Le blog Droit administratif

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18 01 2009

Malaise sur l’OQTF

Cet article est publié avec l’aimable concours de l’Association du Master 2 de Droit public approfondi de l’Université Paris II – Panthéon-Assas (AMDPA).

A propos de l’obligation de quitter le territoire français (OQTF), une seule certitude : nous sommes bien loin de la volonté simplificatrice qui animait la loi du 24 juillet 2006 (loi n° 2006-911 du 24 juillet 2006 relative à l’immigration et à l’intégration). La création de l’obligation de quitter le territoire français voulait simplifier la procédure antérieure qui voyait succéder l’arrêté préfectoral de reconduite à la frontière (APRF) au refus de séjour, souvent par voie postale, avec pour conséquence un faible pourcentage de reconduite effective.

Ainsi, l’obligation de quitter le territoire français, acte administratif individuel, devait venir régler la situation des personnes se voyant refuser une demande de titre de séjour, une demande de renouvellement de titre ou faisant l’objet d’un retrait dudit titre (article L. 511-1, I du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile). Pour ces personnes, l’administration a alors la faculté d’assortir le refus de titre (ou le refus de renouvellement ou le retrait) d’une mesure d’éloignement : l’obligation de quitter le territoire français, exécutoire dans un délai d’un mois. Toutefois, pour le cas des étrangers en situation irrégulière, c’est-à-dire ceux ne pouvant justifier être entrés régulièrement en France, ces derniers peuvent toujours faire l’objet d’un APRF (article L. 511-1, II du même code). Le contentieux des OQTF, à la différence de celui des APRF, ne peut qu’être traité collégialement par le juge administratif qui n’a que trois mois pour statuer (article L. 512-1 du même code).

La circonstance que cette procédure ne soit, en réalité, que facultative a permis au juge administratif d’en réduire l’usage à peau de chagrin (I), peut être pour tenter d’endiguer le flux contentieux qui submerge les juridictions administratives de premier et second degré (II).

I – L’obligation de quitter le territoire français : une notion réduite à peau de chagrin

C’est à raison que les commentateurs avisés de la jurisprudence administrative ont dressé un « bilan d’étape » du contentieux des obligations de quitter le territoire français[1]. Leur synthèse faisait déjà état des nombreuses difficultés rencontrées, ayant donné lieu à moult avis contentieux du Conseil d’Etat. Aurait-on pu effectuer un « bilan d’étape » dans les mêmes termes si ces commentateurs avaient alors eu connaissance de deux avis contentieux du 28 mars 2008[2] ? Rien n’est moins sûr.

En effet, ces deux avis contentieux viennent remettre profondément en cause l’utilité et la nécessité de l’obligation de quitter le territoire français.

Comme nous l’avons vu plus haut, il faut – en matière de reconduite à la frontière – distinguer entre étrangers en situation régulière (devant faire normalement l’objet d’une OQTF) et étrangers en situation irrégulière (ne pouvant faire l’objet que d’un APRF).

A la lumière des deux avis contentieux précités, cette distinction prend aujourd’hui une acception nouvelle. En effet il faut désormais distinguer, encore plus attentivement, entre ces deux catégories d’étrangers.

Lorsque l’autorité administrative refuse un titre de séjour suite à une demande ou procède à un retrait (sauf dans le cas d’une menace à l’ordre public où elle peut prendre un arrêté de reconduite à la frontière), cette première catégorie d’étrangers en situation régulière ne peuvent normalement faire l’objet que d’une OQTF.

Pour ce qui concerne les étrangers se trouvant dans les situations mentionnées aux 1°, 2° ou 4° du II de l’article L. 511-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (entrée irrégulière sur le territoire ; maintien sur le territoire au-delà de la durée de validité du visa ou d’une durée de trois mois lorsque le visa n’est pas exigé ; non-demande de renouvellement du titre de séjour et maintien au-delà d’un mois après expiration de ce titre), le Conseil d’Etat a élaboré à leur endroit un régime juridique particulier que l’on peut résumer de la manière suivante :

  • Lorsqu’un préfet prend à leur égard un refus de titre de séjour sans l’assortir d’une obligation de quitter le territoire français, un arrêté de reconduite à la frontière peut être pris, au besoin par un autre préfet.
  • L’article L. 511-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ne fait pas obstacle à ce que l’administration puisse également prendre un arrêté de reconduite à la frontière, pour le cas où un étranger en situation irrégulière – au sens du 1°, 2° ou 4° du II de l’article L. 511-1 – a fait l’objet d’une OQTF, le cas échéant, avant l’expiration du délai d’un mois à l’expiration duquel l’OQTF devient exécutoire.

Ainsi, l’étranger en situation irrégulière qui effectue une demande de titre de séjour peut faire l’objet à tout moment de l’instruction de sa demande d’un arrêté préfectoral de reconduite à la frontière : que l’on se place à la date du dépôt de la demande et même après refus de la demande de titre, que ce refus soit ou non assorti d’une OQTF. Il faut donc en déduire, avec le Professeur Lecucq[3], que « l’édiction de la reconduite à la frontière aura pour effet d’écarter en fait, sinon en droit, l’OQTF de sorte que c’est le régime de la reconduite à la frontière qui prévaudra »[4].

Ces avis contentieux du Conseil d’Etat, s’ils tendent à la disparition – sinon l’inutilité – de l’obligation de quitter le territoire français ne peuvent qu’encourager les personnes en situation irrégulière à ne jamais effectuer de démarches en vue de la régularisation de leur situation administrative, ce pour deux raisons. En premier lieu – cela n’est pas nouveau – car la simple demande de titre, pour cette catégorie de personnes, auprès des services de la préfecture permet à l’administration de prendre une mesure de reconduite à la frontière quelque soit l’état de l’instruction de la demande. En second lieu car la possibilité désormais acquise à l’administration de prendre un arrêté de reconduite à la frontière alors même qu’une personne a fait l’objet d’un refus de titre de séjour assorti d’une OQTF rend le délai d’un mois au-delà duquel l’OQTF devient exécutable non dirimant. Reste un obstacle que la jurisprudence n’a pas levé : quel sera le sort contentieux de ces APRF désormais « couplés » aux OQTF ? La procédure particulière de l’OQTF prévue par les articles R. 775-1 et s. du Code de justice administrative s’appliquera-t-elle ou bien serait-ce celle prévue pour les APRF, aux articles R. 776-1 et s. du Code de justice administrative ?

Ces avis contentieux contribuent à jeter l’anathème sur une procédure qui présente la particularité d’être unanimement critiquée, tant par la doctrine que par la juridiction administrative qui craint d’être engloutie par ce tonneau des Danaïdes que constitue l’obligation de quitter le territoire français.

II – L’obligation de quitter le territoire français ou comment vider le tonneau des Danaïdes

Avant l’intervention de la loi du 24 juillet 2006, si les tribunaux administratifs et les cours administratives d’appel devaient faire face une importante « pression » contentieuse, elle n’est absolument pas comparable à celle résultant du contentieux des OQTF. En effet, le contentieux des arrêtés préfectoraux de reconduite à la frontière est réglé par le chapitre VI du titre VI du livre VII du Code de justice administrative, aux articles R. 776-2 et suivants. Ce contentieux est un contentieux à juge unique. Avant la réforme de 2006, le contentieux des étrangers se limitait, pour la plus grande part, aux contentieux des APRF : celui des refus de titre de séjour (traitement collégial) était alors plus restreint.

Le fait pour l’OQTF de regrouper dans un même acte à la fois le refus de séjour, la mesure d’éloignement et la décision fixant le pays de destination implique un traitement collégial, pour le moment avec conclusions du commissaire du gouvernement rapporteur public, et donc un engorgement des juridictions. Comme le rappelait dans leur bilan d’étape M. Boucher et Mme Bourgeois-Machureau : « en 2007, les tribunaux administratifs ont (…) été saisis de plus de 19 000 requêtes dirigées contre (des arrêtés portant obligation de quitter le territoire français), alors qu’ils étaient parallèlement toujours saisis de plus de 14 000 requêtes dirigées contre des arrêtés de reconduite à la frontière et de quelque 10 000 requêtes dirigées contre des décisions de refus ou de retrait de titre, soit un total – pour ces seules mesures – de 44 000 requêtes. En 2006, le nombre de recours contentieux enregistrés, à l’époque, uniquement à l’encontre de mesures de reconduite à la frontière et de décisions de refus ou de retrait de titre, avoisinait les 41 500. Il était proche de 37 000 en 2005, de 36 000 en 2004 et seulement de 30 000 en 2003 »[5]. La situation est encore plus grave aujourd’hui où le contentieux des étrangers représente, dans certaines juridictions, plus de 60 % des entrées et environ le même pourcentage de « stock » : certains rôles du Tribunal administratif de Paris frôlent même la centaine de dossiers « OQTF » par audience.

Le rapport de la commission Mazeaud[6] faisait récemment état de nombreuses critiques à l’encontre de la procédure de l’OQTF. Les deux avis contentieux susmentionnés du Conseil d’Etat auront probablement pour conséquence de donner pour « consigne » à l’administration d’avoir recours de moins en moins à la procédure de l’OQTF, au moins « jusqu’à ce que le législateur intervienne de nouveau pour régler ce qui prend l’allure d’une cacophonie »[7].

Notes

[1] J. Boucher et B. Bourgeois-Machureau, « Le contentieux des obligations de quitter le territoire français : bilan d’étape», AJDA 2008, p. 344

[2] CE, avis cont., 28 mars 2008, M. M’Barek A., req. n° 311893 et du même jour M. Brindou A., req. n° 310252.

[3] O. Lecucq, « Obligation de quitter le territoire français : suite… et fin ? », AJDA 2008, p. 2174

[4] O. Lecucq, op. cit., p. 2177

[5] J. Boucher et B. Bourgeois-Machureau, op. cit., p. 344

[6] Commission sur le cadre constitutionnel de la nouvelle politique de l’immigration, Pour une politique des migrations transparentes, simple et solidaire, juillet 2008

[7] O. Lecucq, op. cit., p. 2178

Commentaires

PO Caille dit :

"que le législateur intervienne de nouveau pour régler ce qui prend l’allure d’une cacophonie" ?

Bel optimisme…

Une loi ! une loi ! une loi ! dit :

Le soucis, c’est que la procédure de l’OQTF a simplifié la tâche des préfectures, qui ne prennent plus qu’un seul acte au lieu de deux auparavant, mais a revanche submergé les TA en raison de recours à peu près systématique… Pas sûr que le législateur soit pressé d’intervenir pour changer le système si ce ne sont que les TA qui rencontrent des difficultés

La chance (je suis désolé d’employer ce terme pour cette situation) c’est qu’un nouveau ministre vient d’être nommé, et qu’il faudra bien qu’il fasse voter une loi pour prouver qu’il sert et qu’il fait quelque chose ! Ce sera alors peut-être une opportunité de remettre de l’ordre dans cette matière

naïl dit :

2 remarques:
-l’augmentation du contentieux n’est pas seulement due à la réforme des OQTF mais également à l’intensification du travail des préfectures en matière de refus de titre. Plus l’administration rend des décisions (de refus), plus le contentieux augmente

-le coût juridictionnel du contentieux des étrangers n’est pas pris en compte dans le calcul du coût de la politique en la matière. On peut le voir par exemple dans les documents de préparation de la loi de finance pour 2009 sur le site du sénat: il y a une estimation du coût des reconduites à la frontières qui se limite au coût de leur exécution, sans prendre en compte le coût des procédures juridictionnelles qu’elles engendrent.
Donc on est pas près d’avoir une réforme en matière de titre de séjour et mesure d’éloignement qui prenne en compte réellement les conséquences juridictionnelles.

La solution on la connaît: la suppression pure et simple des OQTF. Mais d’un point de vue statistique, ça fait pas bien alors…

Alors on réforme la justice pour qu’elle soit plus expéditive…

Benjamin Huglo dit :

@ Naïl : en ce qui concerne cette matière, vous avez parfaitement raison, il ne s’agit principalement que d’affichage politique. On le voit bien dès lors que le taux d’exécution des décisions juriditionnelles en matière d’OQTF est identique à celui de l’ancienne procédure des ARF.

D’ailleurs, peut être verrons nous prochainement, dans la lignée de ce que vous dites, le contentieux des OQTF dispensé de conclusions du rapporteur public ?

L'abbé Toule dit :

Le contentieux des OQTF sera-t-il dispensé de conclusions du rapporteur public ?
C’est la volonté du Président Sauvé, qui estime que les affaires d’OQTF ne recèlent que très rarement des questions juridiques complexes justifiant l’intervention d’un rapporteur public.
D’abord, il se trompe : bien des dossiers ne posent pas seulement des difficultés d’application de l’article 8 de la convention européenne, mais nécessitent de véritables réflexions juridiques entraînant, d’ailleurs, des divergences de jurisprudence.
Alors, pourquoi se trompe-t-il ?
Une raison essentielle : le contentieux des OQTF ne remonte de fait que très peu au Conseil d’Etat, où il est donc assez mal connu "en direct". La lecture que le Président fait de ce contentieux passe par les yeux des magistrats des juridictions parisiennes, relayées par leurs chefs de juridiction. Ces magistrats abattent un travail considérable et rendent de nombreux jugements ; mais ils sont obligés pour ce faire de travailler très vite. Le rapporteur public doit alors sauter d’un dossier à l’autre, sans avoir le temps de creuser. Son apport est alors nul ou faible. Mais ce n’est pas pour cela que la matière n’a pas besoin de son apport… La présence d’un rapporteur public ayant le temps de faire son travail serait incontestablement un "plus".

un plus dit :

le plus du rapporteur public est donc d’apporter un regard supplémentaire sur le dossier ; si des contentieux sont dispensés de conclusions, mais, dans le même temps, sont systématiquement révisés, est-ce qu’il y a une perte ? (à part le rôle d’explications à l’audience).

yy dit :

Les présidents de formation de jugement en TA ont de moins en moins de temps pour réviser, car ils sont accaparés par d’autres tâches (référés, ordonnances, etc.), et parce que le nombre de dossiers enrôlés est en constante augmentation (plus de 60 par mois dans certaines juridictions de l’Ile de France).

Dans beaucoup de chambres, la révision ne commence vraiment qu’après l’audience, et se limite à un travail de contrôle des projets de jugement, ce qui permet de voir certains types d’erreurs (de raisonnement, de rédaction) mais pas celles qui sont liées au fond du dossier ou à un examen trop rapide de la jurisprudence.

Après la réforme, les présidents n’auront pas plus de temps pour réviser, et n’auront plus l’assistance du rapporteur public pour attirer leur attention sur les difficultés de tel ou tel dossier.

Il est donc totalement illusoire de penser que les présidents vont se "remettre à réviser". Ceux qui avaient le temps de le faire continueront ou essaieront de continuer (sans l’aide du rapporteur public, ce sera beaucoup plus lourd), et ceux qui n’en ont plus le temps n’auront pas une minute de plus pour se consacrer à cette tâche.

un plus dit :

@ yy : merci de votre réponse
Je me demandais s’il y a une "règle" ou du moins des critères qui font qu’il y a ou pas révision des dossiers des rapporteurs, ou est-ce que ce n’est "que" un problème de temps et de charge de travail pour les présidents ?

Mike dit :

Je me demande s’il n’est pas plus profitable et rentable pour La France d’encourager les Préfets à étudier plus sérieusement les situations des demandeurs de titre séjour et de mieux considérer les différents critères positifs d’intégration que peuvent comporter un dossier. Ils pourront ensuite faire le tri et éventuellement, convoquer les individus susceptibles d’être régularisés afin de confirmer ou d’infirmer leurs sélections. En effet, une OQTF est notifiée par le Préfet sans le prétendu "…après un examen approfondi". Je suis bien placé pour le dire puisque j’en suis un malheureux bénéficiaire.
Cette mesure d’éloignement ne devrait être prise qu’en dernier recours par la Préfecture puisqu’elle est antiéconomique. L’OQTF génère des charges indiscutables pour l’État : les aides au retour qui peuvent atteindre plus de 4500€ pour une famille, l’affrètement d’un charter comme c’était déjà le cas, le billet d’avion… Dans le cas d’un maintien sur le territoire, il y a les frais juridiques et de procédure qui découlent des différents recours engagés (TA, cours administrative d’appel), l’aide médicale de l’État etc. Enfin, cette mesure provoque indirectement un manque à gagner pour l ‘État car elle favorise l’économie souterraine avec le travail au noir.

alex45 dit :

Dans une conférence de presse du 9 janvier 2008, le président de la République avait demandé au ministre de l’Immigration de l’époque, Brice Hortefeux, « de supprimer cette bizarrerie française, que, s’agissant du droit des étrangers, il y a deux ordres de juridiction, un public, un judiciaire – excusez du peu, avec des jurisprudences contradictoires ».
Il ne s’est, toutefois, pas prononcé sur l’ordre de juridiction qui aurait sa préférence mais fixe comme ultimatum au Constituant d’en choisir un. Car, pour unifier le contentieux des étrangers, il apparaît nécessaire de réviser la Constitution et ce, quel que soit l’ordre au profit duquel l’unification se réalise.
Ma question c’est donc : pourquoi, une révision de la Constitution s’impose pour surmonter le dualisme juridictionnel garanti par la Constitution???

Réponse dit :

Puisque la question du pourquoi semble se rapporter à un TD et à une question théorique, la réponse se trouve dans deux décisions du Conseil constitutionnel : n° 86-224 DC et n° 89-261 DC

alex77 dit :

merci!

effectivement la premiere décision m’aide beaucoup depandant je n’ai rien trouvé sur la deuxieme…

Réponse dit :

Je vous en prie.

Voyez les considérants n° 20 et suivants.

alex77 dit :

Malheureusement ca ne répond pas a la question "^pourquoi pour surmonter le dualisme juridictionnel garanti par la Constitution concernant le droit des etrangers, une révision de la Constitution s’impose".

Merci beaucoup tout de meme.

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