Le blog Droit administratif

Aller à l'accueil | Aller à la table des matières |
25 01 2012

Les récépissés, l’occasion d’une nouvelle circulaire contestable du ministère de l’intérieur

Si la circulaire du ministère de l’intérieur en date du 5 janvier 2012 relative aux conditions de délivrance et durée de validité des récépissés et des titres de séjour, a pu passer relativement inaperçue à côté de celle du 12 janvier 2012, relative aux étudiants étrangers, elle n’en revêt pas moins une importance certaine.

Ce texte fournit, en effet, l’occasion au ministère de l’intérieur d’adresser aux services préfectoraux des instructions relatives à la délivrance et à la durée de validité des récépissés, dans le double objectif affiché d’unifier les pratiques desdits services et de « limiter les flux inutiles de public au guichet ».

Si ces deux objectifs peuvent, a priori, sembler légitimes – tant du point de vue de l’administration, que des étrangers demandeurs qui, on le sait, se heurtent régulièrement aux pratiques contradictoires et opaques des différentes préfectures, outre qu’ils doivent régulièrement se présenter aux guichets et subir des attentes interminables à l’occasion de l’instruction de leurs dossiers – il reste que plusieurs points de cette circulaire s’avèrent à l’examen tout à fait contestables.

Avant toutefois d’aborder ces éléments, un rappel liminaire de deux des dispositions textuelles essentielles relatives aux récépissés – trop souvent inappliquées par les services préfectoraux – s’avère ici indispensable à la pleine compréhension de cette circulaire.

L’article R. 311-4 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA) dispose, d’abord :

« Il est remis à tout étranger admis à souscrire une demande de première délivrance ou de renouvellement de titre de séjour un récépissé qui autorise la présence de l’intéressé sur le territoire pour la durée qu’il précise ».

On soulignera, dès à présent, l’emploi du mode indicatif, qui a donc valeur d’obligation, obligation pourtant trop souvent confondue avec pouvoir discrétionnaire par l’administration préfectorale, dans ce domaine de la délivrance des récépissés.

L’article R.311-6 du même code détaille, quant à lui, les récépissés qui doivent être munis d’une autorisation de travail et son dernier alinéa précise, notamment, que :

« Le récépissé de la demande de renouvellement d’une carte de séjour permettant l’exercice d’une activité professionnelle autorise son titulaire à travailler ».

Ces dispositions étant rappelées, plusieurs éléments contenus dans cette circulaire du 5 janvier 2012 appellent la critique.

I. L’utilisation critiquable de la notion de « dossier complet »

L’auteur de la circulaire souligne, déjà, qu’un récépissé ne peut être délivré à l’étranger, que lorsque celui-ci présente un « dossier complet » (point 1.2.2).

Or, on le sait, cette notion de « dossier complet » autorise en réalité des pratiques tout à fait contestables de la part des services préfectoraux, lesquels n’hésitent pas à refuser, arbitrairement, de délivrer le récépissé sollicité par l’étranger demandeur de titre de séjour, en conditionnant, de manière opaque et aléatoire, cette délivrance aux documents les plus divers. La pratique de l’avocat permet ainsi de constater que les pièces sollicitées aux guichets de préfectures varient non seulement selon la préfecture à laquelle on s’adresse, mais également selon le bureau et même souvent selon l’interlocuteur, de sorte qu’il est pratiquement impossible de connaître à l’avance avec certitude les pièces qui permettront la délivrance du récépissé.

Malheureusement, le constat est que la circulaire du 5 janvier 2012 ne permet aucunement de préciser la notion de « dossier complet » de façon satisfaisante. Elle se contente, en effet, de prévoir que celui-ci :

« doit reposer sur la réunion par l’étranger de l’ensemble des documents nécessaires, au vue des dispositions du CESEDA, à justifier de sa situation administrative et pour l’instruction de la demande. Vous pourrez, le cas échéant, vous référer au guide de l’agent d’accueil pour des déterminer le contenu des pièces justificatives que l’étranger devra présenter ».

Les notions employées sont donc pour le moins vagues et la seule référence faite est celle du « guide de l’agent d’accueil », document interne à l’administration., donc non accessible à l’étranger demandeur.

Cette circulaire ne fixe donc aucunement, pas plus qu’elle ne donne les outils pour le faire, la liste des pièces à fournir pour chaque catégorie de titre de séjour sollicité, ce que l’on ne peut que vivement regretter.

Bien pire, il faut relever que le ministre de l’intérieur ajoute ensuite :

« Toutefois, je vous rappelle que la présentation d’un document ne figurant pas sur une liste et de nature à conditionner le sens de votre décision pourra, en tant que de besoin, être demandée en cas de nécessité pour l’instruction du dossier ».

Ce faisant, le ministre cautionne et même encourage, certes implicitement, mais sans que le doute ne soit permis, les pratiques arbitraires des agents de préfecture. Ces derniers pourront en effet continuer, sous couvert de cette circulaire, à refuser de délivrer un récépissé, voire même d’instruire une demande de titre de séjour, au motif que l’étranger demandeur ne produit pas tel ou tel document, dont ils seront les seuls juges de l’opportunité, et ce sans qu’il soit besoin pour l’administration de se fonder sur aucun élément objectif.

S’agissant ensuite, toujours, de cette notion de « dossier complet », le ministre se saisit, « à titre d’illustration » de la situation des étrangers malades (article L. 313-11, 11° du CESEDA), d’une manière qui nous semble également parfaitement contestable.

Le texte de la circulaire prévoit ainsi :

« dans le cadre de la procédure de l’article L. 311-11-11° du CESEDA (« étrangers malades »), il n’y a pas lieu de considérer le dossier complet tant que vous n’aurez pas reçu la preuve que le médecin de l’Agence régionale de santé compétent ou, à paris, le médecin en chef du service médical de la préfecture de police, a été saisi du dossier médical ».

Cette interprétation de la notion de « dossier complet » implique nécessairement que l’étranger malade va se trouver à l’occasion de sa demande initiale de titre de séjour, durant à tout le moins plusieurs semaines, démuni de tout récépissé et donc d’autorisation de séjourner sur le territoire.

Concrètement en effet, et conformément aux dispositions de l’article R. 313-22 du CESEDA et de l’arrêté NOR MESN9922156A du 8 juillet 1999, le médecin de l’Agence régionale de santé (ou à Paris le médecin chef du service médical de la préfecture de police) rend son avis, notamment au vu d’un rapport établi par un médecin agréé ou un praticien hospitalier.

Or, les délais nécessaires à l’étranger malade pour obtenir un tel rapport médical – notamment de la part des praticiens hospitaliers qui peuvent, dans certains hôpitaux, nécessiter plusieurs mois avant d’obtenir un rendez-vous – impliquent donc automatiquement, en application de cette circulaire, que ce dernier restera démuni de toute autorisation de séjourner en France tant qu’il n’aura pas obtenu, puis remis, ledit rapport aux autorités préfectorales.

On peut d’ailleurs qu’ajouter, à cet égard, qu’il est à craindre qu’une telle manière de procéder encourage l’étranger malade à se tourner plutôt vers un médecin agréé pour établir son rapport, alors même que les honoraires sont nécessairement plus élevés qu’à l’Hôpital public, et alors même que, s’il est suivi par un praticien hospitalier, le médecin agréé connaîtra nécessairement moins bien son état de santé.

Les textes du CESEDA relatifs aux récépissés commanderaient donc tout au contraire, à notre sens, qu’un récépissé soit délivré à l’étranger malade dès qu’il introduit sa demande de titre de séjour, en présentant les seuls documents prévus aux articles R. 313-1 et suivants du CESEDA (indications relatives à l’état civil, photographies et justificatif de domicile).

II. La violation du droit au travail des étudiants

Cette circulaire se trouve être ensuite, à notre sens, en violation directe avec le droit au travail des étrangers titulaire d’une carte d’étudiant (article L. 313-7° du CESEDA) sollicitant un changement de statut afin d’obtenir une carte de salarié (article L. 313-11, 10° du CESEDA).

Le ministre de l’intérieur prévoit en effet que, si un récépissé est remis sans attendre l’avis de la DIRECCTE à ces étudiants, en revanche « dans ce cas de figure, le récépissé n’autorise pas le travail, dans l’attente de la décision de l’Unité territoriale » (point 1.2.2).

Ces instructions apparaissent, ici encore, en contradiction directe avec les dispositions précitées de l’article R. 311-6 du CESEDA, lesquelles disposent que le récépissé remis à l’étranger en cas de renouvellement d’un titre de séjour qui autorise le travail, doit lui-même être muni d’une autorisation de travail.

Or, on le sait, la carte de séjour temporaire portant la mention « étudiant » autorise précisément son titulaire à travailler : « La carte ainsi délivrée donne droit à l’exercice, à titre accessoire, d’une activité professionnelle salariée dans la limite de 60 % de la durée du travail annuel » (article L. 311-7, I, alinéa 2 du CESEDA).

En conséquence, il n’existe aucun motif pour que le récépissé remis à l’étudiant sollicitant un changement de statut ne soit pas, en application de l’article R. 311-6 du CESEDA, muni d’une autorisation de travail à titre accessoire, dans les mêmes conditions que le titre de séjour précédemment détenu.

La circulaire est donc, sous cet angle également, contraire aux dispositions du CESEDA.

III. Le non respect de l’arrêt Da Costa du 30 novembre 2011

Les dispositions de la circulaire du 5 janvier 2012 relatives à « L’articulation du titre de séjour et du document d’identité » (point 2.3) apparaissent, enfin, à notre sens, se trouver en violation avec la jurisprudence récente du Conseil d’Etat.

Sans établir aucune distinction entre les titres de séjour, le ministre de l’intérieur prévoit en effet :

« Vos services pourront donc conditionner la délivrance de la première carte de séjour temporaire à la production d’un document de voyage en cours de validité. L’absence de document de voyage en cours de validité est en conséquence un motif de refus, sauf circonstances exceptionnelles ».

Or, dans un récent arrêt DA COSTA du 30 novembre 2011, le Conseil d’Etat a au contraire jugé, en Sections réunies et sous forme de considérant de principe:

« la présentation d’un passeport en cours de validité ne saurait être imposée à un étranger qui sollicite, sur le fondement des dispositions du 11° de l’article L. 313-11 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, l’octroi d’une carte de séjour temporaire portant la mention vie privée et familiale en qualité d’étranger malade, comme condition de délivrance de cette carte » (CE, 30 novembre 2011, Da Costa, req. n° 351.584, à mentionner aux tables du Recueil Lebon).

En conséquence, en conditionnant la délivrance de toutes les catégories de cartes de séjour temporaire à la production d’un passeport en cours de validité, sans prévoir une exception pour les étrangers malades, le ministre de l’intérieur a, de nouveau, entaché sa circulaire d’illégalité.

Pour terminer, et au-delà de ces critiques formulées en droit, on ne peut que vivement regretter que le ministère de l’intérieur ne propose, finalement, aucune solution pour améliorer, tant la qualité du service rendu aux étrangers sollicitant un titre de séjour, usagers du service public préfectoral, que les conditions de travail des agents préfectoraux.

En réalité, force est de constater, qu’une nouvelle fois, ces instructions constituent autant d’occasions pour le ministère de décourager les étrangers de faire valoir leur droit au séjour, serait-ce au prix du non respect des textes et de la jurisprudence.

Commentaires

Scif dit :

Le changement d’équipe à la tête du blog a apparemment impliqué un sérieux changement de la ligne éditoriale.

Gk dit :

@Scif Ce changement est appréciable. Il permet un réel renouvellement des thèmes et des thèses.

Tib dit :

Pour info, l’arrêté du 8 juillet 1999 a été abrogé et remplacé par l’arrêté du 9 novembre 2011 relatif aux conditions d’établissement et de transmission des avis rendus par les agences régionales de santé en application de l’article R. 313-22 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile en vue de la délivrance d’un titre de séjour pour raison de santé

Romain dit :

En ce qui concerne le changement de statut des étudiant:

* votre référence à L313-11 10° est incorrecte (c’est un texte sur la CST "vie privée et familiale". Je ne pense pas que vous pensiez à L311-11 qui est réservé aux étudiants ayant obtenu un Master.

* Idem pour celle à L311-7 : c’est L313-7 le bon texte.

Sur le fond, je ne suis pas votre raisonnement. Vous partez finalement du principe que, dès lors qu’on change de statut, il y a renouvellement d’une *carte de séjour*, quel que soit son type, et que si celle-ci autorise à travailler le récépissé doit donner droit au travail.

Or R311-6 est clairement structuré en deux; d’un côté il évoque les premières demandes d’un grand nombre de titres de séjour en indiquant si oui ou non il emporte le droit de travail; de l’autre, il parle des demandes de renouvellement. Il me semble donc que qu’il parle des renouvellement d’*une* CST bien précise. Pour résumer, dans le cas des étudiant, il s’agit d’une première demande de CST "salarié", pas du renouvellement d’une CST étudiant.

Cela étant dit, vous avez évidemment raison sur le plan du principe. Comment peut-on avoir une réglementation qui interdise le travail à des gens qui sont légalement admis sur le territoire ? Comment compte-on qu’ils vivent ? Avec la CB européenne, on a la réponse: de leurs rentes.

Romain dit :

La fin de la circulaire aussi est édifiante:

"Concernant la carte de résident, les articles R314-1 (première délivrance) et R314-3 (renouvellement) précisent que seules les indications relatives à son état civil sont présentées par l’étranger à l’appui de sa demande. Néanmoins, il convient d’inviter l’étranger demandeur à produire, dans toute la mesure du possible, un document de voyage ou, à défaut, la preuve des démarches entreprises auprès des autorités consulaires de son pays."

ou comment rédiger les circulaire pour que l’administration fasse des choses illégales sans encourir l’excès de pouvoir.

boebis dit :

De plus, sachant que la délivrance de l’autorisation de travail peut prendre de 3 à 6 mois, l’étudiant qui a trouvé un CDI, au moment où il attend l’autorisation de travail, dès lors qu’il a fait un job étudiant durant ses études, ou lors de sa recherche d’un véritable emploi, a nécessairement dépassé le seuil de 60 % de la durée de travail annuel. En clair, même si on considère que le récépissé n’interdit pas de travailler dans la limite impartie par le visa étudiant (60% du temps de travail annuel), l’étudiant devrait pendant l’instruction de son dossier par la DIRECCTE démissionner de son emploi… pourtant une condition pour l’obtention de l’autorisation de travail!

Alexis Frank dit :

@ Scif :

Il n’y a jamais eu qu’une ligne éditoriale du blog : celle de ne pas en avoir, et de laisser les auteurs s’exprimer librement, en faisant part de leur analyse personnelle et argumentée.

Merci d’avance de la respecter.

Scif dit :

Je n’ai pas eu l’impression de lui manquer de respect, mais je vous laisse libre de m’en accuser.

mohamed dit :

bonjour,

je suis étudiant étranger en possession d’un récépissé de carte de séjour (avec la mention : ce récépissé n’autorise pas son titulaire à travailler), et je viens de réussir un entretien d’embauche en CDI, j’aimerais savoir si je peux demander une autorisation de travail avec cette promesse d’embauche et changer mon statut par la suite?
est-ce que quelqu’un connait un cas qui ressemble au mien ?
merci d’avance

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.