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10 11 2006

Les marchés publics de faible montant après le nouveau code de 2006

Romain Frémont est élève avocat à l’Ecole de formation professionnelle des barreaux de la Cour d’appel de Paris (EFB) et à l’Institut de droit public des affaires (IDPA). Il effectue son stage au Cabinet de Gaulle Fleurance & Associés.

La publication du décret n° 2004-15 du 7 janvier 2004 portant code des marchés publics a suscité de nombreuses craintes chez les acheteurs publics notamment sur la publicité et les procédures de mise en concurrence adaptées aux marchés dits de faible montant.

En effet, on rappellera que l’article 1er du code des marchés publics dans sa version de 2004, disposait :

« Quel que soit leur montant, les marchés publics respectent les principes de liberté d’accès à la commande publique, d’égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures. Ces principes permettent d’assurer l’efficacité de la commande publique et la bonne utilisation des deniers publics. Ils exigent une définition préalable des besoins de l’acheteur public, le respect des obligations de publicité et de mise en concurrence et le choix de l’offre économiquement la plus avantageuse. Ces obligations sont mises en oeuvre conformément aux règles fixées par le présent code ».

La rédaction de cet article ne faisait que tirer les conséquences de la jurisprudence communautaire[1] et d’un avis du Conseil d’Etat[2] qui ont estimé que les principes de la commande publique devaient s’appliquer à tous les marchés publics, et cela dès le premier euro.

Cependant, grâce à un lobbying efficace de la part d’élus[3], le gouvernement va tenir compte des critiques émises sur le côté trop rigoureux de l’encadrement des petits achats publics dans le décret 2004-1298 du 26 novembre 2004[4]. Ainsi, l’article 1er de ce décret ajoute un troisième alinéa à l’article 28 du code des marchés publics qui exonère les marchés de travaux, de fournitures et de services d’un montant inférieur à 4 000 EUR HT de publicité et mise en concurrence préalables.

Ce seuil de 4000 euros HT est applicable quelque soit la taille ou la nature de la personne publique. Le directeur des affaires juridiques du ministère de l’économie et des finances le résumait dans la formule suivante : « Le décret 4000 €, c’est pour les petites communes et les achats occasionnels des grosses collectivités[5] ».

Même si certains auteurs ont pu émettre des doutes sur la légalité de ce décret au regard du droit communautaire et du droit interne précité[6], force est de reconnaître qu’il a eu le mérite de mettre les acheteurs publics à l’abri de risques contentieux lorsque des besoins imprévus s’accommodant mal d’une procédure de publicité et de mise en concurrence se manifestaient.

Mais cette exonération de publicité et de mise en concurrence accordée aux marchés publics dont le montant n’excède pas 4000 euros restait cependant sous « le garde-fou » de l’article 1er du code des marchés publics et de cette phrase : « Quel que soit leur montant, les marchés publics respectent les principes de liberté d’accès à la commande publique, d’égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures ». De sorte, qu’en couplant l’article 1er et le troisième alinéa de l’article 28 du code des marchés publics, il pouvait en être déduit que même si les marchés inférieurs à 4000 euros n’ont pas à respecter des procédures de publicité et de mise en concurrence, ils ne doivent pas pour autant s’en affranchir quand cela est possible. En d’autres termes, le principe posé par le troisième alinéa de l’article 28 est une exception, il ne saurait devenir un fondement voire un processus d’achat public totalement dérogatoire.

Néanmoins, le décret n° 2006-975 du 1er août 2006 portant « nouveau » code des marchés publics[7], est venu réécrire l’article 1er du code des marchés publics :

« Les marchés publics et les accords-cadres soumis au présent code respectent les principes de liberté d’accès à la commande publique, d’égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures. Ces principes permettent d’assurer l’efficacité de la commande publique et la bonne utilisation des deniers publics. Ces obligations sont mises en oeuvre conformément aux règles fixées par le présent code ».

Tout en conservant intact la dérogation permise par l’article 28 du code des marchés publics :

« Le pouvoir adjudicateur peut décider que le marché sera passé sans publicité ni mise en concurrence préalables si son montant estimé est inférieur à 4 000 Euros HT ».

C’est sans doute inspiré par le nouveau vent de « liberté » qui souffle sur la commande publique depuis l’introduction de la procédure adaptée en 2004, que le pouvoir réglementaire a pris l’initiative de réécrire cet article 1er. Mais cette réécriture, loin d’être anodine et pourtant peu remarquée, a pour effet de « libérer » les marchés de moins de 4000 euros des principes de la commande publique (I), de faire quasiment disparaître le délit de favoritisme pour ces marchés (II) sans que pour autant ils soient totalement exclus du champ d’application du droit communautaire (III).

I – La libération des marchés de moins de 4000 euros des principes de la commande publique

Selon la nouvelle rédaction du code, les marchés publics entre 0 et 4000 euros n’ont donc pas (plus ?) à respecter les principes de liberté d’accès à la commande publique, d’égalité de traitement des candidats et de transparences des procédures. Rappelons également que ces marchés n’ont pas à être passés sous une forme écrite[8] et qu’ils sont dispensés de transmission au contrôle de légalité[9].

Pourtant, selon une réponse du ministre de l’intérieur en date du 19 juillet 2005[10] : « Dès le premier euro, les marchés passés par les personnes publiques soumises au code des marchés publics doivent respecter les principes de transparence des procédures, de liberté d’accès à la commande publique et d’égalité de traitement des candidats (…). Sous le seuil de 4000 euros HT, aucune procédure formalisée de comparaison des offres n’est nécessaire. Pour autant, ces petits achats doivent respecter les principes fondamentaux rappelés ci-dessus. Le respect de ces principes s’apprécie à travers le comportement de l’acheteur public ».

Il est donc permis de s’interroger aujourd’hui sur la pertinence de cette réponse qui apparaît « schizophrénique » au vu de l’évolution de la lettre de l’article 1er. En effet, on voit mal comment différencier le « bon » comportement du « mauvais » comportement de l’acheteur public pour un achat public inférieur à 4000 euros dès lors que l’article 1er qui pose les principes de la commande publique lui offre la possibilité grâce à sa réécriture de ne pas les respecter.

Mais il est surtout permis de s’interroger sur la légalité de cette réécriture au regard de la décision du Conseil Constitutionnel du 26 juin 2003[11] qui a rappelé que les principes de la commande publique ne faisaient que découler des articles 6 et 14 de la déclaration de 1789 sans que des dérogations semblent pouvoir y être apportées.

II – La disparition du délit de favoritisme pour les marchés de moins de 4000 euros

Avec cette réécriture, toute détection d’une infraction pénale de délit de favoritisme dans la fourchette[12] de 0 à 4000 euros sera délicate mais surtout juridiquement difficilement punissable avec la suppression de la phrase : « Quelque soit le montant ».

En effet, l’article 432-14 du code pénal prévoyant et réprimant le délit de favoritisme dispose :

« Est puni de deux ans d’emprisonnement et de 30000 euros d’amende le fait par une personne dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service public ou investie d’un mandat électif public ou exerçant les fonctions de représentant, administrateur ou agent de l’Etat, des collectivités territoriales, des établissements publics, des sociétés d’économie mixte d’intérêt national chargées d’une mission de service public et des sociétés d’économie mixte locales ou par toute personne agissant pour le compte de l’une de celles susmentionnées de procurer ou de tenter de procurer à autrui un avantage injustifié par un acte contraire aux dispositions législatives ou réglementaires ayant pour objet de garantir la liberté d’accès et l’égalité des candidats dans les marchés publics et les délégations de service public ».

Devant un délit de favoritisme avéré (présence de l’élément intentionnel et de l’élément matériel), le prévenu pourra se réfugier derrière la lettre de l’article 28 du code des marchés publics mais surtout celle de l’article 432-14 du code pénal en arguant du fait que son acte n’est pas contraire à des dispositions réglementaires mais plutôt parfaitement « conforme » à celles-ci. Donc sauf à ce que le juge pénal fasse preuve d’une belle construction de l’esprit, ce qui d’ailleurs lui arrive souvent en matière de droit pénal des marchés publics, et arrive à trouver une base légale, l’infraction ne pourra être punie.

La suppression de la phrase « Quelque soit le montant » de l’article 1er du code des marchés publics a donc eu pour effet, à mon sens, de supprimer l’élément légal permettant la constatation et la poursuite du délit de favoritisme pour les marchés entre 0 et 4000 euros.

III – La possible attraction du droit communautaire

Au regard des évolutions du droit communautaire des critiques peuvent être également formulées. En effet, comme l’affirme le professeur Rolin[13], malgré la communication interprétative de la commission sur les marchés publics de faible montant[14], les marchés publics de moins de 4000 euros ne sont pas dans un « abri juridique » qui les dispense de respecter le droit communautaire. Ainsi pour des produits très spécifiques[15] certaines entreprises issues d’autres Etats membres peuvent être intéressées à soumissionner à des marchés publics même de faible montant[16]. Et même si le commerce entre États membres n’est pas affecté par un marché de 4000 euros, le raisonnement de la Commission voire du juge communautaire pourrait être différent si une entreprise nationale, venait à remporter plusieurs marchés publics de 4000 euros aux objets identiques sur l’ensemble du territoire national fermant de ce fait l’accès du marché en cause aux entreprises des autres Etats membres.

Par conséquent, le nouvel article 1er n’a pas pour effet de rendre plus conforme au droit communautaire les marchés de moins de 4000 euros mais au contraire de littéralement les exclure de son champ d’application alors que, comme il vient d’être démontré, ils pourraient dans certaines hypothèses en relever.

S’il faut saluer le pouvoir réglementaire d’avoir conservé l’exonération des règles de publicité et de mise en concurrence accordée aux marchés dont le montant n’excède pas 4000 euros HT, la réécriture de l’article 1er n’était pas attendue et paraît plutôt malvenue car il tend à faire de ces marchés, pour reprendre les mots d’un élu, « une norme d’achat public totalement dérogatoire »[17].

Notes

[1] CJCE 3 décembre 2001, Bent Mousten Vestergaard, aff. C-59/00.

[2] CE avis 29 juillet 2002, Société MAJ Blanchisseries de Pantin, Lebon p. 297.

[3] Interview de Michel Charasse, 20 septembre 2004, achatpublic.com.

[4] Décret n° 2004-1298 du 26 novembre 2004 relatif à diverses dispositions concernant les marchés de l’Etat et des collectivités territoriales, JO du 30 novembre 2004, p. 20310.

[5] Interview de Jérôme Grand d’Esnon, 2 décembre 2004, achatpublic.com.

[6] JD. Dreyfus, « Marchés de moins de 4000 euros : le cadeau empoisonné fait aux acheteurs publics », AJDA 2005, p. 30.

[7] Décret n° 2006-975 du 1 août 2006 portant code des marchés publics, JO du 4 août 2006.

[8] Article 11 du code des marchés publics : « Les marchés et accords-cadres d’un montant égal ou supérieur à 4 000 Euros HT sont passés sous forme écrite ».

[9] Article 11 de la loi n° 2001-1168 du 11 décembre 2001 portant mesures urgentes de réformes à caractère économique et financier : « Toutefois, les marchés passés sans formalité préalable en raison de leur montant sont dispensés de l’obligation de transmission au représentant de l’Etat prévue au premier alinéa. Ces marchés sont exécutoires dès leur conclusion », JO 12 décembre 2001 page 19703.

[10] Rép. Min Intérieur, JO 19 juillet 2005, p. 7114.

[11] Décision n° 2003-473 du 26 juin 2003 sur la loi habilitant le gouvernement à simplifier le droit.

[12] Nous n’envisageons ici que le cas d’un marché de moins de 4000 euros se rapportant à un seul et unique besoin, il est évident que la personne publique qui tenterait de saucissonner un besoin dont le montant excède 4000 euros en plusieurs marchés méconnaîtrait la règle de la computation des seuils commettrait un délit pénal qui devrait « normalement » être détecté.

[13] Frédéric Rolin, « Marchés publics de faibles montants : une communication interprétative de la Commission susceptible de remettre en cause certaines solutions françaises », article du 13 septembre 2006 en ligne sur le blog.

[14] Communication interprétative de la Commission du 24 juillet 2006 relative au droit communautaire applicable aux passations de marchés non soumises ou partiellement soumises aux directives «marchés publics», JOUE 1er août 2006.

[15] On peut penser ici à du matériel médical de pointe ou bien du matériel électronique.

[16] Dans son commentaire, le professeur Rolin recommande aux acheteurs publics d’avoir une appréciation « in concreto » des fournisseurs potentiels. A ce titre, il cite la célèbre jurisprudence du Conseil d’Etat du 7 octobre 2005 « Louvre II » qui a estimé que la procédure de passation du marché pour la programmation de l’antenne du musée de Louvre, devait être annulée car l’objet de ce marché imposait plus qu’une publicité au plan local.

[17] Interview de Christophe Rouillon : « Pour moi le décret 4000 est une soupape de sécurité. Il correspond évidemment à un besoin car il faut toujours pouvoir faire face à l’imprévisibilité (…) Cependant, le montant de 4000 euros ne doit pas devenir la norme. S’il parait nécessaire de faire une mise en concurrence car on peut y gagner de l’argent, il faut la réaliser. L’argent public est rare et il faut le dépenser utilement », 18 novembre 2004, achatpublic.com.

Commentaires

La question sera tranchée rapidement, puisque d’après ce que j’ai compris, le moyen a été soulevé à l’appui du recours dirigé contre le nouveau-nouveau-nouveau Code des marchés publics, qui a été introduit devant le Conseil d’Etat.

Personnellement, pour les raisons que j’avais déjà indiqué dans une tribune parue à l’AJDA, je ne conçois pas une exclusion généralisée de smarché de moins de 4000 euros de toute exigence de publicité et de mise en concurrence, aussi bien pour les questions juridiques que vous avez mises en évidence que pour des aspects davantage liés à la soiologie de l’administration et de la vie politique. Il est évident que ce type d’exemption favorisera le "petit clientélisme", qui n’est pas le moins malsain.

Romain (IDPA) dit :

Professeur Rolin, dans cette continuité "malsaine", il me semble que l’article d’aujourd’hui d’achatpublic.com est particulièrement éloquent : "10/11/2006 – Contrats de partenariats : un groupe de députés veut supprimer les critères d’urgence et de complexité ".

Gérard Boudon dit :

Juriste de Droit public et chargé de la passation de marchés publics depuis plus de 25 ans, avec une parenthèse de dix ans détaché dans une CRC pour, entre autres, les contrôler, conseiller municipal depuis 1995, et maire-adjoint depuis 2002, chargé bien sûr des finances et affaires juridiques, donc de superviser la passation des marchés de ma commune, je voudrais apporter le témoignage du "terrain". Je ne puis bien sûr qu’être Ok sur le fait que les principes de transparence, égalité des candidats…. doivent être appliqués par les personnes publiques. Cependant je pense que le fait de "l’imposer" au 1er euro était purement démentiel, et j’ai moi-même défendu le Décret des 4000 euros. Car finalement, pour tous ces petits achats, qu’est-ce que ce principe impliquait ? une perte de temps, une paperasserie supplémentaire, des "dossiers" à monter pour garder la preuve de la mise en concurrence pour chaque achat… en théorie c’est bien, mais en pratique c’est très très lourd, et finalement très coûteux. De + il ne faut pas oublier que nous avons 36.000 communes, dont 22.000 de moins de 2.000 habitants, à qui les règles imposées sont les mêmes qu’aux grandes structures qui ont un service des marchés + un service juridique… c’était, à mon sens, pure folie d’imaginer qu’il était possible que ces structures puissent appliquer de telles règles. Je terminerai en disant que lors des nombreux contrôles que j’ai pu effectués, et maintenant dans les relations que j’ai avec les services de la commune dont je suis élu, j’ai dans la grande majorité des cas rencontré des fonctionnaires et des élus honnêtes, et qui ne pensent pas tous qu’à faire du clientélisme, mais à bien faire leur travail en essayant de dépenser au mieux l’argentpublic.

Romain (IDPA) dit :

Mon billet n’avait pas pour but de remettre en cause le décret "petits achats", dont l’utilité a été prouvée, mais surtout de s’interroger sur la reecriture de l’article 1er qui semble avoir été faite pour sortir ce type de marchés de tous recours contentieux!

lecteur dit :

Article tres interessant merci!!

Romain (IDPA) dit :

A signaler cet arrêt cité par le professeur Linditch dans sa chronique de droit pénal des marchés publics, revue contrats et marchés publics, octobre 2007, p. 7 : "la méconnaissance de l’article 1er du code des marchés publics, dans sa rédaction issue du décret du 7 mars 2001, qui s’appliquait à tous les marchés publics, quel que soit leur montant, entre dans les prévisions de l’article 432-14 du code pénal" (Cass. crim., 14 février 2007, n° 06-81294).

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