Le blog Droit administratif

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20 11 2006

Le droit à la résiliation unilatérale des contrats administratifs à durée indéterminée

Le pouvoir de résiliation unilatérale des contrats administratifs à durée indéterminée n’est que rarement traité.

En effet, l’administration dispose, dans tous les contrats administratifs, d’un pouvoir de résiliation unilatérale pour motif d’intérêt général, qui doit, cependant, faire l’objet d’une réparation intégrale du préjudice subi par le cocontractant (CE, Ass., 2 mai 1958, Distillerie de Magnac-Laval : Rec., p. 246).

Mais, le droit à résiliation unilatérale existant dans tous les contrats à durée indéterminée de droit privé est-il pour autant écarté ?

On sait que la jurisprudence judiciaire tire du principe de prohibition des engagements perpétuels que :

« dans les contrats à exécution successive dans lesquels aucun terme n’a été prévu, la résiliation unilatérale est, sauf abus (…), offerte aux deux parties » (Cass. Civ. 1re, 5 février 1985, pourvoi n° 85-15895 : Bull. Civ. I, n° 54, p. 52 ; RTD civ. 1986, p. 105, obs. J. Mestre).

Cette règle a d’ailleurs été consacrée par le Conseil constitutionnel, mais uniquement pour les contrats de droits privé :

« si le contrat est la loi commune des parties, la liberté qui découle de l’article 4 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 justifie qu’un contrat de droit privé à durée indéterminée puisse être rompu unilatéralement par l’un ou l’autre des contractants, l’information du cocontractant, ainsi que la réparation du préjudice éventuel résultant des conditions de la rupture, devant toutefois être garanties » (CC, 9 novembre 1999, loi relative au pacte civil de solidarité, décision n° 99-419 DC).

Le fondement de cette règle étant la liberté individuelle, elle paraît difficilement invocable par l’administration. Mais, à l’inverse, on voit mal pourquoi le cocontractant personne privée ne pourrait pas l’invoquer, sous prétexte que le contrat soit administratif. Mais, la jurisprudence n’apparaît pas en donner d’illustration.

D’autre part, le fondement de ce droit glisse de plus en plus de la protection de la liberté individuelle à celle de la concurrence. Dans ce contexte, le droit de résiliation unilatérale a plus vocation à être offert à la personne publique qu’à la personne privée.

C’est ainsi que la jurisprudence administrative a reconnu ce droit à l’administration. Le Conseil d’État a ainsi jugé que :

« il ne résulte pas de l’instruction que la commune se soit à aucun moment engagée à confier pour une durée déterminée à la société requérante l’entretien de l’ouvrage dont elle lui avait confié la réalisation ; qu’ainsi cette collectivité pouvait mettre fin au contrat et confier à une autre entreprise la charge de l’entretien ; que, par suite, la société ne saurait prétendre à indemnité du fait de la résiliation du contrat » (CE, 22 février 1980, SA des Sablières modernes d’Aressy, n° 11939 : Rec., p. 109 ; RDP 1981, p. 531).

On voit ainsi, qu’à la différence du droit de résiliation unilatérale pour motif d’intérêt général, l’administration n’a alors pas à indemniser son cocontractant.

Toutefois, la jurisprudence la plus récente exige que cette résiliation repose sur un motif légitime.

« ni le contrat initial, ni l’avenant signé le 29 janvier 1997 ne prévoyaient de limitation à leur durée d’exécution, ou les conditions dans lesquelles il pourrait y être mis fin ; que, dès lors, l’administration pouvait les résilier à tout moment pour un motif légitime, sans que cette résiliation présente un caractère abusif et ouvre droit à indemnisation au profit de son cocontractant ; que le motif tiré de la volonté de La Poste de passer un nouveau contrat, après appel d’offres, plus adapté à l’évolution des besoins du service et moins onéreux, a constitué, en l’espèce, un motif légitime justifiant la résiliation du contrat » (CAA Marseille, 10 janvier 2005, M. Balesi, n° 01MA01648 : ACCP 46/2005, p. 16).

Ainsi, le droit de l’administration à la résiliation unilatérale d’un contrat administratif à durée indéterminée tend à se confondre avec celui pour motif d’intérêt général.

Cependant, la plupart des contrats administratifs spéciaux (DSP, BEA, marchés publics,…), notamment en vertu d’impératifs concurrentiels, doivent être conclus à durée déterminée, à peine de nullité. L’intérêt du droit de résiliation unilatérale des contrats administratifs à durée indéterminée n’est donc que limité.

Commentaires

toupie dit :

pouvez vous donner un exemple de contrat administratif indeterminé (si ce n’est le CDI des agents publics …..après 6 ans de CDD)?

Toupie :

Ce peut être toute sorte de contrats administratifs, par exemple une convention d’occupation du domaine public ou un convention administrative d’occupation du domaine privé.

somni dit :

En principe, me semble-t-il, il ne peut y avoir de contrats passés par l’administration qui soient à durée indéterminée (sauf, dorénavant, en ce qui concerne les agents contractuels ou peut être, concernant le domaine privé). Comme vous le faites remarquer, les marchés et les délégations de service public ne peuvent être conclus sans limitation de durée. les "tacites reconductions" sont en fait de nouveaux contrats. Une convention d’occupation du domaine public à durée indéterminée est, à mon sens, une contradiction dans les termes, à partir du moment où la personne privée se trouve dans une situation "précaire et révocable". Et il serait à mon avis trop facile à l’administration, dans ce cas, de ne pas fixer de durée pour éviter toute indemnisation du cocontractant. Mais peut être que le comble de la précarité absolue réside-t-il il le caractère indéterminé du contrat ??
Par ailleurs, si la résiliation pour motif d’intérêt général (mettre fin à une situation illégale en relançant une procédure de mise en concurrence) n’ouvre pas droit à réparation dans le cadre du contrat, il n’en reste pas moins qu’en ne fixant pas dans un marché ou une délégation de service public de durée, la collectivité publique commet une illégalité qui, à mon sens, peut être invoquée par le cocontractant à l’appui d’une demande indemnitaire. Il me paraîtrait en tous les cas choquant que cette illégalité fautive ne puisse pas être sanctionnée qu’en cas d’abus. Elle ne le sera pas sur le terrain de la faute contractuelle (puisque comme vous le rappelez le contrat est nul) elle le sera peut être sur le terrain quasi-délictuel. Mais elle ne le sera qu’en partie, l’administration pouvant invoquer la faute du contractant, professionnel en principe avisé des procédures.

Somni :

Quelques réflexions sur ton commentaire :

"En principe, me semble-t-il, il ne peut y avoir de contrats passés par l’administration qui soient à durée indéterminée"

Justement, cela n’est pas un principe et c’est pour cela que des dispositions spéciales le prohibe pour un certain nombre de contrats spéciaux.

"Mais peut être que le comble de la précarité absolue réside-t-il il le caractère indéterminé du contrat ?"

C’est un peu le sens de mon billet.

"il n’en reste pas moins qu’en ne fixant pas dans un marché ou une délégation de service public de durée, la collectivité publique commet une illégalité qui, à mon sens, peut être invoquée par le cocontractant à l’appui d’une demande indemnitaire"

C’est certain.

aurore dit :

peut-on dire que le pouvoir de résiliation des contrats par l’administration est un pouvoir absolu?

mymye dit :

quelles indemnités doit on prévoir dans le cadre d’une dsp qui serait résiliée avant son terme de façon unilatérale ?

olivier dit :

Quid de la résiliation d’un contrat de travail de droit public impliquant un contractuel qui ne souhaite pas continuer à travailler pour une majorité municipale nouvelle contraire à ses convictions, tout en souhaitant éviter une simple démission ? on comprend bien pourquoi)

Voir sur cette question un récent arrêt du Conseil d’Etat (CE, 24 novembre 2008, Syndicat mixte des eaux et de l’assainissement de la région du Pic-Saint-Loup, n° 290540) :

"la convention liant la ville de Montpellier au SYNDICAT MIXTE DES EAUX ET DE L’ASSAINISSEMENT DE LA REGION DU PIC-SAINT-LOUP a été conclue entre ces personnes publiques dans le but d’organiser leurs services publics de distribution d’eau potable, de répartir les prélèvements d’eau dans la nappe phréatique du Lez et de garantir la restitution par la ville de Montpellier de volumes d’eau au syndicat mixte à un montant inférieur au prix de revient ; qu’une telle convention conclue entre deux personnes publiques pour organiser leurs services publics, ayant à ce titre un caractère administratif, peut, ainsi qu’il a été demandé en l’espèce, faire l’objet d’une résiliation par le juge administratif pour un motif d’intérêt général ou en raison d’un bouleversement de son économie ; qu’aucun principe régissant le fonctionnement du service public n’impose qu’une telle convention qui, ainsi qu’il vient d’être dit, peut faire l’objet d’une résiliation, comporte un terme déterminé ; que dès lors, en jugeant que l’absence de toute stipulation limitant la durée de la convention a pour effet d’entacher la nullité de l’ensemble de ses clauses, la cour administrative d’appel de Marseille a commis une erreur de droit".

http://www.legifrance.gouv.fr/af...

droit dit :

peut-on dire que le pouvoir de résiliation des contrats par l’administration est un pouvoir absolu?

F. dit :

Si par absolu vous entendez qui ne peut être écarté par une clause contractuelle, alors oui, le pouvoir de résiliation unilatérale est absolu. Mais il ne saurait être "arbitraire" ; la résiliation unilatérale doit être motivée par des considérations d’intérêt général. Ces considérations seront appréciées différemment par le juge selon les domaines.

L’indemnité qui doit être versée, en principe, au cocontractant, peut, dans une certaine mesure, constituer une limitation au pouvoir de résiliation, et permet d’éviter des résiliations intempestives et peu réfléchies.

Un peu d’autopromotion : je vous renvoie vers mon article à paraître dans la revue Contrats publics – ACCP du mois de mai :

« Validité et résiliation des contrats administratifs à durée indéterminée », note sous CE, 24 novembre 2008, Syndicat mixte des eaux et de l’assainissement de la région Pic-Saint-Loup, req. n°290540, Contrats Publics – ACCP, mai 2009, n° 88, à paraître.

Olivia dit :

Bonjour,
Votre blog est très intéressant!
Je faisais une recherche sur la validité de la prohibition des engagements perpétuels pour les contrats publics!

Dans mon cas il s’agit de la remise en cause de concessions d’eau potable gratuite, en échange du fait que les bénéficaires ont participé à la construction du réseau d’eau.

La Commune souhaite remettre en cause ce droit à l’eau gratuite, en raison du nouvel article L 2224-12-1 du CGCT.

Votre billet me semble de mauvaise augure, mais auriez-vous des réflexions dont vous pourriez me faire part?

Merci!

calzounies dit :

Il s’agit dans la plupart de ces cas de contrat de prestation de service danslesquels il n’y pas de clause de modification. Cette hurisprudence s’appliquerait -elle pour une convention bée sur les modalité de paiement et de remboursement d’une taxe et qui prévoit une possibilité de modification d’un commun accord entre les parties avec validation des ministres intéressés?

jmf dit :

Bonsoir

est ce possible de rompre un affermage de 6 ans en 4 eme année alor suq ele contrat ne prévoir pas de clause de rupture pour le fermier mais seulement pour la collectivité!

Merci pour votre aide
cordialement.

illiassov dit :

Bonsoir,

c’est en re-découvrant ce sujet de 2006 examiné, déjà, en 2008 ( lorsque j’avais eu l’occasion de publier -un peu d’auto-promotion aussi 😉 – un "point de vue" au sein du Moniteur intitulé "vers des contrats administratifs virtuels"),

que je me permets, et me "dois" presque, de relever ici que le Conseil d’Etat vient de confirmer, de nouveau, l’existence des contrats administratifs virtuels (car administratifs lorsque la personne publique met en oeuvre la clause exorbitante et non nécessairement écrite de résiliation unilatérale par exemple)

en effet, il vient d’affirmer et/ou rappeler dans un arrêt du 19 décembre 2012 (n°350341) que "les principes généraux applicables aux contrats administratifs permettent aux personnes publiques, sans qu’aucune disposition législative ou réglementaire, non plus qu’aucune stipulation contractuelle ne le prévoient, de résilier un contrat pour un motif d’intérêt général,"…

ainsi, dans certains cas non encore légalement "traités" quant à la nature juridique du contrat en cause, les Contrats administratifs seront … administratifs lorsqu’ils seront.. administratifs (ce que la personne publique peut "découvrir" en résiliant unilatéralement le contrat conclu, sachant d’ailleurs qu’elle ne pourra même pas renoncer à ce pouvoir… qui existera toujours lorsqu’une personne publique aura conclu tel ou tel contrat…)

pour ma part, je vais donc considérer que tous les contrats conclus avec (au moins) une personne morale de droit public sont nécessairement des contrats administratifs…

et on verra ce que ça donne 😉

LIEN VERS L’ARRET : http://www.legifrance.gouv.fr/af...

L.gence dit :

Bonjour,

Je me demandais si, depuis l’écriture de ce billet la jurisprudence administrative avait fini par admettre un droit à la résiliation unilatérale du cocontractant privé à raison du caractère perpétuel de la convention conclue.

L.gence dit :

Bonjour,

Je me demandais si, depuis l’écriture de ce billet la jurisprudence administrative avait fini par admettre un droit à la résiliation unilatérale du cocontractant privé à raison du caractère perpétuel de la convention conclue.

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