Le blog Droit administratif

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28 03 2006

CPE : La sortie, oui, mais par où ?

J’ai déjà consacré, il y a trois jours, un billet à un éventuel « retrait » ou « amendement » du CPE (dont la lecture est recommandée pour comprendre celui-ci). Mais, le Premier ministre et le Président de l’UMP ayant précisé aujourd’hui leurs intentions, j’en profite pour rendre mes réflexions exhaustives.

En premier lieu, Dominique de Villepin a annoncé qu’il n’y aurait pas de modification législative du texte, mais simplement des aménagements réglementaires. Sa position est donc désormais très claire. Comme je l’avais souligné, aucun décret n’est pourtant nécessaire à l’entrée en vigueur du texte. Dès lors, ces aménagements ne pourront qu’être limités. La durée de la période d’essai, notamment, ne pourra être modifiée et cela ne bloquera pas le texte. Cependant, il paraît possible qu’un décret puisse prévoir une obligation de motivation. Des avancées sont donc possibles sur cette voie.

En second lieu, Nicolas Sarkozy propose, en substance, « une suspension » du texte. Rappelons que la notion de suspension d’un acte législatif n’existe pas en droit, bien que certaines lois en aient fait application (je n’ai pas d’exemple en tête, mais si des lecteurs veulent m’en suggérer…). Mais, je suppose que dans l’esprit du Ministre de l’intérieur, cette notion renvoyait au fait pour le Président de la République de ne pas promulguer la loi. Or, comme j’ai eu l’occasion de le dire, celui-ci doit, normalement, le faire dans un délai de quinze jours à compter du vote définitif de la loi (la saisine du Conseil constitutionnel suspendant le délai). Il ne s’agit pas d’un pouvoir discrétionnaire.

Si, en pratique, le délai de quinze n’est pas toujours respecté, la décision de ne pas promulguer la loi serait un événement inédit sous la Cinquième République, assez inquiétant. En effet, elle n’aurait, ni plus, ni moins, pour effet que de donner un pouvoir de véto au Président, ce qui dénaturerait profondément l’équilibre institutionnel.

Or, sous la Troisième République, le Conseil d’État avait pu juger que le décret de promulgation de la loi constituait un acte de gouvernement (CE Sect. 3 novembre 1933, Desreumeaux : Rec., p. 993 ; S. 1934.3.9, note Alibert ; D. 1933.3.36, note Gros ; R.D.P. 1934.649, note Jèze). Il y a, toutefois, peu de chances que le juge administratif, à l’inverse, considère que le refus de promulguer constitue un acte de gouvernement, les enjeux étant très différents dans les deux cas.

La proposition de Nicolas Sarkozy a donc peu de chance de prospérer, puisqu’elle tomberait au premier recours. Et, de toutes façons, elle n’assurerait aucune garantie juridique aux opposants du texte. Sauf à ce que ces derniers acceptent les arrangements limités du texte par voie réglementaire, les deux seules sorties de crises sont la censure du Conseil constitutionnel (ou la décision de conformité assortie d’importantes réserves, notamment sur l’obligation de motivation) ou une nouvelle délibération du Parlement. Le Gouvernement n’a aucune prise sur la première et ne semble pas prêt à mettre en œuvre la seconde.

Si quelqu’un à une autre solution, qu’il veuille bien m’indiquer la sortie…

P.S. : Sur la question du décret de promulgation, je vous conseille l’article très complet de David Melison, sur le site Juriscom, à propos de la loi LEN.

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