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07 11 2025

Affaiblissement de la collégialité et allègement des visas :  la procédure de la CNDA examinée par le Conseil d’État

Par une décision du 19 septembre 2025, le Conseil d’Etat rejette un recours pour excès de pouvoir formé contre le décret du 8 juillet 2024 pris pour l’application de l’article 70 de la loi du 26 janvier 2024 pour « contrôler l’immigration, améliorer l’intégration ». Rejetant l’ensemble des moyens, la Haute juridiction administrative conforte le dispositif faisant de la collégialité devant la CNDA l’exception et valide les dispositions dispensant de mentionner certaines notes en délibéré dans les visas de ses décisions.

CE, 19 septembre 2025, n° 497816, Inédit.

Une dizaine d’associations ou syndicats ont formé un recours pour excès de pouvoir afin que soit annulé le décret du 8 juillet 2024 pris pour l’application de l’article 70 de la loi n° 2024-42 du 26 janvier 2024 pour « contrôler l’immigration, améliorer l’intégration et relatif à l’organisation et à la procédure applicable devant la Cour nationale du droit d’asile ». L’article 70 dont il est question concerne l’organisation et le fonctionnement de la Cour nationale du droit d’asile (CNDA).

Rejetant la requête, le Conseil d’Etat écarte chacun des moyens soulevés par les requérants. Concernant l’un d’entre eux, notons à titre liminaire, que sur le plan de la légalité externe, la haute juridiction administrative a brièvement écarté le moyen tiré de la méconnaissance des règles qui gouvernent l’examen par le Conseil d’Etat des projets de décret. Elle relève, au regard des pièces versées au dossier, « que le décret attaqué ne comporte aucune disposition différant à la fois de celles qui figuraient dans le projet du Gouvernement et de celles qui ont été adoptées par le Conseil d’État ». Quant à la légalité interne du décret, trois moyens sont successivement examinés et rejetés dans la décision. Ils s’articulent autour de deux thématiques principales : la question de la collégialité qui se retrouve affaiblie par le renforcement de la figure du juge unique (I.), et celle des visas, qui, lorsqu’ils concernent les notes en délibéré, peuvent parfois s’effacer (II.).

I. Le rejet des moyens relatifs au recours au juge unique : une collégialité affaiblie devant la CNDA

Ce recours pour excès de pouvoir invite à s’intéresser au thème de la collégialité dans la justice. Il intéresse en effet l’organisation collégiale de la CNDA. Confronté à l’affaiblissement de la collégialité décidée par le législateur, le Conseil d’Etat écarte les deux premiers moyens de légalité interne (A). En dépassant la stricte analyse de la motivation du Conseil d’Etat, cette étude nous permet de constater également un décalage entre la lettre du texte qui fait de la collégialité l’exception, et la mise en œuvre concrète de ces dispositions qui paraît beaucoup moins évidente (B).

A. La validation par le Conseil d’État du dispositif érigeant la collégialité en exception devant la CNDA

Dans l’exercice de la justice, la collégialité des formations de jugement est une question culturelle. Schématiquement, l’opposition concerne le modèle de civil law marqué par la dépersonnalisation de la justice et celui de la common law, plus enclin à valoriser l’individu[1]. Dans le cas français, la collégialité est une caractéristique traditionnelle attachée à la justice. Elle alimente « le mythe d’une décision produite par un collège et non par un homme »[2].

Devant la CNDA, interroger la collégialité des formations de jugement conduit à revenir en 2024 et à l’activité parlementaire par le biais de la loi précitée du 26 janvier 2024 pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration[3]. Ce sont en effet les dispositions de l’article L. 131-7 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA) telles que modifiées par l’article 70 de la loi relative au contrôle de l’immigration et à l’amélioration de l’intégration qui intéressent ce sujet. Celles-ci énoncent qu’à « moins que, de sa propre initiative ou à la demande du requérant, le président de la Cour nationale du droit d’asile ou le président de formation de jugement désigné à cette fin décide, à tout moment de la procédure, d’inscrire l’affaire devant une formation collégiale ou de la lui renvoyer s’il estime qu’elle pose une question qui le justifie, les décisions de la Cour nationale du droit d’asile sont rendues par le président de la formation de jugement statuant seul ».

À première vue, la question paraît donc dissociée de ce recours pour excès de pouvoir dirigé contre un décret et intéresse le contrôle de la loi. Néanmoins, le premier grief relatif à la légalité interne des requérants nous confronte bel et bien à cette question. Ces derniers contestent en effet en premier lieu l’article 4 du décret soumis à l’examen du Conseil d’Etat, lequel modifie l’article R. 532-5 du CESEDA afin de tirer les conséquences de certaines évolutions législatives intervenues par l’intermédiaire de l’article 70 de la loi précitée. Est ainsi contestée une disposition réglementaire prise pour application de la loi. L’argumentation des requérants est donc en réalité tournée vers la disposition législative qui fonde la disposition réglementaire. Selon les requérants, cette disposition législative méconnaitrait le droit de l’Union en portant atteinte au droit d’accès à un tribunal (art. 47 et 52 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne) et au droit au recours effectif des demandeurs d’asile contre les décisions concernant leur demande de protection internationale (art. 46 de la directive dite « procédure » du 26 juin 2013 du Parlement européen et du Conseil). Ici, au préalable, rappelons que le Conseil d’Etat est bien compétent en la matière. Il peut effectuer un contrôle de conventionnalité d’une disposition législative servant de base légale à la disposition réglementaire contestée[4]. Sur le fond, il juge que les textes susvisés n’imposent pas « que les décisions juridictionnelles en matière d’asile soient en principe rendues par une formation de jugement collégiale » (§. 4). Il en résulte l’absence d’incompatibilité avec les principes invoqués. Au surplus, puisqu’il est ici question de dispositions législatives, notons que l’article 70 de cette loi a déjà été déclaré conforme à la Constitution[5].

Plus largement, ce thème de la collégialité montre ici que le contentieux de l’asile rejoint une tendance plus globale à la montée du juge unique au détriment du principe de collégialité. Cet « effritement de la collégialité dans la justice »[6] dépasse le contentieux de l’asile : il traduit une transformation des procédures tournée vers une recherche d’efficacité de la justice. Devant la CNDA, ce processus n’a pas débuté en 2024. Au contraire, depuis une loi du 29 juillet 2015 relative à la réforme du droit d’asile[7] et une loi de septembre 2018 touchant également le droit d’asile[8], le recours au juge unique est de plus en plus courant[9]. La pratique s’est diffusée au-delà des seules ordonnances (sans audience), et concerne désormais un volume significatif de dossiers jugés en audience. Au global, les statistiques sont éclairantes. Ainsi, en 2023, 32 % des décisions ont été rendues par ordonnance et, parmi celles rendues après audience, 23 % l’ont été par un juge unique[10]. Pour l’année 2024, le rapport d’activité de la CNDA fait état de 32 % d’affaires tranchées par ordonnance et de 64 % d’affaires jugées en audience, parmi lesquelles 23 % l’ont été à juge unique[11].

Bien sûr, l’arrêt étudié n’investit pas le terrain de l’opportunité politique du choix du législateur de recourir à un juge unique. Relevons néanmoins qu’il est certain que la qualité de traitement d’un dossier, en l’occurrence dans un contentieux particulièrement sensible et subjectif de l’asile, est affectée par ce choix. Notons à ce titre que la période de crise sanitaire avait permis au juge des référés, alors qu’il se prononçait sur l’ordonnance n° 2020-558 du 13 mai 2020 et qu’il décidait de suspendre l’exécution de certaines dispositions de son article 1er, de faire état de l’« importance que revêt, pour les demandeurs d’asile, la garantie d’un examen de leur recours par une formation collégiale »[12].

En définitive, la réforme est désormais en vigueur et les dispositions législatives relatives à l’organisation des formations de jugement de la CNDA se trouvent désormais confortées par une seconde validation juridictionnelle. Il ne s’agit pas pour autant d’affirmer que le débat est clos ou que la seule consécration contentieuse éteint toute critique : le choix initial du législateur demeure discutable, notamment quant à ses effets sur la qualité de l’examen des demandes d’asile.

En outre, dans le prolongement de la problématique de la collégialité au cœur du premier moyen de légalité interne, les requérants contestaient en deuxième lieu les dispositions de l’article 11 du décret. Celui-ci, en remplaçant les deux premiers alinéas de l’article R. 532-32 du CESEDA, réduit le délai de convocation des parties à l’audience, qui passe de trente à quinze jours. Ce second moyen doit être lu à l’aune du précédent : le raccourcissement du délai est directement lié à la généralisation du juge unique, puisque le délai de trente jours ne subsiste désormais qu’à titre exceptionnel, lorsqu’une affaire « est inscrite ou renvoyée devant une formation collégiale ».

Le Conseil d’Etat répond ici assez laconiquement au moyen en considérant que ce « délai minimal de quinze jours ainsi fixé […] ne porte pas, par lui-même, atteinte aux droits de la défense garantis à l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, ni ne méconnaît le droit au recours effectif protégé par les articles 47 et 52 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et par l’article 46 de la directive du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ».

Au-delà de cette première analyse, il convient de relever également qu’un écart peut exister entre le texte de loi qui inverse le principe et son exception, d’une part, et la mise en œuvre pratique de cette disposition, d’autre part.

B. La mise en œuvre incertaine du dispositif faisant de la collégialité l’exception devant la CNDA

Rien n’assure, à court terme, que la pratique contentieuse aille véritablement au bout de la logique des dispositions adoptées. Cette interrogation doit être replacée dans la continuité de la situation antérieure : le recours au juge unique n’est pas une innovation de 2024, mais l’aboutissement d’un mouvement déjà amorcé. Dès lors, la véritable question est de savoir si ce mouvement peut encore s’approfondir, voire se généraliser, ce dont il est permis de douter.

La portée de ces dispositions ne pourra être pleinement appréciée qu’à long terme, notamment à l’aide des statistiques qui seront progressivement rendues publiques.  Les délais de procédure conduisent par ailleurs à ce que des affaires traitées par le Conseil d’Etat postérieurement à l’entrée en vigueur de la loi demeurent régies par les dispositions antérieures à la réforme. Par exemple, dans un arrêt rendu le 14 octobre 2024, le Conseil d’Etat prononçait l’annulation d’une décision de la CNDA rendue à juge unique contrairement aux dispositions du CESEDA dans leurs rédactions antérieures à la loi du 26 janvier 2024. En l’espèce, il s’agissait plus précisément d’une affaire concernant une décision « mettant fin au statut de réfugié en application de l’article L. 511-8 » du CESEDA[13]. Au-delà de cette question tenant à la temporalité des dossiers contentieux et le délai nécessaire à ce qu’il parvienne éventuellement jusqu’au Conseil d’Etat, l’application concrète des dispositions modifiées depuis la loi laisse subsister des aléas.

En se prêtant à quelques conjectures, plusieurs facteurs laissent penser que le juge unique ne va pas si facilement se généraliser. D’un côté, le texte laisse une marge d’appréciation assez importante. La rédaction de la disposition légale modifiée en 2024 n’est pas figée. Cette marge de manœuvre participe d’ailleurs des éléments pris en compte dans l’examen de la requête par le Conseil d’Etat. Il est ainsi encore possible pour « le président de la Cour nationale du droit d’asile » ou pour le « président de formation de jugement désigné à cette fin » de décider « à tout moment de la procédure, d’inscrire l’affaire devant une formation collégiale ou de la lui renvoyer s’il estime qu’elle pose une question qui le justifie ». Ce faisant, et à titre d’illustration, dans l’hypothèse précitée relative au sort d’une affaire concernant une fin de statut de réfugié, si un dossier similaire était soumis à un examen juridictionnel, son sort resterait encore en suspens. Il est tout à fait possible que les personnes habilitées par les dispositions précitées considèrent qu’une telle hypothèse nécessite la collégialité. D’un autre côté, certains enjeux pratiques renforcent les incertitudes. En particulier, la question de la formation des juges composant la CNDA est susceptible d’affaiblir la part de décisions rendues à juge unique. Un rapport sénatorial de mai 2024 mettait ces questions en évidence. Pointant en général les insuffisances de la formation des nouveaux juges, à destination des présidents vacataires et des assesseurs, le rapport indiquait que l’« absence d’obligation de formation » était « d’autant plus problématique avec la généralisation du juge unique »[14]. Malgré ces aléas, la validation par le Conseil d’Etat ouvre la voie à un affaiblissement progressif de la collégialité devant la CNDA. Reste à analyser le second volet : le sort de certaines notes en délibéré dans les visas des décisions.

II.  Le rejet du moyen relatif au régime particulier de certaines notes en délibéré : l’effacement des visas dans les décisions de la CNDA 

Le dernier moyen de légalité interne déplace l’analyse : au-delà de la question de l’organisation des formations de jugement, il concerne désormais les décisions rendues par la Cour elle-même. Ce sont en effet ces décisions, et plus précisément le traitement des notes en délibéré dans leurs visas, qui sont au cœur du grief examiné. Devant la CNDA, les notes en délibéré relèvent d’un cadre spécifique s’agissant de leur mention dans les visas, mais demeurent soumises, pour le reste, aux règles générales garantissant les droits des parties et les obligations du juge (A). C’est à la lumière de cette dualité que le Conseil d’Etat écarte le grief des requérants (B).

A. Une coexistence constatée devant la CNDA : le cadre singulier appliqué aux visas des notes en délibéré et le cadre commun appliqué aux droits des parties et aux obligations du juge

Dans une décision de justice, les visas désignent « au sens large » tout ce qui compose l’en-tête de la décision[15]. Ils peuvent ainsi notamment concerner les mentions procédurales. Avec les motifs et le dispositif, les visas sont les éléments constitutifs d’une décision de justice, laquelle est en principe soumise à un principe de publicité. Encore faut-il déterminer quels éléments doivent obligatoirement être rendus publics, en l’occurrence dans l’en-tête de la décision.

C’est précisément cet aspect qu’aborde le dernier moyen de légalité interne présent dans la décision étudiée. La requête conteste ainsi les dispositions de l’article 14 du décret par lesquelles est introduit un alinéa au sein de l’article R. 532-52 du CESEDA concernant le sort des notes en délibéré dans les visas des décisions de la CNDA. Selon cette disposition, la décision ne mentionne que les notes en délibéré produites dans les deux jours francs suivant l’audience sauf lorsqu’il est fait application de l’article R. 532-51 du même code relatif aux suppléments d’instruction. Selon les requérants, ces dispositions porteraient atteinte au principe d’égalité entre les justiciables, aux droits de la défense garantis par l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 ainsi qu’au droit au recours effectif protégé par les articles 47 et 52 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.

Afin de mettre en perspective cette requête avec l’état du contentieux administratif, il convient de mentionner, à titre de comparaison au sujet du principe même d’une mention, que devant les juridictions administratives, la production d’une note en délibéré doit être mentionnée dans les visas des décisions. Dès 2001, Bruno Genevois indiquait en ce sens qu’il a été décidé, pour le Conseil d’Etat « de mentionner dans les visas, la production de la note »[16], illustrant son propos en référence à un arrêt du 12 juillet 2001[17]. La lecture de cet arrêt ne permet toutefois pas de vérifier cette information. Bruno Genevois, dans le même écrit, indique à ce propos que « [l]es visas de l’arrêt mentionnent et analysent la note en délibéré produite dans cette affaire, bien que le texte de l’arrêt publié n’en fasse pas état ». De manière plus explicite, l’année de 2005 marque des avancées en la matière. En juillet tout d’abord par une décision rendue annulant un arrêt de la Cour administrative d’appel de Bordeaux ne visant pas un mémoire produit après la clôture de l’instruction[18] ; en décembre ensuite par l’intermédiaire de l’article 8 du décret n° 2005-1586 du 19 décembre 2005 modifiant la partie réglementaire du Code de justice administrative (CJA, art. R. 741-2).

Au-delà de la seule mention, la jurisprudence du Conseil d’Etat relative au sort des notes en délibéré peut également être rappelée, en particulier les décisions Leniau de 2002[19] et Lassus de 2014[20]. Pour le résumer, le cadre établi sur ces questions conduit à ce que le juge administratif soit tenu de prendre connaissance des notes en délibéré avant le rendu de ses décisions, de les viser dans ses décisions et de rouvrir l’instruction, en soumettant la note au débat contradictoire, lorsque celle-ci contient l’exposé d’une circonstance de fait ou d’un élément de droit dont la partie qui l’invoque n’était pas en mesure de faire état avant la clôture de l’instruction  et peut exercer une influence sur le jugement à rendre. Surtout, en jurisprudence il est déjà établi que ces règles s’appliquent à la CNDA qui « est tenue de faire application, comme toute juridiction administrative, des règles générales relatives à toutes les productions postérieures à la clôture de l’instruction »[21].

B. Une coexistence fondatrice de la validation du dispositif : l’absence de mention dans les visas compensée par le maintien des autres garanties procédurales

Les éléments exposés ci-dessus ont pesé dans l’examen du grief. En effet, pour en revenir à la décision commentée, le Conseil d’Etat écarte les moyens des requérants en dissociant deux plans : la visibilité des notes en délibéré dans les visas, d’une part, et les garanties procédurales attachées à ces notes, d’autre part. Autrement dit, l’absence de mention des notes produites plus de deux jours francs après l’audience n’emporte ni atteinte au droit des parties d’en produire jusqu’au prononcé, ni décharge du juge de son obligation d’en prendre connaissance et, le cas échéant, d’en tenir compte, « à peine d’irrégularité » de la décision, « dans le cas particulier où la note contient l’exposé d’une circonstance de fait ou d’un élément de droit dont la partie qui l’invoque n’était pas en mesure de faire état avant la clôture de l’instruction et qui est susceptible d’exercer une influence sur le jugement de l’affaire ». Le raisonnement souligne l’écart entre l’énonciation dans les visas et le régime contradictoire applicable.

De manière comparable, une autre décision récente du Conseil d’Etat illustre cet écart entre l’absence de visa d’une donnée et le respect des autres garanties procédurales qui l’accompagnent. Deux jours avant la décision commentée, le 17 septembre 2025, le Conseil d’Etat était amené à se prononcer sur un pourvoi formé par un requérant contre un jugement du Tribunal administratif de Rouen[22]. Par ce jugement, le tribunal administratif de Rouen avait rejeté la demande d’un requérant tendant à être déchargé de l’obligation de payer les sommes recouvrées par la direction régionale des finances publiques de Normandie et du département de la Seine-Maritime au moyen de quatre saisies administratives à tiers détenteur du 6 juillet 2022, ainsi qu’à obtenir la restitution des sommes prélevées, le remboursement des frais bancaires et le versement d’intérêts moratoires. L’un des moyens avancés par la partie requérante consistait à reprocher l’absence de mention dans les visas de la décision contestée d’une indication de nature à révéler le choix du juge administratif de se fonder sur un moyen qu’il avait relevé d’office. Néanmoins, force est de constater que l’article R. 741-2 du CJA qui impose la mention des notes en délibéré devant les tribunaux administratifs, les cours administratives d’appel et le Conseil d’Etat ne prévoit aucune obligation similaire concernant les moyens soulevés d’office. Il en va de même de l’article R. 611-7 du même code qui concerne également ces moyens relevés d’office et qui ne prévoit rien à propos des éventuels visas. C’est précisément cette considération qui guide la décision rendue par le Conseil d’État le 17 septembre 2025. De manière comparable au raisonnement précédemment analysé, il s’agit de considérer que l’absence de mention est sans effet sur le sort des moyens soulevés d’office du point de vue des parties. Autrement dit, cette absence doit être distinguée de l’obligation qui pèse sur le juge tenant à la nécessité d’informer les parties des moyens qu’il entend soulever d’office, obligation qui avait en l’espèce bien été respectée.

L’argumentation du Conseil d’Etat rappelle en partie celle de la décision commentée. En effet, de nouveau, le juge administratif insiste sur l’écart qui existe entre la procédure mise en œuvre et les visas publiés dans la décision. Il s’agit de considérer que l’absence de mention n’est pas une absence de mise en œuvre des garanties procédurales associées à l’élément non visé.

Cela étant, il nous semble toutefois que l’absence d’obligation de mentionner les moyens soulevés d’office, ou pour la décision commentée les notes produites au-delà du délai fixé par la disposition dont il est question, n’est pas sans incidence. D’un côté, dans chacun de ces deux cas, ce sont les lecteurs des décisions qui perdent un élément de clarté de la décision. De l’autre, en ce qui concerne spécifiquement le contentieux de l’asile et les notes en délibéré, ce sont les parties, ou plus précisément leurs conseils qui perdent une arme contentieuse devant la CNDA autant que cette dernière voit sa charge de travail quelque peu allégée face à l’important flux contentieux de l’asile. Auparavant, il arrivait en effet qu’une note en délibéré soit produite postérieurement à l’audience mais avant la lecture de la décision entrainant alors l’annulation de la décision rendue du fait de ne pas avoir été mentionnée dans les visas des décisions[23].


[1] A. Garapon, I. Papadopoulos, Juger en Amérique. Culture juridique française et Common Law, Paris, Odile Jacob, 2003, pp. 30-31 et 199-204.

[2] A. Garapon, Bien juger – Essai sur le rituel judiciaire, Paris, Odile Jacob, 2001, p. 155.

[3] J. Lepoutre, S. Slama, C. Teitgen-Colly, « La collégialité des juges de l’asile pourrait disparaître », Le Monde, 28 mai 2023

[4] En ce sens, v. CE, Ass., 28 février 1992, SA Rothmans International France, Lebon, p. 78.

[5] CC, 25 janv. 2024, n° 2023-863 DC, § 236-244).

[6] J.‑M. Baudouin, « La collégialité est-elle une garantie de la sûreté des jugements ?, RTD Civ., 1992, p. 532

[7] Loi n° 2015-925 du 29 juillet 2015 relative à la réforme du droit d’asile, not. art. 11.

[8] Loi n° 2018-778 du 10 sept. 2018 pour une immigration maîtrisée, un droit d’asile effectif et une intégration réussie le recours au juge unique, art. 6.

[9]  L. Megahed, « La généralisation du juge unique – Une réforme risquée de la Cour nationale du droit d’asile ? », RFDA, 2024, n° 2, pp. 279-280.

[10] CNDA, Rapport d’activité 2023, p. 7

[11] CNDA, Rapport d’activité 2024, p. 6

[12] CE, ord., 8 juin 2020, n° 440717, Inédit.

[13] CE, 14 octobre 2024, n° 487763, Inédit.

[14] Sénat, Rapport d’information n° 604 (2023-2024) sur la Cour nationale du droit d’asile, déposé le 15 mai 2024, p. 64.

[15] A. Vidal-Naquet, « Les visas dans les décisions du Conseil constitutionnel », RFDC, 2006, n° 67, pp. 536-537

[16] B. Genevois, « La situation au Conseil d’État », in F. Sudre, I. Pingel (dir.), Le ministère public et les exigences du procès équitable : actes du colloque du 15 novembre 2002, Bruxelles, Bruylant, 2003, p. 90

[17] CE, 12 juillet 2001, Einhorn, n° 227747, Lebon, p. 384.

[18] CE, 27 juillet 2005, Berreville, n° 258164, Rec. t., pp. 1041, 1051 et 1070. 

[19] CE, 12 juillet 2002, M. et Mme Leniau c. Ville de Paris, n° 236125, Lebon, p. 278.

[20] CE, Sect., 5 décembre 2014, M. Lassus, n° 340943, Lebon, p. 369.

[21] CE, 3 juillet 2009, n° 320295, Rec. t., p. 788 ; CE, 9 novembre 2016, n° 392593, Rec. t., p. 648

[22] CE, 17 septembre 2025, n° 497769, Mentionné dans les tables du Recueil Lebon.

[23]  CE, 6 février 2023, n°461644, Inédit.

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