni relative, ni contingente. En effet, il appartient aux États membres d’appliquer dans tous les cas le droit communautaire dérivé, la condition de réciprocité étant notamment inopérante. Ainsi, la transposition d’une directive communautaire est une obligation inconditionnelle (qui résulte pour le Conseil constitutionnel non du traité, mais de l’article 88-1 de la Constitution).
Toutefois, la Constitution, ou du moins ses dispositions expresses, continue à primer sur la directive. Mais, le Conseil ayant refusé d’examiner le moyen tiré de la contrariété d’une directive avec la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen (CC, 29 juillet 2004, loi relative à la bioéthique, n° 2004-498, point n° 7), la portée réelle de cette limite reste très théorique et incertaine (la DDHC n’est-elle pas une disposition expresse de la Constitution ?).
Dans sa décision d’hier sur la loi DADVSI, le Conseil constitutionnel a apporté d’importantes précisions sur ce contrôle.
Il a jugé, en premier lieu, « que la transposition d’une directive ne saurait aller à l’encontre d’une règle ou d’un principe inhérent à l’identité constitutionnelle de la France, sauf à ce que le constituant y ait consenti ». Le Conseil semble donc avoir abandonné sa distinction entre les dispositions expresses de la Constitution et les autres (distinction très discutable), au profit, pour schématiser, d’une distinction entre les dispositions fondamentales et celles qui ne le sont pas (lui laissant ainsi une forte marge d’appréciation). Ce faisant, il restreint considérablement la portée de son contrôle de constitutionnalité sur les lois de transposition des directives. C’est donc, in fine, les places relatives de la Constitution et du droit communautaire qui se trouvent modifiées.
En second lieu, le Conseil a précisé « que, devant statuer avant la promulgation de la loi dans le délai prévu par l’article 61 de la Constitution, le Conseil constitutionnel ne peut saisir la Cour de justice des Communautés européennes de la question préjudicielle prévue par l’article 234 du traité instituant la Communauté européenne ; qu’il ne saurait en conséquence déclarer non conforme à l’article 88-1 de la Constitution qu’une disposition législative manifestement incompatible avec la directive qu’elle a pour objet de transposer ; qu’en tout état de cause, il revient aux autorités juridictionnelles nationales, le cas échéant, de saisir la Cour de justice des Communautés européennes à titre préjudiciel ». Cette solution, si elle est logique, puisqu’il n’est en pratique pas possible de faire autrement, diminue là encore la portée du contrôle effectué par le juge de la rue Montpensier. En effet, le contrôle de conventionalité (ou, plus exactement le contrôle de compatibilité avec la directive transposée) qu’il effectue n’est qu’un contrôle sommaire. Dès lors, si le Conseil constitutionnel abandonne une grande partie de ses pouvoirs en matière de contrôle de constitutionnalité, il ne les regagne pas en matière de contrôle de conventionalité.
Il faut, toutefois, relativiser la situation : ce type de contrôle ne vaut, pour l’instant, que pour les lois de transposition d’une directive communautaire. La décision IVG reste donc applicable aux traités internationaux, communautaires ou non (et aux autres normes de droit communautaire dérivé).
Mais globalement je pense que l’édifice qui résulte de cette jurisprudence est assez bancal.
Tout d’abord, comment reconnaître une loi de transposition d’une directive ? Est-ce une loi dont l’exposé des motifs vise la directive ?
De plus, le Conseil a déjà expressément jugé que « il n’appartient pas au Conseil constitutionnel, lorsqu’il est saisi en application de l’article 61 de la Constitution, d’examiner la compatibilité d’une loi avec les dispositions d’une directive communautaire qu’elle n’a pas pour objet de transposer en droit interne » (CC 30 mars 2006, loi pour l’égalité des chances, point 28). Or, si la transposition d’une directive est un impératif constitutionnel, le Conseil ne se contente pas de contrôler la seule existence de cette transposition. Il contrôle aussi que cette transposition est faite correctement. Dès lors, si cette loi venait à être modifiée ultérieurement par une disposition d’une loi n’ayant pas pour objet de transposer cette directive, on comprend mal pourquoi le juge constitutionnel ne pourrait pas censurer cette disposition.
Enfin, on comprend mal, encore, pourquoi n’appliquer ce raisonnement qu’aux directives communautaires. L’article 88-1 de la Constitution ne vise pas plus les directives, que les règlements ou les traités. Et, si les directives nécessitent une transposition, la jurisprudence leur donne un effet suffisamment utile en l’absence de transposition, même avant l’expiration des délais, pour qu’une protection spécifique par le juge constitutionnel ne soit pas justifiée.
On peut donc s’interroger sur l’évolution de la position du Conseil constitutionnel qui pourrait conduire à un revirement beaucoup plus important.
Commentaires
DADVSI : en marge des droits d’auteur, quelques graines d’évolution constitutionnelle
Une première lecture de la décision n° 2006-540 DC du 27 juillet 2006 – il en faudra plusieurs – ne manque pas de susciter quelque étonnement chez le juriste. Déjà, François, de Droit administratif, s’y attèle.
Excellent commentaire François. Petit bémol : je ne pense pas que la nouvelle disctinction retenue par le Conseil Constitutionnel, à savoir un contrôle limité de la loi de transposition afin de vérifier qu’elle ne viole pas une règle ou un principe inhérent à l’identité constitutionnelle de la France, soit plus convainquante que la précédente (les dispositions expresses). la nouvelle distinction, en effet, renvoit clairement à une notion de supraconstitutionnalité, de hiérarchie des normes constitutionnelles entre elles qui est peu lisible et pas justifiable (du moins, je ne le pense pas). Mais peut être est-ce une forumule transitoire, qui annonce un véritable contrôle de constitutionnalité…
D’accord avec ta critique à propos de l’objet de la loi : il est incompréhensible que le conseil constitutionnel n’étende pas son contrôle de compatibilité des lois ayant pour effet de modifier une loi de tranpostion, voire entrant tout simplement dans le champ d’application d’une directive, sans avoir pour autant l’objet explicite de la transposer.
Il y a un élément que vous ne rappelez pas : seul le constituant peut décider de la hiérarchie des normes ou, dit autrement, seul le constituant énonce quelle est la règle fondamentale et son contenu. Or en France, c’est le peuple qui est souverain, souveraineté qu’il exerce directement (référendum) ou indirectement (voie parlementaire), lorsqu’a lieu une révision de la Constitution. Le Conseil constitutionnel n’est pas constituant ; il ne peut pas dire franchement que les règles communutaires font partie du bloc de constitutionnalité car il n’est pas le dépositaire de la souveraineté. En outre, la différence est fondamentale entre la Constitution, norme fondamentale d’un Etat, et le traité (et le droit qui en dérive) qui ne relève que d’un accord de volonté entre Etats. C’était d’ailleurs toute l’ambiguïté du traité portant constitution pour l’Europe qui n’est en fait qu’un énième traité communautaire et non pas une Constitution, issue de la volonté des peuples européens… A sa façon, le Conseil d’Etat le rappelle bien, dans l’arrêt Sarran de 1998 : "dans l’ordre interne", c’est la Constitution qui prévaut…
Pour en revenir à la décision du CC – que je n’ai pas lue…- je veux juste rappeler que le CC opère déjà un contrôle de conventionnalité", dans le cadre du contentieux électoral (CC, 1988, Elections législatives du Val d’Oise : je dis tout cela de mémoire…).
Voilà quelques-unes de mes réflexions…
Bisonravi :
Sur la prévalence de la Constitution dans l’ordre interne, le Conseil constitutionnel arrive à l’écarter en grande partie en se fondant sur l’article 88-1 de la Constitution, procédé très artificiel, mais efficace. Pour autant, il est certain que les directives communautaires ne font pas partie du bloc de constitutionnalité.
Sur le contrôle du Conseil en tant que juge électoral, il n’y a rien d’étonnant. Il juge alors comme toute autre juridiction et non comme juge constitutionnel.
Merci François pour ces précisions !
Toutefois, et comme tu le dis, je continue de penser que cette exception à la règle est "bancale"… Le raisonnement qui la fonde pourrait à mon sens mener à terme à un contrôle de conventionalité généralisé. Bref, la brèche étant faite, on peut légitimement se demander jusqu’où ira le Conseil constitutionnel.
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quid d’un traité bilatéral, ratifié,dont les dispositions sont conformes à la constitution mais dont l’interprétation extensive ne l’est pas (utilisation de gardes privés en lieu et place d’officiers de police judiciaire pour prendre des mesures coercitives privatives de liberté?
L’amateur
Le juge est libre interprète des traités. Il censurera les comportements en cause comme contraires à la convention internationale.
Cela dit, certaines conventions internationales confient bien une mission de police à certaines personnes privées. Et dans ce cas là, il n’y a rien à faire.
D’accord avec François
1)On fait rentrer par la fenêtre l’externalisation dont on refuse l’entrée par la porte
2)on risque de donner sur le territoire national des pouvoirs à des agents privés étrangers que la Constitution ne permet pas en l’état de donner à des agents publics étrangers dans une mission de police transfrontalière
j’ai a faire un commentaire sur les considerant 16 a 21sur cette directve communautaire 21/05/01.j’ai mieux compris grace a vos commentaire cela dit peut on se poser la question:cc prime t il le droit communautaire par crainte des autres pays europeens?pourkoi cett substitution de la constitution a ce droit exterieur..
Effectivement, la jurisprudence IVG attend patiemment son heure. L’occasion fera le revirement.
Le CC rattrape dans ses décisions les incohérences induites par ses décisions précédentes : "invention" d’un rôle à l’article 88-1, distinction de l’article 55 ( alors que le CE ne reconnait pas la spécificité du droit communautaire par rapport au droit international); possibilité de contrôler après contrôle pour voir si… ( donc reconnait sa capacité de contrôle sans le dire ) voire fin de autorité de la chose jugée : son contrôle rapide ( faute de délais) étant susceptible éventuellement de se voir contredire par un examen plus approfondi par le CE ou la CCass…
Complexe…
merci pour vos explications qui vont beaucoup me servir pour ce commentaire que vous nous avez demandé
@ Melle Mizrahi :
Que cela ne vous dispense pas d’autres recherches ! Pensez également à soigner votre plan.
Bonjour, je suis en deuxième année de droit et n’arrive pas à comprendre quelle serait la réaction du conseil constitutionnel pour le cas où la loi de transposition de la directive serait conforme à la directive mais contraire à la constitution. le Conseil constitutionnel peut il la censurer?
j’attends votre réponse avec impatience, merci davance
Jette un regard à l’arrêt Arcelor du CE de 2007, ça t’aidera
Jette un regard à l’arrêt Arcelor du CE de 2007, ça t’aidera