Le blog Droit administratif

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28 10 2006

La validation législative des 39 heures dans le secteur hôtellerie-restauration

Le 9 octobre dernier, le Conseil d’État a annulé l’arrêté du 30 décembre 2004 portant extension de l’avenant du 13 juillet 2004 à la convention collective nationale des hôtels, cafés, restaurants. Celui-ci fixait, in fine, la durée légale du travail à 39 heures dans le secteur hôtellerie-restauration (CE, 9 octobre 2006, Fédération des services CFDT et autres, req. n° 276359 : Rec., à paraître). En effet, la partie législative du code du travail ne permet de déroger aux 35 heures pour certaines catégories d’emplois que lorsque les emplois concernés comportent des périodes d’inaction. En outre, le Conseil d’État a rejeté les conclusions tendant à la modulation dans le temps de l’annulation, qui visaient à priver la décision de son effet rétroactif.

L’autorité de la chose jugée semblait, assez logiquement, impliquer pour l’employeur le paiement comme heures supplémentaires de celles effectuées au-delà de la 36e depuis l’entrée en vigueur de l’arrêté annulé. Toutefois, selon le président de la principale organisation patronale, « ce sont les employés des entreprises de moins de vingt salariés qui vont devoir payer à leurs employeurs le trop perçu »[1]. Sauf à ce qu’un juriste spécialisé en droit social m’en fasse la démonstration, je laisse la responsabilité de ces propos à leur auteur.

En tout état de cause, l’annulation emportait d’importantes conséquences financières.

Si le Gouvernement s’est contenté d’une « déclaration inopportune »[2], les parlementaires sont allés plus loin.

Trois d’entre eux ont déposé un amendement à la loi de financement de la sécurité sociale pour 2007, visant à réintroduire les dispositions annulées avec effet rétroactif et ce jusqu’à l’intervention d’un nouvel accord. En bref, une large validation législative, qui fut pourtant adoptée par les députés.

Selon les parlementaires, la décision du Conseil d’État menace « la survie de nombreuses entreprises de ce secteur ainsi que leurs emplois, notamment du fait de son application rétroactive au 1er janvier 2005. Elle suscite l’inquiétude des salariés et créé une confusion juridique importante sur la durée du travail dans l’hôtellerie-restauration, puisqu’un accord collectif antérieur de 1999 en fixait la durée hebdomadaire à 43 heures ». Le retour au 43 heures est, là encore, laissé à la responsabilité des auteurs de l’amendement, mais il est vrai qu’il faut se méfier des réelles conséquences d’une annulation rétroactive.

Sans discuter de la portée réelle de la décision du Conseil d’État, que j’aurai bien du mal à établir, le procédé est grossier, sans doute inefficace et, peut-être même, cavalier.

Une atteinte inconstitutionnelle à la séparation des pouvoirs ?

Grossier, tout d’abord, car cette « annulation » d’une décision juridictionnelle semble violer le principe de l’indépendance de la justice administrative.

Pourtant, selon la jurisprudence du Conseil constitutionnel, si « il n’appartient ni au législateur ni au Gouvernement de censurer les décisions des juridictions, d’adresser à celles-ci des injonctions et de se substituer à elles dans le jugement des litiges relevant de leur compétence », le législateur peut, « dans l’exercice de sa compétence et au besoin, sauf en matière pénale, par la voie de dispositions rétroactives, (modifier) les règles que le juge a mission d’appliquer »[3].

Il résulte traditionnellement de cette jurisprudence que les validations ne peuvent que « porter sur des actes pris sur le fondement d’un acte ayant fait l’objet d’une annulation sans avoir été eux-mêmes annulés par une décision de justice devenue définitive »[4].

Ainsi, statuant sur la loi de finances rectificative de 2005 qui comportait une validation législative, le Conseil constitutionnel a jugé que :

« il ressort des travaux parlementaires que l’article 111 de la loi de finances rectificative pour 2005 a pour principal objet, par la condition qu’il pose, de priver d’effet, pour la période antérieure au 1er janvier 2001, l’arrêt précité de la Cour de justice des Communautés européennes ainsi que la décision précitée du Conseil d’Etat ; qu’il porte dès lors atteinte au principe de séparation des pouvoirs et à la garantie des droits ; que, par suite, il y a lieu de le déclarer contraire à la Constitution, sans qu’il soit besoin ni d’examiner les motifs d’intérêt général qui l’inspirent ni de statuer sur les autres griefs de la saisine »[5].

Le juge constitutionnel, même s’il est vrai qu’était ici en jeu l’effectivité du droit communautaire, n’admet donc pas les validations législatives rétroactives de décisions ayant déjà fait l’objet d’une annulation contentieuse, comme en l’espèce.

Ainsi, selon les Commentaires aux cahiers de la décision :

« la disposition déférée ne se contente pas, comme une validation ordinaire, de rectifier pour l’avenir les règles appliquées par le juge sous réserve de la chose déjà jugée. La disposition attaquée a pour objet de priver d’effet la décision rendue le 29 juin 2005 par le Conseil d’Etat (SA Etablissement Louis Mazet et autres). Elle anéantit tant la partie la plus importante du dispositif de cet arrêt que les motifs qui en sont le soutien nécessaire (…). Il y avait lieu par suite de déclarer l’article critiqué contraire à la Constitution, sans qu’il soit besoin ni d’examiner les motifs d’intérêt général qui l’inspiraient, ni de statuer sur les autres griefs de la saisine ».

Seules sont possibles les validations législatives préventives de décisions non annulées (et même non déclarées illégales par voie d’exception) et les validations législatives non rétroactives.

Ces validations licites ne couvrent pas le cas d’espèce, puisque la disposition litigieuse vise bien, in fine, la décision annulée et non les actes qui en découlent.

Un intérêt général suffisant ?

En toutes hypothèses, si la validation n’était pas jugée directement contraire au principe de séparation des pouvoirs, elle pourrait quand même s’avérer inefficace.

En effet, elle doit être dictée par l’intérêt général.

Ainsi, les jurisprudences constitutionnelle, européenne et administrative se sont progressivement durcies. Le Conseil constitutionnel a, notamment, considéré que « la seule considération d’un intérêt financier » ne suffisait pas à caractériser un intérêt général suffisant[6]. La jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme[7] et du Conseil d’État[8], exigent désormais, quant à elles, au regard de l’article 6 § 1 de la Convention européenne, un impérieux motif d’intérêt général.

Nous devrions être vite fixés car, à l’instar des lois de finances, les lois de financement de la sécurité sociale sont systématiquement déférées au juge constitutionnel par les parlementaires.

Par ailleurs, et c’est ici que la situation devient vraiment intéressante, si la disposition franchissait la barrière du contrôle de constitutionnalité, un phénomène nouveau se produirait.

En effet, le juge administratif s’étant doté dans sa décision AC! de larges pouvoirs de modulation des effets dans le temps d’une annulation contentieuse[9], il a déjà statué (si, comme en l’espèce, il était saisi de conclusions en ce sens) sur l’intérêt général s’attachant aux effets de l’annulation. Ainsi, s’agissant des 39h dans le secteur hôtellerie-restauration, il aurait pu prendre une décision identique à celle qu’a prise le législateur. Or, il n’a pas estimé devoir le faire.

Dès lors, juger la validation compatible avec les stipulations de la Convention européenne reviendrait pour le Conseil d’État à se déjuger, sauf à ce qu’il estime (et il devra alors le faire par un beau considérant de principe) que le large pouvoir d’appréciation dont il s’est doté, l’est moins que celui du législateur. Mais, à mon sens, la jurisprudence AC ! (qui porterait alors bien son nom) doit conduire à la disparition des validations législatives.

Un cavalier législatif ?

Enfin, le procédé pourrait aussi être cavalier. Gérard Filoche et un député UDF estiment, en effet, qu’il s’agit d’un cavalier législatif. Cependant, l’amendement prévoit un paragraphe sur les implications de la décision en termes de perte de recettes pour les organismes de sécurité sociale. La disposition n’est donc pas dépourvue de tout lien avec le projet de loi examiné, ce qui suffit, en principe, à la faire échapper à la censure comme cavalier législatif.

P.S. : Merci à Paxatagore et SDL.

Commentaires

Paxatagore dit :

Radical désaccord avec votre analyse qui me parait faire un contre sens total sur la notion d’autorité de la chose jugée dans le cas de l’espèce. Les arrêts que vous citez concernent tous des décisions individuelles : la décision du conseil constitutionnel de 1980 concerne par exemple la nomination à un comité technique paritaire. L’autorité de chose jugée suppose l’identité de cause d’objet mais aussi de parties.

Je pense donc que cet amendement est parfaitement conforme à la Constitution. Je suis prêt à parier que, si la loi de finance est votée par le parlement, le conseil constitutionnel n’y trouvera rien à redire sur la question de l’autorité de la chose jugée (sur la question du caractère "cavalier" de la procédure, par contre…).

Ce qui poserait problème, c’est l’application de cette validation à des situations de salariés qui auraient déjà été tranchées définitivement par des salariés.

François dit :

Paxatagore :

Je crois que tu raisonnes ici en privatiste. En effet, s’agissant d’un recours pour excès de pouvoir, la force de chose jugée qui s’attache à la décision du CE est la suivante : l’avenant à la convention collective disparaît de l’ordonnancement juridique avec effet rétroactif. L’effet de la loi est l’inverse. Il y a donc bel et bien un conflit total entre les deux.

La loi n’a ni plus ni moins pour objet que d’anéantir les conséquences d’une décision juridictionnelle passée en force de chose jugée.

En outre, la loi a pour objet de purger un vice s’attachant à un acte administratif et a vocation à s’appliquer individuellement à tous les salariés du secteur. A minima, la jurisprudence Zielinski est donc applicable. Or, il a déjà été jugé qu’un simple intérêt financier n’est pas constitutif d’un impérieux motif d’intérêt général.

P.S. : Bernard Accoyer juge lui-même qu’il s’agit d’une loi de validation : http://www.challenges.fr/

P.P.S. : voir aussi le topic sur ce sujet sur Opus Citatum.

Paxatagore dit :

A voir. Attendons la décision du conseil constitutionnel (si elle vient… la question du cavalier législatif, de pure procédure, sera probablement examinée avant la question tenant à la séparation des pouvoirs, par le CC).

Il me semble que Paxa a raison.

Les bémols que posent la CEDH ( et la jp du CC) à la possibilité de revenir sur des décisions de justice ne concernent pas dans notre cas la décision du CE, mais d’éventuelles décisions concernant des demandes de salariés en paiement d’heures sup (devant les prud’hommes je pense).

En effet, le droit applicable après annulation (rétroactive) de l’accord en question par le CE, tant qu’aucune loi de validation n’est intervenue, est celui des heures sup au dela de 35 h.

– la loi de validation ne peut en aucun cas revenir sur un jugement, si il est devenu définitif, au profit d’un salarié, qui condamnerait un employeur au paiement de ces sommes.
– la loi ne peut modifier les règles "que le juge a mission d’appliquer" (le régime des 35h) à un procés en cours que pour des motifs impérieux d’intéret général (Avis Provins que cite le billet).

C’est le raisonnement suivi par le CC dans sa célèbre décision de 1980, un raisonnement en 2 temps:
– il n’appartient ni au législateur ni au Gouvernement de censurer les décisions des juridictions, d’adresser à celles-ci des injonctions et de se substituer à elles dans le jugement des litiges relevant de leur compétence.

– Mais ces principes de valeur constitutionnelle ne s’opposent pas à ce que, dans l’exercice de sa compétence et au besoin, sauf en matière pénale, par la voie de dispositions rétroactives, le législateur modifie les règles que le juge a mission d’appliquer ; qu’ainsi le fait que la loi soumise à l’examen du Conseil constitutionnel intervient dans une matière ayant donné lieu à des recours actuellement pendants n’est pas de nature à faire regarder cette loi comme non conforme à la Constitution ;

François dit :

SDL, Paxa :

Vous m’avez beaucoup fait douter, mais je crois avoir raison, même si les choses ne sont pas simples. J’ai modifié en conséquence mon billet.

Paxatagore dit :

A vrai dire, je vais nuancer de mon côté mon analyse, qui dépend grandement, en fait, de la rédaction de l’amendement Acoyer. Je n’ai pas trouvé cette rédaction, mais ce que je lis ici ou là me laisse à penser que les termes employés sentent trop fort la validation législative pour passer.

Pour ma part, j’aurai simplement modifié l’article du code du travail qui pose problème, et le ministre du travail aurait à nouveau étendu la convention collective. Evidemment, ça n’aurait pas réglé le problème du statut des salariés "entre deux".

François dit :

Paxa :

Il y a un lien dans l’article vers l’amendement, que je remets ici : http://www.assemblee-nationale.f...

Au passage, on notera que l’amendement n’a pas été déposé par M. Acoyer, bien qu’il en ait été à l’origine, mais par trois autres députés, dont notamment un ancien Garde des Sceaux

Je crois, au final, après de plus amples recherches, que le sujet des validations législatives est en pleine mutation et qu’il serait nécessaire que j’y consacre un vrai et long article.

Quant à ta dernière proposition, elle aurait été, de loin, la plus sage.

Paxatagore dit :

mmm, je lis l’amendement et c’est équivalent à ce que je proposais. A mon avis, ça va passer. Peut-être que l’alinéa sur la rétroactivité va sauter, probablement plus à le CEDH qu’au CC. On prend les paris.

Tom dit :

1/ Le changement pour l’avenir ne pose évidemment aucun problème juridique (sauf éventuellement, mais je n’y crois pas trop, celui d’inégalité devant la loi pour la durée du travail)

2/ La rétroactivité pose beaucoup plus de problème, et comme l’indique François, c’est un sujet en pleine mutation. Il reste que, dans la Décision n° 2005-531 DC du 29 décembre 2005, le CC semble bien exclure une validation rétroactive pure et simple d’un acte annulé, et c’est le cas ici (sans le dire explicitement, mais ça ne trompe personne). La rétroactivité pose de plus le problème des créances certaines qui sont par là même, et de fait, annulées.

3/ Pour la sécurité juridique, vu l’état actuel du droit international, il vaudrait mieux que le CC déclare non-conforme à la Constitution l’amendement en question.
Sinon, on risque d’avoir des litiges infinis jusqu’à la CEDH, et comme dans l’affaire Draon, des rebondissements multiples, avant une stabilisation de la jurisprudence.

Je rappelle que dans l’affaire Draon, on a eu :
a) Une loi rétroactive (suite à la jurisprudence Perruche et pour contrarier celle-ci) et c’était une loi votée à l’unanimité
b) Le Conseil d’Etat qui considère tout d’abord que cette rétroactivité voulue par le législateur est justifiée par d’impérieux motifs d’intérêt général
c) La France condamnée sur ce point par la CEDH
d) Conseil d’Etat et Cour de cass qui s’alignent désormais sur la CEDH et n’appliquent plus la rétroactivité de cette loi en tout ou partie : au moins dans les cas où une instance était déjà en cours pour le CE, et peut-être même (?) avec suppression de toute forme de rétroactivité dans quelque cas que ce soit, pour la Cour de cass (du fait de l’article 1 du Protocole no 1 additionnel à la Convention)
e) Voir CEDH http://www.echr.coe.int/fr/Press...

Tom dit :

Un petit résumé fait par Mme FAVRE, Conseiller rapporteur devant l’Assemblée plénière de la Cour de cassation [L’affaire concernait la révision du bail commercial conclu entre la société "Le Bas Noyer" (bailleur) et la société "Castorama" (locataire), et l’application de la loi du 11 décembre 2001 (loi "MURCEF")] :


Il ressort en effet des décisions successives de la Cour européenne des droits de l’homme (14) que, pour satisfaire à l’exigence d’un procès équitable (article 6 de la Convention) "si, en principe, le pouvoir législatif n’est pas empêché de réglementer en matière civile, par de nouvelles dispositions à portée rétroactive, des droits découlant de lois en vigueur, le principe de la prééminence du droit et la notion de procès équitable, consacrés par l’article 6, s’opposent, sauf pour d’impérieux motifs d’intérêt général, à l’ingérence du pouvoir législatif dans l’administration de la justice dans le but d’influer sur le dénouement judiciaire du litige" (15).

Au plan interne, Le Conseil constitutionnel a progressivement entrepris d’encadrer strictement le recours aux lois de validation. Si, sauf en matière répressive, il ne condamne pas les lois rétroactives, il assortit leur validité au regard de la Constitution à plusieurs conditions : la loi ne doit pas valider l’acte qui a fait l’objet, le cas échéant, d’une annulation par le juge, elle ne doit pas méconnaître le principe de l’autorité de la décision passée en force de chose jugée, elle doit répondre à des motifs d’intérêt général suffisant et demeurer raisonnablement proportionnée à l’objectif poursuivi.

François dit :

Tom :

La partie du rapport de Mme Favre que vous citez n’est pas pertinente, puisqu’en l’espèce, comme j’ai tenté de l’expliquer dans mon billet, même un motif impérieux d’intérêt général ne pourrait justifier la validation législative.

Tom dit :

1/ Le rapport de Mme Favre (dont je n’ai cité qu’un extrait), est tout à fait remarquable et j’en recommande la lecture. Il date de janvier 2004 et est sur le site de la Cour de cass.
Le site du Sénat que vous avez évoqué est également remarquable.

2/ Bien sûr, cela ne dit pas tout.
a) Votre argumentation à partir de la décision AC! et le refus par le Conseil d’État de faire de même ici (annulation différée) me semble très intéressante. On peut cependant penser, comme vous le suggérez, que la marge d’appréciation du législateur soit un peu plus grande que celle du juge, mais cela se discute vous l’avez dit.
b) les logiques de CC et de la CEDH se rapprochent, mais ce ne sont pas exactement les mêmes, donc les décisions peuvent différer… et je ne sais si le CC sera saisi…
La CEDH jugera quant à elle encore à partir de la notion d’impérieux motifs d’intérêt général (sur l’art. 6.1), et sur ce point, le rapport de MMe Favre reste pertinent. Il faudra voir aussi avec l’art. 1 du protocole additionnel n° 1…
c) Tout cela est complexe, pour une large part pas très prévisible, et le Parlement s’engage sur des voies dangereuses pour la sécurité juridique avec cet amendement rétroactif.
d) Il faut dire que ces histoires d’heures d’équivalence donnent lieu à des litiges depuis plus de 15 ans, avec des jurisprudences croisées de la Cour de cassation, du Conseil d’État, de la CJCE, de la CEDH et des lois diverses (y compris des lois de validation rétroactives). C’est beau du point de vue de la théorie, c’est un véritable gâchis sur le plan de la sécurité juridique.
e) Pour le dire simplement, quatre ou cinq cours suprêmes dans leur ordre (CJCE, CEDH, CC, CE, Ccass.), un droit européen parfois obscur, un législateur interne aimant la rétroactivité, et un gouvernement peu prudent dans ses décrets, cela fait beaucoup pour que le droit puisse être aimé par l’utilisateur de base, et pour que la situation de droit se stabilise rapidement.

François dit :

Tom :

Notre désaccord persiste sur le caractère opérant ou non d’un motif d’intérêt général.

Je vous renvoie à la décision de 2005 : "il y a lieu de le déclarer contraire à la Constitution, sans qu’il soit besoin (…) d’examiner les motifs d’intérêt général qui l’inspirent".

Sur ce point, les jurisprudences constitutionnelle et européennes me semblent en phase (même si je n’ai pas de décision de la CEDH pour l’illustrer).

Sur la saisine du Conseil constitutionnelle, elle ne fait aucun doute, s’agissant d’une loi de financement de la S.S.

Très rapidement, sans vérification, et purement intuitivement, je suis assez gêné par la distinction rétroaction/pour l’avenir, dans la mesure où l’intention des parlementaires est claire : il s’agit d »abord de régler la situation du passé réouvert par l’arrêt du CE, j’aurais donc tendance à prendre l’amendement comme un tout indivisible.

Tom dit :

1/ Je vois mieux votre objection. Elle me semble incontournable du point de vue constitutionnel si le CC est saisi (ce qui est probable) et s’il maintient sa jurisprudence (c’est quand même un organe assez « politique », qui essaiera peut-être de trouver une échappatoire, et qui peut « préciser » et « affiner » sa jurisprudence).

2/ Là où je m’interroge, c’est de savoir si la CEDH est concerné par l’atteinte que porterait au syndicat requérant (requête en excès de pouvoir) la validation (encore éventuelle) du décret annulé. Il y a bien sûr atteinte à la séparation des pouvoirs, et à l’autorité de la chose jugée, mais est-ce relativement à un procès où la Convention européenne a un effet ?
Le litige devant le Conseil d’État ne concernait pas un bien, une créance, une obligation ou un droit de la CFDT ou d’un des autres syndicats requérants…
Pour le dire autrement, un syndicat peut-il, au nom de l’article 6.1, se plaindre directement de la validation du décret annulé par le Conseil d’État ? S’agit-il d’un procès civil ou pénal ? Il ne me semble pas que la CFDT soit concernés par "des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil", ou par "toute accusation en matière pénale dirigée contre elle" dans le REP en question (art. 6.1).

3/ En revanche, un salarié en instance devant les prud’hommes ou une cour d’appel peut s’appuyer sur l’art. 6.1 (et sur l’art. 1 du protocole additionnel n° 1), et arguer que la validation est contraire à la ConvEDH…
Mais pour un litige qui n’est pas encore jugé définitivement, on retrouve alors la pertinence des impérieux motifs d’intérêt général évoqués ci-dessus.

François, avec le fil de la discussion, vous commencez à me faire douter!
Et votre billet modifié me parait très défendable.

François dit :

Professeur Rolin :

En l’espèce, une censure partielle, en ce qu’elle est rétroactive, de la loi de validation me paraît en effet peu probable.

Tom :

Sans discuter si, en l’espèce, nous nous trouvons dans le champ d’application de l’article 6§1, la CEDH devrait raisonner exactement comme le Conseil constitutionnel, parce que la logique même le commande. Mais, je reconnais qu’il faudrait creuser cette question. Malheureusement, la base HUDOC ne semble pas fonctionner aujourd’hui.

SDL :

J’en suis ravi ! Pourvu que toutes les discussions sur mes billets soient aussi constructives que celle-ci !

Tom dit :

Je vous signale un post où j’indique pas mal d’éléments et pas mal de liens sur les questions de sécutité juridique (en général) et de rétroactivité (en particulier).
Cf. http://www.opuscitatum.com/modul...

Cordialement

courbet dit :

Qu’en est-il selon vous de l’assimilation de la 6e semaine de congés payés avec les journées de RTT dans l’amendement ?

Je m’explique: l’accord négocié dans la branche de l’hôtellerie restauration par les partenaires sociaux s’articulait autour de l’équilibre suivant : maintien des 39h traditionnelles en échange d’une "sixième semaine de Congés Payés".
Par la suite, on s’est apperçu que nombre de patrons du secteur ont considéré déjà appliquer l’octroi de la 6e semaine puisque leurs salariés bénéficiaient de RTT (RTT prévus obligatoirement par la loi au-delà d’un seuil d’heures supplémentaires fréquent dans ce secteur, ce que le législateur a appellé des "repos compensateurs").
Or, c’est précisément ce qui a motivé le recours de la CFDT: puisque l’accord n’offre aucun avantage aux salariés de la branche, mais que des inconvénients, faisons en sorte qu’on l’annule !
Et là, voici que non seulement le parlement entends déjuger le conseil d’état et par là même ôter aux justiciables qui l’ont saisi leurs droits. Mais en sus, les parlementaires s’offrent le luxe de s’imiscer dans le jeu du dialogue social et de la négociation collective de façon bien arbitraire en ôtant tout équilibre au débat initial, mais n’ayons crainte c’est pour "rassurer les salariés du secteur qui ont peur" comme le rapelle l’exposé des motifs de la loi. On est à un sacré niveau de mauvaise foi à mon humble avis !

Enfin, les congés payés et les RTT peuvent-ils être considérés comme de même nature juridiquement ?
A priori ils ont bien des différences : conditions d’octroi, modalités de prise desdits congés ou JRTT et toute une ribambelle d’effets juridiques contraires. Cela ne me semble pas cohérent au plan du droit du travail.

Tom dit :

Décision n° 2006-544 DC – 14 décembre 2006

Concernant l’article 15 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2007, relatif à la durée du travail dans le secteur de l’hôtellerie-restauration, le CC a jugé la validation en cause satisfaisant aux conditions auxquelles la jurisprudence subordonne de telles mesures…

Tom :

Je prépare un article sur le sujet.

Certes, le CC a considéré que la loi de validation est constitutionnelle, mais elle a confirmé qu’une loi ne pouvait porter atteinte ni au dispositif, ni aux motifs, d’une décision juridictionnelle passée en force de chose jugée. D’ailleurs, en confirmant ce principe, le CC a du consacrer une page entière pour faire la démonstration que tel n’est pas l’effet de la disposition litigieuse.

Tom dit :

J’avoue ne pas être pleinement convaincu, après lecture rapide, par le raisonnement du CC, et j’attends votre billet avec impatience !

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