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28 02 2017

Le caractère politique d’un engagement associatif en faveur de l’éducation et de la culture fait-il obstacle à l’application du régime de mécénat ?

Note sur CAA Versailles, 21 juin 2016,  »Ministre des Finances et des Comptes publics c/ Association Action-Critique-Médias », n° 14VE01966.

Les pouvoirs publics encouragent la générosité envers certaines œuvres sociales et culturelles particulièrement dignes d’intérêt de deux manières différentes : d’une part, en autorisant les libéralités (donations et legs) ; d’autre part, en accordant des avantages fiscaux aux personnes physiques ou morales qui participent à leur financement (dons manuels). Mais ces privilèges sont accordés avec parcimonie et font l’objet d’un contrôle attentif de la part de l’administration et du juge.

Ainsi, la possibilité de recevoir des libéralités est-elle en principe réservée aux associations reconnues d’utilité publique mais également, et par exception, aux associations déclarées qui ont pour but exclusif l’assistance, la bienfaisance, la recherche scientifique ou médicale au sens de l’article 6 de la loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d’association, le préfet conservant la possibilité de s’y opposer en application de l’article 910 du Code civil [1].

Le Conseil d’Etat exerce son entier contrôle, de qualification juridique des faits, sur l’objet social et l’activité de l’association et a par exemple considéré, en un autre temps, qu’une association de protection des animaux ne pouvait pas recevoir de legs dès lors qu’elle ne poursuivait pas un but philanthropique ou social au sens de la loi [2] ou encore, plus récemment et s’agissant des organisations humanitaires, que « les actions d’assistance et de bienfaisance s’entendent non seulement des actions tendant à améliorer les conditions de vie des personnes en situation précaire ou difficile mais également des actions d’information et de sensibilisation inhérentes à cet objectif ou y contribuant, notamment en permettant de recueillir les fonds nécessaires à cet effet ; que, toutefois, la part des ressources consacrée à l’amélioration des conditions de vie des personnes en situation précaire ou difficile doit demeurer prépondérante par rapport à celle des ressources consacrée aux autres actions, notamment d’information et de sensibilisation, de l’association » [3].

Par ailleurs, si toutes les associations régulièrement déclarées peuvent recevoir des dons manuels en application de l’article 6 de la loi de 1901, seules certaines d’entre elles offrent à leurs mécènes le droit de bénéficier d’avantages fiscaux. Les articles 200 et 238 bis du Code général des impôts prévoient ainsi qu’ouvrent droit à réduction d’impôt sur les revenus ou sur les sociétés les dons effectués au profit notamment « d’œuvres ou d’organismes d’intérêt général ayant un caractère philanthropique, éducatif, scientifique, social, humanitaire, sportif, familial, culturel ou concourant à la mise en valeur du patrimoine artistique, à la défense de l’environnement naturel ou à la diffusion de la culture, de la langue et des connaissances scientifiques françaises ».

En pratique, cela se traduit par la délivrance de reçus de dons ou « reçus fiscaux » que le contribuable joint à sa déclaration d’impôt.

Ce régime incitatif n’est soumis à aucune habilitation ou reconnaissance préalable de l’administration fiscale [4] mais peut être sanctionné, en cas d’abus, par une lourde amende fiscale [5]. Pour plus de sécurité juridique, l’association aura donc intérêt à présenter une demande de rescrit afin de s’assurer que ses donateurs peuvent légalement bénéficier d’une réduction d’impôt [6].

C’est précisément ce qu’avait fait en l’espèce l’association « Action-Critique-Média » (Acrimed) qui avait demandé à l’administration fiscale de lui confirmer qu’elle était bien éligible au régime de réduction d’impôt prévu par les articles 200 et 238 bis du Code général des impôts. Le directeur départemental des finances publiques lui ayant refusé le bénéfice de ce dispositif, l’association a porté l’affaire au contentieux et saisi la juridiction administrative de conclusions tendant à l’annulation de cette décision et à ce qu’il soit enjoint à l’administration de réexaminer sa demande.

Le Tribunal administratif de Montreuil a fait droit à sa demande par un jugement rendu le 2 mai 2014 au motif « qu’aux termes de ses statuts, l’association Acrimed a pour but la défense des droits à l’information et à la culture par l’éducation aux médias et la diffusion des savoirs sur les médias, l’examen critique de leur contenu et de leur économie, la participation à des actions démocratiques pour la défense des droits à l’information et la culture et des droits de leurs producteurs, l’édition de toute publication d’information et de réflexion pour concourir aux objectifs de l’association ; que son action porte principalement sur la diffusion d’informations sous forme d’articles de presse, par l’animation d’un site internet et de publications dans des manuels scolaires, sur l’organisation de conférences-débats et de projections-débats de sensibilisation à la critique des médias ; qu’elle réunit des journalistes et salariés des médias, des acteurs du mouvement social et des chercheurs universitaires, qui participent, par leur contribution intellectuelle et professionnelle, à la réflexion, d’un point de vue sociologique, sur les médias ; que l’association cherche ainsi à mettre en commun savoirs professionnels et savoirs théoriques au service d’une critique des médias et de l’information ; qu’à ces divers titres, elle mène des activités qui contribuent de manière prépondérante au développement de la vie culturelle et revêt de ce fait un caractère culturel ; que, par suite, elle est fondée à soutenir qu’elle a le caractère d’un organisme d’intérêt général au sens des dispositions précitées des articles 200 et 238 bis du Code général des impôts » [7].

Le Ministre des Finances a relevé appel de ce jugement en faisant principalement valoir que l’association Acrimed n’œuvrait pas en faveur de la culture mais menait une action militante et poursuivait en réalité un but exclusivement politique.

La Cour administrative d’appel de Versailles rejette sa requête en confirmant que l’association poursuit une mission d’intérêt général (1) et en considérant que son engagement politique ne fait pas obstacle à ce qu’elle bénéficie du régime de réduction d’impôts prévu par la loi (2).

1 – La qualification d’organisme d’intérêt général

La notion d’intérêt général, qui est évolutive et difficilement saisissable, est un pavillon qui recouvre toutes sortes de marchandises. La loi et la jurisprudence ont cependant posé quelques jalons pour identifier les organismes d’intérêt général pouvant prétendre au régime incitatif prévu par les articles 200 et 238 bis du Code général des impôts.

En premier lieu, la loi énumère limitativement les finalités poursuivies qui doivent présenter un caractère philanthropique, éducatif, scientifique, social, humanitaire, sportif, familial, culturel, écologique ou artistique.

En second lieu, le Conseil d’Etat a jugé qu’étaient exclues de ce dispositif les associations qui, malgré leur absence de caractère lucratif et les conditions désintéressées de leur gestion, fonctionnent au profit d’un cercle restreint de bénéficiaires, comme les associations d’anciens élèves des grandes écoles [8].

Ce n’était à l’évidence pas le cas en l’espèce s’agissant de l’association Acrimed qui s’adressait à un public plus large et dont l’objet social, tel qu’il résultait de ses statuts, présentait un caractère à la fois éducatif, social et culturel : « L’Association a pour but la défense des droits à l’information et à la culture par : / – l’éducation aux médias et la diffusion des savoirs sur les médias ; / – l’examen critique de leur contenu et de leur économie ; / – la participation à des actions démocratiques pour la défense des droits d’accès à l’information et la culture et des droits de leurs producteurs ; / – l’édition de toute publication d’information et de réflexion pour concourir aux objectifs de l’Association ».

De telles actions présentent assurément un caractère d’utilité publique au regard de l’importance des médias dans notre société et de leur influence sur l’opinion publique et la prise de décision politique ou économique (Ne parle-t-on pas de « quatrième pouvoir », de « prescripteurs d’opinion » ou encore de « temps de cerveau disponible » ?). Eveiller l’esprit critique des citoyens-consommateurs sur le sens caché des messages qui leur sont délivrés par des médias dont l’indépendance est parfois sujette à caution relève de l’éducation civique (si de riches hommes d’affaires investissent dans un secteur fortement déficitaire comme celui de la presse écrite, ce n’est certainement pas par pure bonté d’âme…).

Par ailleurs, la Cour prend soin de vérifier que ces belles formules ne sont pas que des mots mais qu’elles sont suivies d’effets, en relevant que les actions menées par l’association sont conformes à sa mission statutaire. Le Conseil d’Etat considère en effet que, pour apprécier si une association poursuit un but philanthropique, éducatif, scientifique, social, humanitaire, sportif, familial, culturel, écologique ou artistique, il y a lieu d’examiner non seulement sont objet statutaire mais aussi la nature de son activité [9].

Les juges d’appel considèrent ainsi que l’association Acrimed constitue un « organisme d’intérêt général » au sens et pour l’application des articles 200 et 238 bis du Code général des impôts et que son financement ouvre droit à des avantages fiscaux pour ses généreux donateurs.

L’affaire aurait pu, et même dû, s’arrêter là mais l’administration fiscale a cru pouvoir invoquer un autre motif, de nature politique, pour justifier légalement sa position.

2 – L’absence de prise en compte du caractère politique de l’organisme

On se souvient que, dans la célèbre affaire Barel, le Conseil d’Etat avait censuré une décision refusant à un candidat le droit de se présenter au concours d’entrée à l’ENA au motif, inavoué car inavouable, qu’il était un militant communiste [10].

Mais dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt commenté, l’administration fiscale n’a pas même cherché à dissimuler le véritable motif politique de sa décision de refus puisqu’elle soutenait, devant la Cour, que « l’activité prépondérante de l’association Acrimed, qui s’inscrit dans une démarche militante de critique systématique des médias, ne pouvant être qualifiée d’activité culturelle, au sens des articles 200 et 238 bis du code général des impôts, l’intéressée n’est pas éligible au régime de mécénat prévu par ces dispositions » (extrait des visas de l’arrêt).

Il est vrai que la présentation faite de l’association sur son site internet faisait clairement apparaître son engagement politique et militant : « Née du mouvement social de 1995, dans la foulée de l’Appel à la solidarité avec les grévistes, notre association, pour remplir les fonctions d’un observatoire des médias s’est constituée, depuis sa création en 1996, comme une association-carrefour. Elle réunit des journalistes et salariés des médias, des chercheurs et universitaires, des acteurs du mouvement social et des ‘usagers’ des médias. Elle cherche à mettre en commun savoirs professionnels, savoirs théoriques et savoirs militants au service d’une critique indépendante, radicale et intransigeante ».

Mais cet engagement politique était-il de nature à faire obstacle à ce que l’association puisse revendiquer le bénéfice du régime incitatif prévu par les articles 200 et 238 bis du Code général des impôts ? Certainement pas.

À vrai dire la question n’était pas tout à fait nouvelle puisqu’elle s’était déjà posée, au moins indirectement, à propos d’une affaire concernant une association « pétainiste ». S’il avait été jugé qu’une subvention destinée à l’entretien des tombes des victimes de la bataille de Verdun constituait un versement consenti à une œuvre d’intérêt général de caractère social au sens des dispositions des articles 200 et 238 bis du Code général des impôts [11], les actions entreprises en vue de la réhabilitation de la mémoire du « vainqueur de Verdun » pouvaient difficilement prétendre à une telle qualification.

La Cour administrative d’appel de Paris a ainsi considéré que l’association pour défendre la mémoire du maréchal Pétain, dont l’objet social était « de poursuivre par la recherche et la publication de tous documents, l’étude objective de la vie et de l’œuvre du maréchal Pétain, d’exercer toutes activités en vue de défendre sa mémoire et de remettre en honneur les valeurs intellectuelles, morales et spirituelles qu’il a rappelées » et qui poursuivait comme objectifs de « promouvoir, à défaut d’obtenir la révision de son procès, reconnue comme légale, mais cependant maintes fois rejetée par les gouvernement successifs, toute action tendant à sa réhabilitation dans l’esprit des français, en luttant pour le rétablissement de la vérité historique, systématiquement déformée, en mettant en lumière les idées, les paroles et les actes du maréchal à travers le rôle qu’il a véritablement joué dans notre histoire et d’obtenir la translation de la dépouille du maréchal à Douaumont », ne pouvait être regardée comme un organisme d’intérêt général ayant un caractère éducatif ou culturel ou concourant à la diffusion de la culture et des connaissances scientifiques françaises dès lors qu’elle ne concernait qu’un nombre restreint de personnes qui ne dépassait pas le cercle de ses adhérents [12].

Les adhérents et sympathisants de l’association « pétainiste » se voyaient donc dénier le bénéfice de réductions d’impôts non pour des raisons politiques mais parce que cet organisme ne s’adressait qu’à un cercle restreint de bénéficiaires.

Pas plus que l’association pour défendre la mémoire du maréchal Pétain, l’association Acrimed ne pouvait se voir légalement opposer son engagement politique pour lui refuser un droit : d’une part, la loi ne le prévoit pas ; d’autre part, cela serait contraire à la liberté d’opinion, à la liberté politique et aux principes démocratiques (les dons aux partis politiques ouvrent d’ailleurs droit à une réduction d’impôts en vertu de dispositions spéciales) ; enfin, l’engagement en faveur de l’éducation ou de la culture présente nécessairement une dimension politique.

Notes

[1] v. sur ce point : J-F. Merlet, Une grande loi de la IIIème République : la loi du 1er juillet 1901, LGDJ, Bibl. dr. pub., Tome 217, 2001, nos 897 et s., p. 397 et s.

[2] CE Sect. 18 juin 1937, Ligue française pour la protection du cheval, nos 53868, 54073, Rec. 606, D.1937.3.36, note A. Heilbronner.

[3] CE 17 juin 2015, Association Villages du Monde pour Enfants, n° 369022, Tab. 562, AJDA 2015.2181.

[4] CE 3 juillet 2002, Association des contribuables associés, n° 214393, Tab. 625, BDCF, 10/02, n°129, concl. J. Courtial, Rev. adm. 2002.488, note O. Fouquet

[5] CGI, art. 1740 A ; TA Melun, 13 avril 2015, Association Tri Max, n° 1309146, RJF 10/15.

[6] CE 16 février 2011, Association « Union sociale maritime », n° 329945, Tab. 894, BDCF 06/11, n° 65, concl. P. Collin.

[7] TA Montreuil, 2 mai 2014, n° 1304765, point 5.

[8] CE 7 février 2007, Sté des anciens élèves de l’ENSAM, n° 287949, Tab. 807, BDCF 4/07, n° 41, concl. E. Glaser ; CE 16 février 2011, Association « Union sociale maritime », préc.

[9] v. par analogie : CE 30 décembre 2009, Reilles, n° 297433, Tab. 636, AJDA 2010.806.

[10] CE Ass. 28 mai 1954, Barel, n° 28238, Rec. 308, concl. M. Letourneur.

[11] CE 20 octobre 1976, n° 97340, Tab. 881, RJF 12/76 n° 523

[12] CAA Paris, 28 juin 2012, Association pour défendre la mémoire du maréchal Pétain, n° 11PA02508, Dr. fisc. 2012, comm. 390, note Y. Egloff.

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