La Cour de cassation cède à la tentation du « droit mou »
Par François GILBERT :: Divers
La plus haute juridiction de l’ordre judiciaire a présenté à l’occasion de son audience solennelle de rentrée, une « Charte de la procédure devant la Cour de cassation » destinée aux justiciables. L’événement n’est pas négligeable, mais avait été occulté par un coup de sang de Dominique de Villepin.
Cette charte contient dix articles portant sur notamment les délais, la représentation et l’information du justiciable. Selon la formule du Premier Président, elle énumère les « engagements pris par la Cour de cassation » en matière de suivi de l’avancement de la procédure. Elle n’a donc, et ne peut avoir, une valeur normative. La Cour de cassation ne dispose en effet, à l’instar de toute autre juridiction, d’aucun pouvoir normatif. Cette charte relève donc simplement d’une démarche qualitative, voire de la pure communication institutionnelle.
Or, la Cour de cassation, lorsqu’elle adopte un document intitulé « charte » constitué sous forme d’articles, ne peut ignorer qu’elle entretient, aux yeux du profane, une confusion sur la portée réelle de ces engagements. Elle a donc cédé à la tentation de ce « droit mou » (traduction française de la notion anglo-saxonne de « soft law », que l’on devrait plutôt dénommer « faux droit »), seul à être intelligible et accessible par tous et pourtant dépourvu de toute force. Un « droit du pauvre », en quelque sorte.
Le risque de réelle confusion porté par ce « droit mou » n’est pas purement hypothétique. L’engagement solennel du Gouvernement à consulter les organisations syndicales avant une réforme du code du travail, pris à l’occasion de l’exposé des motifs d’une loi, en a trompé plus d’un (voir sur cette question précise deux billets de Jules de Diner’s Room ici et là). C’est donc à raison que le Président Mazeaud, lors de ses vœux au Président de la République en 2005 et 2006, avait pu fustiger la loi dépourvue de valeur normative.
À la décharge de la Cour de cassation, on peut noter que cette démarche, si elle est inédite – à ma connaissance – pour une juridiction, ne l’est pas pour une administration. Ainsi, en janvier 2005, le Gouvernement a lancé la Charte Marianne, pour les services publics administratifs nationaux accueillant du public.
Les plus initiés penseront surtout à la Charte du contribuable, lancée à l’initiative de Jean-François Copé (vous ne pouvez l’ignorer si vous êtes allé voir le site Web de la charte, vu la taille démesurée de sa photo), qui, comble de la confusion, est censée, selon un communiqué de presse du ministère, engager l’administration, chaque contribuable pouvant s’en prévaloir. Or, au regard des seules modalités d’adoption de celle-ci, elle est nécessairement dépourvue de tout caractère normatif. Pour rajouter à la confusion, il existe depuis les années 1980 une charte du contribuable vérifié, qui, quant à elle, est opposable à l’administration en vertu d’une loi (article L. 10 du Livre des procédures fiscales) !
Les frontières du « n’importe quoi » sont donc allégrement dépassées en matière de procédure fiscale. On ne s’en étonne pas lorsque l’on connaît les capacités de communication de notre ministre du budget. Mais quand la Cour de cassation emboîte le pas à cette démarche, il y a de quoi s’inquiéter
Commentaires
oui, vous avez raison il y a de quoi s’inquiéter.
Lorsque l’ancien premier président de la Cour de cassation s’est engagé- avec l’ensemble des services de la Cour- à respecter les 10 articles de cette charte je veux croire qu’il était sincère et conscient de la force de cet engagement. Cela ne fait aucun doute. Début 2007 ce premier président a quitté la Cour mais la Cour reste engagée.
Mais lorsque vous parlez de droit mou je ne suis pas d’accord.
Dès lors que la Cour de strasbourg a énoncé à plusieurs reprises et notamment en 1998 que le défaut de communication du rapport déposé par le conseiller rapporteur et des conclusions de l’avocat général ne s’accorde pas avec les exigences d’un procés équitable, nous devons considérer que cette interprétation de la Convention EDH par la Cour de Strasbourg fait partie de notre interne. Et ce droit doit être appliqué et respecté par le juge français.
La première présidence, qui a invité les justiciables à présenter des observations sur la charte en s’adressant aux services de la première présidence, s’est engagée, avec l’ensemble des services de la Cour, à respecter srupuleusement cette charte de la procédure, c’est à dire notamment à communiquer le rapport déposé par le conseiller rapporteur et les conclusions de l’avocat général.
Si la Cour de cassation ne respecte pas cet engagement elle viole le droit interne. Et la France pourra être condamnée par la Cour européenne.
Rappelons tout de même qu’en 2004 la France occupait le troisième rang des pays ayant subi le plus grand nombre de condamnations (59)par la Cour de stasbourg, juste derrière la Pologne condamnée 74 fois et la Turquie 154 fois. Mais la France peut mieux faire c’est certain…Il n’est pas impossible que la France décroche la première place dans un avenir proche.
De surcroît, il est inacceptable d’un point de vue simplement moral que la Cour ne respecte pas ses engagements.
Evelyne kestler
oui, vous avez raison il y a de quoi s’inquiéter.
Lorsque l’ancien premier président de la Cour de cassation s’est engagé- avec l’ensemble des services de la Cour- à respecter les 10 articles de cette charte je veux croire qu’il était sincère et conscient de la force de cet engagement. Cela ne fait aucun doute. Début 2007 ce premier président a quitté la Cour mais la Cour reste engagée.
Mais lorsque vous parlez de droit mou je ne suis pas d’accord.
Dès lors que la Cour de strasbourg a énoncé à plusieurs reprises et notamment en 1998 que le défaut de communication du rapport déposé par le conseiller rapporteur et des conclusions de l’avocat général ne s’accorde pas avec les exigences d’un procés équitable, nous devons considérer que cette interprétation de la Convention EDH par la Cour de Strasbourg fait partie de notre interne. Et ce droit doit être appliqué et respecté par le juge français.
La première présidence, qui a invité les justiciables à présenter des observations sur la charte en s’adressant aux services de la première présidence, s’est engagée, avec l’ensemble des services de la Cour, à respecter srupuleusement cette charte de la procédure, c’est à dire notamment à communiquer le rapport déposé par le conseiller rapporteur et les conclusions de l’avocat général.
Si la Cour de cassation ne respecte pas cet engagement elle viole le droit interne. Et la France pourra être condamnée par la Cour européenne.
Rappelons tout de même qu’en 2004 la France occupait le troisième rang des pays ayant subi le plus grand nombre de condamnations (59)par la Cour de stasbourg, juste derrière la Pologne condamnée 74 fois et la Turquie 154 fois. Mais la France peut mieux faire c’est certain…Il n’est pas impossible que la France décroche la première place dans un avenir proche.
De surcroît, il est inacceptable d’un point de vue simplement moral que la Cour ne respecte pas ses engagements.
Evelyne kestler