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12 11 2018

La fiscalité dissuasive des films X face à la liberté de création et de diffusion

Les pouvoirs publics mènent, depuis une cinquantaine d’années, une politique de chasse à la pornographie. Cette action passe avant tout par la mise en place d’une fiscalité dissuasive (1.) dont le champ d’application est imprécis en raison de la difficile détermination des notions de « pornographie » et « d’incitation à la haine » (2.), en particulier s’agissant des œuvres auxquelles l’on reconnait un certain mérite esthétique et narratif (3.).

1. Un régime fiscal défavorable applicable aux films dits « X »

La diffusion des œuvres cinématographiques est particulièrement encadrée. C’est d’autant plus vrai s’agissant des films dits « X »[1], c’est-à-dire, ceux qui ont été classés comme tels par un arrêté du ministre de la culture après avis de la Commission de classification des œuvres cinématographiques en raison de leur caractère pornographique ou d’incitation à la violence.

Le classement « X » d’une œuvre cinématographique emporte application d’un régime fiscal particulier. Il soumet l’œuvre à un prélèvement spécial de 33% sur une fraction des bénéfices industriels et commerciaux résultant de la production, la distribution ou la représentation de films pornographiques ou d’incitation à la violence [2]. Il la prive de tout soutien financier direct ou indirect de la part de l’Etat sous quelque forme que ce soit[3] et interdit sa diffusion en dehors des salles de cinéma spécialisées. Le classement X impliquait, par ailleurs, jusqu’en 2007, l’ajout d’une taxe additionnelle sur le prix des billets[4]. En somme, la mise en œuvre d’une politique de fiscalité dissuasive a rendu très difficile la rentabilité économique d’un film classé X de sorte qu’en France le nombre de salles spécialisées est passé de 200 en 1975 à 72 en 1981[5].

Ce régime fiscal constitue la réponse étatique à l’explosion de la pornographie dans le cinéma au début des années 1970. En effet, en France, en 1973, 120 films sur les 514 projetés relevaient de la catégorie érotique et en 1974 ces films attiraient 6,5 millions de spectateurs soit 16% du total des fréquentations des salles du cinéma[6].

Si la loi a atteint son objectif en ce qui concerne la diffusion en salle de films pornographiques, elle n’en a pas pour autant découragé la production, qui s’est rabattue sur la télévision et la vidéo à la demande. Deux ordonnances de 2009 et de 2017 intègrent et modifient ce corps de règles dans le code du cinéma et de l’image (CCIA) en conservant un régime particulièrement défavorable pour ce type de film[7]. A ce titre, le prélèvement spécial de 33% a été appliqué aux œuvres X diffusées sur support vidéographique[8] et le taux de taxe des ventes et des locations de vidéogrammes destinés à l’usage privé de ces œuvres a été fixé à 10 % au lieu de 2%[9].

Ainsi, l’application de ce dispositif fiscal a au moins pour effet – sinon pour but – d’agir sur la création pour limiter la production et la consommation de films pornographiques ou incitant à la haine.

2. Un champ d’application tributaire de la définition des notions de « pornographie » et « d’incitation à la violence »

L’œuvre « pornographique » ou « incitant à la haine » est classée X. Elle est, par suite, soumise au régime fiscal décrit. Il convient de définir ces deux notions dont dépend le champ d’application de ce régime. Commençons par le concept d’« incitation à la haine » qui se soumet plus volontiers à l’exercice de définition. Inciter à la haine consiste à rechercher à valoriser la violence en la montrant sous un jour favorable et de provoquer un sentiment de haine chez l’individu. La définition de la pornographie est moins évidente car « toute tentative sérieuse de définition met en lumière le caractère éminemment relatif, subjectif et évolutif de ce qui peut être considéré comme pornographique »[10]. La loi qui institue le régime de classement X ne s’y est pas risquée, pas plus que les autres textes législatifs et réglementaires précisant ou modifiant le régime. Les travaux parlementaires sont muets sur ce point. Un jugement du tribunal correctionnel de Paris en 1972 se prononçait sur le contenu de cette notion estimant que « le propre de l’ouvrage érotique est de glorifier, tout en le décrivant complaisamment, l’instinct amoureux, la «geste» amoureuse, tandis que les oeuvres pornographiques, au contraire, privant les rites de l’amour de tout leur contexte sentimental, en décrivent seulement les mécanismes physiologiques et concourent à dépraver les moeurs s’ils en recherchent les déviations avec une prédilection visible ».

La question de l’appartenance d’un film au genre pornographique va se poser en 2000, devant le juge administratif, dans le cadre du litige relatif au film Baise‑moi[11]. Le Commissaire du gouvernement Edmond Honorat proposait de faire de l’objet et du but du film l’élément central de définition de la pornographie. En effet, selon lui, à l’heure où la sexualité est surreprésentée dans la publicité, faire du caractère sexuel l’élément central de la définition de « pornographique » serait inadaptée. S’écartant tout en s’inspirant de la pratique de la commission de classification[12], il propose de caractériser de « pornographique » le film qui « vise à présenter au spectateur des images d’ordre sexuel que les convenances sociales réprouvent, soit en raison de la nature de ces images (ce qui sera le cas des comportements qualifiés de « déviants » ou de « pervers »), soit en raison des conditions dans lesquelles elles sont présentées (notamment par leur caractère réel et répété, insistant, qui conduit à faire de leur présentation la seule finalité du film, pour provoquer, du moins le pense-t-on, des pulsions sexuelles) ». Cette définition permet de tenir compte dans chaque litige de l’évolution des mœurs face à une notion mouvante. Finalement, les diverses tentatives de définition du film pornographique ont en commun la condition de scènes à caractère sexuel dans un but masturbatoire.

Toutefois, il reste des films qui constituent des « cas-limites », car, bien qu’ils « s’inspirent visiblement de genre pornographique, ils ne les copient pas scolairement »[13] et il arrive que malgré « l’inconsistance du scénario et de la réalisation qui met en relief le caractère à la fois sexuel et violent des scènes, dans lesquelles le film a, malgré tout, une tendance à se complaire »[14].

3. De nouveaux critères permettant de soustraire les « pornos d’auteur » du régime fiscal dissuasif

Les évolutions des critères de classification des films ont permises de valoriser les œuvres cinématographiques qui répondent aux conditions de classement X mais auxquelles le ministre de la culture reconnait un certain mérite artistique.

En effet, aux termes de l’article R. 211-12 CCIA relatif aux conditions de délivrance du visa d’exploitation d’un film, doivent être interdites aux mineurs de moins de 18 ans ou classées X les œuvres qui comportent « des scènes de sexe ou de grande violence qui sont de nature, en particulier par leur accumulation, à troubler gravement la sensibilité des mineurs, à présenter la violence sous un jour favorable ou à la banaliser ». Les œuvres comportant ce type de scène peuvent toutefois être seulement interdites aux mineurs de moins de 18 ans en raison de leur « parti pris esthétique ou procédé narratif »[15] ou de l’effet que l’œuvre peut produire chez le spectateur[16].

Cette possibilité, pour le ministre de la culture, d’interdire un film aux mineurs de moins de 18 ans est supprimée en 1990, mais rétablie à la suite de l’affaire précitée dite « Baise‑moi » dans laquelle le Conseil d’Etat met en exergue la nécessité de prévoir une classification à mi-chemin entre l’interdiction aux mineurs de moins de 16 ans et le classement X pour les films comportant des scènes pornographiques ou incitant à la violence qui s’insèrent dans une véritable histoire et dont le régime du classement X ne serait pas adapté[17].

L’utilisation de la classification « -18 ans » depuis 2001 a permis de ne pas appliquer à des œuvres qui répondaient aux critères de classement X le régime fiscal défavorable. Le mérite esthétique ou narratif d’un film permet de contrecarrer l’automaticité des critères objectifs de « Xage » que sont la présence de scènes de sexe ou de scènes de grande violence. Cette subjectivisation des critères de « Xage » répond à la tendance embrayée à la fin des années 1990 de produire des films qui répondent aux critères de film X du fait de la présence de scènes de grande violence ou de scènes de sexe non simulées ou particulièrement réalistes, mais « d’un genre sans lien aucun avec les canons du cinéma X »[18] et dont le visionnage permet aisément de se convaincre du potentiel artistique d’un film dit « pornographique ». Évoquons à cet égard l’Empire des sens de Nagisa Öshima[19], Love de Gaspar Noé[20], Nymphomaniac volume I et volume II de Lars Von Trier[21].

 Les critères d’analyse d’une œuvre cinématographique que sont le « parti pris esthétique », le « procédé narratif » et « l’intention du réalisateur » laissent place à une appréciation plus subjective du ministre de la culture et en cas de recours contentieux, du juge administratif. Certains fustigeaient par exemple le classement X du film Emmanuelle 2 alors que l’Empire des sens y échappait[22].

En définitive, un arsenal fiscal a été mis en place pour limiter la production et la diffusion d’œuvres cinématographiques appartenant au genre pornographique ou incitant à la violence. Toutefois, afin d’éviter une application trop rigide de ce régime, de la loi comme de la jurisprudence se sont dégagés des critères subjectifs permettant d’en soustraire certaines œuvres en raison de leur qualité artistique. Si l’utilisation d’une notion aussi malléable et évolutive que la pornographie rend difficile l’établissement d’une politique fiscale claire, elle permet un maniement plus ajusté de celle-ci. Il n’en demeure pas moins qu’il s’agit d’une illustration de l’utilisation d’un outil fiscal dans le but de limiter la production et la diffusion d’un genre créatif, parfois artistique, c’est selon, aux fins de protection des mœurs.

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[1] Les articles 10 et 11 de la loi de finance du 30 décembre 1975 ont institué ce classement.

[2] Code général des impôts (CGI), article 1605 sexies.

[3] Article 8 du décret du 24 février 1999 relatif au soutien financier de l’industrie cinématographique.

[4] CGI, Article 1609 duovicies.

[5] P. Chassaigne, Les années 1970 : Fin d’un monde et origine de notre modernité, Armand Colin, 2012, p. 67.

[6] Ibid.

[7] Ord. n°2009-901 du 24 juillet 2009 et ord. n°2017-762 du 4 mai 2017, art. 20.

[8] CGI, article 1605 septies et octies.

[9] CGI, l’article 331 M bis de l’annexe III.

[10] Parlement européen, Rapport de la commission des libertés publiques et des affaires intérieures sur la pornographie, 24 septembre 1993, PE 204.502/déf.

[11] CE, sect., 30 juin 2000, association Promouvoir, ns° 222194, 222195.

[12] Deux critères : un critère objectif qui vise à rechercher les scènes de sexe non simulées, et un critère subjectif qui s’attache à l’intention du réalisateur.

[13] Concl., Comm. du. gouv. E. Honorat, ns° 222194 et 222195 p. 9.

[14] Ibid.

[15] CCIA, Article R211-12, version en vigueur depuis le 10 février 2017. La version en vigueur du 12 juillet 2014 au 10 février 2017 de l’article R. 211-12 du CCIA valorisait, elle, « la manière dont [les œuvres cinémaographiques] sont filmées et la nature du thème traité ».

[16] Critère dégagé dans la jurisprudence du CE notamment, CE, 1er juin 2015, Saw 3D, n°372057 et CE, 30 septembre 2015, ministère de la culture et de la communication et autres c. Association Promouvoir, ns° 392461 et 392733.

[17] CE, sect., 30 juin 2000, association Promouvoir et autres, ns° 222194 222195.

[18]J-F. Mary, La classification des œuvres cinématographiques relative aux mineurs de seize à dix-huit ans, Rapport à Mme Audrey Azoulay ministre de la culture et de la communication, 2016.p. 10.

[19] En 1976, un visa d’exploitation avec une seule interdiction aux mineurs de moins de dix-huit ans est accordé au film l’Empire des sens de Nagisa Öshima, ramenée par la suite à 16 ans.

[20] CE, ord., 30 septembre 2015, Ministère de la culture et de la communication et autres contre association Promouvoir, ns° 392461 et 392733. Le Conseil d’Etat suspend la décision de la ministre d’assortir le visa d’exploitation du film Love d’une interdiction aux mineurs de moins de seize ans considérant qu’il devait être assorti d’une interdiction aux moins de dix-huit ans.

[21] CE, 28 juillet 2017, Ministre de la culture et de la communication c. Association promouvoir et autre, ns° 403445, 403500. Le Conseil d’Etat annule la décision de la ministre de la culture et de la communication d’assortir le visa d’exploitation du film Nymphomaniac d’une seule interdiction aux mineurs de moins de seize ans, considérant qu’il devait être assorti d’une interdiction aux moins de dix-huit ans.

[22] F. Gras, L’œuvre pornographique et le droit, victoire édition, LegiCom, p. 79.

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