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09 08 2006

Le livre de Nicolas Sarkozy est-il une dépense électorale ?

Le dernier livre de Nicolas Sarkozy, Témoignage, qui vous est vanté ici même par Google et même par d’autres, constitue-t-il une dépense électorale à faire figurer dans le compte de campagne du futur candidat de l’UMP ? Telle est l’étrange question posée par le quotidien Le Monde dans un article paru la semaine dernière et intitulé « Les juges auront à se prononcer sur le statut du livre de M. Sarkozy ».

Cette question ne concerne évidemment pas que notre ministre de l’Intérieur. Comme le relève le quotidien, « la plupart des possibles candidats à l’élection présidentielle, à commencer par Ségolène Royal, ont prévu de sortir leurs ouvrages ». Ceci rend la quetsion d’autant plus intéresssante.

Aux termes de l’article L. 52-12 du code électoral, constituent des dépenses électorales, celles « engagées ou effectuées en vue de l’élection ». Cette définition très vague – mais on voit mal comment il pourrait en être autrement – laisse une grande marge d’appréciation à l’autorité chargée du contrôle.

Tout d’abord, précisons qu’en vertu du mémento de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques pour l’élection présidentielle de 2007, les dépenses électorales seront comptabilisées à compter du 1er avril 2006.

La jurisprudence distingue les dépenses à prendre en compte selon le caractère de l’ouvrage. En effet, la publication d’un livre engendre deux types de dépenses : les frais d’édition (impression et diffusion) et les frais de promotion.

I – Les frais d’édition

Les frais d’édition du livre ne sont comptabilisés que lorsque l’ouvrage s’apparente à de la propagande électorale. Ainsi, les frais d’édition d’un roman ne constituent pas une dépense électorale (CC, 26 septembre 2002, décision relative au compte de campagne de Monsieur Noël MAMÈRE, considérant n° 7). À l’inverse, un ouvrage présentant les grandes lignes du programme électoral revêt un caractère électoral (CC, 11 octobre 1995, décision relative au compte de campagne de Monsieur Edouard BALLADUR).

Or, comme le font remarquer les conseillers de M. Sarkozy, le livre de celui-ci contient beaucoup d’autres choses que les opinions politiques de son auteur. Il retrace notamment ses dernières péripéties conjugales. Cependant, comme le fait remarquer l’auteur du commentaire précité, le ministre de l’Intérieur présente bien des réformes concrètes à mettre en œuvre. Or, un « saucissonnage » de la dépense paraissant à proscrire aux vues de la jurisprudence la plus récente du Conseil d’État, l’intégralité des frais d’édition du livre de Nicolas Sarkozy apparaît donc, à mon sens, constituer une dépense électorale. Mais, il n’est pas du tout certain que mon opinion soit partagée par le juge.

Si la Commission nationale des comptes de campagne ou le juge de l’élection considérait l’ouvrage comme constitutif d’une propagande électorale, le montant des frais d’édition serait porté en tant que concours en nature (cf. CC, 26 septembre 2002, décision relative au compte de campagne de Monsieur Jean-Pierre CHEVÈNEMENT) dans le compte de campagne ou comme une dépense (fictive car non engagée par le mandataire financier) et une recette commerciale (cf. CC, 11 octobre 1995, décision relative au compte de campagne de Monsieur Lionel JOSPIN). En tout état de cause, ils sont comptabilisés dans le calcul du plafond des dépenses autorisées.

Le problème est que ce concours en nature ou cette dépense est pris en charge par une personne morale : la maison d’édition. Or, aux termes de l’article L. 52-8, alinéa 2, du Code électoral :

« Les personnes morales, à l’exception des partis ou groupements politiques, ne peuvent participer au financement de la campagne électorale d’un candidat, ni en lui consentant des dons sous quelque forme que ce soit, ni en lui fournissant des biens, services ou autres avantages directs ou indirects à des prix inférieurs à ceux qui sont habituellement pratiqués ».

Ce concours en nature de la maison d’édition constitue donc un financement prohibé de la campagne électorale par une personne morale et devrait conduire au rejet du compte de campagne et à l’inéligibilité du candidat. Cependant, ni le Conseil constitutionnel, ni le Conseil d’État, ni même la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques, ne vont jusqu’au bout de leur raisonnement. Les frais d’édition sont comptabilisés en concours en nature et c’est tout.

C’est pourquoi, dans ses observations sur les échéances électorales de 2007, le Conseil constitutionnel a préconisé :

« l’obligation pour le candidat d’éditer à compte d’auteur les ouvrages publiés en vue de son élection : le mandataire financier engagerait les dépenses d’édition de l’ouvrage et en encaisserait les recettes ; ces dépenses et ces recettes seraient imputées au compte de campagne pour leur montant brut ; la situation actuelle ne permet pas de respecter l’interdiction législative de financement par une personne morale ».

Cependant, ce voeu, faute d’avoir été entendu par le législateur, n’a évidemment pas été pris en compte par les futurs candidats.

II – Les frais de promotion

Le Conseil constitutionnel, à l’occasion du contrôle du compte de campagne de M. Juppé pour les élections législatives et s’agissant de son livre La tentation de Venise, a posé le principe selon lequel « la publication d’un ouvrage ne saurait, en principe, être regardée comme une action de propagande du seul fait que l’auteur de ce livre est candidat à une élection » (CC, 21 octobre 1993, Assemblée nationale, Paris 18e circonscription, n° 93-1325). Pour que les frais de promotion d’un ouvrage soient considérés comme des dépenses électorales, il faut donc que « la mise en oeuvre de ceux-ci excède, par leur nature ou leur ampleur, la promotion habituelle d’oeuvres de même nature dans le dessein de promouvoir auprès des électeurs de la circonscription l’image de ce candidat » (même décision).

Il faut donc, comme l’illustre très bien la décision relative au compte de M. Juppé, analyser chaque dépense de promotion pour faire apparaître ou non son caractère électoral.

Pour finir, il est à noter que, en toute logique, que « le produit des ventes effectuées par l’éditeur de l’ouvrage (…), qui n’a pas été reversé à l’association de financement, ne doit pas être inscrit au compte de campagne » (CC, 26 septembre 2002, décision relative au compte de campagne de Madame Corinne LEPAGE).

Commentaires

Très clair.

Si je peux me permettre quelques ajouts à cette réflexion, je pense que :

1) il serait utile de se reporter aux réponses des services du Conseil constitutionnel à l’occasion de l’élection de 2002 (attention, à replacer dans le contexte législatif et réglementaire de l’époque, c’était avant les observations de juillet 2005 et évidemment avant les modifications de début 2006) :

FAQ du Conseil constitutionnel sur l’élection présidentielle 2002 http://www.conseil-constitutionn... voir:
– La promotion commerciale de l’ouvrage d’un candidat publié dans un but explicite de propagande électorale est-elle permise? http://www.conseil-constitutionn...
– Un livre écrit par un candidat doit-il être intégré dans son compte de campagne? http://www.conseil-constitutionn...
– Y a-t-il un risque pour un candidat auteur d’un livre à succès sans rapport avec la campagne électorale de se voir réintégrer des dépenses à ce titre ? http://www.conseil-constitutionn...
– Quel est le coût à retracer dans le compte de campagne d’un livre écrit par le candidat pour les besoins de sa campagne électorale? Quelles pièces fournir à cet effet http://www.conseil-constitutionn...

2) de rappeler que le Conseil avait "préconisé" la même chose dans ses observations de 2002 http://www.conseil-constitutionn... , et demander au législateur de prendre une décision formelle sur la question.

"XI. 2) La question, récurrente, du coût des ouvrages de caractère électoral publiés par les candidats mériterait d’être prise en compte par le législateur compte tenu de l’imprécision des règles actuelles."

3) Enfin de rappeler que le Conseil constitutionnel n’est plus le contrôleur en premier ressort du financement de l’élection présidentielle. En effet, la LO 2006-404 du 5 avril 2006 http://www.legifrance.gouv.fr/ht... a donné à la CCFP le soin de contrôler les comptes de campagne des candidats : seules les décisions de la CCFP (rejet, approbation ou réformation) faisant l’objet d’un recours de pleine juridiction, passeront devant le Conseil (troisième alinéa du III de l’article 3 ), donc en gros seulement les décisions de rejet de compte, et peut-être certaines réformations. Mais cette profonde modification procédurale va changer la donne : je n’apprendrais à personne ici que la "jurisprudence" de la CCFP diffère parfois assez sensiblement (sur des points de détails peut-être, mais avec entêtement 😉 avec celle du CC et du CE.

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