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28 11 2011

« Cause (juridique) toujours, ça m’intéresse ! », commentaire sous CE, 27 juin 2011, Conseil départemental de Paris de l’Ordre des chirurgiens-dentistes, n° 339568

Rendue à la veille des vacances de l’été dernier, dans le cadre d’un contentieux ordinal et à propos d’une question particulièrement technique, la décision  »Conseil départemental de Paris de l’Ordre des chirurgiens-dentistes » réunissait toutes les conditions – nonobstant sa mention aux Tables du Lebon et à l’AJDA – pour ne pas déchaîner les foules ni même enthousiasmer les commentateurs. Pourtant, celle-ci apporte d’intéressantes précisions sur l’étendue de la règle dite de la cause juridique nouvelle et sur la ferme volonté du Conseil d’État d’en assurer la pérennité.

Baptisée, de manière générique (et abusive), « jurisprudence Intercopie » – du nom de la décision qui l’applique au contentieux de la cassation –, la règle de l’irrecevabilité tirée d’une cause juridique nouvelle apparaît en réalité beaucoup plus tôt dans la jurisprudence administrative : dès le milieu des années 1920 pour le contentieux contractuel[1], et même, dès la fin du XIXe siècle pour le contentieux électoral[2]. Finalement, ce n’est que tardivement qu’elle trouve application dans le cadre des procès faits à un acte – que cet acte soit de nature juridictionnelle[3] ou administrative[4].

La règle ainsi consacrée repose sur cette idée attractive – et constitutive, a priori, d’un principe général du droit processuel – selon laquelle « il est de l’intérêt de tous que les termes du litige soient cristallisés au-delà d’un certain délai »[5] et qu’une fois ce délai expiré, le requérant ne puisse présenter aucune demande nouvelle[6].

Parce que cette dernière notion est appréhendée – ainsi le veut la jurisprudence Intercopie – non seulement au niveau des conclusions du requérant mais également au niveau plus fin de l’argumentation qu’il développe, seront ainsi irrecevables les moyens, invoqués après l’expiration du délai de recours contentieux, qui relèveraient d’une cause juridique différente de celle dont procèdent les moyens soulevés dans ce délai[7].

Fréquemment mobilisée par le juge administratif, la notion de cause juridique apparaît néanmoins difficilement saisissable : réputée aisée dans le contentieux de l’excès de pouvoir, certaines décisions ont toutefois montré que son appréhension était loin d’être toujours évidente (on pense aux difficultés suscitées par le rattachement des moyens tirés de la contradiction de motifs, de l’incompétence négative, ou de la composition irrégulière d’un dossier de demande de permis de construire) ; surtout, elle devient excessivement complexe et incertaine lorsqu’on aborde les matières relevant de la pleine juridiction (on songe, en particulier, aux contentieux contractuel et électoral).

Les requérants, y compris parfois ceux qui ont la chance de s’adjoindre les services d’un professionnel du droit, sont très souvent victimes de cette jurisprudence dont ils ont beaucoup de mal à comprendre le sens et la cohérence.

Dans l’affaire qui nous intéresse, cependant, c’est la chambre disciplinaire nationale de l’Ordre des chirurgiens-dentistes qui a fait les frais de son application : saisie d’un appel à l’encontre d’une décision de radiation, cette dernière a commis la légèreté d’accueillir plusieurs moyens tendant à mettre en cause le bien-fondé de ladite sanction alors que le praticien n’avait articulé, dans le délai d’appel, que des moyens tirés de son irrégularité.

Suivant en tous points les conclusions de son rapporteur public, Rémi KELLER, le Conseil d’État a décidé d’étendre l’application de la jurisprudence Intercopie aux juridictions ordinales : après avoir constaté que les moyens accueillis relevaient d’une cause juridique non ouverte avant l’expiration du délai d’appel, et que ceux-ci ne pouvaient bénéficier de l’exception offerte aux moyens d’ordre public, il a censuré, pour erreur de droit, la décision rendue par la chambre disciplinaire.

Ce faisant, il a clairement réaffirmé l’actualité de cette cause d’irrecevabilité (II) malgré son caractère particulièrement controversé (I).

I. Une cause d’irrecevabilité particulièrement controversée

Les griefs dirigés à l’encontre de l’irrecevabilité pour cause de cristallisation du débat contentieux sont relativement nombreux et aujourd’hui bien connus[8].

Sans prétendre à l’exhaustivité, deux critiques principales reviennent le plus souvent à l’encontre de cette solution : d’une part, la critique tirée de l’atteinte au droit au recours (A) ; d’autre part, celle tirée de l’effet contre-productif de la règle ainsi envisagée (B). À ces critiques traditionnelles, peut être ajouté, du reste, un troisième grief, tenant à la multiplication des aménagements à la jurisprudence Intercopie (C).

A. L’atteinte au droit au recours

La première critique habituellement dirigée contre la règle de la demande nouvelle, tend à dénoncer le piège contentieux – en plus de tous les autres – qu’elle est susceptible de représenter pour les requérants, non initiés aux subtilités du contentieux administratif. Dans la mesure, en effet, où l’irrecevabilité opposée aux moyens constitutifs d’un fondement nouveau fait obstacle à l’examen de leur bien-fondé par le juge, la règle a pour conséquence de restreindre la portée du droit à un recours juridictionnel effectif. Du fait de son existence, « les requérants doivent donc non seulement agir à temps, mais aussi assez agir à temps »[9].

Cette critique apparaît d’autant plus pertinente que la sanction de procédure ainsi considérée est le résultat d’une construction purement prétorienne qui n’a jamais fait l’objet, à destination des justiciables, d’une quelconque codification ou explicitation d’ensemble[10]. Certes, depuis le décret du 23 décembre 2006[11], la notion de « légalité externe », qui renvoie indirectement à la distinction des causes juridiques, a fait son apparition dans le code de justice administrative : ses articles R. 122-12, 7° et R. 222-1, 7° permettent ainsi aux membres de la juridiction administrative dûment habilités à cet effet, de rejeter, par ordonnances, les requêtes ne comportant, notamment, « que des moyens de légalité externe manifestement infondés ». Néanmoins, sans même s’attarder sur le caractère tardif d’une telle apparition, l’introduction de cette notion apparaît largement insuffisante :

– d’une part, elle ne s’accompagne d’aucune précision : non seulement elle n’aborde en rien le contenu conceptuel de la notion de légalité externe (qu’est-ce que celle-ci signifie ? Quels moyens vise-t-elle ?), mais, en outre, elle n’apporte aucune explicitation quant au régime applicable (pire, dans la mesure où le pouvoir réglementaire, dans le texte du 23 décembre 2006, se réfère à la notion de légalité externe à propos des moyens « manifestement infondés », alors qu’elle est traditionnellement mobilisée par le juge pour caractériser l’irrecevabilité des moyens, cette apparition crée une confusion fâcheuse en ce qui concerne l’identification des motifs de rejet des moyens et des conséquences de la cause juridique nouvelle) ;

– d’autre part, en tant qu’elles renvoient à la distinction entre la légalité externe et la légalité interne, ces dispositions du code de justice administrative ne peuvent concerner, à titre principal, que le contentieux de l’excès de pouvoir : les matières relevant de la pleine juridiction, pour lesquelles, pourtant, la notion de cause juridique mériterait le plus d’être clarifiée, demeurent, quant à elles, largement exclues de cette appréhension textuelle.

Dans ces conditions, les justiciables ne bénéficient donc pas, a priori, d’une intelligibilité suffisante de la règle de droit – serait-elle de nature processuelle. L’incertitude et l’imprévisibilité qui découlent de cette situation accentuent ainsi le sentiment d’atteinte portée au droit au recours.

B. L’effet contre-productif de la règle

La deuxième critique, traditionnellement avancée, consiste à pointer du doigt le dévoiement dont la jurisprudence Intercopie a fait l’objet au fil du temps. En effet, avertis du risque qu’elle était susceptible de leur faire courir, les requérants – encouragés en cela par leurs conseils – ont pris l’habitude de soulever, dans le délai de recours, tout un tas de moyens procédant de causes différentes, mais dont le mal-fondé leur était parfaitement connu, dans le seul but de prévenir une éventuelle irrecevabilité future. Par l’adoption de ce réflexe, ils se donnaient une chance de préserver l’avenir[12].

Initialement destinée à limiter le nombre de moyens articulés par les requérants, la jurisprudence Intercopie s’est ainsi transformée, malgré elle, en un puissant facteur d’inflation des écritures contentieuses avec comme conséquence, pour le juge administratif, un accroissement de sa charge de travail.

C. La multiplication des aménagements à la règle

Enfin, à ces deux critiques habituellement avancées, peut être ajouté un grief supplémentaire, confirmant le caractère à certains égards obsolescent de la jurisprudence Intercopie. Ce grief, c’est la multiplication des exceptions et tempéraments apportés à la règle d’irrecevabilité que cette jurisprudence rappelle. En effet, au-delà de l’exception classique que représentent les moyens d’ordre public[13], ont émergé d’autres hypothèses de dérogation, tantôt à la suite de l’intervention du législateur, tantôt à la suite de l’intervention du juge lui-même : il suffit de penser aux contentieux de l’établissement de l’impôt et des dégrèvements d’office[14], de la responsabilité contractuelle et extracontractuelle[15] ou encore de l’éloignement des étrangers[16].

Par ailleurs, et cela quel que soit le contentieux, il n’est pas rare que le juge décide, en fonction de considérations d’opportunité, d’éviter la sanction de l’irrecevabilité tirée de la cause juridique nouvelle, en affirmant que certains éléments de démonstration du requérant ne constituent que le développement d’un fondement juridique déjà invoqué : il n’y a là qu’une manifestation particulière du pouvoir d’interprétation, par le juge, des écritures contentieuses que les parties lui soumettent.

Or, en définitive, la multiplication de ces aménagements, aussi favorable soit-elle pour les requérants, tend à mettre en exergue la position souvent embarrassante dans laquelle la jurisprudence Intercopie place le juge administratif et, plus généralement encore, à remettre en cause la justification même de cette jurisprudence.

Saisi d’une question présentée comme inédite – les juridictions ordinales doivent-elles faire usage de cette règle de la demande nouvelle ? –, le Conseil d’État avait donc l’occasion d’entendre ces critiques et d’appréhender sous un jour nouveau sa jurisprudence[17]. Toutefois, comme le laissait deviner le niveau de la formation de jugement retenue pour régler l’affaire (sous-sections réunies), la continuité a été préférée à la nouveauté : loin d’adopter une position jurisprudentielle de rupture, la haute juridiction administrative s’est, au contraire, emparée de cette affaire pour réaffirmer la règle de la demande nouvelle.

II. Une cause d’irrecevabilité clairement réaffirmée

En guise de réponse aux critiques formulées à l’encontre de la jurisprudence Intercopie, le Conseil d’État adopte une approche on ne peut plus claire : il confirme la règle de la demande nouvelle (A), l’étend aux juridictions ordinales (B) et procède à sa légitimation (C).

A. La confirmation

Dans un premier temps, le Conseil d’État prend le soin de confirmer, solennellement, toute l’actualité du principe – qualifié de « règle de procédure » – en vertu duquel « sont irrecevables, sauf s’ils sont d’ordre public, les moyens présentés par l’appelant qui ne se rattachent pas à l’une ou l’autre des deux causes juridiques, tirées de la régularité de la décision attaquée et de son bien-fondé, invoquée dans la requête avant l’expiration (du) délai ». Autrement dit, les choses sont claires : pour l’heure, il n’est pas question de remettre en cause Intercopie.

Accessoirement, et cela sans surprise, le Conseil rappelle que cette cause d’irrecevabilité – comme toutes les autres – est d’ordre public : le juge devra donc, le cas échéant, la relever d’office, après en avoir averti les parties.

B. L’extension

Dans un deuxième temps, et pour répondre au problème de droit spécifiquement soulevé devant lui, le Conseil d’État précise que la règle ainsi réaffirmée est opposable « devant toutes les juridictions administratives », y compris donc, devant les instances ordinales lorsqu’elles interviennent dans le champ disciplinaire[18].

À la vérité, en l’absence de spécificité manifeste et d’excuse valable, l’extension de la règle à ces juridictions constituait la conséquence logique de sa confirmation par le Conseil : retenir la solution inverse – c’est-à-dire, consacrer, en faveur du contentieux ordinal, une nouvelle hypothèse de dérogation – aurait conduit à fragiliser la jurisprudence Intercopie et à assoir un peu plus les critiques dirigées contre elle.

C. La légitimation

Dans un troisième et dernier temps, le Conseil d’État cherche à légitimer la jurisprudence qu’il confirme et étend. Deux méthodes sont alors utilisées :

– en premier lieu, il s’efforce de rattacher explicitement la règle de la demande nouvelle – à l’origine purement prétorienne – à un fondement textuel, qu’il trouve en effectuant une combinaison : en réalité, nous dit le Conseil d’État, l’irrecevabilité attachée aux moyens relevant d’une cause juridique nouvelle, découle de la « combinaison » des dispositions relatives à l’obligation de motivation des requêtes d’une part, et aux délais de recours d’autre part.[19] Sauf erreur de notre part, c’est semble-t-il la première fois que le Conseil d’État opère un tel rattachement textuel. De la sorte, celui-ci espère peut-être créer une distanciation – et donc une objectivisation – par rapport à la règle Intercopie : désormais, cette dernière se présentera davantage comme la conséquence de dispositions réglementaires (dont il n’est pas l’auteur formel) plutôt que comme celle d’un dogme jurisprudentiel (dont il a, par définition, la pleine maîtrise et l’entière responsabilité) ;

– en second lieu, et pour répondre spécifiquement aux attaques formulées sur le terrain de l’atteinte aux droits fondamentaux, le Conseil affirme que cette règle « ne méconnaît ni le droit à un procès effectif que garantissent les stipulations de l’article 6-1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, ni le principe d’égalité ». Or, si les conclusions du rapporteur public prononcées en l’espèce renseignent quelque peu sur les justifications de cette affirmation péremptoire, les arguments qui y sont avancés sont loin d’être infaillibles :

– en ce qui concerne la critique de l’atteinte au droit au recours, on apprend, sans grande surprise, que son rejet serait justifié par les principes d’autonomie procédurale et de bonne administration de la justice (encore elle…), reconnus au profit des Hautes parties contractantes par la Cour de Strasbourg. Aussi solides soient-elles, ces sources de justification ne sauraient toutefois être surestimées. Certaines décisions strasbourgeoises, dont la célèbre affaire Guillard c. France (relative à la pratique du désistement d’office devant le Conseil d’État)[20], ont déjà montré que la marge de manœuvre laissée en la matière aux États n’était pas absolue : la réunion d’un certain nombre d’éléments – comme, par exemple, la vulnérabilité du requérant, l’ambigüité et l’imprévisibilité de la jurisprudence, l’existence de solutions alternatives, le caractère excessif des conséquences de l’application de la règle, etc. – peut conduire, dans certaines circonstances, à une rupture du « juste équilibre entre le souci légitime d’assurer le respect des conditions formelles pour saisir les juridictions et le droit d’accès au juge ». La jurisprudence Intercopie n’est donc pas, en tant que telle, à l’abri de toute condamnation, par les juges de Strasbourg, sur le fondement de l’article 6-1 de la Convention européenne des droits de l’homme ;

– en ce qui concerne la critique tirée du caractère contre-productif de cette jurisprudence, le grief est encore plus rapidement écarté par le rapporteur public. Selon ce dernier, la portée de cette critique ne serait que minime : d’abord parce qu’il suffirait d’invoquer dans le délai « un seul moyen dans chaque cause », ensuite parce que le juge aurait « l’habitude de déceler les moyens purement préventifs », enfin parce qu’un usage permettrait, au Conseil d’État, de ne pas se « préoccuper des moyens non repris dans le mémoire ampliatif, qui sont réputés abandonnés »[21]. Après coup, on ne peut être que frappé par la simplicité avec laquelle le rapporteur public balaye la critique. Alors même que l’heure, au sein de la juridiction administrative (comme ailleurs), est à l’omnipotence des considérations de productivité, aucune analyse concrète des implications de la jurisprudence Intercopie sur la charge de travail des juges (et notamment sur celle des juges inférieurs) n’est envisagée ici. Sont ainsi passées sous silence des questions aussi pragmatiques que celles-ci : n’est-il pas davantage incommodant pour un magistrat de répondre à un moyen procédant d’une cause juridique déjà ouverte, mais soulevé in extremis avant la fin de l’instruction, que de répondre à un moyen relevant d’une cause nouvelle, mais invoqué quelques jours seulement après le délai de recours ? De même, et plus généralement, les tâches consistant à devoir, par exemple, identifier la cause juridique dont relèvent les moyens soulevés, examiner si le moyen nouveau pourrait entrer ou non dans l’une des exceptions prévues par la loi ou la jurisprudence ou encore avertir les parties de l’intention éventuelle du juge de relever d’office l’irrecevabilité encourue, ne sont-elles pas plus chronophages que le fait de se prononcer directement sur le bien-fondé du moyen litigieux ? Enfin, sous un autre angle, la règle Intercopie ne constitue-t-elle pas un facteur excessif de fragilisation des décisions juridictionnelles rendues et une source importante de frustration des requérants, contribuant, tous deux, à la sollicitation excessive des voies de recours ?

Certes, d’autres ordres de considérations, largement détaillés par Rémi KELLER dans ses conclusions – liés à la théorie générale de la demande contentieuse et aux principes fondamentaux de l’instance – apparaissent plaider pour le maintien de cette règle.

À ce titre, Intercopie ne saurait être considérée exclusivement comme « une simple jurisprudence de circonstance, une façon expédiente de traiter des requêtes en nombre croissant »[22] (encore qu’il soit particulièrement frappant de constater que les seules dispositions du code de justice administrative qui fassent aujourd’hui mention de la logique de la cause juridique, à travers la notion de « légalité externe »[23], constituent des dispositions relatives aux ordonnances de tri…[24]).

En toute hypothèse, si les meilleurs motifs du monde peuvent être avancés pour justifier l’existence d’une règle de procédure – principes fondamentaux de l’instance, autonomie procédurale, bonne administration de la justice… –, il reste que celle-ci ne sera bien acceptée qu’à partir du moment où elle présentera les qualités de clarté, d’intelligibilité et de prédictibilité auxquelles aspirent les justiciables. Après avoir fait le choix de maintenir la théorie de la cause juridique nouvelle, le Conseil d’État (le cas échéant, par l’intermédiaire du pouvoir réglementaire) n’a donc plus – il faut l’espérer – qu’à la rendre davantage accessible.

Notes

[1] CE, 16 mai 1924, Jourda de Vaux, n°s 60400 et a., Rec., p. 483, GACA, n° 49 et les réf.

[2] V. CE, 28 mars 1862, Élections de Rugles, n° 33026, Rec., p. 263 (sol. impl.) ; CE, 17 juin 1868, Élections de Salars, n° 41096, Rec., p. 682 ; ou encore CE, 4 février 1869, Élections de Tarbes, n° 41857, Rec., p. 104).

[3] CE, sect., 20 février 1953, Société Intercopie, n° 9772, Rec., p. 88, GACA, n° 49 et les réf., pour la cassation ; et, CE, sect., 26 juin 1959, Syndicat algérien de l’éducation surveillée CFTC, n° 38299, Rec., p. 399, pour l’appel.

[4] CE, ass., 15 juillet 1954, Société des aciéries et forges de Saint-François, n° 4190, Rec., p. 482, à propos du recours pour excès de pouvoir.

[5] R. KELLER, concl. sur CE, 27 juin 2011, Conseil départemental de Paris de l’ordre des chirurgiens-dentistes, AJDA, 2011, p. 2023.

[6] Sur la diversité du vocabulaire employé pour appréhender cette cause d’irrecevabilité, v. R. CHAPUS, Droit du contentieux administratif, Montchrestien, 13e éd., 2008, p. 675.

[7] Tel est le principe qui est assorti, on le sait, d’un certain nombre d’exceptions, valables en fonction du type de litige soumis au juge ou du type de moyen soulevé devant lui (v. infra, p. 5).

[8] Parmi de nombreuses références, v. M. SAUSSEREAU, « La cause de la demande a-t-elle encore une place en contentieux administratif ? L’apport de la procédure civile à la réflexion », RDP, 2003, p. 631 ; D. BAILLEUL, « Vers la fin de l’interdiction des moyens nouveaux en excès de pouvoir ? », DA, 2008, n° 4, p. 17 ; ou encore A. CIAUDO, L’irrecevabilité en contentieux administratif français, L’Harmattan, Logiques juridiques, 2009, p. 509-512.

[9] B. PACTEAU, Contentieux administratif, PUF, coll. Droit fondamental, 7e éd., 2005, p. 185.

[10] C’est, d’ailleurs, en exploitant cette absence de consécration expresse que le tribunal administratif de Lyon a tenté – en vain (son jugement, fort remarqué, fut annulé en appel) – de soustraire le contentieux de l’excès de pouvoir au champ de la jurisprudence Intercopie : « Considérant qu’aucune disposition législative ou réglementaire ni aucune règle de procédure contentieuse administrative, opposable au requérant, ne lui interdisait de faire valoir, jusqu’à la clôture de l’instruction, tout moyen nouveau à l’appui du recours pour excès de pouvoir qu’il a engagé contre la décision ci-dessus mentionnée » (TA Lyon, form. plén., 9 décembre 1998, Masson, AJDA, 1999, p. 448).

[11] Décret n° 2006-1708 du 23 décembre 2006 modifiant la partie réglementaire du code de justice administrative, spéc. art. 7 et 10.

[12] Si dans la majorité des cas, le requérant est en mesure de connaître, avant l’épuisement du délai de recours, les arguments véritablement à même de prospérer, il n’est pas impossible, dans certains cas, que le déroulement des débats – et donc le passage du temps – suscite chez lui, de toute bonne foi, des idées de moyens et de terrains juridiques nouveaux : en cela, la mauvaise foi de certains justiciables (ou, plutôt, de leurs conseils) ne saurait être érigée, aux dépens de tous les autres, en présomption irréfragable.

[13] C. DEBOUY, Les moyens d’ordre public dans la procédure administrative contentieuse, PUF, 1980, spéc. p. 473-480 ; égal. J.-L. PISSALOUX, « Réflexions sur les moyens d’ordre public dans la procédure administrative contentieuse », RDP, 1999, p. 781-828

[14] V. LPF, art. L. 199 C, lu à la lumière de CAA Bordeaux, 10 juillet 1991, Min. délégué chargé du Budget, n° 89BX01729, T., p. 827.

[15] V. not. CE, sect., 20 oct. 2000, Sté Citécable Est, n° 196553, Rec., p. 457.

[16] CJA, art. R. 776-5.

[17] À noter que l’abandon pur et simple de la jurisprudence Intercopie n’était pas la seule option offerte au Conseil d’État. Celui-ci aurait également pu envisager d’y apporter seulement certaines modifications, en décidant, par exemple : d’exclure de son emprise le seul contentieux de l’excès de pouvoir ; de prévoir une nouvelle dérogation à son application ; ou encore d’accroître le délai au-delà duquel de nouveaux terrains juridiques ne peuvent plus être exploités par les requérants, en déconnectant ce délai de cristallisation des moyens du délai de recours juridictionnel.

[18] D’où la qualification de « règle de procédure » qui permet d’appréhender l’ensemble des juridictions administratives (qu’elles soient soumises au code de justice administrative ou non).

[19] On apprend avec les conclusions prononcées dans l’affaire que l’obligation de motivation des requêtes n’a été introduite que récemment devant les juridictions ordinales : ainsi, par exemple, s’agissant des juridictions ordinales intervenant dans le domaine de la santé, c’est le décret n° 2007-434 du 25 mars 2007 qui a rendu obligatoire cette motivation, en instaurant au sein du code de la santé publique un renvoi à l’article R. 411-1 du code de justice administrative. Rétrospectivement, ceci explique pourquoi la question de l’applicabilité de la jurisprudence Intercopie au contentieux ordinal, se présente, en l’espèce, comme inédite.

[20] CEDH, Guillard c. France, 15 janvier 2009, req. n° 24488/04.

[21] À le supposer établi (on sait que son existence est discutée), cet usage ne saurait toutefois être confondu avec le nouveau dispositif de l’article R. 611-8-1 du code de justice administrative (qui nécessite, en ce qui le concerne, la mise en œuvre d’une procédure formelle tout à fait particulière).

[22] R. KELLER, concl. préc.

[23] V. CJA, art. R. 122-12, 7° et R. 222-1, 7°.

[24] Même si, on l’a vu, cette logique apparaît avant tout à propos des moyens « manifestement infondés » (et non, directement, à propos des moyens irrecevables).

Commentaires

VilCoyote dit :

Merci beaucoup pour ce commentaire. Pensez-vous qu’on puisse voir fleurir des QPC dirigées contre cette construction et pratique jurisprudentielle du CE, sur le fondement du droit au recours ? On a pu voir que les coups de boutoirs QPC répétés contre l’absence de motivation des décisions d’assises avaient fini par mener la Cour de Cassation, de guerre lasse, à transmettre au Conseil Constitutionnel, après avoir dans un premier temps refusé à plusieurs reprises. Une telle guerre d’usure serait-elle envisageable contre le Palais Royal ?

Le Palais-Royal, précisément, semble avoir apporté un élément de réponse : en l’état, la remise en cause d’Intercopie (qui selon lui ne porte nullement atteinte au droit au recours) n’est pas d’actualité. Et la vigueur avec laquelle le rapporteur public a défendu son maintien – et sa légitimité – tend à exclure tout espoir d’usure…

En toute hypothèse, l’idée consistant à attaquer cette jurisprudence par le biais d’une QPC devrait, au préalable, être étudiée à la lumière des conditions du contrôle de constitutionnalité a posteriori.

Sans même évoquer les difficultés tenant à l’appréciation par le CE des conditions de transmission de l’éventuelle QPC (il serait amené, le cas échéant à se prononcer sur une contestation de sa propre interprétation jurisprudentielle…ce qui n’est pas contraire au principe d’impartialité…, cf. CE, 12 septembre 2011, Ep. Dion, n° 347444), encore faudrait-il identifier une disposition législative ayant servi de support à cette construction prétorienne…

Or, dans sa décision, le CE prend justement le soin de présenter Intercopie comme une conséquence de dispositions… réglementaires, et non législatives. L’idée d’une QPC se voit dès lors affaiblie par cette absence de cible.

Même s’il ne concernait pas la règle de la cause juridique nouvelle (mais la jurisprudence du CE relative à l’intérêt à agir), un exemple récent démontre avec force cette difficulté : en l’absence de disposition législative identifiable, toute contestation d’une interprétation jurisprudentielle constante du CE est impossible (cf. CE, 25 novembre 2011, Mouvement Démocrate Sciences Po, n° 352987).

Dans la mesure où le contentieux administratif est un droit essentiellement jurisprudentiel et réglementaire, il faut bien admettre que le juge administratif est particulièrement bien protégé de la menace QPC…

Cela dit, je ne veux pas vous décourager : si vous envisagez d’entamer une guerre d’usure, il faudra bien la commencer ! Bon courage !

VilCoyote dit :

Réponse lumineuse, merci !! Et je vais regarder si quelqu’un ne veut pas entreprendre la guerre à ma place 😉

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