L’incroyable amnistie de Guy Drut
Par François GILBERT :: Politique et analyse institutionnelle
L’Agence France Presse a annoncé avant hier soir que Guy Drut, député UMP et ancien ministre des sports, avait fait l’objet d’une mesure d’amnistie individuelle du Président de la République. Cet ancien champion olympique avait été condamné, en octobre 2005, à 15 mois de prison avec sursis et 50.000 euros d’amende dans l’affaire des marchés publics d’Ile-de-France, pour avoir occupé un emploi fictif financé par la Compagnie générale des eaux. Cet emploi lui aurait rapporté entre 84.000 euros (selon le Nouvel Observateur) et 118.000 euros (selon le Monde). Il y aurait donc eu enrichissement personnel.
Cette décision a été prise pour permettre à l’intéressé de continuer de siéger au Comité international olympique, qui n’accueille pas en son sein de délinquants. Quel contraste entre l’éthique sportive et celle de notre classe politique !
A titre préliminaire, soulignons que le décret d’amnistie individuelle n’est pas publié au Journal officiel, même sous format papier. Pourtant, aux termes de l’article 2 de l’ordonnance n° 2004-164 du 20 février 2004 relative aux modalités et effets de la publication des lois et de certains actes administratifs : « Sont publiés au Journal officiel de la République française les lois, les ordonnances, les décrets et, lorsqu’une loi ou un décret le prévoit, les autres actes administratifs ». Si quelqu’un peut m’expliquer…
Qu’est-ce qu’une mesure d’amnistie individuelle ?
Quelques mots, tout d’abord, sur cette notion de d’« amnistie individuelle ». On distingue traditionnellement en droit la grâce, mesure réglementaire (individuelle ou collective), de l’amnistie, mesure législative, en principe collective.
Cependant, il est de tradition (au moins depuis 1981) d’introduire dans la loi d’amnistie qui suit l’élection présidentielle un dispositif permettant des mesures d’amnistie individuelle, prononcée par décret du Président de la République, pour les personnes n’ayant pas bénéficié de l’amnistie collective.
Ainsi, l’article 12 de la loi n° 81-736 du 4 août 1981, portant amnistie, disposait :
»« Le Président de la République peut admettre par décret au bénéfice de l’amnistie les personnes poursuivies ou condamnées pour toute infraction (…) qui n’ont pas, antérieurement à cette infraction, fait l’objet d’une condamnation à l’emprisonnement ou à une peine plus grave pour crime ou délit de droit commun et qui appartiennent à l’une des catégories ci-après :
(…) 5° Personnes qui se sont distinguées d’une manière exceptionnelle dans les domaines humanitaire, culturel ou scientifique » ».
L’article 13 de la loi n° 88-828 du 20 juillet 1988 avait ajouté à cette catégorie le domaine économique. L’article 13 de la loi n° 95-884 du 3 août 1995 avait repris à l’identique cette disposition.
L’ « amendement » Guy Drut ?
L’article 10 de la loi n° 2002-1062 du 6 août 2002, portant amnistie, a quant à elle ajouté à cette catégorie le domaine sportif.
Dans son éditorial d’aujourd’hui, Le Monde affirme que cette mesure avait été appelée à l’époque « amendement Drut ». Pourtant, il ne s’agissait pas d’un amendement, cette extension figurant dans le projet de loi initial. Au demeurant, comme le souligne Versac, les députés socialistes y voyaient alors non une mesure destinée à amnistier Guy Drut, mais David Douillet.
Alors, préméditation ou non ? Nous le saurons probablement jamais.
Pourquoi une mesure d’amnistie et non de grâce ?
Le Président de la République a recouru à l’amnistie individuelle, car la grâce aurait été ici sans effet. Et pour cause, on sait qu’aux termes de l’article 113-7 du code pénal : « La grâce emporte seulement dispense d’exécuter la peine ».
L’amnistie, quant à elle, « (…) efface les condamnations prononcées. Elle entraîne, sans qu’elle puisse donner lieu à restitution, la remise de toutes les peines. Elle rétablit l’auteur ou le complice de l’infraction dans le bénéfice du sursis qui avait pu lui être accordé lors d’une condamnation antérieure » (article 133-9 du code pénal).
Ainsi, la condamnation est censée n’avoir jamais existée, si bien qu’il « est interdit à toute personne qui, dans l’exercice de ses fonctions, a connaissance de condamnations pénales, de sanctions disciplinaires ou professionnelles ou d’interdictions, déchéances et incapacités effacées par l’amnistie, d’en rappeler l’existence sous quelque forme que ce soit ou d’en laisser subsister la mention dans un document quelconque » (article 133-11 du code pénal). De même, la poursonne poursuivie pour diffamation ne peut prouver ce qu’elle avance en invoquant une condamnation amnistiée (article 35 de la loi du 29 juillet 1881).
Au demeurant l’article 15 de la loi n° 2002-1062 du 6 août 2002, portant amnisti, dispose: « Toute référence à une sanction ou à une condamnation amnistiée sur le fondement de la présente loi est punie d’une amende de 5 000 Euros. Les personnes morales peuvent être déclarées pénalement responsables, dans les conditions prévues à l’article 121-2 du code pénal, de l’infraction définie au présent alinéa. La peine encourue par les personnes morales est l’amende, dans les conditions prévues par l’article 131-38 du code pénal ».
Autant dire qu’un nombre incroyable de délits a été commis dans la presse ces deux derniers jours ! Moi-même, j’encourre une condamnation pour avoir rappelé celle de Guy Drut en introduction de ce billet.
Comme le soulignait René Dosière, député socialiste, durant le débat précédant le vote de la loi : « Notre ancien collègue Pierre Mazeaud jugeait anormal qu’un tel article figurât dans la loi d’amnistie. En effet, on dessaisit ainsi le Parlement de sa capacité à voter l’amnistie pour la transférer au Président de la République, abaissant de la sorte encore le Parlement. Par ailleurs, à la différence de la simple grâce présidentielle, la grâce amnistiante entraîne l’effacement de la condamnation, combinant les avantages de la grâce et de l’amnistie ».
Tolérance zéro ?
Je me souviens d’une discussion, il y a quelques années, avec mon professeur de droit constitutionnel, au sujet de l’irresponsabilité pénale du Président de la République. À l’époque, la commission Avril, qui proposait, notamment, d’entériner la jurisprudence de la Cour de cassation sur le statut pénal du chef de l’État, venait de rendre son rapport, tandis que le principe de « tolérance zéro » faisait son apparition, dans la bouche de qui vous savez. Je soutenais que cette contradiction n’était pas soutenable. Mon professeur m’avait dit : « mais cela n’a rien avoir ». Tout au contraire, lui répondais-je et que j’avais raison.
Mon analyse semble partagée par le Président de l’Union syndicale des magistrats (syndicat modéré majoritaire chez les magistrats) qui a déclaré que cela « donne une très mauvaise image à ceux qui ont été condamnés en matière d’incendie dans les banlieues ».
En effet, cette mesure ne peut qu’attiser l’incompréhension, voire la haine, que les jeunes les plus défavorisés peuvent avoir pour la justice. En outre, en pleine « affaire Clearstream », cette amnistie jette une fois de plus le discrédit sur la classe politique.
La réforme de nos institutions est plus que jamais nécessaire.
Commentaires
Cela est une pratique résolument d’un autre temps : celui où le roi Hérode devait choisir entre Jésus et le criminel Barabbas. Sommes-nous retournés 2000 ans en arrière ?
L’UMP, parti de la rupture, doit clairement rompre avec cette tradition qui montre le mauvais exemple. Les personnes aujourd’hui condamnées ne l’on pas été sans motif réel et sérieux : les peines doivent s’appliquer, pour la pérennité et la crédibilité de la Justice, dont l’image est déjà affaiblie depuis des années.
Dans son livre "Témoignage", Nicolas Sarkozy donne sa position concernant le thème des grâces présidentielles. Sa réponse est claire et sans appel : "Je considère qu’il faut mettre un terme au pouvoir d’amnistie et de grâce du Président de la République. (…) Je souhaite que ce pouvoir présidentiel, qui relève à mon sens d’une époque révolue, soit aboli".
Plus de détails dans le livre "Témoignage", XO Editions, page 165.
Louis :
Je crois que notre ministre de l’intérieur a une volonté sincère de mettre fin à cette situation.
En même temps, Nicolas Sarkozy est le premier à s’immiscer dans les affaires de la justice, d’une façon totalement condamnable comme j’ai pu en témoigner de nombreuses fois ici même.
Il faut admettre que si la justice peut être sévère à bon compte, elle peut aussi prononcer des relaxes de la même façon. L’exécutif n’a pas à s’immiscer dans les affaires judiciaires, un point c’est tout. Malheureusement, je ne pense pas que ce soit la doctrine du futur candidat de l’UMP.