De la formation du droit administratif depuis l’an VIII
L’article de Maurice Hauriou sur la formation du droit administratif depuis l’an VIII, paru à la Revue générale d’administration de 1892, est sans doute l’un des plus célèbres de l’auteur. Le doyen de Toulouse n’enseigne pourtant le droit administratif que depuis 4 ans. La raison de ce succès est multiple :
En premier lieu, l’auteur utilise des termes et des catégories absolument modernes. L’on retrouve ainsi les expressions (inchangées) de « personnes publiques », de « service public », « puissance publique », « actes unilatéraux » tout au long de l’étude. Parcourir les lignes de cet article (qui a plus de 115 ans !) est incomparablement plus accessible et agréable que d’autres écrits de la même époque.
Surtout, le droit administratif y apparaît comme une construction homogène, ce qui est loin d’être évident en cette fin du XIXème siècle. Si d’autres professeurs ou membres du Conseil d’Etat (d’ailleurs cités par Maurice Hauriou) avaient essayé de « ranger » ou de « trier » la jurisprudence administrative, le Maître Toulousain est le premier auteur à faire du droit administratif un véritable « système ».
A tous ces titres, l’article reproduit ci-dessous est une grande œuvre de doctrine.
Alexis FRANK
I. — Cet essai a pour objet l’histoire de la formation de notre droit administratif moderne considéré comme formant un corps de doctrine organisé.
Personne à l’heure actuelle ne doute plus qu’un pareil corps de doctrine n’existe ; il est de toute évidence qu’il y a un ensemble de théories administratives liées entre elles et gravitant autour d‘un centre commun, tout comme il y a un ensemble de théories civiles ou commerciales. Il s’agit de montrer comment ces théories se sont lentement organisées depuis le commencement du siècle, et comment par leur coordination elles ont fini par constituer un système.
Ce n’est donc point l’histoire de telle ou telle institution administrative dont il va être parlé, mais bien véritablement l’histoire du droit administratif lui-même, dans ce qu’il a de plus intime et de plus profond, dans la constitution de ce qu’on peut appeler son ossature.
Les matériaux dont nous nous servirons seront les ouvrages doctrinaux, c’est-à-dire que cet essai sera avant tout une histoire de la littérature administrative.
On pourrait aussi bien tenter de faire l’histoire de la jurisprudence administrative, ou bien celle de la pratique administrative, car la jurisprudence et la pratique ont contribué à la formation du droit administratif autant que la doctrine. Et si l’on va au fond des choses, c’est même à la jurisprudence que revient la plus grosse part.
Mais l’histoire de la jurisprudence administrative, et plus particulièrement de celle du Conseil d’État, a été trop complètement et trop savamment faite dans ces dernières années par M. Aucoc, dans son livre Le Conseil d’État, et par M. E. Laferrière, dans son Traité de la juridiction administrative, pour que nous pussions avoir la pensée de la recommencer.
Quant à l’histoire de la pratique administrative, elle est à faire. Nul doute que l’histoire de certains bureaux des ministères ne fût intéressante, spécialement celle de la direction des affaires départementales et communales au ministère de l’intérieur. Mais cette histoire ne pourra être faite que par un membre de l’administration. Outre la volumineuse collection des instructions ministérielles, il faudra consulter les collections d’avis du Conseil d’État ou de l’ancien comité de l’intérieur, dont la plupart sont manuscrites[1], il faudra surtout posséder les traditions.
La doctrine présente d’ailleurs cet avantage d’être le réceptacle commun où viennent se mélanger et se fondre les règles dégagées par la jurisprudence et par la pratique. Au bout d’un certain temps, on est sûr d’y retrouver d’elles tout ce qui méritait de survivre.
La doctrine, il est vrai, ne se trouve pas tout entière dans les livres, il en est une partie qui se transmet par l’enseignement oral. Malheureusement l’histoire de l’enseignement oral est difficile à faire ; il ne laisse pas de traces saisissables. Lorsqu’une génération d’hommes n’a pas les mêmes idées que la génération précédente, on entrevoit bien·que cela provient en partie de ce qu’elle a suivi les leçons de tel ou tel maître autorisé ; mais cela est trop vague pour être exprimé. Au reste, cela ne présente pas un grand inconvénient, on peut être assuré que tôt ou tard les idées vraiment fécondes émises dans l’enseignement oral se retrouvent dans un livre ; si celui-ci n’est pas du maître, il est du disciple. La littérature doctrinale fournit donc des matériaux très suffisants.
II. — Nous ne sommes pas le premier à utiliser ces matériaux, et fort heureusement nous avons des guides. Boulatignier avait fait paraître en 1839, dans la Revue étrangère et française (p. 81), un article bref, mais très substantiel intitulé : De l’Origine, des progrès et de l’enseignement du droit administratif en France. De Cormenin, dans la deuxième partie de la préface de son traité, édition de 1840, avait écrit quelques pages d’histoire, Robert de Mohl, dans son grand ouvrage sur l’histoire des droits publics modernes, qui date de 1858, consacre cent pages à celle du droit administratif français[2]. Enfin dans l’étude de M. Aucoc sur le Conseil d’État se rencontrent de précieuses indications. Si même nous avons cru pouvoir, après d’autres, tenter d’esquisser l’histoire du développement du droit administratif, c‘est uniquement parce que celui-ci nous a semblé parvenu actuellement à un point de son évolution qui en fait mieux comprendre les moments antérieurs.
III. — Comme toutes les créations sociales douées de vie, le droit administratif français a été le produit de beaucoup de volontés inconscientes. Nous entendons par là que parmi les administrateurs, et même parmi les auditeurs, maîtres des requêtes, conseillers d’État, qui ont dégagé les premières règles de ce droit, beaucoup, allant au plus pressé, se décidaient d’après les besoins de l’administration et d’après un certain instinct ; que quelques-uns seulement réfléchissaient sur l’origine, la valeur, la portée de ces règles. Ce qui est vraiment frappant, c’est que dans la pensée de tous ce droit était complètement nouveau, qu’il ne procédait en rien de l‘ancien régime, et qu’il se développait d’une façon tout originale. Cette opinion, qui chez la plupart était latente, est exprimée, dès le début, par de Gérando, Cormenin et plus tard par Boulatignier. On la formulait d’une façon très plausible et qui devait lui donner beaucoup de crédit. On faisait remarquer que le droit administratif ne pouvait exister à part et se distinguer du droit ordinaire que si les juridictions chargées de l’appliquer étaient elles-mêmes séparées des juridictions ordinaires ; en d’autres termes, qu’il ne pouvait y avoir de droit administratif sans tribunaux administratifs, par suite sans séparation des pouvoirs. Or le principe de la séparation des pouvoirs n’avait été introduit que par l’Assemblée constituante ; le droit administratif ne pouvait donc pas remonter plus haut que le début de la Révolution. Encore convenait-t-il de remarquer que, pendant toute la durée de la Révolution, il n‘avait pu exister qu’en germe, le contentieux étant confié aux corps administratifs eux-mêmes, aux municipalités, aux directoires, au conseil des ministres, et le droit dans ces conditions ne pouvant pas aisément se dégager de l’administration. C’était donc vraiment la reforme de pluviôse et nivôse an VIII qui, en organisant les conseils de préfecture et en transportant au Conseil d’État les attributions contentieuses des ministres, avait créé le contentieux administratif et, par suite, le droit administratif.
Ce qui frappait surtout dans l’ancien régime, et ce qui faisait qu’on le voyait comme séparé par un abîme de l‘état de choses nouveau, c’était la confusion qui y régnait entre le pouvoir judiciaire et le pouvoir administratif : les parlements faisant des règlements de police et citant les administrateurs à comparaître devant eux ; le Conseil d‘État cumulant la connaissance des affaires civiles et celles des affaires administratives ; les justices locales avant presque partout la petite voirie ; des juridictions incontestablement administratives, comme les tables de marbre, les cours de l’amirauté, des trésoriers de France, des aides, des comptes, organisées tout comme les juridictions civiles[3].
Il y avait beaucoup de vrai dans cette manière de voir et nous nous en rendrons mieux compte et la fin de notre étude ; il est certain que la Révolution et la séparation des pouvoirs ont produit quelque chose de nouveau, qui est le groupement des règles administratives en un corps de droit distinct. Beaucoup de ces règles existaient sous l’ancien régime, mais elles étaient éparses et confondues avec les règles du droit ordinaire ; leur agencement, leur coordination en un corps de droit unique a été l’œuvre des temps nouveaux.
Quoi qu’il en soit d‘ailleurs, l’idée qu’on se fait des choses a plus d’action que la réalité vraie : tout le monde a cru, a dit que le droit administratif était un droit nouveau et il s’est comporté comme tel. Il s’est développé d’une façon exclusivement nationale et il a passé par toutes les phases d’un droit qui s’organise, spectacle curieux pour un historien. À la vérité, il a parcouru ces phases avec une rapidité telle qu’à l’heure actuelle, alors qu’un siècle n’est pas encore écoulé, son évolution peut être considérée comme presque terminée. Il v a eu des raccourcis. Cela tient a ce que, si le droit était jeune, le peuple au sein duquel il évoluait n’était rien moins que primitif. Ce ne sont pas des pontifes mystérieux, ni des prudents encore frustes, qui ont présidé à son élaboration première, ce sont de véritables jurisconsultes.
Le droit administratif a présenté dans son évolution les phénomènes suivants :
1° Il s’est formé surtout par le contentieux, c’est-à-dire par la jurisprudence du Conseil d’État. Le Conseil d’État s’est trouvé dans une situation exceptionnelle : juge définitif de tout le contentieux administratif, grâce à l’appel et à la cassation, qui lui subordonnaient toutes les autres juridictions administratives, il était en même temps jugé prétorien, grâce à l’absence de codification. D’un autre côté, bien que ce fût un corps gouvernemental, heureusement pour lui peut-être, il a été pendant plusieurs années, sous la Restauration et sous la monarchie de Juillet, critique, discuté, attaqué ; ces tribulations l’ont incliné au culte du droit plus que ne l’eût fait sans doute, si elle eût duré, la faveur dont il jouissait sous le premier Empire. Sauf de rares écarts, sa jurisprudence s’est montrée très juridique et l’on peut dire que la substance du droit administratif est sortie de ses arrêts et de ses avis.
2° Le droit administratif a passé par les phases suivantes :
a) Une période d’élaboration secrète ; non pas que le secret ait été voulu, ni jalousement gardé comme celui des formules des actions de la loi, à Rome, par le collège des pontifes, mais on fait, il y a eu un certain nombre d’années pendant lesquelles ni les procédés de l’administration, ni les décisions du Conseil d’État n’étaient connus ;
b) Une période de divulgation ;
c) Une période d’organisation.
Il est difficile d‘arrêter par des dates ces différentes périodes. Dans la vie tout s’enchevêtre. Il y a eu dès le début un peu d’organisation, il y a encore actuellement une part de divulgation; ces divisions ne doivent donc pas être considérées comme nettes et tranchées. Toutefois, on peut fixer à l‘année 1818 le commencement de la divulgation, et à l’année 1860 le début de l’ère d’organisation.
a) Période d’élaboration secrète (1800-1818).
Aussitôt que le Conseil d’État eut été organisé par la Constitution du 22 frimaire an VIII, article 52, et que, par l’arrêté du 5 nivôse an VIII, il ait été chargé des conflits et des affaires contentieuses dont la décision était précédemment remise aux ministres, il commence d’y avoir une jurisprudence administrative. Toutefois, il faut remarquer qu’il n’y eut de suite dans cette jurisprudence et qu’il ne se créa de traditions qu’à partir du décret du 22 juillet 1806, qui organisa au sein du Conseil d’État un comité spécial du contentieux et donna aux affaires contentieuses une procédure différente de celle des affaires administratives.
Mais jusqu’en 1818, époque où Macarel publia ses Essais de jurisprudence administrative, cette jurisprudence ne fut pas connue. Non seulement elle était ignorée du grand public, mais elle l’était de l’administration, des avocats au Conseil et des conseillers d’État eux-mêmes, à l’exception de quelques membres du comité du contentieux qui avaient fait un effort personnel pour se tenir au courant ; la procédure toute secrète ne pouvait être suivie que des parties ; les arrêts s’entassaient dans les archives du Conseil sans être recueillis ni publiés.
D’ailleurs, cette jurisprudence inspirait quelque suspicion et l‘on pouvait se demander si elle fondait un droit bien sérieux. On voyait surtout dans le Conseil d’État un corps politique et, dans les premières années de la Restauration, ce fut un prétexte à des attaques violentes contre sa juridiction[4]. Plusieurs des affaires dont il était alors chargé présentaient en effet un caractère politique en même temps que juridique : ce furent les contestations relatives aux domaines nationaux, à des déchéances imposées à des créanciers et fournisseurs de l’État, à l’indemnité des colons de Saint-Domingue ; plus tard, aux fournitures faites pendant l’occupation militaire de 1814 et de 1815, a la réintégration des émigrés dans les biens non vendus, au milliard des émigrés, aux majorats, etc…., toutes choses qui irritaient et passionnaient dans des sens divers des intéressés nombreux. De plus, le gouvernement de la Restauration, jusqu’à l’ordonnance du 1er juin 1828, fit un abus du conflit et, en évoquant devant le Conseil d‘État des affaires qui n’avaient rien d’administratif, lui donna quelques-unes des allures de l’ancien conseil du roi. De sorte que, bien que par-dessous cette agitation superficielle il se créât des règles de droit intéressantes, pendant les premières années personne ne fut tenté d’aller à leur recherche.
Enfin, il faut bien le dire aussi, pour faire cette espèce de découverte, il fallait des esprits supérieurs à la moyenne : or, soit pendant l’Empire, soit pendant les années d’invasion qui suivirent, tous les hommes de quelque valeur étaient tournés vers l’action.
Il a cependant été publié quelques ouvrages pendant cette période, mais ou bien ce sont de pures compilations indigestes[5], ou bien des traités sans valeur.
Deux de ces traités sont particulièrement fantaisistes. C‘est d’abord celui de Portiez de l’Oise, directeur de l’Ecole de droit de Paris et chargé du cours de droit administratif créé par la loi du 22 ventôse an XII, art. 2[6]. Cet ouvrage porte le titre pompeux de Cours de législation administrative dans l’ordre correspondant à l’harmonie du corps social[7]. L’auteur y adopte le plan suivant : il envisage l’homme depuis sa naissance jusqu’à sa mort en le faisant passer par tous les rapports qu’il peut avoir avec l’administration, tant qu’il existe. Cela eût pu faire un pamphlet spirituel ; cela ne fait qu’un ouvrage bizarre. Robert de Mohl, qui a eu le tort de le prendre au sérieux, le déclare « bien faible » (sehr schwache)[8].
Le second traité, avec plus de prétentions, est tout aussi mauvais. Ce sont les Principes d’administration publique de Charles-Jean Bonnin[9]. L’auteur est de l’espèce redoutable des idéologues qui réduisent tout en idées abstraites et mettent ces idées au service de la force pure. Pour lui la Révolution a fait table rase de tout. Le droit n’existe plus, il n’y a que la loi. On devrait dire non pas jurisconsulte, mais legisconsulte. Tous les droits sont des facultés de l’homme qui découlent de la loi. Quant à la loi elle-même, inutile d’ajouter qu’elle est l’œuvre d’un gouvernement à poigne. Il n’y a que trois pouvoirs dans la société : le Gouvernement d’abord, puis l’administration et la justice, qui sont des formes du Gouvernement.
Montesquieu est arrangé de la belle façon pour avoir pu imaginer qu’il y en eut d’autres. Rousseau n’est pas mieux traité, ni les jurisconsultes du droit des gens, ni le droit romain. Avant Bonnin d’ailleurs, il n’y a eu personne, si ce n’est Lavoisier qui a fondé la science positive en même temps que la chimie[10] !
Presque point de détails précis dans le corps de l’ouvrage ; ils sont noyés dans le flot d’idées générales. Pourtant, dans tout ce fatras nous avons relevé une idée juste et qui servira plus tard, c’est que, en administration, l’État doit être considéré comme une volonté agissante[11]. Cela est important ; plus tard on s’apercevra en effet que l’acte d’administration doit être considéré comme une manifestation de volonté.
En somme, dans ces ouvrages, rien ou très peu de chose, et il faut bien croire que ce qui a manqué aux auteurs c’est d’être soutenus par la jurisprudence, que c’est la jurisprudence qui est la grande régulatrice de la doctrine par le sentiment qu’elle donne de la réalité des choses, car, la jurisprudence mise à part, ce ne sont pas les matériaux qui leur manquaient. Ils avaient à leur disposition les lois et les décrets : le Bulletin des lois existait depuis l’an ll ; les actes du Gouvernement depuis 1789 jusqu’à l’an II avaient été l‘objet d‘une publication officielle en 1806 ; et il y avait d’autres collections privées. D’autre part, ils voyaient fonctionner sous leurs yeux l’organisation administrative simple et nette de l’an VIII ; ils avaient à leur disposition d’excellentes instructions, comme celle adressée aux maires de Seine-et-Marne par le préfet Lagarde en 1808, qui est un véritable traité d’administration municipale. Ils n’ont tiré de cela aucun parti. Il faut reconnaître d’ailleurs qu’ils ont été promptement oubliés[12].
b) Période de divulgation (1818-1860).
I. — Les années 1818 et 1819 sont un moment intéressant dans l’histoire du siècle. Il s’y est produit un réveil intellectuel. Le cauchemar de la domination impériale et celui de l’invasion viennent de disparaître, les armées des alliés ont évacué le territoire le 10 décembre 1818. Les jeunes hommes, qui ont grandi dans ces années troublées, ont l’esprit ouvert et mûri. Ils sentent qu’il s’organise un monde nouveau et que c’est maintenant par la pensée qu’il faut agir.
Saint-Simon va commencer à lancer ses brochures (1819), Lamartine va publier ses Premières méditations (1820) et Victor Hugo ses Odes et ballades (1822). Victor Cousin et Guizot vont ouvrir leurs cours à la Sorbonne, Thiers et Augustin Thierry entreprendre leurs travaux historiques (1822-1825). Dans l’ordre du Droit, Jourdan fonde en 1819 la Thémis, vaillante revue qui ne devait vivre que dix ans, mais qui devait par l’intermédiaire de l’Allemagne nous faire retrouver la tradition de nos grands jurisconsultes du seizième siècle que nous avions perdue.
La France, après avoir vécu pendant vingt-cinq années, au jour le jour, du spectacle des événements vertigineux qu’elle créait, s’arrête, se recueille, regarde autour d’elle et chez elle. Trois hommes sont comme les ancêtres du Droit administratif français : Macarel[13], de Gérando[14], Cormenin[15]. Tous les trois avaient subi le contre-coup des commotions de la Révolution et de l’Empire et avaient été plus ou moins mêlés aux événements. Macarel qui, d’Orléans, avait été faire son droit à Turin, avait été chef de cabinet de préfecture et contrôleur des postes. De Gérando avait fait la campagne d’Italie ; il avait été membre de la Junte administrative de Toscane en 1808 et intendant de Catalogne en 1812. De Cormenin, de race aristocratique, filleul de la princesse de Lamballe et du duc de Penthièvre, avait été attaché au Conseil d’État dès 1810. Tous les trois avaient le tempérament du publiciste en même temps que du jurisconsulte. De Gérando est un philosophe ; il a fait un mémoire sur les signes de la pensée, une histoire comparée des systèmes de philosophie en huit volumes, un traité du perfectionnement moral en deux volumes. De Cormenin est un pamphlétaire : il a sous le nom de Timon criblé de brochures le gouvernement de Juillet après 1830. Macarel s’est plus exclusivement consacré au droit, mais il avait le même esprit ouvert. C’est lui qui commence la série des révélations sur la jurisprudence du Conseil d’État et qui fonde le recueil des arrêts du Conseil ; à lui tout seul il crée, en 1833, une petite école des sciences politiques et il fait, en 1840, sous le nom de Traité de la fortune publique en France, le premier livre de science financière.
Ils avaient donc tous des qualités d’initiateurs, ils s‘intéressaient assez aux connaissances des hommes de leur temps pour leur rendre accessibles des connaissances nouvelles. Des trois, Macarel est celui dont l‘influence a été la plus féconde, bien que définitivement l’oeuvre de Cormenin soit restée plus classique. C’est l’esprit le plus varié et celui qui a le plus d’initiative. Il a moins de largeur philosophique que de Gérando, moins d’éclat de style que Cormenin, mais il est le plus créateur[16].
Coup sur coup, en trois années, la divulgation se fait. Macarel débute en 1818 par un livre qui eut un grand retentissement : les Eléments de jurisprudence administrative. C’était l’analyse de la jurisprudence du Conseil d’État depuis 1806 sur toutes les matières soumises à ce Conseil. Macarel avait lu tous les arrêts, analyse plus de quatre mille dossiers ; il avait extrait quelques règles générales et dégagé un commencement de jurisprudence. Tout cela était encore un peu confus, les matières n’étaient pas classées ; elles étaient groupées, suivant l’expression de Summer-Maine en chefs de litige et par ordre alphabétique. Les quelques considérations générales placées en tête sur l’administration et sur la juridiction administrative n’avaient pas grande valeur, mais le service énorme rendu était la publication de matériaux restés jusque-là secrets. On ne s’y trompa pas et Isambert, en l820, appréciant dans la Thémis cet ouvrage, appelle Macarel le fondateur de la jurisprudence administrative[17].
La même année, Sirey publiait le texte des arrêts qu’avait analysés Macarel et pour qu’à l’avenir la publication fut ininterrompue, Macarel[18] formait le projet de créer un bulletin ou recueil périodique où les arrêts du Conseil seraient insérés au fur et à mesure[19]. Deux ans plus tard, en 1821, il réalisait son projet et fondait le Recueil des arrêts du Conseil d’État, continué depuis jusqu’à nos jours par MM. Lebon, Panhard, Hallays-Dabot, Gerard.
En même temps, en 1819, M. de Gérando inaugurait à la Faculté de droit de Paris un cours de droit public et administratif, créé par ordonnance du 24 mars. Ce cours fut suivi avec le plus vif intérêt. La Thémis nous en a conservé la première leçon, l’analyse de plusieurs autres et le plan[20]. Il fut supprimé en 1822. M. de Gérando, qui était un philosophe, ne chercha point son inspiration dans la jurisprudence du Conseil d‘État et il est à remarquer même que le contentieux ne figure pas dans son plan. Il apporta à la science nouvelle quelques idées formatrices empruntées à la philosophie, à l’histoire, au droit naturel ; il se plaça plutôt au point de vue du but du droit administratif qu’au point de vue de ses règles intimes ; mais, chemin faisant, il recueillit et classa des textes législatifs qu’il devait plus tard publier dans ses Institutes et qui étaient épars dans le Bulletin des lois. Outre une action sur la méthode et l’organisation, il eut un rôle important dans la divulgation.
A la suite de ces premiers travaux sur la jurisprudence et sur les lois, il se crée un véritable mouvement dans les esprits vers le droit administratif, malgré la période de réaction politique qui commence avec les années 1823 à 1824 (avènement de Charles X, milliard des émigrés). La Thémis insère des articles de Macarel et de Cormenin, il se publie des recueils et quelques ouvrages[21]. Le plus important est celui que Cormenin fit paraître en 1822 sous le titre : Questions de droit administratif. Il y reprend l’œuvre accomplie par Macarel dans ses Éléments de jurisprudence, mais avec plus de détails, plus de force dans l’analyse, plus d’éclat de style, de sorte qu’il absorbe et fait disparaître le livre de Macarel et qu’en 1824 le sien en est déjà à la 3e édition. Cormenin classe les matières par ordre alphabétique et les traite suivant une méthode géométrique, elles sont réduites en un certain nombre de théorèmes, d’où se déduisent des conséquences numérotées. Ce procédé, servi par un langage lapidaire, a produit beaucoup d’effet sur les contemporains, il avait le défaut cependant de pousser à l’absolu des principes résultant de lois transitoires, et aujourd’hui beaucoup de ces prétendus théorèmes seraient faux[22].
Le vrai mérite de Cormenin a été dans le soin qu’il a mis à réunir les textes, à dépouiller la jurisprudence, à faire la bibliographie de chaque matière. Un bon travail sur la juridiction du Conseil d’État sert d’introduction.
II. — Un nouvel essor fut donne aux études de droit public par le mouvement libéral de 1828 et la Révolution de 1830. C’est le moment où la génération de jeunes hommes, qui avait dépensé ses premières ardeurs au début de la Restauration, mais que celle-ci avait comprimée par la suite, triomphe. Guizot et Thiers arrivent aux affaires, le romantisme s’installe dans la littérature, un renouveau se produit dans toutes les branches du savoir.
Les études de droit, et spécialement de droit public, en profitent. La Thémis a disparu, mais de nouveaux organes se fondent. En 1834, la Revue de Législation française et étrangère de Fœlix, qui apporte encore une fois un levain fécond d’Allemagne ; l’échange des idées se fait par la Faculté de Strasbourg, où bientôt apparaîtra un professeur de talent, Schutzemberger ; en 1835 la Revue de Législation de Wolowsky. De Gérando reprend son cours en 1828 et des chaires de droit administratif sont organisées (de 1829 à 1837) à Aix, Caen, Dijon, Grenoble, Poitiers, Rennes, Strasbourg, Toulouse. Des professeurs jeunes et ardents se mettent à l’œuvre : de Serrigny à Dijon, Foucard à Poitiers, Laferrière à Rennes ; celui-ci fait en 1838 un cours d’histoire des institutions politiques et administratives.
Toutes ces bonnes volontés vont avoir à la fois plus de liberté pour s’employer et des besognes nouvelles à faire. La décentralisation, les lois sur les élections des conseils généraux et municipaux, sur leurs attributions, introduisent l’énorme matière des élections, en même temps qu’elles troublent les anciennes notions sur l’administration délibérative. Il va falloir classer, cataloguer les nouveaux pouvoirs. Les chemins vicinaux (1836), l’expropriation pour cause d’utilité publique (1811), les chemins de fer, le développement brusque des travaux publics, tout cela sollicite les commentateurs de textes. En même temps, il se trouve que la jurisprudence du Conseil d’État est fortifiée, d’abord par l’ordonnance de 1828, qui restreint l’arbitraire en matière de conflits, ensuite par une série d’ordonnances, qui vers 1830 réforment la procédure, la rendent publique et orale en partie, et instituent un ministère public. La divulgation de cette jurisprudence continue : c’est Cormenin qui s’en charge. Son ouvrage, qui a pris le nom de Traité de droit administratif arrive à sa cinquième édition en 1840. Chaque fois des matières nouvelles y sont introduites, avec toujours le même soin pour l’indication des sources législatives et des arrêts. Les décisions en elles-même continuent d’être publiées par le recueil des arrêts du Conseil d’État, mais en même temps, il se fonde une foule de bulletins ou d‘annales destinés aux différents services et portant à la connaissance de chacun ce qui le concerne. L’administration active prend ainsi conscience du droit[23].
Les monographies se multiplient au point qu’on n’en peut plus citer que les principales[24].
En même temps apparaissent des ouvrages d’ensemble. Il y en a de deux espèces bien différentes : les uns sont des ouvrages de fond qui puisent directement dans les choses, où se continue la divulgation soit des rouages de l’administration, soit des textes administratifs. Les autres sont des œuvres de vulgarisation et sont faits à l‘aide des premiers ; en général ils naissent des besoins de l’enseignement.
1° En tête des ouvrages de fond, il convient de placer les Institutes de M. de Gérando (1829-1830, 5 vol. in-8°), vrai travail de bénédictin, immense analyse de textes. Il faut songer que les textes applicables, dont nous avons à l’heure actuelle la majeure partie dans des compilations faciles à manier, étaient enfouis dans le Bulletin des lois. Ce sont des travaux comme ceux de Gérando qui ont permis d’en faire le triage. L’ouvrage est conçu un peu suivant le procédé géométrique de Cormenin : une série de règles générales numérotées, sortes de théorèmes qui sont l’œuvre de l’auteur et qui donnent une allure doctrinale, et sous chaque règle une série de conséquences, appuyées sur des analyses de textes avec renvoi au Bulletin des lois ; 1,404 règles générales, 7,022 articles contenant des analyses de textes.
En même temps (1830) parut un ouvrage de Bouchené-Lefer, maître des requêtes au Conseil d’État, dont on a dit que si le livre de Gérando était les Institutes du droit administratif, celui-ci en était les Pandectes[25]. C’était en quatre volumes in-8°, sous le titre de Droit public et administratif français, l’analyse et le résultat des dispositions législatives et réglementaires, publiées ou non, sur toutes les matières d’intérêt public et de législation. Les matières y sont réparties suivant les branches des services publics, de sorte que l’ouvrage serait encore utile pour un cours d’administration.
Macarel ne demeurait pas en reste. En 1828, il avait publié, sous le titre de : Les Tribunaux administratifs, un livre où il révélait au public l’existence d’un certain nombre de juridictions. En 1838, en collaboration avec Boulatignier, son élève, il commence, sous le nom de Tableau de la fortune publique en France, un véritable traité de législation financière, qui malheureusement est resté inachevé, mais où il met au jour les règles de la comptabilité et du domaine[26]. En 1844, il commence les publications de son Cours de droit administratif, professé à la Faculté de Paris, où il avait remplacé de Gérando. Là encore, dans la description de l’organisation administrative, il révèle un certain nombre de rouages, notamment l’existence des conseils administratifs, soit dans les ministères, soit auprès des préfets[27].
Vuillefroy et Monnier, l’un maître des requêtes, l’autre auditeur au Conseil d’État, publiaient en 1837 des Principes d’administration extraits des avis du Conseil d’État et du comité de l’intérieur ; c’étaient les règles suivies en matière d’administration départementale et communale, dont une bonne partie allait passer dans les lois de 1837 et 1838[28].
Enfin une place doit être faite à des ouvrages sur le contentieux administratif, parce que ce n’est point là une matière spéciale, c’est la source même du droit administratif. De Serrigny, professeur à Dijon, fit paraître, en 1842, un Traité de l’organisation, de la compétence et de la procédure en matière contentieuse administrative, où il reprenait avec plus de développements et de méthode les Tribunaux administratifs de Macarel[29].
Chauveau Adolphe avait publié déjà, en 1841, des Principes de compétence administrative en trois volumes, mais bien qu’il y eût dans cet ouvrage des idées justes, elles étaient défigurées par une terminologie tellement singulière qu’il eût peu d‘influence scientifique[30]. Joints aux travaux de Vivien[31], ces ouvrages commencèrent à déterminer le contentieux administratif.
Ils distinguèrent dans les matières administratives trois groupes : le groupe des matières qui n’étaient pas de la compétence des juridictions administratives parce qu’elles étaient de celle des juridictions ordinaires ;
Le groupe des matières qui étaient de la compétence des juridictions administratives et où des recours contentieux étaient ouverts aux parties ;
Le groupe des matières qui n’étaient pas de la compétence des juridictions administratives, parce qu’elles restaient dans le domaine de l’administration discrétionnaire et qu’elles échappaient à tout recours.
Cette division ne serait pas complètement exacte aujourd’hui où les actes d’administration discrétionnaire n’échappent pas au recours pour excès de pouvoir. Les auteurs se plaçaient uniquement an point de vue du contentieux de pleine juridiction, ils ne donnaient pas au contentieux de l’annulation la place qui lui revient. Mais il faut dire qu’en 1840 le recours pour excès de pouvoir n’avait encore eu que des applications timides et qu‘il ne devait prendre tout son développement que sous le second Empire[32].
En revanche, cette division avait le grand mérite d’affirmer qu’il y a des matières qui par elles-mêmes sont contentieuses, c’est-à-dire susceptibles de donner lieu à des recours contentieux toutes les fois que quelque droit y est violé, que par conséquent il y a des actes de l’administration qui confèrent aux particuliers des droits solides. C’était un progrès, car jusque-là on s’était contenté de cette idée superficielle : il y a contentieux quand en fait une contestation s’engage. — Sans doute, mais il s’agit de savoir dans quel cas elle peut utilement s’engager. En d’autres termes, jusque-là on s’était borné à constater que dans certains cas les recours étaient reçus par le juge. Ce qu’ont fait nos auteurs de 1840, ça a été de déterminer les cas dans lesquels les recours devaient être reçus. Et l’on sent bien que la portée de ce progrès dépasse de beaucoup le contentieux, que cela va avoir de l’influence sur tout le droit administratif, provoquer un classement des matières, amener des distinctions entre les diverses décisions administratives, c’est-à-dire entre les actes d’administration, suivant qu’elles confèrent ou non des droits, et par suite des recours contentieux.
Tout cela sortait de la jurisprudence du Conseil d’État, mais nos auteurs ont eu le mérite de le dégager.
2° Quant aux ouvrages de vulgarisation, ils apparaissent dès que l’enseignement du droit administratif est organisé dans les Facultés de province. Foucard à Poitiers publie en 1834 des Éléments de droit public et administratif ; Chauveau à Toulouse, en 1838, un Programme d’un cours de droit administratif ; F. Laferrière à Rennes, en 1839, un Cours de droit public et administratif ; Trolley à Caen, en 1843, un Cours de droit administratif ; Serrigny à Dijon, en 1845, un Traité de droit public. Foucard et Laferrière eurent le plus de succès. Le traité de Foucart est plus complet et plus proportionné, celui de Laferrière plus vivant et plus éloquent. F. Laferrière, que l’histoire du droit avait déjà attiré et qu’elle devait reprendre, qui avait suivi le cours de droit constitutionnel de Rossi, ouvert depuis 1834 à la Faculté de Paris, anime le droit administratif par beaucoup d’histoire et de droit public ; il y fait passer un peu de la chaleur communicative et de la sympathie dont lui-même était plein[33].
Voila quelques-uns des documents dans lesquels on peut saisir le mouvement du droit administratif pendant cette période féconde de 1818 à 1848 ; les livres et l’écho des livres dans les comptes rendus des revues. Mais qui dira le travail caché, le plus fécond de tous peut-être, qui s’est fait au Conseil d’État dans de simples rapports de conseillers ou de maîtres des requêtes tels que Cormenin, Macarel, Vivien, Bouchené-Lefer, Boulatignier, Vuillefroy, dans les bureaux des ministères, dans les cours oraux des Facultés ? De ce travail patent et de ce travail occulte il était resulté ceci, c’est qu’en trente ans, une révolution s’était faite, et que le droit administratif, ignoré de l’administration elle-même au début, était connu maintenant non seulement des administrateurs, mais des citoyens. Il était encore confus, embrouillé, mais enfin il était connu.
Aussi aux approches de la Révolution de 1848, fier des progrès réalisés, songeait-on à de nouveaux développements[34]. L’idée d’une école des sciences politiques, lancée par Macarel dès 1833 dans ses Éléments de droit politique et qu’il avait réalisée en partie avec Boulatignier dans des cours faits à une mission égyptienne, cette idée avait été recueillie par une commission des études de droit, qui fonctionna pendant plusieurs années à partir de 1838 ; il avait été élaboré en projet en 1846. En 1818 on fut sur le point de créer une école sur le modèle de l’Ecole polytechnique, qui eût formé tous les administrateurs et fonctionnaires. On organise en effet, sur l’initiative d’Hippolyte Carnot, des cours qui fonctionnèrent pendant un an au Collège de France ; Boulatignier et Blanche y enseignèrent. On projetait aussi de développer l’enseignement du droit administratif dans les Facultés.
III. — La Révolution de 1848 et le coup d’État de 1851 ne furent pas des événements heureux pour la science du droit. La Révolution de 1848 essaya de réaliser des réformes intéressantes : elle créa un tribunal des conflits ; elle supprima pour le Conseil d’État la fiction de la justice retenue (L. du 9 mars l849), mais·ces réformes ne furent pas maintenues. Le coup d’État survint, le Conseil d’État fut réorganisé sur ses anciennes bases et sa jurisprudence, sous un régime de compression, devint tout à fait timide. Les discussions parlementaires disparurent, les libertés départementales et communales furent restreintes. Le mouvement d’idées, qui était si bien lancé, s’arrêta brusquement ; le cours de droit constitutionnel fut supprimé, les professeurs de droit administratif furent invités à se renfermer dans le commentaire des textes.
Les deux revues, qui depuis vingt ans avaient servi d’organe à tous les esprits chercheurs, qui avaient, on peut le dire, par leurs articles, par leurs comptes rendus d’ouvrages, dirigé la science, disparurent l’une après l’autre : la revue Fœlix en 1850, la revue Wolowsky en 1853. Elles sombrèrent en partie par suite des troubles, en partie par suite de l’avènement de ce que F. Laferrière appelle l’esprit positif et qui est l’opposé de l’esprit scientifique[35]. Cette période de stérilité va se prolonger jusque vers 1860[36].
c) Période d’organisation (1860).
L’année 1860 marque le point de départ d‘une période nouvelle, qui à travers les événements de 1870 s’est poursuivie jusqu’à nos jours. Le décret du 24 novembre 1860, première manifestation de ce que l’on a appelé l’empire libéral, rendit quelque liberté aux débats du Corps législatif ; par une sorte de contre-coup, le Conseil d’État se montra plus accueillant pour les réclamations contre les actes de l’administration ; bientôt même le Gouvernement encouragea le recours pour excès de pouvoir en le dispensant par le décret du 2 novembre 1864 du ministère de·l’avocat et des frais autres que ceux de timbre et d’enregistrement. C’est de ce moment que date la grande extension des recours pour excès de pouvoir. Les lois sur les conseils généraux et sur les conseils municipaux de 1866 et 1867 allaient rentrer dans la voie de la décentralisation et préparer les lois plus complètes de 1871 et de 1884. Bref, c’était un réveil de l’esprit public et de l’administration elle-même ; le droit administratif ne devait pas manquer d’en profiter.
I. — Bien que le caractère de cette période nouvelle soit, à notre avis, d’être une période de classement et d’organisation, cependant la divulgation de la science administrative s’y continue.
Des collections privées de textes usuels sont faites, qui mettent à la portée de tous, dans des formats commodes, les lois administratives et qui permettent d’alléger les ouvrages doctrinaux de tonte citation. Les collections connues sous le nom de codes contiennent maintenant à côté des lois civiles, un choix de lois administratives; une compilation spéciale, malheureusement incomplète, a même été faite par MM. Vuatrin et Batbie, en 1876, sous le nom de Lois administratives françaises.
La jurisprudence administrative a continué d’être recueillie, non seulement dans le Recueil des arrêts du Conseil d’État, mais dans les périodiques consacrés primitivement à la seule jurisprudence civile et qui peu a peu lui ont ouvert leurs colonnes : Sirey, Dalloz, Journal du Palais, etc. Un Code des lois administratives annotées a commencé de paraître en 1887 dans la série des codes annotés de Dalloz et les décisions de la jurisprudence y sont réparties par ordre de matières.
Les dictionnaires d’administration ou de droit administratif, dont la période précédente offrait déjà des exemples, et qui ont l’avantage de grouper dans un ordre propice aux recherches, textes, jurisprudence et doctrine, se sont multipliés. Le dictionnaire de Blanche a été réédité ainsi que celui de Maurice Block, et une publication considérable a été entreprise en 1882 par MM. Béquet et Dupré, sous le nom de Répertoire du droit administratif. Cette publication, qui se poursuit actuellement sous la direction de M. E. Laferrière, et qui ne comprendra pas moins de quinze grands volumes in-4° méritera tout à fait son nom de répertoire ; l’administration y vide ses cartons, et l’on y trouvera, sans parler de la valeur doctrinale des articles, les textes et les renseignements les plus spéciaux.
Les journaux ou revues spécialement consacrés au droit administratif ne font pas non plus défaut. Le Journal de droit administratif et l’Ecole des communes ont continué leur publication. La Revue générale d’administration, créée en 1878 par M. Block et la maison Berger-Levrault et Cie, publiée depuis le 1er janvier 1879 sous les auspices du ministère de l’intérieur, a donné à la science administrative un organe précieux, par ses articles de fond, par la revue de jurisprudence qu’y font MM. Le Vavasseur de Précourt et Gharreyre, par ses chroniques de l’administration française et des administrations étrangères. La largeur du plan suivant lequel elle est conçue apparaît surtout lorsqu’on la compare à son aînée, la Revue administrative de 1839.
Ajoutons que d’autres revues de droit, comme la Revue critique, la Revue pratique, insèrent des examens critiques de jurisprudence administrative et même des articles de fond.
L’enseignement du droit administratif régulièrement donné dans toutes les facultés et dans quelques écoles spéciales comme celle des Ponts et chaussées, a été en outre complété par la création d’une Ecole libre des sciences politiques et administratives, réalisée enfin en 1871, par M. Boutmy, par celle d’une école coloniale et tout récemment par l’organisation de cours complémentaires dans les facultés de droit, sur les matières administratives, la législation financière, la législation coloniale, etc.
A cette divulgation incessante, les matériaux ont été fournis par l’activité du législateur sollicitée par les événements contemporains, les transformations politiques et sociales, l’expansion coloniale, par le travail silencieux des professeurs et des conseillers d’État, maîtres des requêtes, auditeurs. Les noms de Boulatignier et de Quentin-Bauchart méritent particulièrement d’être cités, pour ne parler que de ceux qui sont morts.
La preuve de la diffusion croissante des connaissances administratives se trouve, d’une part, dans le nombre toujours plus grand des thèses de doctorat soutenues annuellement sur des matières administratives, d’autre part, dans la quantité considérable de traités spéciaux qui ont pour auteurs des membres de l’administration[1].
II. — Toutefois, ce qu’il y a de vraiment nouveau dans notre période, c’est le classement et l’organisation de la science administrative plus encore que sa diffusion.
Il y avait bien eu dans la période précédente des tentatives d‘organisation, mais on n’y attachait qu’une importance secondaire. Il s’agissait avant tout à ce moment-là de faire connaître n’importe comment et dans n’importe quel ordre des détails ignorés de tous. Chaque auteur a sa classification et elle est basée en général sur l’aspect extérieur des choses, c’est-à-dire sur l’organisation administrative ou sur les services publics. On prend l’administration comme objet direct d’études sans songer qu’elle n’est qu’un résultat, que les opérations administratives ne sont intéressantes pour le jurisconsulte qu’en tant qu’il les considère comme produites par l’exercice de certains droits ou de certains pouvoirs de l’État, et que le véritable objet du droit administratif ce sont ces droits ou ces pouvoirs. C’est ainsi que l’objet du droit civil ce ne sont point les opérations que fait un propriétaire dans sa ferme ou un industriel dans son usine, mais les droits privés qui lui permettent d’accomplir ces opérations. Mais c’est là une vérité trop profonde et trop cachée qu’on n’apercevra pas tout de suite. Pour le moment on s’arrête à l‘écorce. Macarel et Bouchené-Lefer se bornaient à décrire l’organisation administrative. F. Laferrière, se plaçant au point de vue des services publics et les envisageant en historien et en publiciste, les divisait en services qui ont pour but la conservation de la société et en services dont le but est le développement de celle-ci. Au reste, il ne tenait pas du tout à son système ; dans plusieurs comptes rendus d’ouvrages on le voit en accueillir d’autres avec la plus grande bienveillance[2], et c’est lui qui, dans sa cinquième édition, donnera asile au plan de Batbie.
Ce qui embarrassait le plus les auteurs et les professeurs, c’étaient les règles qu’on ne pouvait pas rattacher à l’organisation administrative, c’est-à-dire les règles relatives aux rapports de l’administration avec les particuliers. Foucard avait inauguré ici une méthode, qui fut reprise plus tard par M. Ducrocq et que l’on peut donner comme la caractéristique de l’école de Poitiers ; elle consistait à rattacher le plus possible les règles administratives à l’étude des libertés individuelles en les considérant comme des restrictions à ces libertés. Ainsi, par exemple, l’expropriation pour cause d’utilité publique, au lieu d’être étudiée en soi et comme une opération administrative, était étudiée comme restriction au droit de propriété individuelle ou comme charge des biens[3]. Cela n’a l’air de rien, cela est gros de conséquences cependant ; cela indique des tendances nettement individualistes, le désir de restreindre autant que possible les droits de l’État, et cela se lie certainement aux théories économiques de l’école orthodoxe.
L’école de Paris au contraire, qui représentait l’opinion moyenne, rangeait tout simplement ces règles sous la rubrique : matières administratives ; ce n’était pas très profond comme classification, mais cela avait au moins l’avantage de laisser planer l’idée de l’État sur ces matières, et de préparer les voies à ceux qui y verraient des droits de l’État.
Au reste, voici quel était le programme des matières pour l’examen de droit administratif en 1860[4].
PREMIÈRE PARTIE.
AUTORITÉS ADMINISTRATIVES.
I. Notions générales. — Division des pouvoirs, conflits. — Division en administration active, consultative et contentieuse.
II. Organisation et attributions des autorités administratives.
III. Contentieux administratif.DEUXIÈME PARTIE.
MATIÈRES ADMINISTRATIVES.
I. Fortune publique. — Domaine. — Voirie. — Régime des eaux, impôts, etc.
II. Travaux publics, expropriation, mines, dessèchement des marais.
III. Industrie, ateliers dangereux, brevets d’invention.
Deux hommes ont eu l’honneur de trouver presque simultanément, sinon un plan d’organisation du droit administratif, du moins une idée organisatrice tirée des entrailles du droit lui-même : Batbie, dans son Introduction générale au droit public et administratif, qui parut à part en 1861 mais qui avait déjà été insérée dans la cinquième édition du traité de F. Laferrière en 1860 ; et M. R. Dareste, dans son livre sur la Justice administrative en France, qui parut en 1862, mais dont des fragments avaient été insérés dans la Revue historique dès 1855.
Cette idée, c’était d‘appliquer au droit administratif le plan des Institutes ainsi compris ; les personnes, les choses, les modes d’acquérir[5] :
« ces trois éléments sont de l‘essence d’un droit quelconque, dit M. Batbie, ils se retrouvent nécessairement dans les matières administratives, à moins que l’on ne refuse le nom de droit à cette législations. » — « Pourquoi, dit M. Dareste, ce système que les Romains appliquèrent au droit public comme au droit privé ne pourrait-il pas être suivi dans l’étude de notre droit administratif ? »
L’idée n’était pas tout à fait neuve, Batbie reconnait que Chauveau l’avait émise dès 1838 dans son Programme d’un cours de droit administratif et il eût pu ajouter que Chauveau l’avait sans doute puisée lui-même dans le programme du cours de Gérando publié par la Thémis en 1819[6], et qu’ainsi elle était née avec l’enseignement du droit administratif. D’ailleurs cette idée était suggérée par les textes. La personnalité de l’État, des communes, des établissements publics est consacrée par le Code civil. Le mouvement de décentralisation de 1830-1838 avait attiré l’attention sur la personnalité de la commune et consacré celle du département, mais cette personnalité était conçue comme s’arrêtant au domaine privé, il s’agissait de lui donner une extension nouvelle.
Nos auteurs étudièrent donc dans trois catégories : les personnes du droit administratif, les choses du droit administratif, les modes d’acquérir du droit administratif.
Un premier résultat de cette méthode fut d’isoler le contentieux et de le séparer des règles de fond du droit. Jusqu’ici on avait volontiers rapproché l’étude des juridictions de celle des autorités administratives (administration active, délibérative, contentieuse), mais maintenant, comme on étudiait directement les personnes du droit administratif et leur organisation, il fallait y comprendre les autorités qui sont leurs organes ou leurs agents. Les juridictions devaient être reléguées à part, et avec elles le contentieux. C’était la une séparation très heureuse et, comme le remarque Batbie, analogue a celle qui existe entre le Code civil et le Code de procédure.
Un second résultat fut de donner une place convenable aux matières, que jusque-là on avait énumérées au hasard sous le nom de matières administratives, presque toutes en effet, expropriation, travaux publics, impôts, etc., étaient des modes d’acquérir.
La nouvelle classification fut bien accueillie ; on protesta bien un peu contre la catégorie des modes d’acquérir, pour les impôts notamment : l’argent qui entre dans les caisses publiques en vertu de l’impôt, disait-on, est d’avance destiné au paiement des dépenses et n’entre que pour sortir, ce n’est pas une véritable acquisition ; mais en général on approuva[7].
On pouvait lui faire des critiques sérieuses cependant, et M. Ducrocq n’avait pas tout à fait tort, lorsque, dans la première édition de son cours en 1861, il disait qu’il ne fallait pas se laisser séduire par des analogies spécieuses avec le droit civil.
1° Cette classification avait encore quelque chose d‘extérieure, en ce sens que, dans les trois catégories formées, on juxtaposait des éléments fort différents ; ainsi dans la catégorie des personnes du droit administratif, sous prétexte que les établissements d’utilité publique sont assujettis à une tutelle administrative et appartiennent par là dans une certaine mesure au droit administratif, on les faisait figurer à côté des communes et des établissements publics qui sont membres de l’État, tandis que les établissements d’utilité publique ne le sont pas ; dans la catégorie des choses du droit administratif, le domaine privé côtoyait le domaine public, alors qu’il est évident que ces deux espèces de choses ne sont point possédées par les personnes du droit administratif au même titre ; enfin dans la catégorie des modes d’acquérir, toutes les opérations étaient placées pêle-mêle, alors que les unes sont semblables aux opérations du droit privé et que les autres supposent des droits de puissance publique.
2° Cette classification ne comprenait pas toutes les matières administratives ; une bonne partie de ce que nous appellerions aujourd’hui la puissance publique, restait en dehors, notamment les matières de police.
3° Enfin dans le détail tout cela n’était pas construit ; les autorités administratives n’étaient pas suffisamment réduites au rôle d’organes de la volonté des personnes administratives ; les actes d’administration n’étaient rattachés par aucun lien à la théorie de la personnalité.
C’est dire que le mérite de cette classification était d’attirer l’attention sur la notion de la personnalité administrative, de montrer que c’était là l’idée centrale, que l’objet du droit administratif, comme celui de toutes les autres branches du droit, devait être de réglementer des droits, que ces droits ne pouvaient être que ceux des personnes administratives, que par conséquent la personnalité administrative devenait le pivot du droit administratif, comme la personnalité civile était déjà le pivot du droit civil ; mais cette notion n’avait pas été suffisamment creusée, on n’avait pas vu notamment qu’il y a chez les personnes du droit administratif deux personnalités, l’une de puissance publique, l’autre de personne privée, et qu’il faut soigneusement les séparer. Il faudra pour réaliser ce progrès une plus longue habitude de la décentralisation et un nouveau développement du contentieux administratif.
Telle qu’elle était cependant, cette organisation systématique du droit administratif était bien supérieure à l’anarchie de la période précédente ; peu à peu elle pénétra dans l’enseignement et par là dans l’esprit des générations nouvelles.
Batbie avait repris l’exposition du droit administratif dans un grand ouvrage conçu avec beaucoup de largeur, contenant de l’histoire et de la législation comparée et toujours d’après le même plan, mais il faut reconnaître que l’organisation n’y est pas plus poussée dans le détail que dans le premier essai[8].
Deux autres ouvrages, célèbres tous les deux à juste titre, et qui remplissent cette période de 1860 jusqu’à nos jours, le Cours de droit administratif de M. Ducrocq[9], et les Conférences de droit administratif de M. Aucoc[10], contribuèrent d’une façon plus efficace à son progrès.
Ce n’est pas qu’ils adoptent ni l’un, ni l’autre, la division tripartite en personnes, choses, modes d’acquérir, et M Ducrocq s’en défend même formellement ; mais ils ont apporté un tel soin, dans l’étude de l’organisation départementale et communale, à cataloguer les pouvoirs des conseils généraux et des conseils municipaux, à les classer en vue des intérêts qu’ils défendent par leurs décisions diverses, qu’il apparaît très nettement: 1° que ces conseils, et par suite toutes les autorités administratives, ne sont que des représentants de personnes administratives cachées derrière ; 2° que leurs attributions consistent à exercer des droits appartenant à ces personnes administratives ; en d’autres termes, l’étude approfondie faite par ces deux auteurs de l’organisation administrative a eu pour résultat de rattacher celle-ci à la théorie de la personnalité.
De plus, M. Aucoc a fait pour la première fois un examen approfondi des actes d’administration et de la théorie du recours pour excès de pouvoir ; cela lui était d’autant plus facile que, depuis 1860 et surtout depuis le décret du 2 novembre 1864, ce recours s’était beaucoup développé et que personnellement il avait contribué à ce développement. Le résultat de cette étude a été de préparer les esprits à voir dans l’acte d’administration, une décision, une manifestation de volonté de la personne administrative. En effet, c’est une décision exécutoire prise par une autorité administrative, au nom de la personne administrative qu’elle représente. Il restait seulement un nuage résultant d‘une confusion persistante entre l’acte d’administration et l’acte de juridiction, surtout en ce qui concernait les décisions ministérielles ; mais à partir de 1872 le Conseil d’État allait s’appliquer à dissiper cette confusion et à restituer aux décisions ministérielles leur caractère de manifestation de volonté[11]. C’était donc encore toute la matière des actes d’administration rattachée à la théorie de la personnalité.
Le dernier des reproches que nous avons faits à la classification de Batbie disparaissait ainsi, mais il subsistait les deux premiers : le mélange des matières qui supposent la puissance publique avec celle qui ne la supposent point ; le fait que certaines matières de police restaient en dehors ; un nouveau développement du contentieux allait permettre de corriger ces imperfections, de compléter et d’achever le système.
Depuis la loi du 24 mai 1872, qui a réorganisé le Conseil d’État et qui lui a définitivement délégué la justice administrative, ce grand corps a encore affermi sa jurisprudence, et l’on peut dire que dans ces vingt dernières années il a dégagé en matière d‘actes d’administration, en matière de recours et en matière de compétence, des règles d’une importance capitale. Il a été secondé d’ailleurs par le tribunal des conflits réorganisé par la même loi de 1872. Cette jurisprudence si pleine de choses a trouvé un interprète digne d’elle. Le Traité de la juridiction administrative et des recours contentieux de M. E. Laferrière, dont le premier volume a paru en 1887 et le second en 1888, en contient en effet toute la substance. Ce traité, auquel dans le passé aucun n’est comparable, est un véritable modèle par la façon dont y sont utilisées l’histoire et la législation comparée, par la conscience avec laquelle sont analysés les arrêts, par les vues synthétiques qu’il renferme et la largeur de touche avec laquelle il est rédigé.
Or, il apparaît dans cette jurisprudence que l’idée d’une double personnalité administrative, l’une de puissance publique, l’autre de personne privée, se dégage de plus en plus.
Ce sont les questions de compétence et de conflit qui la révèlent. Et la cause de ce dualisme est le désir très louable des juridictions administratives d’abandonner aux tribunaux ordinaires tout ce qui peut leur être abandonné et de ne réserver aux tribunaux administratifs que les affaires où la puissance publique est engagée. De là la distinction entre les opérations de puissance publique et celles qui n’ont pas ce caractère, entre les contrats administratifs notamment et les contrats ordinaires. Il apparaît en même temps que la personnalité administrative peut absorber toute la puissance publique ; que l’État ou la commune agissent en leur qualité de personne, d’être moral, non seulement quand ils font une opération pécuniaire de puissance publique, par exemple quand ils exproprient, mais quand ils font de la police ; que la police peut se ramener à des droits de police et être rattachée à la personne ; qu’il y a des droits sur les fonctionnaires, des droits de tutelle administrative, des droits de police administrative, etc …. Ce qui fait apparaître cela c’est que l’action de l’État ou de la commune en ces matières commence à être réglementée par le droit, grâce au développement du recours pour excès de pouvoir contre des actes considérés comme discrétionnaires. C’est qu’on peut recourir contre l’arrêté de police d’un maire, c‘est qu’un conseil municipal peut recourir contre l’arrêté d’un préfet qui annule une de ses délibérations, c’est qu’un fonctionnaire simplement remplacé dans ses fonctions, et non révoqué, peut demander son admission a la retraite (C. d’Et., 25 mars 1889).
Du moment que cette action de la puissance publique est réglementée, elle cesse d’être une pure force qui échappe au droit, elle devient elle-même un droit.
Arrivée à ce point, la théorie de la personnalité comprend tout, explique tout, organise tout. Tous les rouages de l’administration, État, départements, communes, établissements publics, colonies, sont des personnes administratives, — ces personnes ont des droits qu’elles exercent par l’intermédiaire d’organes, qui sont des autorités administratives ; les actes par lesquels ces droits sont exercés, et qui sont des décisions exécutoires, prennent le nom d’actes d’administration, et en effet, l’administration, c’est-à-dire le fonctionnement des services publics, en résulte. — Les personnes administratives ont des droits de puissance publique et des droits de personne privée, qui ne doivent pas être confondus. Enfin, la compétence des juridictions administratives est entrainée, soit par la nature spéciale de l’acte d’administration, soit par la nature spéciale des droits de puissance publique. Que l’on distribue dans l’exposition ces différentes matières comme on voudra, l’essentiel est qu’elles s’enchainent par une logique intime.
Il est vrai, et il ne faut pas se dissimuler ce résultat, que cette organisation des matières administratives les fait apparaître sous l’aspect de droits de l’État ; l’État a des droits de police, il a des modes d’acquérir, de puissance publique, etc… Il y a donc là une méthode que l’on pourrait appeler étatiste ; elle a, si l’on veut, quelque parenté avec la doctrine économique qui ne restreint pas systématiquement le rôle de l’État, et on peut l’opposer à la méthode individualiste que nous avons dit être propre à l’école de Poitiers. Au lieu de considérer le service militaire comme une charge imposée à la personne, on la considérera comme un droit de l’État ; au lieu de considérer l’expropriation pour cause d’utilité publique comme une charge des biens, on la considérera comme un droit de l’État. Il est possible que cela pousse en certains cas à définir des droits de l’État, mais nous ne voyons pas là un danger sérieux. L’État, avec la masse énorme d‘impôts qu’il lève sur·nous tous les ans, commence à nous intéresser beaucoup ; nous commençons à nous apercevoir que ses intérêts sont un peu les nôtres et que, comme contribuables, nous ne perdons rien à ce que ces droits soient respectés. Il ne s’agit pas d‘ailleurs d’augmenter les droits de l’État, mais de les reconnaître franchement là où ils existent.
CONCLUSION.
Au point où en est arrivé notre droit administratif, on peut se rendre compte d’une chose, c’est qu’il a fait un grand détour pour en revenir au point où il était dans le droit romain et dans notre ancien droit, et où il n’a pas cessé d’être dans la plupart des législations étrangères ; c’est-à-dire pour devenir un droit très voisin du droit privé. Du moment, en effet, que les personnes administratives sont des individus jouissant de droits plus ou moins exorbitants, et que toute l‘administration s’explique par le jeu de ces droits, le droit administratif n’est pas beaucoup plus différent du droit civil que le droit commercial par exemple, où les commerçants sont envisagés comme des individus exerçant des droits exceptionnels et où le commerce s‘explique par le jeu de ces droits. L’acte d’administration lui-même n’est pas beaucoup plus différent de l’acte de la vie civile que l’acte de commerce.
Il s’est produit pour le droit administratif depuis la Révolution, ce qui s‘était produit pour le droit commercial, depuis la création des juridictions consulaires au sortir du moyen âge. Les règles, éparses jusque-là et mêlées avec celles de droit civil dans chaque matière, se sont séparées de celles-ci matériellement et ont formé un système. Cela est dû uniquement à l’établissement des tribunaux administratifs. De même que le droit commercial, envisagé comme corps de règles, est sorti des juridictions consulaires, de même le droit administratif moderne est sorti de la juridiction administrative centralisée par le Conseil d’État. Le droit romain et l’ancien droit n’eurent pas de corps de règles administratives, parce qu’ils n‘eurent que des juridictions administratives spéciales, isolées, sans lien entre elles, mais ils eurent des règles administratives, et les nôtres, malgré leur groupement à part, ne sont pas plus éloignées du droit commun que n’étaient les leurs[12].
Est ce à dire que cette constitution d’un corps de droit administratif ait été inutile ? Bien loin de là, elle présente de grands avantages. D’abord, cela n’empêche en rien la doctrine administrative de s’emparer de ceux des principes du droit privé qu’elle peut s’assimiler : les deux droits se développant parallèlement avec la même ordonnance, les comparaisons sont faciles. En revanche, cela affranchit le droit administratif de la servitude des textes du droit civil, cela lui permet de se développer librement. En matière de responsabilité du commettant par exemple, cela l’a affranchi du texte de l’article 1384 et lui a permis d’édifier une théorie bien plus fine que celle du droit civil[13] ; en matière de procédure aussi cela lui a permis de créer des règles bien plus simples que celles du Code de procédure civile, etc. Enfin le fait que les règles administratives sont groupées ensemble permet de les rapprocher les unes des autres, comparaisons, rapprochements féconds, très difficiles dans les droits, où ces règles sont encore éparses.
Seulement il y a un grand intérêt à se rendre compte que notre droit administratif, à part le groupement qui est différent, ressemble singulièrement au droit administratif de l’ancien régime et à celui des pays étrangers : cela doit nous pousser aux études d’histoire et de droit comparé.
Nous avons la conviction qu’il y aurait un grand profit à tirer des études de droit public éparses dans les œuvres de nos grands jurisconsultes du XVIe siècle, soit celles des romanistes dans leurs commentaires du Digeste et surtout du Code, soit celles des Loyseau, des Chopin, des Bacquet, et l’on constaterait, avec une surprise bientôt dissipée, que l’on parle le même langage, car eux n’hésitaient pas à réduire la puissance publique en droits (droits régaliens, droits de seigneurie, de justice, etc.) Quant au profit que l’on peut retirer de la législation comparée, nous n’avons pas à y insister. Jusqu’ici notre droit administratif a grandi dans une sorte d‘isolement favorisé par la croyance où tout le monde était de sa profonde originalité. Maintenant qu’il est constitué, on peut se départir de cette rigueur exclusive, et chercher à s’assimiler les règles utiles que renferment les législations étrangères.
D’études poursuivies en ce sens pendant un temps suffisant, pourrait peut-être sortir ce Code administratif comprenant l’ossature vraiment permanente du droit, dégagée de la partie mobile et purement réglementaire, dont tant d’esprits ont poursuivi l’idée, que l’on a fini par considérer comme chimérique et qui ne l’est pas[14]. Il pourrait en sortir aussi un grand traité doctrinal de droit administratif, mais qui demanderait la collaboration de plusieurs hommes, car les proportions de la matière dépassent à présent les forces d’un seul.
Maurice HAURIOU,
Professeur de droit administratif à la Faculté de droit de Toulouse.
Notes
[1] Elles sont indiquées par M. Aucoc, Le Conseil d’État, p. 250
[2] Die Geschichte und Literatur der Staatswissenschaften, 1858, 3 vol. in-8°. Les trois cents premières pages du tome III sont consacrées à une histoire du droit public français et, là-dessus, cent pages (192-290) à celle du droit administratif (Verwaltungsrecht). — Il est vraiment regrettable que cet important traité, qui abonde en renseignements, n’ait point été traduit.
[3] V. de Gérando, leçon d’ouverture, Thémis, I, 67 ; Cormenin, Préface, 2e partie ; – Boulatignier, article cité, Revue étrangère et française, 1839, p. 81 ; – Bonnin, Principes d’administration publique, I, p. VII.
[4] V. dans Cormenin, Droit administratif, 5e édit., I, 216, la liste des brochures, pamphlets, discours auxquels a donné lieu la question du maintien ou de la suppression du Conseil d’État et de la juridiction administrative.
[5] Fleurigeon, Code administratif, 1re édition antérieure à 1812, la 2e de 1820, 6 vol. in-8°, sorte de dictionnaire ; — Lalouette, 1817, Classification des lois administratives, 1 vol. in-4°; — Dupin, Lois sur lois, 1817, 1 vol. in-12.
[6] Ce cours n’avait été organisé qu’à Paris et semble n’avoir été fait que pendant une année. (Gérando, leçon d’ouverture, Thémis, I, 67.)
[7] Portiez de l’Oise, Cours de législation administrative, etc… . Paris, 2 vol., 1808.
[8] R. de Mohl, op. cit., III, p. 219.
[9] Bonnin, Principes d’administration publique, 3e édit., 1812.
[10] Préface, passim. Si notre auteur était plus sérieux, on pourrait y voir, à cause de ce dernier trait, un précurseur d’Auguste Comte.
[11] Tome I, p. 86 et la note.
[12] On peut citer encore : Jourdain, Code de la compétence des autorités constituées de l’Empire français, 1811. 3 vol. in-8°.
[13] Louis-Antoine Macarel, né à Orléans en 1790, mort en 1851.
[14] Marie-Joseph de Gérando, né à Lyon en 1772, mort en 1842.
[15] Louis-Marie de la Haye, vicomte de Cormenin, né à Paris en 1788, mort en 1868.
[16] Liste des ouvrages de Macarel : Eléments de jurisprudence administrative, 1818, 2 vol. in-8°; — Manuel des ateliers dangereux, insalubres et incommodes, 1827, 1 vol. in-18; — Des Tribunaux administratifs, 1828, 1 vol. in—8°; — Eléments de droit politique, 1833, 1 vol. in-12; — Traité de la fortune publique en France, en collaboration avec Boulatignier, 1838, 3 vol. in-8°, inachevé ; — Cours de droit administratif, 1844, 4 vol in-8°.
[17] Thémis. II, 133. Voici la liste des matières sur lesquelles la jurisprudence est analysée : baux administratifs, bois communaux et domaniaux, communes, agents comptables, conflits, contributions directes ou indirectes, domaines engagés, domaines nationaux, matières d’eau, émigrés, établissements de charité, expropriation pour cause d’utilité publique, fabriques, halles, foires et marches, liquidation de la dette publique, manufactures et établissements insalubres, marchés de fournitures, mines, rentes nationales, travaux publics et voirie.
[18] Sirey, Jurisprudence du Conseil d’État, 5 vol. in-4°, 1818.
[19] Macarel, article de la Thémis, 1819, I, p. 25.
[20] Thémis, I, 67, 150 ; II, 155, 425 ; IV, 57.
[21] Recueils : Lois administratives, Rondonneau, 1823, 4 vol. in-8° ; — Répertoire de l’administration départementale, Péchard, 1823, 1 vol. in-4° ; — Lois des communes, Dupin, 1823, 2 vol. in-8° ; — Lois sur la compétence, Dupin, 1825, 4 vol. in-8°. Monographies : Alletz, Dictionnaire de la police moderne, 2e edit., 1823, 4 vol. in-8° ; — Baudrillard, Traité général des eaux et forêts, 1828, 2 vol. in-4° ; — Davenne, Recueil méthodique des lois et règlements sur la voirie, 1824, 2 vol. in-8° ; — Daviel, Pratique des cours d’eau, 1824, in-8° ; — Henrion de Pansey, Des Biens communaux et de la police rurale, 2e edit., 1825 ; — Latruffe-Montmeylian, Des Droits des communes sur les biens communaux, 1825, 2 vol. in-8° ; — Affre, Traité de l’administration temporelle des paroisses, 1827 ; Taillandier, Ateliers dangereux, insalubres et incommodes, 1827 ; Macarel, idem, 1828 ; — Locré, Législation sur les mines et sur les expropriations pour cause d’utilité publique, 1828, in-8° ; — Delalleau, Traité de l’expropriation, 1828, 2 vol. ; — Bavoux, Des Conflits, 1828, in-4° ; — Raynouard, Histoire du droit municipal, 1829, 2 vol. in-8° ; Isambert, Traité de la voirie, 1829, 3 vol. in-8° ; — Baudrillard, Code de la pêche, 1829.
[22] Quelquefois ils ont une allure quelque peu ridicule par suite de la contradiction entre l’extrême généralité du principe et la très grande particularité des conséquences. Exemple : v° Communes. Du principe que les communes ont des droits propres, dont l’exercice est attribué aux habitants qui occupent leur territoire, et qu’il n’appartient qu’à la loi de statuer sur toutes les questions qui touchent au droit civil, il suit qu’il n’appartient qu’à la puissance législative, après enquête et sur l’avis des conseils municipaux, assistés des plus imposes, etc…, de statuer sur les réunions et distraction des communes qui modifieraient une circonscription de canton ou d’arrondissement.
[23] Le Journal des communes, recueil périodique des décisions administratives à l’usage des maires, 1828-1862 ; — l’École des communes, revue administrative consacrée aux travaux des maires et des conseils municipaux, où se trouvent de bons articles de Boulatignier, 1830 ; — les Annales des ponts et chaussées, 1831 ; — le Bulletin des contributions directes et du cadastre, 1832 ; — les Annales des contributions indirectes, 1833 ; — le Journal des conseillers municipaux, 1833-1843 ; — les Annales des chemins vicinaux, 1845, etc …. Une Revue administrative est créée en 1839 et paraît jusqu’en 1849 ; elle ne contient guère que des documents, circulaires, rapports, etc…, mais il en est d’intéressants,· des statistiques, des budgets.
[24] Proud’hon, Traité du domaine public, 1833, 9 vol. in-8°. — Cotelle, Les Travaux publics, 1835, 2 vol. — Husson, Traité des travaux publics, 1811, 2 vol. in-8°, etc., etc ….. V. R. de Mohl pour une bibliographie plus complète.
[25] Revue Fœlix, 1837.
[26] Tableau de la fortune publique en France, Marcarel et Boulatignier, 1818. 3 vol.
[27] Cours de droit administratif, Macarel, 1844. 4 vol. Inachevé.
[28] Il faut citer encore le Dictionnaire de droit public et administratif de Huart-Delamarre et Lerat de Magnitot, 1836, 2 vol. in-8°, et le Traité général de droit administratif appliqué de Dufour, 1843, 4 vol., qui devait avoir successivement trois éditions et dont la troisième compte 8 vol. (1868).
[29] Le Traité de l’organisation et de la compétence a été réédité en 1865 en 3 vol.
[30] La définition du contentieux était particulièrement obscure : il y avait contentieux, toutes les fois qu’un intérêt spécial émanant de l’intérêt général se trouvait discuté en contact avec un droit privé, cela voulait dire : toutes les fois que l’administration par un acte particulier avait violé un droit privé, et c’était la définition de Serrigny et de Vivien.
[31] Études administratives, 1845.
[32] Dans la seconde édition du Traité de Serrigny, en 1865, le recours pour excès de pouvoir apparaît encore comme une exception au principe que dans les matières d’administration gracieuse, il n’y a pas de recours. Pour voir ce recours traite d’une façon principale et avec le développement qu’il mérite, il faut attendre jusqu’aux Conférences de M. Aucoc, en 1869.
[33] Le livre de Foucard a eu quatre éditions ; la quatrième, en trois volumes, est de 1855-1857. — On peut dire qu’il a fondé en droit administratif une école qui mérite le nom d’École de Poitiers, car M. Ducrocq en procède dans une certaine mesure. Cette école se caractérise par un individualisme très décidé. Le livre de F. Laferrière a eu cinq éditions, dont la dernière, en deux volumes, est de 1860.
[34] Il y eut à ce moment-là pour le développement des études de droit public un mouvement comparable à celui qui s’est produit dans ces dernières années. V. Revue de législation, t. 34, p. 104, art. F. Laferrière : De l’Enseignement administratif dans les Facultés de droit et d’une école spéciale d’administration. — Lenoël : Des Sciences politiques et administratives et de leur enseignement, 1865.
[35] Table de la Thémis, etc., p. xxx.
[36] A signaler seulement : le Dictionnaire général d’administration de Blanche, dont la première édition est de 1848 ; le Dictionnaire d’administration de Block, 1855 ; les Répétitions écrites de droit administratif de Cabantous, 1855 ; la fondation du Journal de droit administratif en 1853 par Chauveau ; les travaux de Serrigny : Questions de droit administratif, 1854.
[1] Quelques-uns de ces traités ont acquis une véritable autorité comme le Commentaire de la loi municipale de M. Morgand ; le Commentaire de la loi du recrutement de M. Ch. Rabany.
[2] V. Revue critique, 1858, t. XII, p. 369.
[3] Foucard, 3e édit., t. I, 683. De même pour le service militaire considéré comme une charge pour les personnes, au lieu d’être considéré comme un droit de puissance ou de police de l’État.
[4] Ce programme est emprunté à l’Introduction générale de Batbie, 1861.
[5] La catégorie des modes d’acquérir est plutôt supposée qu’exprimée par les Institutes ; elle a été dégagée par les commentateurs. V. à ce sujet et notamment sur les obligations considérées comme mode d’acquérir, une note sur l’Influence des Institutes dans la classification du droit (Revue critique, 1887).
[6] Thémis, I, 150.
[7] V. article Reverchon sur Dareste, Rev. crit., 1862, t. XX, p. 354. — Article Mimerel sur Batbie, Rev. crit., XXI, et Batbie constate lui-même plus tard l’approbation de MM. Block, Aucoc, Serrigny, Valette, etc…..
[8] Traité théorique et pratique de droit public et administratif, 1868. 7 vol. in-8° ; 2e édition 1869, 8 vol. in-8°.
[9] Cours de droit administratif, 1re édit. 1861, 6e édit. 1881.
[10] Conférences sur l’administration et le droit administratif, 1re édit. 1869 ; 3e édit. 1885.
[11] V. M. E. Laferrière, Traité de la juridiction administrative, I, p. 400 et suiv.
[12] « Arrivé au terme de cet ouvrage, disait déjà M. Dareste en 1862, il ne nous reste plus qu’à en tirer la conclusion. Cette conclusion peut s’exprimer d’un mot. C’est la tendance progressive et constante du droit administratif à se rapprocher du droit commun, tendance qui se manifeste à la fois et dans le fond du droit et dans la juridiction….. ; il y a cependant des différences qu’on n’effacera pas, il y aura toujours des lois administratives, comme il y a des lois commerciales, et il sera toujours convenable d’en confier l’application à des tribunaux spéciaux. » (La Justice administrative. Conclusion).
[13] Ce qu’il y a de plus fin dans la théorie du droit administratif, c’est que le commettant n’est responsable que lorsque le préposé reste dans l’esprit de sa fonction, taudis qu’en droit civil il est responsable tant que le préposé est matériellement en fonctions. Cela tient à ce que les personnes administratives ne peuvent pas être soupçonnées de donner des instructions mauvaises à leurs préposés.
[14] V. article F. Leferrière sur un ouvrage de M. Mallein, professeur à Grenoble, Revue critique, 1858, XII, p. 369.